II. UN FOISONNEMENT D'INITIATIVES MAL COORDONNÉES : UN PILOTAGE À CLARIFIER
De nombreuses initiatives ont été mises en place, depuis dix ans, financées par l'Etat, les collectivités territoriales, l'assurance maladie, pour répondre aux enjeux de l'accès aux soins dans les zones fragiles.
Toutefois, mises en place en ordre dispersé, sans véritable stratégie d'ensemble, leur articulation est imparfaite et elles se sont superposées sans évaluation intermédiaire.
Une approche concertée au niveau des territoires de proximité constitue un préalable nécessaire pour agir plus efficacement.
A. UN ARSENAL DE MESURES MIS EN PLACE EN ORDRE DISPERSÉ
1. Une prise de conscience assez tardive des enjeux
Avec la notion de « cantons déficitaires», la France a pris conscience en 2003, plus tardivement que ses principaux partenaires, d'un phénomène commun aux pays développés.
Au Royaume-Uni, cette question aurait été appréhendée par les politiques publiques dès les années 1950 et en Allemagne dans les années 1970.
Ces pays restent néanmoins confrontés à la question des inégalités de répartition territoriale des professionnels de santé.
2. L'implication des collectivités territoriales pour pallier les carences de l'État
Le débat public sur la « désertification médicale » a été et demeure fortement porté par les élus : de nombreux maires, confrontés au départ en retraite non remplacé du « médecin de famille », ont tiré la sonnette d'alarme et sont passés à l'action bien que la santé ne soit pas une compétence communale obligatoire.
Vos rapporteurs ont entendu des élus de terrain, ainsi que les représentants de l'association des maires de France et de l'association des maires ruraux, exprimer leur inquiétude, parfois leur désarroi, face au problème d'accès aux soins d'une partie de la population.
De nombreuses initiatives ont été portées par les communes ou leurs groupements, mais aussi les départements et régions, dans une perspective d'aménagement du territoire.
La loi de 2005 relative au développement des territoires ruraux 22 ( * ) a fixé le cadre juridique aux interventions des collectivités territoriales et de leurs groupements en faveur de l'installation et du maintien de médecins dans des territoires sous-dotés.
En application de l'article L. 1511-8 du code général des collectivités territoriales, ces interventions peuvent concerner :
- l'attribution d'aides en faveur de l'installation ou du maintien de professionnels de santé dans les zones dans lesquelles est constaté un déficit en matière d'offre de soins ;
- l'attribution d'aides aux centres de santé, employant des professionnels de santé salariés ;
- la réalisation d'investissements immobiliers destinés à l'installation des professionnels de santé ;
- l'octroi d'indemnités de logement et de déplacement aux étudiants de médecine générale lorsqu'ils effectuent leurs stages dans les zones déficitaires ;
- l'octroi d'une indemnité d'étude et de projet professionnel à tout étudiant en médecine ou chirurgie dentaire, s'il s'engage à exercer au moins cinq années dans une zone déficitaire.
Les initiatives sont nombreuses et importantes ; le présent rapport n'a pas l'ambition de toutes les présenter. D'ailleurs, comme l'avaient constaté la Cour des comptes dans un rapport de septembre 2011, puis notre collègue Hervé Maurey dans son rapport d'information de février 2013 sur les déserts médicaux, aucun recensement exhaustif de ces initiatives n'a pu être fourni à vos rapporteurs par le ministère en charge de la santé .
Les collectivités territoriales
mobilisées en faveur de l'accès aux soins :
Dans le cadre du contrat de plan Etat-Région, la région a approuvé, dans une délibération de mars 2017, l'octroi de bourses individuelles de stage (2 400 euros par semestre de stage effectif) pour l'accueil de dix internes en médecine générale dans des zones rurales ou alpines identifiées comme « fragiles » par l'ARS. Ce soutien donne lieu à une convention avec l'ARS et les facultés de médecine de la région. Il s'ajoute aux aides à la création et à la structuration de maisons de santé et aux aides à l'installation en milieu rural déjà mobilisées.
