II. LE CONTRÔLE AÉRIEN FRANÇAIS S'INSCRIT DÉSORMAIS DANS LE CADRE D'UN CIEL UNIQUE EUROPÉEN EN CONSTRUCTION
Il est devenu aujourd'hui impossible d'évoquer les services de la navigation aérienne français sans s'intéresser au préalable à l'ambitieux projet de Ciel unique européen qui conditionne de plus en plus leurs activités.
De fait, c'est désormais au niveau européen ou en étroite concertation avec lui que sont adoptées les normes et les principales décisions qui s'appliquent au contrôle aérien français , que ce soit sur le plan de la sécurité, des capacités, des tarifs des redevances payées par les compagnies aériennes, de la performance environnementale ou bien encore de la modernisation technologique.
A. LE PROJET DE CIEL UNIQUE EUROPÉEN VISE À REMÉDIER À LA FRAGMENTATION DE L'ESPACE AÉRIEN EUROPÉEN
Construire un Ciel unique européen dans un espace aérien morcelé par la souveraineté des États constitue une gageure.
Il s'agit pourtant d'une nécessité, tant la fragmentation du ciel est à l'origine d'un manque d'efficacité et de surcoûts très pénalisants pour les compagnies aériennes et pour leurs passagers, ainsi que le montre clairement la comparaison entre l'Europe et les États-Unis.
1. L'espace aérien européen relève de la souveraineté de chacun des États membres, ce qui explique son morcellement
Avec l'essor de l'aviation civile, tous les États européens ont mis en place des services de prestation de la navigation aérienne (PSNA) chargés de contrôler la circulation des aéronefs dans leur espace aérien national.
Il est toutefois rapidement apparu que les espaces aériens de nombreux États étaient de taille très réduite et que l'extrême fragmentation du ciel européen engendrait un manque considérable d'efficacité , alors que des économies d'échelle très substantielles pourraient être réalisées si étaient mis en place des services de la navigation aérienne indépendants des frontières nationales .
Ce constat a conduit, après la seconde guerre mondiale, plusieurs pays à vouloir mettre en place une gestion mutualisée de leurs espaces aériens dans le cadre de l'organisation internationale Eurocontrol alors en cours de construction.
C'est de cette ambition qu'est né le centre de contrôle en-route de Maastricht , qui assure la surveillance de l'espace aérien supérieur de la Belgique, du Luxembourg, des Pays-Bas et du nord de l'Allemagne (région de Hanovre) et que votre rapporteur spécial a visité au cours de son contrôle.
Le centre de contrôle en-route de Karlsruhe en Allemagne devait également, à l'origine, être confié à Eurocontrol et couvrir plusieurs espaces aériens nationaux, mais est finalement devenu un centre exclusivement allemand .
Par la suite, les projets d'ouvertures de centres Eurocontrol à Vienne et à Budapest n'ont pas non plus abouti et le rêve de répliquer des centres de contrôle multinationaux sur le modèle de celui de Maastricht a fait long feu : la souveraineté des États restait la plus forte.
La fragmentation du Ciel européen a donc subsisté.
2. L'écart de productivité entre les contrôles aériens européen et américain permet d'estimer le coût engendré par la fragmentation du ciel européen
Comparer les performances du contrôle aérien européen (exercé par pas moins de trente-sept prestataires de services de la navigation aérienne) à celles du contrôle aérien américain (exercé par un prestataire unique) permet d'appréhender l'ampleur des coûts et du manque de productivité qu'entraîne la fragmentation de l'espace aérien et l'absence d'un véritable Ciel unique européen toujours en gestation.
L'organisation Eurocontrol a publié récemment deux mises à jour de ses comparaisons entre les performances du contrôle aérien aux États-Unis et en Europe 9 ( * ) .
Cette étude rappelle tout d'abord qu'il convient de prendre en compte plusieurs données de base pour effectuer cet exercice de parangonnage.
En premier lieu, le trafic aérien est plus élevé de 57 % aux États-Unis par rapport à l'Europe en nombre de mouvements contrôlés.
Deuxième donnée, les plus grands aéroports des États-Unis accueillent beaucoup plus de mouvements qu'en Europe : 50 % de plus pour les 34 les plus fréquentés.
Troisième point, les avions sont de plus petit emport aux États-Unis , avec seulement 40 % de turboréacteurs de plus de 50 tonnes contre 67 % en Europe.
Enfin, l'Europe présente surtout une zone dense continue , les périphéries nord et est étant beaucoup moins denses.
Ces différents points de différences étant posée, que constate-t-on ?
Tout d'abord que la ponctualité des vols est comparable au départ , mais qu'elle est moindre à l'arrivée aux États-Unis . En outre, la gestion du trafic aérien est une cause de retard au départ trois fois moins fréquente en Europe qu'aux États-Unis .
L'allongement des trajectoires en route par rapport au minimum théoriquement possible est semblable des deux côtés de l'Atlantique , voisin de 3 % et stable depuis quelques années.
Si ces premiers constats sont plutôt satisfaisants, ceux qui portent sur la productivité du contrôle aérien le sont beaucoup moins .
