DEUXIÈME PARTIE - POUR UNE AGENCE NATIONALE DE LA RECHERCHE PLUS SIMPLE, TRANSPARENTE ET EFFICACE
I. UNE GOUVERNANCE EN VOIE DE STABILISATION, UNE ACTION MIEUX ENCADRÉE PAR UN CONTRAT D'OBJECTIFS ET DE PERFORMANCE
Dans les années qui ont suivi sa création, l'Agence nationale de la recherche a connu une croissance rapide , qui s'est encore accélérée lorsqu'elle s'est vue confier sa nouvelle mission de gestionnaire du volet « recherche et enseignement supérieur » des programmes d'investissements d'avenir .
Mais ce développement ne s'est pas effectué sans difficultés en raison d'une gouvernance peinant parfois à inclure toutes les parties prenantes et d'une absence de feuille de route claire fixée par l'État .
La situation a commencé à se clarifier avec l'adoption du décret n° 2014-365 du 24 mars 2014 8 ( * ) de refonte de la gouvernance de l'ANR , qui a été suivie par la signature du premier contrat d'objectifs et de performance de l'ANR , onze ans après la création de l'agence.
A. LA GOUVERNANCE DE L'AGENCE NATIONALE DE LA RECHERCHE A ÉTÉ MODIFIÉE DE FAÇON SUBSTANTIELLE EN 2014
1. L'Agence nationale de la recherche est dirigée par un président-directeur général qui doit faire valider ses principales décisions par un conseil d'administration
a) Le président-directeur général de l'Agence nationale de la recherche joue un rôle essentiel dans le bon fonctionnement de son établissement
L'Agence nationale de la recherche, établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle du ministère chargé de la recherche, est dirigée depuis 2014 par un président-directeur général .
Jusqu'à cette date, les fonctions de Président et de Directeur général de l'ANR étaient occupées par deux personnes distinctes . Cette dyarchie ayant été source de tensions , le ministère chargé de la recherche a jugé préférable d'attribuer ces deux fonctions à une même personne , qui se doit d'être elle-même une chercheuse ou un chercheur de très haut niveau .
Désormais doté de pouvoirs très importants au sein de l'agence et chargé d'assurer sa représentation à l'extérieur, le président-directeur général de l'ANR joue assurément un rôle essentiel dans le bon fonctionnement de l'institution . Son choix par sa tutelle revêt donc une importance stratégique .
Le dernier détenteur du poste, le docteur en génie chimique américain Michael Matlosz ayant remis sa démission le 18 juillet 2017 à la ministre chargée de la recherche, son successeur devra être choisi avec soin pour, selon les termes du communiqué de presse de la ministre, « donner une nouvelle impulsion à l'action de l'agence ».
b) Le conseil d'administration de l'Agence nationale de la recherche, qui réunit de nombreux représentants du monde de la recherche, dispose de pouvoirs importants
A l'instar de celle des autres organes de gouvernance de l'ANR , la composition du conseil d'administration de l'agence est déterminée par le décret n° 2006-963 du 1 er août 2006 modifié portant organisation et fonctionnement de l'Agence nationale de la recherche . Ses membres actuels ont été nommés par un arrêté de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en date du 2 décembre 2014.
Le conseil d'administration est chargé de régler par ses délibérations les affaires de l'établissement . Il se prononce notamment sur l'organisation des services et le règlement intérieur de l'établissement , les orientations du plan d'action annuel de l'agence , la politique d'allocation et de gestion des aides ou bien encore le budget et le compte financier de l'ANR .
La composition du conseil d'administration
Outre le président directeur général de l'agence, le conseil d'administration comprend dix-neuf membres : - six représentants de l'État : deux représentants du ministre chargé de la recherche ; un représentant du ministre chargé de l'enseignement supérieur ; deux représentants du ministre chargé de l'industrie ; un représentant du ministre chargé du budget ; - six personnalités qualifiées représentant les grands domaines scientifiques, dont au moins une issue de la conférence des chefs d'établissement de l'enseignement supérieur ; - quatre personnalités qualifiées du monde socio-économique choisies en raison de leurs compétences dans le domaine de la recherche et du développement technologique ; - le vice-président du Conseil stratégique de la recherche ; - deux représentants des personnels élus, ainsi que leurs suppléants, pour une durée de trois ans, par les personnels de l'agence. De plus, assistent au conseil avec voix consultative. - le président du conseil d'administration de l'établissement public BPI-Groupe ou son représentant ; - le commissaire général à l'investissement ou son représentant ; - le directeur général délégué ; - le contrôleur budgétaire ; - l'agent comptable ; - le responsable du contrôle de gestion et de l'exécution budgétaire. Source : décret n° 2006-963 du 1 er août 2006 modifié portant organisation et fonctionnement de l'Agence nationale de la recherche |
Selon Alain Beretz, directeur de la recherche et de l'innovation 9 ( * ) , « la principale évolution apportée en matière de gouvernance par le décret du 24 mars 2014 a été l'évolution de la représentation au sein du conseil d'administration des acteurs publics de la recherche .
