II. ... MAIS RALENTI PAR UN CONTEXTE POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE PEU PROPICE
A. UNE PRATIQUE POLITIQUE LONGTEMPS EN DÉCALAGE AVEC LES VALEURS DÉFENDUES PAR L'UNION EUROPÉENNE
1. L'Algérie et le « Printemps arabe »
L'Algérie n'a pas véritablement été concernée par le « Printemps arabe ». Face aux manifestations de janvier et février 2011 contre l'augmentation des prix des denrées alimentaires (hausse des prix de l'huile et du sucre), le gouvernement avait néanmoins indiqué son intention de procéder à des réformes institutionnelles et décidé la levée de l'état d'urgence, en vigueur depuis 1992.
Certes, six lois organiques ont bien été adoptées début 2012. La Commission européenne relevait toutefois en mars 2014 que les décrets d'application n'avaient toujours pas été adoptés. La réélection, avec 81,53 % des voix, d'Abdelaziz Bouteflika, à la tête de l'État le 17 avril 2014 - il est en poste depuis 1999 - et la mise en place d'un nouveau gouvernement - où sont alors entrées sept femmes pour la plupart issues de la société civile - ont été l'occasion de réaffirmer la volonté de procéder à des réformes constitutionnelles, sans avancée tangible depuis.
Le processus de réforme a finalement été relancé en 2015, la réforme de la justice étant alors érigée en priorité nationale. Une stratégie a été dévoilée afin de moderniser le système judiciaire et renforcer la protection des droits fondamentaux. Un volet important concerne la refonte du système pénitentiaire. La réforme est toujours en cours.
La révision constitutionnelle annoncée en 2011 n'a finalement été effective que le 7 février 2016. Elle prévoit notamment la décriminalisation du délit de presse, la liberté d'exercice du culte, la criminalisation de la torture, le caractère exceptionnel de la détention provisoire, la protection des personnes vulnérables, l'amélioration de l'accès à la justice, la réintroduction de la limitation des mandats présidentiels à deux mandats consécutifs, la consolidation du contrôle constitutionnel au travers de la question d'exception d'inconstitutionnalité, et l'officialisation de la langue Amazigh (berbère). Plusieurs lois organiques ont été adoptées dans la foulée, permettant la mise en place du Conseil national des droits de l'Homme, la modification du Code électoral et la création d'une Haute instance indépendante pour la surveillance des élections (HIISE), composée à parité de juges nommés par le Conseil supérieur de la magistrature algérien et de membres de la société civile (410 membres). L'Autorité de régulation de l'audiovisuel a également été installée en juin 2016, même si le processus d'octroi d'autorisation de création d'un nouveau média implique toujours le ministre chargé de la communication. Le Parlement a, par ailleurs, adopté en 2015 une loi criminalisant les violences conjugales - dès lors que les femmes ne pardonnent pas - ainsi qu'une loi créant une pension alimentaire en cas d'absence du père ou de l'époux.
2. Une relative stabilité
Il n'existe pas de réelle pression populaire en faveur d'une évolution du régime, en dépit de l'impression de sclérose que peut dégager le pouvoir en place. Abdelaziz Bouteflika, âgé de 80 ans, dispose d'une réelle légitimité, acquise notamment à l'issue de la décennie noire. L'hypothèse d'une candidature à un cinquième mandat en 2019 n'apparaît d'ailleurs pas exclue.
Cet attentisme relève pour partie d'une certaine réserve à l'égard du « Printemps arabe », dont le régime algérien n'a cessé de souligner les risques en rappelant le souvenir de la guerre civile qui a frappé le pays dans les années quatre-vingt-dix. 200 000 personnes ont été tuées et 20 000 ont disparu au cours de la « décennie sanglante » . Les exemples libyens et syriens ou l'émergence du terrorisme au Sahel viennent étayer cette présentation d'un « Printemps arabe » synonyme de déliquescence des États. La présence de groupes terroristes sur son territoire - à l'instar d'AQMI (Al Qaeda pour le Maghreb islamique), issu du Groupe salafiste pour la prédication et le combat algérien - contribue à cette assimilation du « Printemps arabe » au djihadisme et donc à une menace pour la sécurité intérieure. L'attentat terroriste sur le site gazier de Tinguentourine en janvier 2013 (67 morts dont 37 étrangers), réalisé par un commando venu du Mali et composé de terroristes de différentes nationalités, est également venu corroborer ce raisonnement. Une branche d'AQMI a par ailleurs fait allégeance à Daech en septembre 2014, prenant le nom de Jound Al-Khilafa . Ce mouvement a revendiqué l'assassinat d'Hervé Gourdel en septembre 2014.
Compte tenu des réserves de la Commission européenne sur la démocratisation du pays, il n'est pas illogique que 40 % des crédits accordés au titre du PIN 2014-2017 soient concentrés sur le soutien aux réformes institutionnelles. Cette répartition fait écho à l'allocation de crédits prévue dans le cadre du programme SPRING.