Alors que le nombre de mouvements contrôlés aux États-Unis est supérieur de 57 % à celui observé en Europe, le nombre de contrôleurs aériens américains était inférieur de 24 % au nombre de contrôleurs européens en 2015, avec 12 960 contrôleurs en service opérationnel contre 17 500 en Europe . En outre, l'espace aérien européen était contrôlé par 63 centres en-route contre 23 seulement aux États-Unis .
En ce qui concerne les coûts du contrôle aérien, une étude Eurocontrol portant sur la période 2006-2014 et réalisée avec un taux de change de 1 euro pour 1,35 dollar montre que le coût total de gestion du trafic aérien 10 ( * ) ramené à l'heure de vol contrôlé était inférieur de 32 % aux États-Unis par rapport à l'Union européenne en 2014. À noter toutefois que cet écart s'est réduit depuis 2006, année où il était de 46 % .
Ramené à l'heure de vol contrôlé, le coût des fonctions support 11 ( * ) était inférieur de 23 % aux États-Unis par rapport à l'Union européenne en 2014. Là encore, cet écart s'est réduit depuis 2006, année où il était de 40 % .
Cette étude montre également que le coût moyen d'un contrôleur aérien par heure de vol contrôlé par la FAA (prestataire de la navigation aérienne américain) était inférieur de 33 % aux États-Unis par rapport à l'Union européenne en 2014.
À l'inverse des autres tendances, cet écart s'est creusé depuis 2006, année où il n'était que de 13 % .
Ce phénomène tient en large partie à la productivité physique de l'utilisation des contrôleurs aériens :
- l'utilisation des contrôleurs aériens est plus souple aux États-Unis . Ainsi, en 2014, la moyenne annuelle des heures travaillées par contrôleur aérien en exploitation y était de 1 824 heures soit 41 % de plus que dans les États de l'Union européenne ( 1 296 heures ). Ceci est lié à la forme des contrats de travail ;
- le nombre de vols contrôlé par heure de travail de contrôleur était supérieure de 47 % aux États-Unis (mais cet écart était évalué à + 113 % en 2006).
Ces chiffres spectaculaires permettent de prendre conscience des déséconomies d'échelles considérables générées en Europe par l'existence de trente-sept prestataires de services de la navigation aérienne (PSNA) soucieux de maintenir leur contrôle exclusif sur leur espace aérien, ainsi que par leurs régimes de travail.
C'est la volonté d'atténuer ce gigantesque déficit de productivité qui est à l'origine du projet de Ciel unique européen.
3. Les bénéfices attendus du Ciel unique européen sont très importants
L'objectif central du projet de Ciel unique européen est de parvenir à améliorer la gestion du trafic aérien en Europe en minimisant au maximum les effets négatifs du morcellement de l'espace aérien européen grâce à d'ambitieuses actions de mutualisation , d'harmonisation et de modernisation des pratiques et des technologies des prestataires de la navigation aérienne (PSNA) .
S'il n'existe pas d'étude complète sur les bénéfices attendus de la mise en place du Ciel unique européen, le commissaire européen aux transports et vice-président de la Commission Jacques Barrot avait fixé pour objectif pour 2020 la mise en place d'un système européen de gestion du trafic aérien permettant, par rapport à la performance de 2004 :
- un triplement de la capacité , donc du trafic, tout en réduisant les régulations des vols, en particulier l'attente au sol ;
- une réduction de 10 % des effets des vols sur l'environnement ;
- la fourniture des services de navigation aérienne à un coût pour les usagers réduit de 50 % .
Alors que les résultats effectivement obtenus en 2020 demeureront très en deçà des objectifs fixés en 2004 , la Commission européenne s'est bien gardée d'en annoncer de nouveaux dans la période récente.
Aussi est-ce dans la dernière version du plan directeur du programme technologique SESAR (présenté infra ) qu'il est possible de trouver les objectifs de performance que porte actuellement l'Union européenne pour le Ciel unique européen, l'horizon étant désormais celui de 2035 :
- une réduction des coûts directs de services de navigation aérienne compris entre - 30 % et - 40 % ;
- une réduction des régulations de vol au départ pour une cause liée au contrôle en route compris entre - 10 % et - 30 % ;
- une réduction du temps de vol par vol compris entre - 3 % et -6 % ;
- une réduction de la consommation de carburant par vol compris entre - 5 % et - 10 % (efficacité horizontale, verticale et au roulage) ;
- des gains de capacité de programmation aux aéroports encombrés compris entre + 5 % et + 10 % ;
- des gains de capacité du réseau (nombre de vols) compris entre + 80 % et + 100 % ;
- des accidents où la gestion du trafic aérien est un facteur contributif inchangé (soit une division du risque par 3 ou 4).
Ces chiffres s'entendent de tous les gains réalisables , y compris grâce à SESAR mais pas uniquement. Ils sont ambitieux et nécessiteront que le projet de Ciel unique européen fasse l'objet d'une mobilisation des États beaucoup plus importante qu'elle ne l'est aujourd'hui.
* 9 U.S. - Europe continental comparison of ANS cost-efficiency trends (2006-2014), Eurocontrol.
* 10 Hors météorologie aéronautique.
* 11 Tout ce qui n'est pas le coût du contrôle aérien proprement dit.