B. POUR UNE EUROPE CROISSANCE
Créée à parti du marché intérieur, l'Union européenne ne doit pas négliger cette base. Dans le scénario n° 4, la Commission européenne préconise aujourd'hui de mieux cibler son intervention dans le domaine économique en la concentrant sur l'aide à l'innovation, la défense des consommateurs et l'approfondissement de l'Union économique et monétaire. Cette approche recueille, là encore, l'appui de vos rapporteurs à condition qu'elle soit précisée.
1. L'aide à l'innovation et à l'investissement
La Commission entend désormais privilégier l'excellence dans la recherche et l'investissement dans de nouveaux projets d'envergure européenne, à l'instar de la décarbonisation, de la numérisation, de la coopération en matière spatiale ou de l'achèvement de plateformes régionales de l'énergie. Le groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne avait retenu des objectifs semblables. Reste à déterminer dans quelle mesure l'action de l'Union européenne doit représenter une réelle plus-value et non se substituer à celle des États membres.
Le cas le plus éloquent concerne l'énergie. Le Sénat a adopté plusieurs résolutions ces derniers mois rappelant le partage de compétences entre l'Union européenne et les Etats membres 22 ( * ) . La création de plateformes régionales de l'énergie, appelée de ses voeux par la Commission, doit en premier lieu contribuer à la mise en place d'une véritable Union de l'énergie. Celle-ci doit apporter des réponses aux dysfonctionnements constatés du système électrique européen et permettre d'unifier des réglementations et des marchés, actuellement encore cloisonnés, ce qui génère d'importants coûts économiques, sociaux et environnementaux. Il n'en demeure pas moins que la Commission européenne doit agir dans le respect du principe de subsidiarité et, en l'espèce, du droit des États membres, garanti par les traités européens, à déterminer la structure générale de leur approvisionnement énergétique. Il ne s'agit donc pas de donner tout pouvoir de contrôle à la Commission, mais d'inciter les États membres à mieux coordonner leurs initiatives.
S'agissant de la décarbonisation, la plus-value européenne est, là encore, indéniable. L'Union doit conserver son rôle moteur dans la lutte contre le changement climatique en encourageant le développement de certaines technologies d'avenir, et fixer un cap pour une transition accélérée vers un monde plus résilient et plus sobre en carbone. Elle doit à cet effet améliorer son effort de coordination dans les secteurs d'avenir en favorisant le développement de chaînes industrielles véritablement compétitives. Parallèlement, toute politique volontariste en direction d'une transition énergétique compétitive devra prendre en considération les grands équilibres politiques, économiques et sociaux. Il en va ainsi des tarifs réglementés de vente d'électricité pour les consommateurs résidentiels, ou de l'impact des mesures européennes en faveur de l'économie circulaire pour les collectivités territoriales.
En ce qui concerne la numérisation de l'économie, une intervention de l'Union européenne apparaît indispensable. Elle doit agir dans trois directions : renforcer le marché unique européen en améliorant l'accès aux biens et services numériques dans toute l'Europe pour les consommateurs et les entreprises ; créer un environnement propice et des conditions de concurrence équitables pour le développement des réseaux et services numériques innovants et, enfin, maximiser le potentiel de croissance de l'économie numérique. Dans le même temps, l'Union doit agir comme puissance en affirmant sa souveraineté dans le monde numérique. Elle doit ainsi à la fois mieux protéger ses entreprises et ses citoyens et être plus présente sur la scène internationale.
Plus largement, l'intervention de l'Union européenne apparaît à la fois justifiée et indispensable dès lors qu'elle concourt à l'amélioration de la compétitivité des entreprises européennes et qu'elle favorise l'investissement. Elle doit accompagner les évolutions et non les freiner, en laissant toute leur place aux dynamiques nationales.
2. Concurrence et contrôle des aides d'État
Le scenario n° 4 prévoit que le contrôle des aides d'État soit davantage délégué aux autorités nationales. Une telle option peut apparaître pertinente. Il convient néanmoins d'être vigilant au regard de l'expérience acquise en matière de concurrence. La décentralisation en matière de politique de la concurrence n'a pas été accompagnée d'une réflexion commune sur ses ambitions et une révision de ses critères, et en particulier la notion de marché pertinent. La politique de la concurrence doit être au service de la politique industrielle européenne et faciliter l'émergence de champions européens.
Dans ces conditions, une décentralisation du contrôle des aides d'État induit une redéfinition, au niveau de l'Union européenne, des critères d'examen :
- la concurrence internationale devrait être prise en compte dans l'analyse préalable des éventuelles sanctions ;
- l'aide d'État devrait également être envisagée comme un levier pour l'investissement privé dans des secteurs à fort potentiel de croissance ;
- les aides d'État pourraient être autorisées si elles concourent directement aux objectifs industriels de l'Union européenne.
