B. LE CIEL UNIQUE EUROPÉEN, UN PROJET AUJOURD'HUI À L'ARRÊT
Le Ciel unique européen constitue le coeur de la politique menée par l'Union européenne en faveur du transport aérien . Ce vaste projet, aux nombreuses implications, vise à lutter contre la fragmentation de l'espace aérien européen en espaces aériens nationaux , source d'inefficacités et de surcoûts considérables. Il couvre l'ensemble des 28 États membres de l'Union européenne 12 ( * ) ainsi que les espaces aériens de la Suisse et de la Norvège.
1. L'édification du Ciel unique européen a véritablement démarré en 2004
Dès 1989, la réalisation d'un rapport commandé par l'Association des compagnies européennes de navigation européenne avait montré que les retards et les surcoûts causés par le contrôle aérien en Europe s'élevaient à 4,2 milliards de dollars par an 13 ( * ) . La même année, la Commission européenne avait reconnu que le système de contrôle de la circulation en Europe souffrait de sévères insuffisances, tant du point de vue institutionnel que technique.
Les réflexions se sont poursuivies au cours des années 1990 avec notamment la publication d'un livre blanc intitulé « La gestion du trafic aérien - Vers un espace aérien européen sans frontière » puis une première communication de la Commission européenne au Conseil et au Parlement européen sur la création du Ciel unique européen (CUE).
Mais ce n'est qu'en 2001 que l'aggravation des retards dus à la navigation aérienne a conduit la Commission européenne à présenter un véritable plan d'action pour la réalisation du Ciel unique européen .
Sur la base de ce plan, les institutions européennes ont adopté en mars 2004 quatre règlements qualifiés de « paquet Ciel unique européen » 14 ( * ) .
Ils établissaient un cadre réglementaire régissant les services de navigation aérienne, l'organisation et l'utilisation de l'espace aérien ainsi que l'interopérabilité des systèmes de navigation aérienne au niveau européen.
En 2009, ces règlements ont fait l'objet d'une révision dans le cadre du « paquet Ciel unique européenne II » . Celle-ci avait notamment pour objet la mise en place d'un système de régulation par la performance des prestataires de la navigation aérienne (PSNA) nationaux .
C'est à cette occasion que l'organisation internationale Eurocontrol a été désignée comme gestionnaire centralisé du réseau de transport aérien en Europe et qu'elle a été chargée par la Commission européenne de mettre en place un organe d'évaluation des performances des PSNA nationales.
Elle s'est vu en revanche retirer ses responsabilités relatives à la préparation des règlements de sécurité et d'interopérabilité , cette mission ayant été confiée à l'Agence européenne de la sécurité de l'aviation (AESA) 15 ( * ) .
Plus largement, la réglementation européenne s'est attachée à « communautariser » les règles élaborées par Eurocontrol pour assurer une coordination de la navigation aérienne dans les espaces aériens de 41 pays européens depuis les années 1960.
Eurocontrol L'organisation pour la sécurité de la navigation aérienne en Europe, dite « Eurocontrol », a été créée par une convention internationale en 1960, amendée en 1981. Une convention révisée a été signée en 1997 ; ratifiée par la plupart des États membres dont la France, elle n'est cependant toujours pas entrée en vigueur en raison du retard de la Turquie notamment. Eurocontrol a pour principales missions et activités, selon sa convention en vigueur, et les parties de la convention révisée de 1997 appliquées par anticipation, parce que compatibles avec cette première : - le développement et la mise en oeuvre d'un programme (permanent) d'améliorations du système européen de gestion du trafic aérien, avec ses États membres (41 à ce jour), leurs prestataires de services de navigation aérienne et les exploitants aériens ; - l'élaboration de réglementations communes en matière de sécurité de la gestion du trafic aérien ; - l'exploitation d'un centre commun de gestion des courants de trafic ; - la gestion de certaines fonctions ou services communs comme la coordination de l'utilisation des fréquences radio ; - l'exploitation d'un centre de contrôle aérien en-route implanté à Maastricht, contrôlant l'espace aérien supérieur de la Belgique, du Luxembourg, des Pays-Bas et du nord de l'Allemagne ; |
- la gestion d'un système de tarification, de facturation et de perception de redevances de route pour le compte des États. L'Agence effectue également, sur demande des États, la facturation et le cas échéant la perception de redevances pour services terminaux de la circulation aérienne ; - un système d'examen de la performance de la gestion du trafic aérien en Europe ; - un centre de recherche et de simulation implanté à Brétigny-sur-Orge ; - un institut de formation implanté à Luxembourg. L'Agence Eurocontrol peut aussi développer et gérer d'autres services ou systèmes en commun. Un exemple est le logiciel de traitement des échos radars appelés « ARTAS » et ses fonctions support, logiciel qui est utilisé dans un grand nombre d'Etats. Un autre est une base de données d'informations aéronautiques, sous-traitées à un consortium, et dont les fonctionnalités sont déjà utilisées par presque tous les prestataires de services de navigation aérienne nationaux, à des degrés divers. Cette agence associe aussi les autorités militaires à ses activités. Source : Eurocontrol |
La révision des règlements Ciel unique européen opérée en 2009 a également permis de tirer les conséquences réglementaires de la création des blocs d'espace aériens fonctionnels , destinés à renforcer la coopération entre prestataires de pays contigus.
