B. UN MOUVEMENT À ACCOMPAGNER : S'ADAPTER AVEC SOUPLESSE AUX BESOINS DES TERRITOIRES ET AUX ATTENTES NOUVELLES DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ
1. Les maisons de santé, des projets encore complexes à mener à bien et à faire vivre : soutenir l'ingénierie de projet et la coordination des équipes
• En dépit du développement des
aides à la création des maisons de santé
pluri-professionnelles, qui a indéniablement servi
d'accélérateur à leur mise en place,
le montage de
ces projets reste complexe et leur concrétisation peut prendre de trois
à cinq ans
.
Nombre de personnalités entendues par vos rapporteurs ont insisté sur la nécessaire conjonction, pendant ce temps long de maturation, de deux facteurs de réussite :
- le rôle d'impulsion d'au moins un professionnel de santé, en général un médecin, et son engagement tout au long du processus ;
- une bonne collaboration avec les élus partenaires, pour s'accorder sur le montant des loyers, la configuration des locaux adaptée aux besoins en plateaux techniques des professionnels, etc.
Comme cela a été relevé, les « murs » ne suffisent pas à faire venir les professionnels de santé .
A ce stade préliminaire, l'appui à l'ingénierie de projet (appui à la rédaction du projet de santé, assistance technique, juridique et financière...) joue un rôle déterminant pour accompagner professionnels et élus. Or, comme l'a relevé le président de la fédération française des maisons et pôles de santé, si certaines ARS ont déployé des moyens importants en ce sens, parfois en s'appuyant sur le relais de consultants ou sur la fédération, cette fonction d'accompagnement a été développée diversement selon les régions. Le développement de ces structures implique de mobiliser les ARS sur ces fonctions d'accompagnement des porteurs de projet , ce qui pourrait se faire en liaison avec la fédération des MSP voire les unions régionales de professionnels de santé (URPS).
• En outre, le
fonctionnement
de ces structures entraîne des
coûts
importants
, supérieurs à ceux de l'exercice isolé
ou regroupé.
En particulier, faire démarrer le travail en équipe représente une étape parfois délicate à franchir. Comme l'a souligné le représentant du collège des directeurs généraux d'ARS, l'« étincelle » peut prendre difficilement, alors qu'elle est essentielle à la réussite du projet : elle suppose d'une part, l'émergence d'un leader et, d'autre part, la capacité collective à assumer des coûts de fonctionnement élevés, pour financer une fonction de coordonnateur, un secrétariat, ou acquérir un système d'information partagé.
Comme vos rapporteurs ont pu le constater lors de leur déplacement dans l'Aisne, en visitant plusieurs maisons de santé, la fonction de coordonnateur, notamment, occupe un rôle clé : occupée par des titulaires d'un master en santé publique, un médecin ou parfois un infirmier, elle permet l'animation du travail en équipe, la coordination des parcours des patients, le suivi de l'utilisation du système d'information partagé, les relations avec les institutions et partenaires extérieurs ; au-delà de créer une dynamique de travail en équipe, elle dégage du temps disponible aux soins pour les professionnels de santé membres de la structure.
Le financement de ces postes a été pris en charge, à titre exceptionnel, par quelques ARS. Il repose surtout, comme l'ensemble des coûts de fonctionnement et des frais liés au travail en équipe, sur les nouveaux modes de rémunération dont l'accord conventionnel interprofessionnel d'avril 2017 renforce, de façon bienvenue, la portée. Toutefois, ce dispositif est perçu comme compliqué et bureaucratique. En outre, il ne s'applique qu'à la moitié environ des structures .
Le soutien par les ARS au fonctionnement des maisons de santé les moins structurées, y compris celles ne répondant pas au départ à tous les critères (présence d'un seul médecin au lieu de deux ou uniquement de professionnels paramédicaux), pourrait servir d'accélérateur à leur développement, notamment en vue de les rendre éligibles aux financements de l'assurance maladie (transformation en société interprofessionnelle de soins ambulatoires - SISA, acquisition d'un système d'information partagée, aide à la coordination du travail en équipe....).