Dans le cadre de ses nouvelles orientations stratégiques 2016-2021, le conseil général de la Manche a redéployé sa politique de démographie médicale engagée depuis plusieurs années (bourses d'étude, aides au déplacement, financement de structures collectives) autour de sept actions : - une prime forfaitaire pour les médecins ou dentistes effectuant des remplacements ou exerçant avec le statut de collaborateur ; - une indemnité de déplacement spécifique pour les étudiants en fin de cursus effectuant des remplacements dans des zones sous-dotées ; - des mesures d'appui à la recherche d'emploi pour les conjoints des professionnels de santé s'installant dans ces zones ; - l'accompagnement de l'arrivée des professionnels sur le territoire ; - le recensement des opportunités professionnelles en libéral ou salariat, via un site dédié ; - des mesures pour favoriser les stages étudiants (indemnité de déplacement ; soirées conviviales ; action de recrutement de maîtres de stage en partenariat avec le conseil de l'ordre départemental) ; - cofinancement de pôles de santé et maisons pluridisciplinaires.
Le conseil général de la Mayenne a mis en place en 2008 un « plan départemental en faveur de la démographie médicale », pour soutenir les étudiants en médecine et odontologie effectuant leur stage chez des praticiens libéraux, accompagner les nouveaux professionnels ou favoriser leur structuration. Dans le prolongement de cette action, une autre initiative a été conduite avec l'ouverture, le 15 juin 2017, d'un centre médical de proximité à Laval, pour répondre au déficit de médecins généralistes. Son fonctionnement repose sur une quinzaine de jeunes médecins retraités - partis depuis moins de 5 ans - qui assurent quelques permanences par mois chacun avec le statut de retraité actif, et des internes en stage ambulatoire de fin de formation. Le projet a été mis en place par le conseil départemental de l'ordre des médecins, la ville de Laval et le conseil général ; ces collectivités mettent à disposition une infirmière et une secrétaire. La faculté de médecine d'Angers a reconnu ce centre comme terrain de stage.
Lors de l'assemblée plénière du 22 juin 2017, a été examiné le principe du recrutement d'une trentaine de médecins généralistes salariés du département, sur la base de contrats à 35 heures, affectés dans un centre de santé multisites qui serait créé à l'échelle du territoire à l'horizon 2018. Ce projet serait réalisé en partenariat avec la fédération des centres de santé, en concertation avec la caisse primaire d'assurance maladie, l'ARS et l'ordre des médecins. Il fait suite au dispositif « installeunmedecin.com », instauré en 2013, qui a permis à 92 médecins de bénéficier d'une aide financière, pour un montant total d'un million d'euros. |
3. Des initiatives de l'assurance maladie
Comme le relevait la Cour des comptes dans un rapport de septembre 2015 portant sur la recomposition territoriale de l'offre de soins 23 ( * ) , « les négociations conventionnelles menées par la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts) avec les professionnels de santé n'ont que tardivement cherché à contribuer à une meilleure répartition géographique de ces derniers. »
L'assurance maladie dispose de plusieurs leviers d'actions, incitatifs ou plus coercitifs, qui portent sur la rémunération des professionnels de santé ou la régulation du conventionnement.
Le levier incitatif a été privilégié.
Les premières mesures ont été introduites pour les médecins, en 2007 24 ( * ) : elles ont instauré une majoration de 20 % de la rémunération des médecins généralistes libéraux exerçant en groupe dans les zones déficitaires ; ce dispositif est resté exclusivement incitatif : la contrepartie prévue - finalement jamais appliquée devant l'opposition du corps médical - consistait à minorer, de façon symétrique, de 20 % la participation de l'assurance maladie aux cotisations sociales des médecins généralistes décidant de s'installer dans les zones qualifiées de « très sur-dotées ».
