C. LE BILAN DES TROIS POLITIQUES-CLÉS DU CIEL UNIQUE EUROPÉEN DEMEURE POUR LE MOMENT RELATIVEMENT MODESTE
Lors de son déplacement à Bruxelles, votre rapporteur spécial a rencontré des responsables du Ciel unique européen à la direction des Transports (DG Move) de la Commission européenne, des représentants d'Eurocontrol ainsi que le directeur de l'entreprise commune SESAR, ce qui lui a permis de faire un point précis sur l'état d'avancement des principaux volets du Ciel unique européen : les blocs d'espace aérien fonctionnels , la régulation des prestataires nationaux de service de la navigation aérienne (PSNA) et le programme de R&D SESAR.
Il a pu compléter ses analyses en s'appuyant sur le rapport spécial de la Cour des comptes européenne publié en 2017, intitulé « Ciel unique européen : un changement d'ordre culturel, mais pas de véritable unification », qui met précisément en lumière les carences d'un projet pourtant essentiel pour l'avenir du transport aérien en Europe .
Dans la mesure où l'action de la direction des services de la navigation aérienne (DSNA) française est désormais très largement conditionnée par sa participation au Ciel unique, il est indispensable de mesurer les avancées et les limites actuelles de cet ambitieux projet européen , ainsi que de voir dans quelle mesure la France pourrait jouer un rôle significatif pour le faire progresser plus rapidement.
1. Les blocs d'espace aérien fonctionnels ont permis de réaliser des progrès en matière de coordination du contrôle aérien mais pas de défragmenter le ciel européen
a) D'un projet de mutualisation très ambitieux à la mise en place de mécanismes de coordination plus modestes
C'est en 2001 que la Commission européenne a pour la première fois évoqué l'idée de mettre en place des « blocs d'espace aérien fonctionnels » destinés à établir des zones de contrôle aérien indépendantes des frontières des États qui les composeraient . Il s'agissait de créer une région supérieure d'information de vol (RESIV) pour l'Europe « reconfigurée en blocs d'espace aérien fonctionnels d'une taille minimale définis sur la base de critères de sécurité et d'efficacité ».
Cet outil ambitieux imaginé pour remédier à la fragmentation du ciel européen était supposé au départ ne pas tenir compte des frontières nationales afin d'être en mesure d'offrir une « fourniture de services de trafic aérien par des centres de contrôle régionaux dans des zones de l'espace aérien de taille optimale à l'intérieure de la RESIV ».
Les règlements « Ciel unique européen » de 2004 ont finalement revu cette ambition à la baisse en définissant les blocs d'espace aérien fonctionnels comme des ensembles « fondés sur des besoins opérationnels et qui visent à assurer une gestion plus intégrée de l'espace aérien, indépendamment des frontières existantes », mais sans plus faire référence à des centres de contrôle régionaux , qui auraient pourtant permis une vraie mutualisation entre États membres.
Lors de la révision de 2009, les objectifs initiaux ont encore été amoindris, puisque la notion de « gestion intégrée » au coeur de la définition des blocs d'espace aérien fonctionnels a été remplacée par celle de « coopération renforcée », toute référence explicite à la fourniture obligatoire de services intégrés ou transnationaux étant supprimée .
Entre 2008 et 2013, neuf blocs d'espace aérien fonctionnels se sont ainsi constitués.
La Cour des comptes européenne dresse un bilan très décevant de ces blocs . Si elle note que leur création a « donné lieu à la mise en place de structures et de procédures de coopération » entre prestataires de services de la navigation aérienne nationaux, elle note que celles-ci « servent essentiellement pour des matières liées à la coopération réglementaire et technique , comme la mise en place d'un espace aérien de route libre dans leurs zones ».
Relevant que ces types de coopération existaient déjà avant la mise en place des blocs et que certaines d'entre elles se poursuivent indépendamment d'eux, elle déplore qu'aucun des prestataires qu'elle a pu auditer « n'ait pu démontrer que les blocs d'espace aérien fonctionnels avaient apporté des avantages concrets aux usagers de l'espace aérien » et que « la défragmentation , entre autres au moyen de la fourniture de services transfrontaliers, de la fusion de centres de contrôle de la circulation aérienne ou de zones tarifaires communes, n'ait été réalisée dans aucun bloc ».
