B. RELEVER LE NUMERUS CLAUSUS, UN LEVIER D'ACTION INDIRECT
1. Une cible inadaptée aux enjeux actuels dans les zones sous-dotées ?
Le relèvement du numerus clausus et la régionalisation des épreuves classantes sont fréquemment évoqués pour adapter la démographie médicale aux besoins de santé et ainsi améliorer l'adéquation entre l'offre et la demande de soins au niveau des territoires.
Quelle est l'efficacité de ce levier pour répondre aux enjeux de l'accès aux soins dans les zones sous-dotées ?
Vos rapporteurs en ont une appréciation nuancée.
• En préalable, les
capacités de formation
et d'accueil en stages y compris
ambulatoires
doivent pouvoir s'adapter, sans risque de
« saturation » pour en maintenir la qualité.
• En outre,
ni les variations
ciblées du
numerus clausus
, ni la répartition faite au
niveau des épreuves classantes nationales ne sont une
réponse directe aux inégalités
territoriales
.
Le choix des postes d'internat à l'issue des ECN entraîne une mobilité géographique importante (de l'ordre de 50 %), ce qui relativise les effets du relèvement ciblé par région du numerus clausus . D'après une étude de la Drees 35 ( * ) , pour près de 20 % des étudiants, cette mobilité peut s'interpréter comme une mobilité « contrainte », pour choisir une spécialité qui n'était plus disponible dans leur subdivision d'origine. C'est le cas notamment dans des lieux de formation jugés moins attractifs, qui ne pourvoient que de 85 % à 95 % des postes ouverts (Limoges, Poitiers, Besançon et Amiens) : ainsi, 61 % des étudiants qui viennent à Limoges et 44 % de ceux qui sont affectés à Amiens ne pouvaient obtenir la spécialité obtenue dans leur région d'origine.
De fait, si le lieu de formation peut déterminer le lieu d'exercice ultérieur des jeunes praticiens - selon le rapport 2014-2015 de l'Ondps, 63 % des primo-inscrits à l'ordre des médecins s'installent dans la région de leur diplôme - , « la fidélité des médecins à leur lieu de formation n'est évidemment pas totale et varie surtout beaucoup d'une région à l'autre » . Ce taux, qui a tendance à diminuer, varie de 80 % en Nord-Pas-de Calais à 40 % en Poitou-Charentes ; il est plus élevé pour les médecins généralistes que pour les spécialistes.
Comme vos rapporteurs l'ont souligné, les inégalités territoriales de répartition des médecins se jouent à un échelon bien plus fin que celui de la région. Si les leviers de régulation des flux d'étudiants peuvent marginalement contribuer à ancrer des praticiens dans des territoires fragiles, il n'y a pas de lien direct, a priori , entre le nombre de professionnels formés par région et la réduction des inégalités territoriales puisque rien ne les contraint à s'installer en zone sous-dotée. D'ailleurs, l'exemple d'autres professions de santé à la démographie dynamique (comme les infirmiers) a montré que la forte hausse des effectifs ne s'était pas traduite par une réduction des inégalités territoriales ( cf. première partie).
•
En outre, la
régulation des flux étudiants ne résout pas la moindre
attractivité de spécialités « en
tension », notamment la
médecine
générale.
Si le taux d'inadéquation (la différence entre les postes ouverts et les postes pourvus) a été réduit dans toutes les spécialités et notamment en médecine générale (16 % en 2011, 6 % en 2016), cette spécialité demeure l'une des moins attractives d'après l'indicateur développé par la Drees par agrégation des classements des étudiants choisissant la spécialité 36 ( * ) .
• Enfin et surtout, la régulation des flux
d'étudiants
ne produit ses effets que sur le long
terme
, compte tenu de la durée des études
médicales.
Or, comme vos rapporteurs l'ont souligné, le « creux » de la démographie médicale est d'abord une réalité de court terme, sur un horizon de cinq à dix ans.
2. Une stratégie de long terme à inscrire dans une réflexion globale sur les besoins de santé
La gestion du numerus clausus , par les effets de stop and go dont il a fait l'objet, n'a pas permis une régulation optimale, adaptée à la démographie projetée des professionnels de santé ou à l'évolution prévisible des besoins de santé.
En outre, pour certaines professions, le nombre important d'installation de professionnels formés à l'étranger est une donnée « extérieure » à prendre en compte : comme cela a été relevé par la présidente de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, une meilleure régulation de ces flux serait utile pour préserver la qualité des soins, alors que les formations délivrées dans certains pays ne sont pas au niveau des standards français.
Ce sujet appelle une réflexion globale et une étude prospective croisée de la démographie des différentes professions de santé .
Comme l'a noté l'observatoire national de la démographie des professions de santé dans une étude sur les sages-femmes 37 ( * ) , « sur l'ensemble de la période de trente-huit ans qui va de 1993 à 2030 et dans l'hypothèse d'un maintien du numerus clausus [1000/an], l'effectif de sages-femmes serait multiplié par 2,10 et celui des naissances par 1,10 » , ce qui l'amène à constater « qu'un réel problème de sureffectif risque de se poser dans les quinze ans à venir » .
Ces constats, rapportés aux évolutions de la démographie médicale, invitent à réfléchir à de nouvelles formes de coopération entre professionnels de santé. Vos rapporteurs avancent plus loin des préconisations en ce sens.
Ils appellent plus généralement, comme le relève d'ailleurs l'Ondps dans l'étude précitée, à réfléchir précisément et de manière prospective à ce que doivent être l'offre et la densité de professionnels de santé pour couvrir des besoins de soins eux-mêmes en évolution.
* 35 « En 2016, 7 700 étudiants affectés à l'issue des premières épreuves classantes nationales informatisées », Etudes et Résultats, n° 1006, Drees, mars 2017.
* 36 Drees, op. cit. n° 1006, mars 2017.
* 37 « Les sages-femmes, une profession en mutation », Ondps (ouvrage collectif), mai 2016.