Les dispositifs qui ont suivi, élargis progressivement, à compter de 2008, à d'autres professions médicales ou paramédicales, sont présentés dans la seconde partie du rapport et demeurent essentiellement fondés sur un mode incitatif. Seules deux mesures de régulation du conventionnement ont été mises en place dès 2008 pour les infirmiers puis les sages-femmes, afin de limiter les installations dans les zones sur-dotées.
4. La structuration progressive de l'action de l'État
a) Les premiers leviers : la démographie médicale et la territorialisation du système de santé
Contrairement aux dispositifs de planification de l'offre concernant les établissements de santé (carte sanitaire créée en 1970, schéma régional d'organisation sanitaire - SROS à partir de 1991), les dispositifs tendant à organiser l'offre dans le secteur ambulatoire, principalement d'exercice libéral, sont beaucoup plus récents.
Pour inciter une meilleure répartition des professionnels sur le territoire, le levier fiscal a été l'un des premiers mobilisé, avec des mesures introduites dans le cadre de la loi de 2005 précitée de développement des territoires ruraux.
Les autres mesures mises en place par l'Etat ont porté, outre l'adaptation de l'offre de soins primaires autour du rôle du médecin traitant créé par la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie, sur la démographie médicale et la territorialisation du système de santé.
• La question de la
démographie
médicale
est devenue une préoccupation à partir
du milieu des années 2000 : après des mesures
destinées à réguler une offre de soins
considérée comme trop abondante - abaissement du numerus
clausus médical, création en 1988 d'un mécanisme
d'incitation à la cessation d'activité (MICA) supprimé en
2003 - le relèvement du
numerus clausus
médical,
sur lequel vos rapporteurs reviendront dans la seconde partie, a
constitué un premier axe de réponse.
• Par ailleurs, la
loi HPST de juillet
2009
25
(
*
)
a
réaffirmé le rôle du médecin
généraliste comme « point d'entrée »
dans le système de soins. Elle a posé, en outre, les
prémices d'une structuration de l'action de l'État en
faveur d'une meilleure organisation territoriale de l'offre de soins
.
Les agences régionales de santé (ARS) nouvellement créées se sont vu confier des compétences pour organiser la territorialisation du système de santé :
- l'élaboration d'un volet ambulatoire du schéma régional de santé , jusqu'alors centré sur l'hôpital ; ses dispositions ne sont pas opposables aux professionnels de santé libéraux mais ont notamment conduit les ARS à définir les zones de mise en oeuvre des mesures incitatives visant à réduire les disparités territoriales ;
- le pilotage de la permanence des soins ;
- la signature des contrats d'engagement de service public (CESP) 26 ( * ) afin d'inciter, au-delà des aides des collectivités territoriales, les étudiants en médecine à s'installer dans les zones déficitaires.
La création d'un fonds d'intervention régional (FIR) par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 a eu vocation à donner aux ARS un nouveau levier d'intervention.
En parallèle, l'État a accompagné l'évolution de l'organisation des soins ambulatoires, en particulier dans un objectif d'accès géographique aux soins sur le territoire, avec le soutien au développement des structures d'exercice regroupé : reconnues et définies par la loi HPST, les maisons de santé ont fait l'objet d'un plan d'équipement en milieu rural sur la période 2010-2013, dans un objectif d'aménagement du territoire.
b) Le « pacte territoire santé » : l'affichage d'un objectif de réduction des inégalités territoriales d'accès aux soins
Le « pacte territoire santé », lancé en novembre 2012, a eu pour objet de relancer les politiques en faveur de l'égal accès aux soins sur le territoire et de leur donner davantage de cohérence et de visibilité. Le deuxième volet, articulé autour de dix engagements, a été présenté en novembre 2015.