Selon la Cour, la faiblesse des progrès réalisés s'explique avant tout par la volonté jalouse des États de protéger leur souveraineté dans leur espace aérien et par le souci des PSNA nationaux de protéger « leurs revenus » et « leurs effectifs », au détriment de l'intérêt des usagers du transport aérien.
Au total, elle conclue que « les blocs d'espace aérien fonctionnels ont favorisé les structures de coopération, mais pas la défragmentation ».
Il s'agit là d'un progrès, certes, mais bien insuffisant pour bénéficier des importants effets d'échelle que permettrait la création de centres de contrôle aérien transnationaux .
b) Les avancées permises par le Fabec, dans lequel s'inscrit la France, demeurent modestes
Dans le cadre juridique défini par les règlements du Ciel unique et explicité supra , la France, l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg et la Suisse ont entamé à partir de 2007 des discussions pour bâtir un bloc d'espace aérien fonctionnel baptisé « FAB Europe centrale (FABEC) » réunissant leurs sept prestataires de services de navigation aérienne 16 ( * ) et représentant 55 % des vols qui fréquentent l'espace aérien européen .
Le traité créant le FABEC a été signé le 2 décembre 2010 par ces six États et est entré en vigueur le 1 er juin 2013 et prévoit la mise en place d'une gestion mutualisée du trafic aérien dans leurs espaces aériens, indépendamment des frontières qui les séparent.
Carte du FABEC
Source : direction des services de la navigation aérienne (DSNA)
Concrètement, le traité instaure une coopération étroite entre autorités civiles et militaires des États en matière de gestion de l'espace aérien, d'harmonisation des règles et des procédures, de fourniture de services de navigation aérienne, de coopération civile-militaire, de redevances, de surveillance de la sécurité, d'adoption et de suivi d'un plan de performance conjoint et de gouvernance 17 ( * ) . Le traité prévoit également un régime spécial d'indemnisation de dommages en cas d'incident impliquant un prestataire de services de navigation aérienne situé dans un État voisin de celui où il se produit.
Depuis 2010, année de la signature du traité FABEC, 1 365 routes directes ont été créées dans les six États , parmi d'autres avancées techniques.
En revanche, aucune avancée n'a été réalisée sur le plan de la convergence des tarifs des redevances dont s'acquittent les compagnies aériennes auprès des prestataires de services de la navigation aérienne.
L'article 18 du traité indiquait pourtant que « les États contractants ont l'intention d'appliquer un taux unitaire unique pour le trafic en route dans l'espace aérien concerné et s'efforcent d'y établir une zone tarifaire commune . ».
Naturellement, il ne peut s'agir là que de l'aboutissement d'un long processus et votre rapporteur spécial est bien conscient qu'un taux unitaire unique pour le trafic en-route est nécessairement un objectif de long terme .
Il considère néanmoins que ce projet, aujourd'hui totalement au point mort, doit être relancé afin d'unifier davantage le FABEC à terme et de créer un mécanisme vertueux pour aiguillonner les différents PSNA vers plus d'efficacité économique .
Recommandation n° 2 : la France doit jouer un rôle moteur pour la mise en place à terme d'un tarif de redevance de route unique au niveau du FABEC. |
2. Une régulation qui porte notamment sur les coûts des services en-route, mais également sur les questions de sécurité, de capacité et de performance environnementale
L'activité de prestataire de services de la navigation aérienne (PSNA) constitue une activité monopolistique : par nature, l'espace aérien à contrôler est unique. Pour garantir l'efficacité de chaque prestataire, il a donc été décidé de prévoir au niveau européen un système de régulation qui s'inspire des enseignements de la théorie économique relative à la régulation des monopoles naturels 18 ( * ) .