« Cette représentation reflète désormais directement le rôle que jouent les cinq alliances thématiques de recherche dans l'explicitation des enjeux scientifiques sur lesquels l'effort de recherche doit prioritairement porter et qui sont prévus par le plan d'action annuel de l'ANR. Grâce à la compréhension globale du système national de recherche qu'elle apporte, cette représentation permet des débats particulièrement bien éclairés sur les défis auxquels est confrontée l'ANR dans un contexte budgétaire qui a restreint ses moyens financiers et érodé les moyens récurrents de fonctionnement des opérateurs de recherche publics ».
Si le nombre de personnes présentes autour de la table lors des réunions du conseil d'administration de l'ANR peut paraître élevé , la composition du conseil, mise à jour en 2014, a le grand mérite de réunir l'ensemble des parties prenantes : des représentants de tous les ministères concernés par les appels à projets de l'ANR, ceux des organismes de recherche et des universités, ceux du monde de l'entreprise, etc.
Aucune personne entendue dans le cadre du présent contrôle n'ayant remis en question la composition de ce conseil, il n'apparaît pas nécessaire de proposer des ajustements mais bien au contraire de favoriser stabilité et continuité .
c) Le comité de pilotage scientifique joue un rôle de réflexion auprès du Président-Directeur général
Le comité de pilotage scientifique (CPS) est l'instance de réflexion pour l'élaboration et la mise en oeuvre du plan d'action annuel de l'ANR .
Assistant le président-directeur général de l'agence dans le pilotage stratégique de l'établissement, le CPS est consulté pour :
- la préparation du plan d'action annuel de l'agence et son rapport d'exécution ;
- la mise en oeuvre des travaux d'évaluation de l'offre de recherche et de mesure d'impact ;
- la création ou la suppression des départements scientifiques de l'agence , leur dénomination et leur périmètre ;
- la nomination des responsables des départements scientifiques et le renouvellement de leurs fonctions .
Le comité peut également être consulté par le conseil d'administration ou le président-directeur général de l'agence sur toute question relevant de la compétence de l'établissement .
Outre les responsables de département scientifique de l'agence , le comité de pilotage scientifique comprend des personnalités extérieures , parmi lesquelles le président du comité , nommées par le président de l'ANR, pour un mandat de deux ans renouvelable, choisies en raison de leurs compétences scientifiques et techniques dans les domaines d'activité de l'agence, soit en raison de leurs compétences dans le domaine du fonctionnement et des contraintes des agences nationales de financement de la recherche, du développement et de l'innovation.
Le CPS se réunit au moins trois fois par an sur convocation du président de l'agence ou à la demande écrite et motivée des deux tiers de ses membres.
Sa composition, les modalités de désignation de ses membres et les règles de son fonctionnement sont fixées par l'arrêté ministériel du 10 septembre 2015.
Ce comité de pilotage scientifique (CPS) ne semble pas appeler de critiques . Il paraît clair que l'action de programmation scientifique qu'effectue tous les ans l'ANR a besoin d'un lieu administratif pour permettre la confrontation des points de vue et l'élaboration d'une synthèse . On peut même s'étonner que le CPS ne soit pas plus souvent réuni.
Le fait que les nominations à la tête des départements scientifiques de l'ANR , mais également leur organisation et leur fonctionnement relèvent du CPS et pas uniquement du président-directeur général de l'agence apporte des garanties en matière d'indépendance scientifique et de bonne gouvernance .
Le CPS est donc une instance interne à consolider . Il paraît en revanche souhaitable de réfléchir sérieusement à la pertinence des comités de pilotage scientifique des défis (CPSD) , qui sont sources de redondance et de complexité .
d) Les comités de pilotage scientifique des défis, structures problématiques ?
Les comités de pilotage scientifique de défis (CPSD) , mis en place en 2013 dans le cadre de la première édition de l'appel à projets générique, ont pour mission, selon l'ANR, de « mesurer l'équilibre et la cohérence entre les appels et les instruments opérés par l'agence et la programmation scientifique telle que décrite dans le plan d'action , issue des propositions des parties prenantes (alliances, organismes de recherche, acteurs de la recherche publique et privée) et tenant compte des orientations de recherche de notre pays ».