- Créer des « cellules d'appui à l'ingénierie de projet » au sein des ARS pour assister les porteurs de projet en vue de réduire sensiblement les délais de réalisation - Accompagner la structuration des maisons de santé encore non éligibles aux financements de l'assurance maladie (appui juridique pour la transformation en SISA, soutien à l'acquisition d'un système d'information partagé, aide à la coordination du travail en équipe...) |
2. Promouvoir des réponses alternatives et innovantes adaptées aux besoins des territoires et aux aspirations des professionnels
Si le soutien à la création des maisons et centres de santé apparaît pour beaucoup comme une réponse centrale à la problématique des zones déficitaires, vos rapporteurs estiment qu'il ne peut s'agir d'une réponse univoque. D'autres formes d'organisation des professionnels de santé émergent et peuvent constituer des réponses plus souples et mieux adaptées aux besoins de certains territoires.
En outre, le développement de coopérations entre professionnels de santé apporte des réponses innovantes à explorer pour ajuster au mieux la ressource disponible aux besoins de santé, en particulier dans les zones sous-dotées.
a) Soutenir d'autres formes d'exercice adaptées aux besoins des territoires
Comme l'a relevé la présidente du syndicat national des jeunes médecins généralistes lors de son audition, les maisons de santé pluri-professionnelles sont une forme d'exercice intéressante, mais elles ne doivent pas être considérées comme la norme unique , ou une forme de panacée, au risque de perdre en souplesse.
En effet, certains professionnels préfèrent s'organiser différemment. Une jeune femme médecin rencontrée lors du déplacement de vos rapporteurs dans le Loiret a estimé qu'une installation en cabinet libéral ne signifiait pas forcément un exercice solitaire de la médecine : elle peut s'inscrire dans un fonctionnement en réseau avec d'autres professionnels de santé, en utilisant les outils numériques voire dans le cadre d'un projet de santé, pour répondre aux besoins de prise en charge globale des patients.
A cet égard, le foisonnement des offres de logiciels, pas toujours compatibles entre eux et coûteux, est un frein au développement du travail en réseau entre professionnels de santé. Les URPS pourraient fournir des recommandations dans ce domaine.
En outre, comme l'a rappelé le président de la fédération des maisons et pôles de santé, les maisons de santé doivent atteindre une taille critique suffisante pour que leur modèle économique fonctionne.
Une structure multi-sites peut constituer dans certains cas une réponse plus adaptée, ou d'autres organisations permettant de conserver un maillage territorial de l'offre de soins primaires : l'étude précitée sur les maisons de santé pluri-professionnelles 64 ( * ) relève ainsi que « l'engouement pour ces structures ne doit pas laisser de côté les questions de la pertinence de leur localisation géographique et de leurs conséquences sur les dynamiques d'offre de soins » ; dans certaines zones, leur installation peut favoriser une « polarisation de l'offre au détriment des espaces environnants » .
Le déploiement des équipes de soins primaires (ESP) et communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), prévues par la loi de modernisation de notre système de santé, pourra apporter une réponse si ces outils sont utilisés avec souplesse : 2 millions d'euros ont été délégués en 2017 aux ARS pour l'appui aux projets, dans le cadre du FIR.
En liaison avec les ordres des professions médicales et paramédicales, d'autres formes d'exercice pourraient être facilitées, en accompagnant les initiatives des professionnels de santé dès lors qu'elles répondent positivement aux besoins d'accès aux soins .
Ainsi, dans des communes reculées, l'organisation d'une permanence dans des cabinets distincts , en exercice multi-sites , peut être une solution plus adéquate pour maintenir une offre de soins ponctuelle. Dans un rapport précité recensant les initiatives en faveur de l'accès aux soins dans les territoires, le Cnom note par exemple un projet, conduit en liaison avec le conseil départemental de la Côte d'Or, de détachement de deux ou trois médecins d'une maison de santé pour assurer une présence hebdomadaire dans des villages plus éloignés. D'autres formes plus originales ont été mentionnées par la présidente de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, par exemple le projet d'un professionnel d'exercer sous forme itinérante. Enfin, les ponts avec l'hôpital pourraient être développés.
Aider à la structuration de réseaux de professionnels de santé et accompagner toute initiative - alternative aux maisons de santé - offrant des réponses plus adaptées aux besoins de certains territoires (permanence dans des cabinets distincts, exercice multi-sites...) |
b) Développer les coopérations entre professionnels de santé
L'évolution des pratiques des professionnels de santé offre des solutions nouvelles et pragmatiques pour répondre aux enjeux de l'accès aux soins : les délégations d'acte, coopérations ou pratiques avancées permettent d'optimiser le temps médical, de réduire les délais d'attente pour l'accès à certaines spécialités ou encore de prendre en charge de façon plus efficace, voire moins coûteuse pour l'assurance maladie, les besoins des patients.