La Commission européen fixe tout d'abord des objectifs de performance contraignants pour l'ensemble de l'Union européenne dans les domaines de la sécurité, de la capacité (retards par régulation de flux), de l'efficacité environnementale des vols (réduction des distances parcourues) et de l'efficacité économique (coût unitaire des services et tarifs des redevances de la navigation aérienne).
Chaque État se voit ensuite assigner des objectifs individuels dans le cadre d'un plan de performance , dans lequel il s'engage à apporter une participation suffisante à l'atteinte des objectifs globaux de l'Union européenne. La Commission peut demander la révision des plans des États si elle estime que leur contribution n'est pas satisfaisante.
À ce jour, deux périodes de régulation ont été mise en place : la période 2012-2014 , dite « RP1 », et la période 2015-2019 , dite « RP2 ». Les négociations pour la troisième période de régulation « RP3 », qui devrait couvrir la période 2020-2024 , devraient s'ouvrir prochainement.
a) L'adoption des plans de performance de la deuxième période de régulation RP 2, qui a mis l'accent sur la réduction des coûts unitaires des services en-route, a été particulièrement conflictuelle
Pour la première période de performance 2012-2014, l'objectif économique fixé par la Commission européenne était une réduction du coût unitaire moyen de - 10 % en 2014 par rapport à 2011 en euros constants 19 ( * ) .
Par son plan de performance, la France a réalisé une réduction de - 7 % (et - 10 % sur les coûts de personnels et de fonctionnement, hors amortissements et coûts du capital). Cette performance était honorable, lorsqu'on la compare à celles de l'Allemagne (- 3 %), du Royaume-Uni (- 4,3 %) ou de l'Italie (- 7,4 %).
Pour la deuxième période de performance 2015-2019, la Commission a adopté au premier semestre 2014 des objectifs de performance très exigeants , notamment sur le plan de la réduction des coûts unitaires des services en route : - 15,5 % sur cinq ans en euros constants , soit - 3,1 % par an en moyenne.
La France a immédiatement fait savoir qu'elle serait dans l'incapacité d'atteindre les objectifs qui lui était assignés par la Commission , qu'elle considérait comme beaucoup trop volontaristes, compte tenu de ses charges de personnels et de la nécessité pour elle de maintenir un niveau de recettes suffisamment élevées pour financer ses programmes de modernisation.
Les plans de performance de chaque pays ont été déposés auprès de la Commission européenne mi-2014, mais celle-ci a demandé en mars 2015 à neuf États membres , dont la France, de réviser leurs propositions d'objectifs de performance dans le sens d'une réduction des coûts unitaires .
La France et ses partenaires du FABEC ont transmis à la Commission début juillet 2015 une proposition révisée incluant une baisse des coûts unitaires , liée principalement à une actualisation des prévisions de trafic, en hausse par rapport aux prévisions initiales, sans pour autant encore pouvoir satisfaire individuellement l'objectif européen.
Le processus d'adoption des plans de performance s'est alors enlisé et ne s'est achevé que le 22 mars 2017 , date à laquelle la Commission européenne a enfin validé le plan de performance 2015-2019 des services de navigation aérienne du FABEC.
Grâce à la hausse du trafic observée en 2016 et à la réduction des intérêts de sa dette, la DSNA a fini par accepter, lors de ces ultimes négociations, une réduction supplémentaire de 3 % de ses coûts unitaires par rapport aux propositions révisées de juillet 2015 , après s'être assurée que le niveau de ses recettes demeurerait suffisant pour financer ses programmes de modernisation ainsi que le protocole social 2016-2019 de la DGAC.
Au total, dans la version finale adoptée par la Commission européenne, le coût unitaire fixé pour 2019 , exprimé en valeur 2009, est inférieur de 11,5 % à la valeur inscrite pour 2014 dans le plan de performance 2012-2014 .
b) Un véritable changement de culture mais des résultats encore limités d'un point de vue quantitatif
Établissant un premier bilan des deux premières périodes de régulation RP1 (2012-2014) et RP 2 (2015-2019) , la Cour des comptes européenne a souligné que ce système innovant de régulation avaient permis aux prestataires nationaux de la navigation aérienne, « de mettre en place une culture axée sur la performance , qui n'était pas toujours présente par le passé ».