Leur existence relève uniquement d'une décision interne à l'agence et n'est pas mentionnée dans le décret n° 2006-963 du 1 er août 2006 modifié portant organisation et fonctionnement de l'Agence nationale de la recherche
Ces CPSD sont constitués de membres extérieurs à l'agence , nommés par la direction de celle-ci. Ils regroupent des personnalités qualifiées issues du monde scientifique, de la sphère socio-économique, des représentants des alliances et des représentants des ministères.
Concrètement, ils participent à l'élaboration de son plan d'action annuel (structuration détaillée de chacun des neufs défis sociétaux par exemple) et jouent un rôle majeur dans le pilotage de la sélection des projets (priorisation des taux de sélection), même s'ils ne participent pas à leur sélection individuelle.
Leur rôle n'a cessé de s'étendre ces dernières années, ce qui a suscité de nombreuses critiques des autres parties prenantes de l'ANR , y compris au sein du conseil d'administration.
Votre rapporteur spécial voit mal en quoi ces comités , qui viennent concurrencer à la fois les structures internes de l'ANR - en particulier son comité de pilotage scientifique et ses départements scientifiques - et ses partenaires externes (alliances, universités, organismes de recherche), sont susceptibles d'améliorer la gouvernance de l'agence .
Il a plutôt le sentiment, au contraire, qu'ils introduisent une couche de bureaucratie supplémentaire , complexifient encore le pilotage de la programmation et de la sélection opérées par l'établissement et cristallisent les tensions . Il lui paraît donc pertinent de procéder à leur suppression .
Recommandation n° 8 : supprimer les comités de pilotage scientifique des défis , qui alourdissent inutilement la gouvernance de l'agence . |
2. Des services efficaces pour un établissement administratif dont les effectifs demeurent modestes
a) Les services de l'Agence nationale de la recherche sont regroupés autour de trois directions chargées chacune d'une mission de l'établissement
Depuis 2013, l'organisation des services de l'Agence nationale de la recherche a connu des évolutions importantes , qui ont coïncidé avec les évolutions de son rôle (mise en place de l'appel à projet générique, plan d'action annuel, etc.).
Tel qu'elle est conçue aujourd'hui, l'architecture de l'agence est censée correspondre à chacune des missions qui lui ont été confiées par l'État :
- la mise en oeuvre d'un processus de sélection reposant sur l'évaluation par les pairs et respectant les standards internationaux en la matière ;
- le conventionnement et le financement des projets de recherche sélectionnés ;
- le suivi administratif et financier des projets , ainsi que leur suivi scientifique (analyses d'impact).
La direction des opérations scientifiques est chargée de la mise en oeuvre des appels à projets de l'ANR . C'est elle qui doit assurer l'excellence, l'impartialité et la transparence du processus de sélection et de suivi des projets de recherche et organiser le travail des experts évaluateurs .
Cette direction compte cinq départements scientifiques . Les responsables de ces départements, recrutés par l'agence pour des périodes de quatre ans, sont des chercheurs confirmés et reconnus au niveau international recrutés par appel à candidature.
Les cinq départements de la direction des
opérations scientifiques
- Numérique et Mathématiques ; - Sciences Physiques, Ingénierie, Chimie, Énergie ; - Biologie Santé ; - Sciences humaines et sociales ; - Environnements, Écosystèmes, Ressources biologiques. Source : organigramme de l'Agence nationale de la recherche |
La direction du conventionnement et du financement conclut les conventions de financement et assure le financement des projets de recherche sélectionnés.
La direction des grands programmes d'investissements de l'État , enfin, assure la gestion des programmes d'investissements d'avenir en tant qu'opérateur du Commissariat général à l'investissement.
A ces directions « métier » s'ajoutent des directions et services support chargés de les accompagner et d'aider au pilotage et au management de l'agence : ressources humaines, affaires juridiques, information et communication, systèmes d'information, affaires générales, contrôle de gestion, budget, comptabilité, etc.
Par ailleurs, il importe de noter que le président-directeur général de l'ANR est assisté d'un ou plusieurs directeurs généraux délégués . Les directeurs généraux délégués sont nommés par lui pour une durée de cinq ans renouvelable. Au moins un des directeurs généraux délégués est chargé de l'administration de l'ANR .
b) Les effectifs de l'Agence nationale de la recherche sont en train de se stabiliser après une période de forte croissance difficile à absorber en interne
Structure de création récente, l'Agence nationale de la recherche a recruté des chercheurs et enseignants-chercheurs , des chargés de mission scientifique (généralement de jeunes chercheurs) mais également des personnels d'administration et de gestion pour faire fonctionner l'établissement.
En quelques années, l'Agence a connu une augmentation très forte de ses effectifs , avec en particulier un doublement entre 2009 et 2011 , lorsque l'Agence s'est vue confier la gestion des programmes « recherche et enseignement supérieur » des programmes d'investissements d'avenir .