Vos rapporteurs ont pu mesurer l' intérêt des jeunes générations de médecins pour ces pratiques , qui, notamment dans les maisons de santé pluri-professionnelles, se développent spontanément. En favorisant une meilleure répartition des compétences, elles répondent par ailleurs aux aspirations des autres professionnels de santé à davantage d'autonomie, de reconnaissance et de possibilité d'évolution de carrière.
Comme l'avaient souligné le Président Alain Milon et notre collègue Catherine Génisson dans un rapport 65 ( * ) sur les coopérations entre professionnels de santé engagées sur le fondement de l'article 51 de la loi HPST de 2009 66 ( * ) , ces pratiques contribuent à « valoriser l'ensemble des professions de santé tout en améliorant la qualité des soins » .
Ils avaient toutefois noté que le cadre juridique contraignant et la question du financement était encore « une source de blocage » .
En effet, les protocoles de coopération validés demeurent rares, ce qui limite, à défaut de modes de financement adaptés, le déploiement des pratiques spontanées.
Pourtant, l'exemple de la coopération entre ophtalmologistes et orthoptistes, qui permet une délégation de certains actes, illustre l'intérêt de ces pratiques pour réduire les délais d'accès à certaines spécialités médicales « en tension », en l'occurrence supérieurs à six mois dans certaines régions.
Vos rapporteurs regrettent par ailleurs que l' exercice en pratique avancée , introduit par l'article 119 de la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 67 ( * ) , ne soit toujours pas rendu opérationnel, dix-huit mois après l'adoption de cette loi, à défaut de publication des textes d'application : votre commission avait salué le principe de cette mesure, préconisée dans le rapport d'information précité.
La définition d'un régime de financement incitatif pour les pratiques avancées et délégations d'acte entre professionnels de santé serait une condition préalable à leur plus large déploiement. Cela devra passer par une négociation interprofessionnelle.
Au-delà, vos rapporteurs rappellent que d'autres propositions étaient avancées par votre commission des affaires sociales, dans le rapport précité, afin de développer les coopérations entre professionnels de santé, et conservent leur pertinence. Notamment, pourrait être envisagé, pour certains professionnels de santé au cadre d'exercice réglementé, une définition de leurs attributions en termes de « missions de santé », potentiellement plus souple et évolutive.
Favoriser le déploiement des coopérations entre professionnels de santé par la définition, dans le cadre d'une négociation interprofessionnelle, d'un régime de financement incitatif |
* 64 Etude de Guillaume Chevillard et al. précitée.
* 65 Rapport d'information n° 318 (2013-2014) de Mme Catherine Génisson et M. Alain Milon, fait au nom de la commission des affaires sociales, Sénat, 28 janvier 2014.
* 66 En application de ces dispositions, codifiées à l'article L. 4011-1 du code de la santé publique, « les professionnels de santé peuvent s'engager, à leur initiative, dans une démarche de coopération ayant pour objet d'opérer entre eux des transferts d'activités ou d'actes de soins ou de réorganiser leurs modes d'intervention auprès du patient. Ils interviennent dans les limites de leurs connaissances et de leur expérience ainsi que dans le cadre des protocoles définis aux articles L 4011-2 à L. 4011-3 ». Ces protocoles sont soumis à l'ARS, qui en autorise la mise en oeuvre après avis conforme de la Haute Autorité de santé et d'un collège des financeurs, composé de représentants de l'Etat et de l'assurance maladie. Ils peuvent donner lieu à des modes de financement dérogatoire.
* 67 Ce dispositif, prévu à l'article L. 4301-1 du code de la santé publique, permet à des auxiliaires médicaux, notamment au sein d'une équipe de soins primaires coordonnée par un médecin, de se voir confier la réalisation de certains actes (activités d'orientation, d'éducation, de prévention ou de dépistage, actes techniques et de surveillance clinique, certaines prescriptions...), sous réserve qu'ils soient titulaires d'un diplôme ad hoc délivré par une université habilitée à cet effet.