Elle constate que « la définition d'objectifs de performance, la mesure des résultats et les incitations liées à leur réalisation ont contribué à l'instauration de cette culture et ont amené les prestataires de service à chercher à améliorer l'efficacité de leurs opérations ». Elle se félicite aussi que les prestataires nationaux aient dû se montrer beaucoup plus transparents en fournissant les informations nécessaires pour mesurer leurs performances et établir leurs tarifications.
De fait, il s'agit là d'une véritable révolution copernicienne pour des opérateurs en situation de monopole et qui n'avaient jusque-là de comptes à rendre qu'à des tutelles avant tout soucieuses d'éviter des tensions sociales. Selon Eurocontrol, interrogée sur ce point par votre rapporteur spécial, leur mise sous tension est réelle et il s'agit là d'un premier succès pour la Commission européenne.
La Cour des comptes européenne estime en revanche que les résultats concrets obtenus jusqu'ici demeurent modestes .
En matière de capacité, si les résultats sont meilleurs en 2016 qu'en 2008, les retards liés au contrôle aérien augmentent de nouveau depuis 2013 et représentent le double de la valeur cible de 0,5 minute par vol déterminée pour l'ensemble de l'Union européenne.
Si les taux unitaires réels des redevances de route ont diminué de - 22 % à prix constants entre 2004 et 2016 , cette réduction s'est principalement produite avant l'entrée en vigueur du système de régulation, celle obtenue entre 2011 et 2016 n'ayant représenté qu'une baisse de - 4 % , alors que les objectifs au niveau européen étaient une baisse de - 3,5 % entre 2012 et 2014 puis une baisse de - 3,3 % entre 2015 et 2019 .
Ces résultats doivent cependant être relativisés car ils s'expliquent en grande partie par une croissance du trafic aérien moins forte que ce qui avait été anticipé.
Évolution du trafic, des taux unitaires et du retard en route dans l'espace aérien européen entre 1997 et 2016
Source : Cour des comptes européenne
Enfin, les résultats en matière d'efficacité environnementale des vols ne sont pas parvenus à atteindre leur objectif , même si des progrès ont été enregistrés.
c) La troisième période de régulation RP3 devra prendre en compte la forte hausse du trafic et améliorer la pertinence du système de performance
Si elle n'a pas encore permis d'obtenir toutes les améliorations attendues, la régulation constitue une innovation précieuse à même de dynamiser les prestataires de services de la navigation aérienne .
Mais la pertinence de ses indicateurs doit être régulièrement examinée pour qu'elle demeure pleinement efficace et crédible.
En outre, la Commission européenne doit se montrer très attentive aux évolutions du trafic , qui peuvent conduire à remettre totalement en question les priorités qu'elles s'étaient fixées.
(1) Mettre l'accent sur la capacité et non plus sur les coûts de la navigation aérienne
Les hausses ou les baisses du trafic conditionnement naturellement l'ensemble du dispositif de contrôle aérien, au niveau national comme au niveau européen.
Or, il apparaît de plus en plus clairement que la hausse actuelle du trafic est bien plus forte que ce qui avait été anticipé lors de l'élaboration de RP2 . Conçue dans une période de hausse du trafic relativement faible, les plans de régulation ont surtout mis l'accent sur les réductions des coûts unitaires des prestataires de services de la navigation aérienne (PSNA) .
Résultat : beaucoup d'entre eux ont réduit leurs recrutements de contrôleurs aériens et rencontrent actuellement les pires difficultés en termes de capacité pour faire passer le trafic , si bien que des centres d'excellence où la productivité horaire est très forte comme ceux de Maastricht ou de Karlsruhe sont désormais ceux qui sont responsables du plus de minutes de retard en Europe... L'inquiétude est très forte pour l'été 2018 .
Tous les interlocuteurs rencontrés par votre rapporteur spécial, y compris les compagnies aériennes qui payent les redevances, sont donc formels sur un point : la prochaine régulation devra donner la priorité à la capacité et non plus à la réduction des coûts unitaires .