Cette croissance brutale n'a pas été sans provoquer des difficultés en termes de ressources humaines , puisqu'il a fallu non seulement recruter massivement dans des délais courts mais également résorber une certaine forme de précarité , puisque 58 % du personnel de l'ANR était en contrat à durée déterminée (CDD) en 2012, situation problématique que la Cour des comptes avait d'ailleurs mise en lumière en soulignant « qu'il ne serait pas souhaitable que l'ANR recoure à des recrutements à durée déterminée lorsque les missions à assumer sont pérennes ».
Signe de ces difficultés, et d'un climat social relativement tendu, le taux de rotation ( turn over ) des agents de l'ANR était très important et son attractivité dégradée .
La situation paraît s'être stabilisée ces dernières années , les effectifs de l'ANR atteignant environ 260 ETPT (283 personnes fin 2016) , soit un niveau censé permettre à ses personnels de faire face dans de bonnes conditions à leur charge de travail .
Surtout, la part du personnel en CDD s'est stabilisé autour de 23 % fin 2016 et le turn over n'a concerné que 12 % des effectifs , signe que l'ANR est entrée dans une phase de maturité favorisant un climat social plus serein .
Évolution de l'effectif global de l'Agence
nationale la recherche
entre 2005 et 2016
(en nombre d'ETPT)
Source : Agence nationale de la recherche
Afin de permettre à l'Agence nationale de la recherche de s'ancrer davantage dans l'écosystème de la recherche française et de voir ses décisions moins contestées, il paraît essentiel de doter l'agence d'un personnel en nombre suffisant et d'offrir à celui-ci une situation contractuelle satisfaisante .
Les efforts menés par les directions successives de l'ANR pour améliorer la situation des personnels devront donc être poursuivis dans les années à venir car l'Agence a besoin de pouvoir compter sur des équipes efficaces et dynamiques pour mener à bien ses lourdes missions .
c) Un budget de gestion maîtrisé
De 2005 à 2010, le budget de gestion de l'ANR a connu une hausse rapide due à la montée en charge de l'agence , au développement de ses missions et aux créations de postes mentionnées supra .
Depuis cette date, en revanche , le budget de l'agence a connu une très grande stabilité , oscillant suivant les années entre 32 et 34 millions d'euros , soit environ 5 % du budget total de l'agence en 2016 (628 millions d'euros) .
Évolution du budget de gestion de l'ANR
entre
2005 et 2016
En 2016, les dépenses du budget de gestion de l'ANR ont atteint 34,3 millions d'euros . Les dépenses de personnel s'établissaient à 17 millions d'euros , soit environ 49,6 % du total (la somme des dix plus importantes rémunérations brutes totales représentait 962 000 euros 10 ( * ) ). Les dépenses de fonctionnement , pour leur part, représentaient 16,1 millions d'euros , dont 3,3 millions d'euros pour la gestion des ressources humaines, 3,7 millions d'euros pour les dépenses évènementielles (colloques, comités), 4,2 millions d'euros pour les locaux et les moyens généraux et 1,7 millions d'euros pour les dépenses de communication.
d) Une trésorerie désormais limitée au strict minimum, ce qui implique un suivi rapproché
Pendant longtemps, la dotation budgétaire de l'Agence nationale de la recherche présentait le même montant de crédits en autorisations d'engagement et en crédits de paiement (AE=CP) .
Or, lorsqu'un projet obtient un financement par appel d'offre compétitif, la signature de la convention de financement conduit à une consommation des autorisations d'engagement, mais les crédits de paiement ne sont consommés qu'avec retard , au cours du développement du projet.
Ce décalage temporel avait conduit l'ANR à accumuler une trésorerie très importante , qui représentait presque un an de décaissements , soit 675 millions d'euros au 31 décembre 2011. Plusieurs annulations de crédits en cours de gestion l'ont ramenée à un niveau plus raisonnable , puisqu'il était de 154,8 millions d'euros au 31 décembre 2014.
Depuis cette date, la trésorerie de l'ANR a encore nettement diminué, puisqu'elle était de 26,7 millions d'euros au 31 décembre 2015 et de 19 millions d'euros au 31 décembre 2016.
Le choix d'une trésorerie calculée au plus juste implique une gestion beaucoup plus vigilante et un suivi très rapproché . L'ANR se doit désormais de disposer de prévisions de décaissements très fines , d'où la nécessité de bâtir u n plan d'apurement des impayés antérieurs à 2010 robuste (voir infra ).
* 8 Décret n° 2014-365 du 24 mars 2014 modifiant le décret n° 2006-963 du 1 er août 2006 portant organisation et fonctionnement de l'Agence nationale de la recherche.
* 9 Réponse au questionnaire de votre rapporteur spécial.
* 10 Jaune « Opérateurs de l'État » annexé au projet de loi de finances pour 2016.