Dans un souci d'affichage dont votre commission des affaires sociales avait souligné l'absence de portée normative, la loi de modernisation de notre système de santé 27 ( * ) a inscrit son principe et ses objectifs à l'article L. 1434-14 du code de la santé publique. Aux termes de cet article, le pacte comporte des dispositions visant notamment à :
- promouvoir la formation et l'installation des professionnels de santé et des centres de santé en fonction des besoins des territoires ;
- accompagner l'évolution des conditions d'exercice des professionnels de santé, notamment dans le cadre des équipes de soins primaires (ESP) et des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) créées par la même loi, qui se substituent aux pôles de santé créés par la loi HPST et ont vocation à structurer la coordination des soins au niveau des territoires.
Arrêté par le ministre chargé de la santé, le pacte territoire santé est mis en oeuvre par les ARS « après concertation avec les acteurs concernés ». Un comité national est chargé d'assurer le suivi de sa mise en oeuvre.
Les 10 engagements du Pacte Territoire Santé 2 - 2015-2017 Engagement 1 : Développer les stages des futurs médecins en cabinet de ville , pour atteindre en 2017 l'objectif d'un stage réalisé en médecine générale pour 100 % des étudiants de 2 ème cycle. Engagement 2 : Faciliter l'installation des jeunes médecins dans les territoires fragiles , par le déploiement des CESP (objectif de 1 700 d'ici 2017) et en favorisant l'installation de 1 000 médecins d'ici 2017 via les dispositifs contractuels de praticien de médecine générale (PTMG) ou ambulatoire (PTMA). Engagement 3 : Favoriser le travail en équipe, notamment dans les territoires ruraux et périurbains , en vue d'atteindre, d'ici 2017, l'objectif de 1 000 maisons de santé en fonctionnement, et en investissant dans la création ou la rénovation de maisons et de centre de santé dans les territoires urbains fragiles. Engagement 4 : Assurer l'accès aux soins urgents en moins de 30 minutes , en poursuivant le déploiement des médecins correspondants du Samu (MCS) pour atteindre l'horizon de fin 2017, 700 MCS sur tout le territoire. Engagement 5 : Augmenter de manière ciblée le numerus clausus régional pour l'accès aux études de médecine , dans 10 régions particulièrement en tension afin d'accompagner à moyen terme les politiques locales de soutien à l'installation. Engagement 6 : Augmenter le nombre de médecins libéraux enseignants , en doublant le nombre de postes de chefs de clinique des universités en médecine générale d'ici 2017 pour valoriser cette filière et en élargissant le statut de chef de clinique aux autres spécialistes libéraux. Engagement 7 : Soutenir la recherche en soins primaires , par la mise en place de maisons de santé et des centres de santé universitaires, ou encore en facilitant, pour les cabinets de ville, maisons et centres de santé l'accès aux dispositifs publics d'appui à la recherche clinique. Engagement 8 : Mieux accompagner les professionnels de santé dans leur quotidien , avec l'ouverture d'un portail d'accompagnement des professionnels de santé au niveau national et dans chaque région, en développer une gamme de services à destination des professionnels de santé et des tutorats Engagement 9 : Favoriser l'accès à la télémédecine pour les patients chroniques et pour les soins urgents , dans le cadre des expérimentations engagées et en déployant la télémédecine en EHPAD. Engagement 10 : Soutenir une organisation des soins de ville adaptée à chaque territoire et à chaque patient , en soutenant la mise en place d'équipes de soins primaires (ESP) ou la constitution de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et en accompagner financièrement les médecins libéraux qui innovent pour garantir une prise en charge des patients sans rendez-vous. |
Si ce pacte a représenté une tentative de structuration d'un plan d'actions global en faveur de l'accès aux soins dans les territoires sous-dotés, force est de constater qu'une réelle stratégie d'ensemble fait encore défaut.
* 22 Loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux.
* 23 « Vingt ans de recomposition territoriale de l'offre de soins : un bilan décevant », Cour des comptes, rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, septembre 2015.
* 24 Avenant n° 20 à la convention médicale de 2005, approuvé par l'arrêté du 23 mars 2007.
* 25 Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.
* 26 Voir seconde partie.
* 27 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.