Cela signifie en particulier que la Commission européenne devra veiller à ce que les PSNA puissent bénéficier de recettes de redevances suffisantes pour pouvoir recruter des contrôleurs aériens et investir dans la modernisation de leurs systèmes technologiques .
Accompagner la croissance du trafic aérien sans jamais l'entraver est en effet le principal service public attendu par les compagnies aériennes et leurs passagers, même si les coûts unitaires doivent un peu moins diminuer.
La Commission européenne paraît bien consciente de l'enjeu, ce qui permet d'espérer que les objectifs fixés dans le cadre de RP3 seront plus réalistes que ceux de RP2 .
Recommandation n° 3 : donner la priorité aux enjeux de capacité pour la troisième période de régulation économique 2020-2024, quitte à assouplir le niveau d'exigence en matière de réduction des coûts unitaires des prestataires de services de la navigation aérienne. |
(2) Alléger la prise de décision
Comme le montre l'encadré ci-dessous, qui décrit les grandes étapes de la négociation en cours pour la troisième période de régulation RP 3, la prise de décision dans ce domaine est particulièrement lourde et lente , puisqu'elle est prévue pour durer deux ans au minimum .
Elle peut en outre s'éterniser en cas de désaccord entre la Commission et les États membres, comme cela a été le cas avec RP2, pour laquelle un accord définitif n'a été trouvé qu'en mars 2017 , après plus de quatre ans de négociations , alors qu'il s'agissait de couvrir la période 2015-2019 .
Il importe donc de l'alléger et de l'accélérer .
Les étapes de la négociation de la troisième période de régulation RP3 La Commission européenne a lancé dès 2016 le cycle de préparation de la troisième période de référence RP3, en procédant selon les étapes suivantes : - renouvellement de l'organe d'examen de la performance (PRB) : le processus a abouti à la nomination d'un ensemble de neuf membres, qui ont commencé leur mandat le 1 er juillet 2017 ; - consultation amont des divers acteurs concernés, notamment les compagnies aériennes, les prestataires de services de la navigation aérienne, les autorités nationales de surveillance, concernant les leçons du fonctionnement du système de performance jusqu'en 2016 ; - réflexion de la Commission et consultation sur des options pour la mise à jour des règlements d'exécution (UE) n° 390/2013 établissant un système de performance pour les services de navigation aérienne et les fonctions de réseau et n° 391/2013 établissant un système commun de tarification des services de navigation aérienne ; - à compter de l'automne 2017, début des discussions sur les modifications de ces deux règlements proposés par la Commission européenne ; l'adoption des règlements modifiés fera l'objet de plusieurs réunions successives du comité Ciel unique, la Commission comptant sur un vote favorable au printemps 2018 ; - élaboration des objectifs européens de performance. Ce cycle commencerait début 2018 avec la présentation des prévisions d'évolution nationales, notamment en termes de coûts unitaires, et se poursuivrait par un travail du PRB et des propositions, après consultations de toutes les parties. Les objectifs de l'Union européenne seraient adoptés après vote en comité fin 2018/début 2019 ; - élaboration des plans de performance : les autorités nationales de surveillance des États, groupés en blocs d'espace aérien fonctionnels, consulteraient les compagnies aériennes et les organismes représentatifs des personnels au printemps 2019 sur les projets de plans de performance, pour les soumettre ensuite à la Commission ; |
- évaluation et approbation des plans de performance : la Commission européenne, après avis du PRB, décidera quels plans et quels objectifs locaux elle estime contribuer suffisamment aux objectifs de l'Union européenne, en demandant le cas échéant des plans de performance révisés. Cette décision doit être votée en comité du Ciel unique. Cette phase occupera le deuxième semestre 2019 et, le cas échéant, le premier trimestre 2020. Source : direction des services de la navigation aérienne (DSNA) |
(3) Ajuster les indicateurs de performance pour les rendre plus pertinents
Dans le même temps, il paraît sans doute nécessaire de s'interroger sur la pertinence de certains des indicateurs utilisés pour mesurer la performance des prestataires de services de la navigation aérienne européens, car certains apparaissent pour l'heure trop rudimentaires.