Par ailleurs, la richesse relative du pays via ses réserves énergétiques a longtemps permis au pouvoir en place de financer la paix sociale par l'intermédiaire d'une politique de soutien des prix des produits de grande consommation (lait, sucre et huile), relancée après les événements de janvier et février 2011. La rente gazière a également permis la revalorisation du salaire minimum en janvier 2012, passé de 15 000 à 18 000 dinars par mois (150 euros - le salaire médian étant de 39 000 dinars), mais aussi l'amélioration de la rémunération des forces de l'ordre. L'absence d'unité au sein de l'opposition, son atomisation ne permet pas non plus de structurer un message contestataire. L'encadrement policier de la société ne facilite pas, de surcroît, toute expression. Le mouvement Barakat (« ça suffit ! »), issu de la société civile et composé en majorité de trentenaires, a néanmoins réussi une percée médiatique à l'occasion des dernières élections présidentielles en s'opposant à la nouvelle candidature d'Abdelaziz Bouteflika en 2014. Il traduit notamment l'émergence des réseaux sociaux dans le débat politique algérien et le rôle des jeunes, souvent au chômage. Il n'est pour autant pas possible à l'heure actuelle de juger de la capacité de ce mouvement, qui n'a pas participé à l'élection présidentielle, à perdurer et à trouver sa place sur l'échiquier politique et social. Le système politique algérien apparaît, en effet, tout aussi stable que complexe. Il reste cependant marqué par une certaine collégialité. D'autres acteurs issus de la société civile - le Forum des chefs d'entreprises ou l'Union générale des travailleurs algériens - s'y sont ainsi intégrés progressivement.
Cette atonie est néanmoins remise en cause en raison de la baisse marquée des prix des hydrocarbures et donc des revenus de l'État algérien. Dans ces conditions, la logique de subventions au coeur de l'action sociale du régime a été révisée. Or, si l'Algérie apparaît comme un pays plus riche que son voisin marocain, les disparités sociales y demeurent immenses. La donne démographique n'est par ailleurs pas à négliger : le nombre de naissances en Algérie a atteint un million en 2015, soit presque le double du taux de natalité en 2000 (600 000). La multiplication des affaires de corruption dans la sphère politico-économique contribue également à générer des tensions.
Les turbulences politiques qu'a connues le pays à la fin des années quatre-vingt (émeutes du 5 octobre 1988), conduisant tout à la fois à l'effondrement du parti unique mais aussi, quelques années plus tard, à la guerre civile, étaient pour partie liées à une chute des prix du baril. Les émeutes à Bejaïa (Kabylie, Nord-Est du pays) en janvier 2017 consécutives à une grève des commerçants contre une augmentation des taxes ainsi que dans les wilayas (équivalents de départements) de Bouira (Sud-Est d'Alger) et Boumerdès (Est d'Alger) n'ont, cependant, pas eu de suite. Les émeutes dans la wilaya de Gardhaïa (Centre du pays), en juin 2015, avaient de leur côté débouché sur l'arrestation de Kamal Eddine Fekhar, militant des droits de l'Homme et figure de l'opposition locale. Après plusieurs grèves de la faim, la libération de celui-ci est intervenue le 15 juillet 2017.
3. Les élections législatives du 4 mai 2017
Dans ce contexte, les élections législatives organisées le 4 mai dernier n'ont pas débouché sur une remise en question des équilibres politiques. Le taux de participation - 38,25 % des inscrits contre 42,90 % en 2012 - comme les votes blancs et nuls (21 % des suffrages exprimés) révèlent, à cet égard, un relatif désintérêt pour le scrutin.
L'organisation du vote a suscité de nombreuses réserves de la part de la Mission d'expertise électorale (MEE) dépêchée par l'Union européenne sur place. Sans remettre en cause le résultat, les quatre observateurs européens ont relevé une série d'anomalies. Ils s'interrogent notamment sur le fait que la Haute instance indépendante de surveillance des élections (HIISE) ne joue aucun rôle dans l'organisation même des scrutins et que ses attributions de supervision et de contrôle soient limitées. L'indépendance même de la Haute instance est sujette à caution, le nombre de magistrats nommés par le gouvernement algérien étant très élevé alors que les représentants des partis politiques et des candidats n'y sont pas représentés. La MEE a également réitéré les réserves déjà émises par la mission européenne supervisant le scrutin de 2012 en ce qui concerne le fichier électoral. L'accès au registre est jugé extrêmement restreint, les parties prenantes du processus étant ainsi privées d'un contrôle effectif de la fiabilité du scrutin.
35 partis sont désormais représentés au sein de l'Assemblée nationale populaire, où siègent désormais 119 femmes contre 140 lors de la législature précédente. Le Front de libération nationale (FLN) - le parti du Président de la République - dispose toujours du plus grand nombre de sièges au sein de l'Assemblée nationale populaire (161 sièges sur 462), même si ce chiffre est en baisse par rapport à 2012 (207). Le choix de M. Bouhadja, ancien combattant, à la présidence de l'Assemblée a pu apparaître pour de nombreux analystes comme une des dernières tentatives pour la génération dite de l'indépendance de conserver le pouvoir.