3. L'approfondissement de l'Union économique et monétaire
Le scénario n° 4 indique que l'Union européenne continuera à adopter des mesures en vue de consolider la zone euro et à garantir la stabilité de la monnaie commune. Vos rapporteurs partagent cette ambition. La répartition claire des tâches sur laquelle reposait initialement l'Union économique et monétaire semble aujourd'hui dépassée. La Banque centrale européenne, indépendante et en charge de la politique monétaire, devait, en effet, stabiliser la zone en cas de choc affectant tous les membres de la même manière. En cas de crise locale (choc asymétrique), les États sont libres d'agir par l'intermédiaire de la politique budgétaire dans les limites du Pacte de stabilité et de croissance (déficit public inférieur à 3 % du PIB et dette inférieure à 60 % du PIB). Les États devaient donc s'assurer, via des politiques contra-cycliques, de pouvoir disposer de moyens d'action en cas de crise. La crise économique et financière de 2008 a montré que cette condition n'avait pas été totalement respectée par les États membres. L'Union s'est dotée, depuis, de nouveaux moyens tendant vers une forme de fédéralisme budgétaire et de dispositifs permettant de répondre aux chocs enregistrés dans certains États membres (Fonds européen de stabilité financière puis Mécanisme européen de stabilité). Elle semble cependant, en la matière, en attente d'un second souffle dont témoignent les multiples rapports et feuilles de routes élaborés depuis 2015 par les institutions européennes 23 ( * ) .
Il convient, en premier lieu, de préciser les contours de l'approfondissement attendu de la gouvernance de la zone euro . Celui-ci ne peut se résumer à une application de la méthode communautaire dans le domaine monétaire. Il s'agit, au contraire, d'aboutir à un véritable pilotage politique en renforçant le rôle de l'Eurogroupe ou en systématisant les sommets de la zone euro. Ces dispositions vont, bien évidemment, de pair avec une meilleure association des parlements nationaux.
Au-delà des structures de gouvernance, il apparaît nécessaire de doter l'Union économique et monétaire de dispositifs adéquats pour faire face aux chocs. La proposition de création d'un Fonds monétaire européen, avancée par la Commission en décembre dernier doit, à ce titre, être renforcée 24 ( * ) . Il s'agit d'aborder notamment les questions de la licence bancaire qui pourrait lui être accordée ou d'une capacité, pour le Fonds, d'émettre de la dette additionnelle pour les États membres confrontés à des difficultés. Cette évolution doit se conjuguer avec une consolidation de la surveillance budgétaire au niveau européen.
4. Progresser vers la convergence fiscale et sociale
Comme l'a relevé le groupe de suivi dans son rapport sur la refondation de l'Union, le renforcement de l'Union économique et monétaire doit également aller de pair avec l'instauration d'un véritable code de convergence sociale et fiscale. Il est nécessaire de mettre en place, progressivement, un mécanisme d'incitation à la convergence des règles relatives aux marchés du travail et aux systèmes sociaux afin de véritablement renforcer la dimension sociale de la zone euro.
La démarche en matière sociale devra également être prolongée dans le domaine fiscal au travers de la réflexion en cours sur l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) en vue de renforcer la convergence des économies de la zone, et de lutter contre le développement de la concurrence fiscale entre les États. Un calendrier doit notamment être mis en place afin de rapprocher la fiscalité des entreprises. Toute convergence en la matière ne doit pas se faire au détriment de la compétitivité des entreprises françaises ou des recettes fiscales nationales. Le couple franco-allemand peut constituer le cadre pour accélérer cette convergence en harmonisant leurs taux de TVA, la fiscalité sur le capital, et en se dotant d'un taux unique et commun pour l'impôt sur les sociétés. Ce code de convergence pourrait être étendu à l'investissement, notamment dans la recherche et le développement.
Dans ces conditions, vos rapporteurs se montrent réservés sur la volonté de la Commission, dans le cadre du scénario n° 4, de moins intervenir sur des volets de la politique sociale et de l'emploi ou de maintenir des niveaux de taxation variable de part et d'autre de l'Union européenne. En matière sociale, ce souhait de la Commission peut apparaître contradictoire avec la proclamation du socle européen des droits sociaux par le Conseil, le Parlement européen et la Commission le 17 novembre 2017, et l'annonce par l'exécutif de la mise en oeuvre prochaine d'une Autorité européenne de l'emploi et de la création d'un numéro de sécurité sociale européen. L'ensemble de ces mesures doit plutôt permettre de tendre vers une forme d'harmonisation sociale, attendue par nos concitoyens, et de renforcer l'idée d'une Europe qui protège.
Le même raisonnement est valable en matière fiscale. Il s'agit de permettre à l'Union de lutter contre les distorsions de concurrence en son sein. La question du passage du vote à l'unanimité au vote à la majorité qualifiée dans ce domaine mérite également d'être posée.
* 22 Résolution européenne portant avis motivé n° 125 (2015-2016) du 11 avril 2016, résolution européenne portant avis motivé n° 108 (2016-2017) du 5 avril 2017, résolution européenne portant avis motivé n° 109 (2016-2017) du 16 mai 2017, résolution européenne n° 129 (2016-2017) du 8 septembre 2017, résolution européenne portant avis motivé n° 43 (2017-2018) du 10 janvier 2018.
* 23 « Compléter l'Union économique et monétaire », rapport des présidents du Conseil européen, de la Commission, du Parlement européen, de la Banque centrale européenne et de l'Eurogroupe, 22 juin 2015.
* 24 Proposition de règlement concernant la création du Fonds monétaire européen (COM (2017) 827 final).