La Cour des comptes européenne fait ainsi valoir dans son rapport que l'indicateur de performance environnementale ne prend pas en compte l'altitude à laquelle s'effectue les vols , alors qu'elle a également un impact sur leur empreinte carbone, et néglige certaines contraintes auxquelles le contrôle aérien doit faire face (météorologie, partage de l'espace aérien avec les militaires, décisions des compagnies aériennes).
Elle considère également que si les retards constituent « une mesure très pertinente de la performance pour les transports aériens » en matière de capacités, il ne faudrait pas seulement se focaliser sur les retards en-route mais inclure également dans l'analyse « le temps supplémentaire en phase de roulage au départ avant le décollage ou les trajectoires d'attente dans les environs des aéroports avant l'atterrissage ».
(4) Assurer un meilleur contrôle de la réalisation des plans de performance par des autorités de surveillance véritablement indépendantes
Les plans de performance ne peuvent être vraiment utiles aux usagers du transport aérien que si leur bonne application est vérifiée et les prestataires de services de la navigation aérienne (PSNA) vraiment mis sous tensions .
Or, ce n'est pas suffisamment le cas selon la Cour des comptes européenne, qui déplore tout d'abord que les autorités nationales de surveillance (ANS) , chargées par la Commission européenne d'effectuer ce contrôle, ne soient pas pour certaines suffisamment indépendantes des prestataires de services de la navigation aérienne qu'elles doivent inspecter. La France est tout particulièrement visée (cf. infra )...
Elle note également que « dans les cinq États membres [ qu'elle a visités ], aucune inspection régulière n'avait été effectuée pour assurer que seuls les coûts admissibles sont inclus dans le système de tarification , ni pour vérifier si ces derniers avaient été supportés de façon efficace sur le plan économique et ventilés de façon adéquate entre les zones tarifaires de route et terminales ».
Votre rapporteur spécial partage entièrement les préoccupations de la Cour des comptes européenne sur ces deux points .
Les monopoles naturels que sont les prestataires de services de la navigation aérienne ne peuvent être efficacement régulés que s'ils sont contrôlés par des autorités nationales de surveillance véritablement indépendantes et qui effectuent des inspections suffisamment fréquentes et précises . Or ce n'est pas suffisamment le cas pour la DSNA (cf. infra ).
3. Le programme de R&D SESAR, initialement prévu pour une durée limitée, a pris du retard et risque d'être maintenu indéfiniment
Le programme SESAR constitue le volet technologique du Ciel unique européen . Il s'agit là encore de lutter contre l'éparpillement des acteurs du contrôle aérien en Europe pour favoriser des économies d'échelle , à l'heure où les défis à relever en matière d'innovation sont considérables et largement similaires partout sur le continent.
Eurocontrol avait en effet estimé dans une étude de 2004 que les coûts liés à la fragmentation technologique du ciel européen représentaient entre 880 et 1 400 millions d'euros par an , en raison notamment de l'absence d'économies d'échelles dans les marchés publics.
a) Le volet technologique du Ciel unique européen a vu ses échéances repoussées dans le temps
Concrètement, le programme SESAR vise à assurer la modernisation des systèmes et des procédures opérationnelles de gestion du trafic aérien de façon à faciliter un accroissement du trafic au cours des prochaines décennies, tout en améliorant la performance opérationnelle en termes de régulations de trafic et de consommation de carburant, en réduisant les coûts unitaires pour les usagers aériens et en accroissant encore le niveau de sécurité.
Il se compose d'un programme de recherche et développement (R&D) et d'un programme de déploiement . Il a été divisé chronologiquement en trois phases : définition (élaboration d'un plan de modernisation), développement (conception de solutions technologiques) et déploiement (installation des nouveaux systèmes et procédures).
La première phase était censée se dérouler de 2005 à 2007, la deuxième de 2008 à 2013 et la troisième de 2014 à 2020. Il est désormais prévu que les efforts de développement de nouvelles solutions technologiques se poursuivent sans limite de durée .