Le Rassemblement national démocratique (RND), considéré comme le parti de l'armée et dirigé par le directeur de cabinet de la présidence, Ahmed Ouyahia, compte aujourd'hui 100 députés, contre 64 au sein de l'Assemblée précédente. Le RND faisait partie de la coalition au pouvoir et présidait également le Conseil de la Nation, la seconde chambre du pays. Le recul du FLN est pour partie lié aux affaires de corruption et aux scandales - certains candidats ayant payé pour figurer sur des listes électorales - qui ont fragilisé sa campagne. Le rééquilibrage au profit du RND semble également traduire une lutte d'influence autour du Président de la République.
LE CONSEIL DE LA NATION Le parlement algérien est composé de deux chambres : l'Assemblée populaire nationale (chambre basse) et le Conseil de la Nation (chambre haute). Le Conseil de la Nation a été mis en place lors de la révision constitutionnelle du 23 décembre 1996. Les 144 sénateurs qui le composent sont élus aux deux tiers au suffrage universel indirect (96 sénateurs), le tiers restant est nommé par le Président de la République (48 sénateurs) au regard des compétences scientifiques, culturelles, professionnelles, économiques et sociales. La durée du mandat des sénateurs est de six ans, le Conseil de la Nation étant renouvelable par moitié tous les trois ans. Les 96 sénateurs sont issus des 48 wilayas algériens qui délèguent chacun deux élus. Le Conseil de la Nation ne possède ni le droit d'initiative ni le droit d'amendement. Aux termes de la procédure législative algérienne, tout projet ou proposition de loi doit faire l'objet d'une délibération successivement par l'Assemblée populaire nationale - toujours saisie en premier lieu - et par le Conseil de la Nation. Tout texte voté par l'Assemblée est transmis dans les dix jours au Conseil de la Nation. Celui-ci délibère sur le texte voté et l'adopte à la majorité des trois quarts de ses membres. En cas de désaccord entre les deux chambres, une commission mixte paritaire de 10 membres de chaque assemblée se réunit à la demande du chef du gouvernement pour proposer un texte sur les dispositions objet du désaccord. Ce texte est soumis par le gouvernement à l'adoption des deux chambres et n'est pas susceptible d'amendement, sauf accord du gouvernement. En cas de persistance du désaccord, le texte est retiré. Le Président de la République peut demander une seconde lecture de la loi votée dans les 30 jours qui suivent son adoption. Dans ce cas, la majorité des deux tiers des députés à l'Assemblée populaire nationale est requise pour l'adoption de la loi. Le Conseil de la Nation peut créer des commissions d'enquête. Les sénateurs peuvent poser, à tout membre du gouvernement, des questions d'actualité et des questions écrites et orales. Le président du Conseil de la Nation peut saisir le Conseil constitutionnel. Au terme du scrutin du 29 décembre 2015, le RND (42 sièges) et le FLN (40 sièges) sont les formations les plus représentées au sein du Conseil de la Nation. La chambre haute est présidée depuis juillet 2002 par M. Abdelkader Bensalah (RND). En cas d'incapacité du chef de l'État de mener à terme son mandat, il revient au président du Conseil de la Nation d'assurer l'intérim. |
Les partis islamistes n'ont, de leur côté, que faiblement progressé, passant de 60 à 67 sièges : l'alliance Mouvement de la société pour la paix (MSP)-Front du changement (FC) remporte ainsi 34 sièges, le Rassemblement de l'espoir de l'Algérie (TAJ) - proche du pouvoir - 19 sièges, et l'Alliance Ennahda-Adala-Bina (Anab) 15 sièges. Ce léger rebond est plus faible qu'espéré. Lors des élections précédentes, les formations islamistes n'avaient pas su profiter du « Printemps arabe » et avaient réalisé en 2012 leur plus mauvais score depuis le premier scrutin pluraliste en 1990. Le MSP estime cependant que la fraude électorale a entravé sa montée en puissance.
Les partis d'opposition ont également échoué à capter le vote protestataire alors que, contrairement à 2012, ils avaient pourtant tous choisi de participer au scrutin. Le Front des forces socialistes dispose de 14 sièges (contre 26 en 2012) et le Parti des travailleurs de 11 sièges (contre 24 au sein de l'assemblée précédente). Non représenté jusqu'alors, le Rassemblement pour la culture et la démocratie obtient 9 sièges.
Alors qu'il était annoncé reconduit dans ses fonctions, le Premier ministre Abdelmalek Sellal (FLN), âgé de 68 ans et en poste depuis 2012, a finalement été remplacé par M. Abdelmadjid Tebboune le 24 mai dernier. L'échec de M. Sellal à trouver un accord avec l'alliance MSP-FC pour une entrée au gouvernement est présenté par les observateurs comme un des motifs de son éviction. Ancien ministre de l'Intérieur, M. Tebboune, âgé de 71 ans, disposait du portefeuille de l'Habitat dans la précédente équipe gouvernementale. Le nouveau cabinet ministériel est, quant à lui, pour l'essentiel composé de technocrates.