2. Un effort d'harmonisation de la réglementation applicable au transport aérien
La réussite des trois politiques que sont la mise en place des blocs d'espace aérien fonctionnels (FABs) , la régulation des prestataires de services de la navigation aérienne (PSNA) et le programme technologique de R&D SESAR est indispensable pour espérer défragmenter progressivement le ciel européen (voir en détail infra ).
Elles ne doivent toutefois pas occulter les autres aspects moins visible de la mise en place du Ciel unique européen et qui relèvent avant tout de la réglementation en matière de sécurité du contrôle aérien , de fourniture et de gestion des services de la navigation aérienne ou bien encore d'interopérabilité au sein du réseau de transport aérien européen .
Les progrès accomplis au cours des quinze dernières années en matière d'harmonisation du droit applicable à l'aviation civile au sein de l'Union européenne ont été considérables et ont vocation à être approfondis rapidement dans le cadre du paquet « Ciel unique européen 2 + ».
3. Le contentieux entre le Royaume-Uni et l'Espagne au sujet de Gibraltar bloque aujourd'hui l'adoption du paquet Ciel unique européen 2 +
La Commission européenne a adopté le 11 juin 2013 deux projets de règlements européens connus sous le nom de « paquet Ciel unique 2 + » qui prévoyaient notamment une stricte séparation juridique entre les prestataires de services de la navigation aérienne et leurs autorités de surveillance ainsi qu'une mise en concurrence de services annexes, tels que la météorologie.
Peu désireux de modifier la répartition des responsabilités entre les États membres, la Commission européenne et l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA), les ministres des transports de l'Union européenne ont considérablement amendé les projets de la Commission .
La France a tout particulièrement veillé à ce que soit réaffirmé le droit d'organiser les services de navigation aérienne dans le cadre d'une séparation fonctionnelle et non juridique par rapport aux autorités de surveillance , en contrepartie de garanties supplémentaires d'indépendance desdites autorités.
La direction générale de l'aviation civile (DGAC) a ainsi cherché à garantir son unité qui aurait été clairement menacée si la Commission avait pu mener à bien ses projets initiaux, la direction du transport aérien (DTA) et la direction de la sécurité du transport aérien (DSAC) appartenant à la même direction générale que la direction des services de la navigation aérienne dont elles sont respectivement le régulateur et le certificateur (cf. infra ).
En dépit de la négociation de ce compromis , l'adoption du paquet Ciel unique européen 2 + est aujourd'hui complètement en panne en raison d'un contentieux entre l'Espagne et le Royaume-Uni concernant son application à l'aérodrome de Gibraltar.
Le Brexit doit être l'occasion de faire enfin aboutir ce projet qui, s'il ne présentera que des avancées limitées, permettra d'aller de l'avant et de poursuivre l'édification juridique du Ciel unique européen .
Votre rapporteur spécial souhaite que la France joue un rôle moteur dans ce sens : même si le paquet Ciel unique européen 2 + n'est pas révolutionnaire, l'adopter enverrait un signal clair à la communauté aéronautique mondiale sur la volonté des États européens d'approfondir leur coopération dans un domaine décisif pour leur avenir .
Recommandation n° 1 : enfin faire aboutir le paquet « Ciel unique européen 2+ », le Brexit mettant fin de facto au contentieux entre le Royaume-Uni et l'Espagne au sujet de Gibraltar. |
* 12 Le maintien ou non du Royaume-Uni dans le Ciel unique européen constitue un sujet de négociation important dans le cadre du Brexit.
* 13 Towards a single system for air traffic control in Europe, rapport final du consultant adressé à l'Association des compagnies européennes de navigation aérienne, septembre 1989.
* 14 Il s'agit des règlements (CE) n° 549/2004, 550/2004, 551/2004 et 552/2004.
* 15 Eurocontrol continue néanmoins à produire des indicateurs de sécurité et à tenir une base de données dans ce domaine. En outre, ses experts prennent toujours part à des concertations et consultations préalables sur les questions d'interopérabilité.