C'est l'entreprise commune SESAR (SESAR JU) , constituée en 2009 entre la Commission, Eurocontrol et des adhérents volontaire du secteur (industriels et prestataires de services de navigation aérienne principalement) qui mène le programme de développement, lequel s'inscrit dans un plan directeur pour la gestion du trafic aérien qui a été conçu entre 2005 et 2008 puis adopté par le Conseil de l'Union européenne en mars 2009 (celui-ci a par la suite été actualisé en 2012 ainsi qu'en 2015 et devrait l'être de nouveau en 2018 pour tenir compte du retard pris par le programme SESAR ).
À ce titre, elle bénéficie des financements de l'Union , qu'elle octroie aux projets présentés par les adhérents autres que la Commission et Eurocontrol.
Alors qu'elle était censée initialement être dissoute en 2016, sa durée de vie a été prolongée en 2014 jusqu'en 2024 par le Conseil. Dans le même temps, les objectifs de SESAR, qui devaient être atteints en 2020 ont été repoussés à 2035 .
Une entité désignée par la Commission comme « gestionnaire du déploiement » est par ailleurs chargée de mener le programme de déploiement pour réaliser le Projet commun pilote de SESAR 20 ( * ) .
Ce gestionnaire de déploiement est composé de prestataires de services de navigation aérienne (dont la DSNA pour la France), compagnies aériennes et exploitants d'aéroports. Il a présenté un programme de déploiement initial . Il valide les propositions conjointes de projets de déploiement en vue de leur financement par des fonds d'interconnexion de l'agence Innovation and Networks Executive Agency (INEA), présentée plus en détail infra .
b) Des résultats modestes à ce stade
Dans son rapport précité, la Cour des comptes européenne note que le projet SESAR a encouragé « une vision à l'échelle de l'Union européenne de la configuration et du déploiement futurs du système européen de gestion du trafic aérien », qu'il a permis la mise en place de « partenariats coordonnés entre parties prenantes lors de travaux de R&D ainsi que des économies d'échelle » ainsi « qu'une influence européenne accrue sur la définition de normes internationales et sur l'élaboration du plan mondial de navigation aérienne de l'organisation de l'aviation civile internationale (OACI) ».
Autre satisfecit, la Cour note que « la disponibilité de financements de l'Union européenne a conduit les parties prenantes à engager des ressources supplémentaires dans la recherche et développement ».
Si ces différents acquis sont précieux, ils demeurent malgré tout un peu minces eu égard aux sommes engagées et à la dérive du calendrier du programme SESAR .
De fait le bilan de celui-ci est à ce stade relativement décevant , puisque seules quelques solutions technologiques ont fait l'objet d'une publication et de démonstrations opérationnelles .
Selon la Cour des comptes européenne, sur l'ensemble de ces solutions, seules 19 % avaient été validées par l'entreprise commune SESAR au niveau « développement préindustriel » à la fin de l'année 2016 , 61 % d'entre elles étant toujours bloquées à la « définition du concept ».
* 16 La DSNA pour la France, la DFS pour l'Allemagne, Belgocontrol pour la Belgique, LVNL pour les Pays-Bas, ANA pour le Luxembourg, Skyguide pour la Suisse et Eurocontrol en tant que gestionnaire du centre de contrôle de Maastricht (MUAC).
* 17 Sous l'égide d'un conseil du FABEC, qui réunit deux fois par an les directeurs généraux de l'aviation civile des six États et leurs homologues militaires, les autorités nationales collaborent au sein de quatre comités spécialisés : sécurité, espace aérien, finances et performance, harmonisation. Les prestataires de services de navigation aérienne collaborent entre eux sous l'égide d'un comité stratégique, via huit comités permanents spécialisés. Les directeurs généraux des États et les prestataires de services se concertent en parallèle à chaque réunion du Conseil.
* 18 C'est le règlement « Ciel unique 2 » n° 1070/2009 qui a créé un système européen de régulation de la performance des services de navigation aérienne.
* 19 Valeur 2009.
* 20 Fixé par un règlement d'exécution de la Commission UE n° 716/2014.