EXAMEN EN COMMISSION
M. Alain Milon , président . - Avant l'interruption des travaux parlementaires, le Sénat a souhaité publier un bilan global de l'application des lois de la législature, en mettant l'accent sur les lois les plus significatives du quinquennat. Ce bilan a donné lieu le 21 février dernier à un débat en séance publique au cours duquel j'ai pu interroger le Gouvernement sur certains défauts d'application que je vous avais préalablement présentés au mois de janvier.
Aujourd'hui, nous revenons à l'exercice habituel du contrôle de l'application des lois, qui s'effectue chaque année à la u premier semestre et qui se concentre sur l'application des lois de l'avant-dernière session, en l'occurrence la session 2015-2016. On dispose en effet désormais du recul nécessaire pour en faire une analyse pertinente, sachant qu'une circulaire du 29 février 2008 retient un objectif de six mois pour le délai d'édiction des mesures réglementaires nécessaires à l'application des lois.
En 2015-2016, sept lois ont été adoptées après examen au fond par notre commission des affaires sociales : la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, la loi d'adaptation de la société au vieillissement, la loi de modernisation de notre système de santé, la loi sur la fin de vie, la loi sur l'expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée, la loi relative à la protection de l'enfant et enfin la loi « travail ».
Il s'agit, pour la plupart d'entre elles, de lois importantes tant au plan politique que par leur volume : une centaine d'articles pour la LFSS, les lois « vieillissement » et « travail », 227 articles pour la loi « santé ».
Au total, les lois de cette session 2015-2016 appelaient 500 mesures réglementaires d'application, ce qui constitue, pour la commission des affaires sociales, un record absolu, toutes législatures confondues.
Face à cette masse de décrets et arrêtés à publier à l'approche des échéances électorales du printemps 2017, le Gouvernement a réalisé un effort tout particulier puisqu'au 31 mars dernier, 400 mesures avaient été prises sur 500 attendues, soit un taux de 80 %, supérieur à celui généralement constaté dans les six mois qui suivent une session. Une quarantaine de mesures supplémentaires sont intervenues en avril et jusqu'au 11 mai, à la veille de la cessation de fonction du précédent gouvernement, ce qui porte le taux global de mise en application à 88 % à ce jour.
Cet effort doit bien entendu être salué, compte tenu du nombre considérable de mesures à prendre, mais il faut aussi noter qu'environ 60 textes réglementaires restent en attente sur les lois de 2015-2016 : plus de la moitié concernent la loi santé et une quinzaine la loi « travail ». C'est donc à l'actuel Gouvernement qu'il reviendra de statuer sur ces textes.
Sur les sept lois de l'année 2015-2016, deux lois ont été rendues totalement applicables dans les six mois suivant leur promulgation : la loi sur la fin de vie et la loi d'expérimentation contre le chômage de longue durée.
S'agissant de la loi sur la fin de vie, à l'occasion d'un recours contre l'un des deux décrets d'application, le Conseil d'État a transmis une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Celui-ci a rendu sa décision le 2 juin et a jugé conformes à la Constitution les dispositions de la loi concernant la décision d'arrêt ou de limitation des traitements de maintien en vie. Il a toutefois précisé que lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté, la décision médicale prise à l'issue de la procédure collégiale prévue par la loi doit être notifiée aux personnes auprès desquelles le médecin s'est enquis de la volonté du patient, afin de leur permettre éventuellement d'exercer en temps utile un recours contre cette décision.
S'agissant de la loi relative à la protection de l'enfant, quinze mois après sa promulgation, un seul des 14 textes attendus n'a pas paru : celui qui doit préciser les modalités d'organisation de la visite des parents d'un enfant placé lorsque le juge a décidé qu'elle s'effectuerait en présence d'un tiers. Il s'agissait d'une proposition du Défenseur des droits qui avait été introduite dans la loi et pour laquelle le Gouvernement avait jugé nécessaire de prendre un décret d'application encore en attente.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 est quant à elle applicable à 92 % à ce jour, les mesures encore en attente étant pour l'essentiel circonscrites à des dispositions techniques ou très ponctuelles de la loi. Certains décrets sont parus tardivement ce printemps, quinze mois après la promulgation de la loi. C'est le cas par exemple des textes relatifs aux expérimentations visant à prévenir l'obésité chez le jeune enfant de trois à huit ans, aux modalités d'application du contrat d'amélioration de la qualité et de l'efficience des soins passé entre l'ARS et les établissements de santé, ou encore aux conditions de prise en charge des certificats de décès établis au domicile des patients dans le cadre de la permanence des soins. C'est le cas aussi de la réforme de la tarification des soins de suite et réadaptation (SSR), mais les dispositions de la LFSS pour 2016 avaient été modifiées dans la dernière loi de financement, ce qui explique en partie ce retard.
S'agissant de la loi sur l'adaptation de la société au vieillissement, nous avions déjà fait un point de son application en janvier dernier.
Les principales mesures restant à prendre concernaient alors les dispositions visant à faciliter les échanges de données entre les différents acteurs de la prise en charge. Celles-ci nécessitaient des avis préalables de la Cnil qui ont pour partie été rendus. Certains textes ont paru au mois de mars. Ils concernent les échanges d'informations avec les caisses de retraite pour prévenir la perte d'autonomie et précisent également les données relatives aux bénéficiaires de l'APA que doivent transmettre les conseils départementaux à l'État. Certains textes relatifs aux échanges d'information restent toutefois en attente, notamment celui prévu par l'article 43 de la loi qui doit fixer les conditions dans lesquelles les administrations fiscales transmettent chaque année aux départements les informations nécessaires à l'appréciation des ressources des bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie. Lors du débat du 21 février dernier, j'avais interpellé sur ce point le Gouvernement qui m'avait donné quelques précisions sur l'avancement de la préparation du décret. La question n'a cependant pas abouti avant les échéances électorales.
S'agissant de cette loi « vieillissement », le décret pris le 21 décembre 2016 pour l'application de son article 58 suscite actuellement des réactions assez vives. Il prévoit en effet de nouvelles modalités pour la détermination du forfait « dépendance » des Ehpad. A l'intérieur d'un même département, les Ehpad convergeront en sept ans vers un forfait dépendance identique pour tous, établi en fonction d'une moyenne départementale. Certaines fédérations se sont émues de constater dès 2017 des baisses de dotation pour des Ehpad dont les résidents présentent un degré de dépendance supérieur à la moyenne départementale. La Fédération hospitalière de France (FHF) a demandé un moratoire et des discussions sont en cours avec le ministère des affaires sociales.
La réforme de la tarification des Ehpad était en suspens depuis plusieurs années et on sait que toute réforme tarifaire présente le risque de faire des perdants. Je voudrais toutefois indiquer que la disposition législative sur laquelle se base ce décret a été introduite en deuxième lecture à l'Assemblée nationale avec un amendement de plusieurs pages du Gouvernement qui réécrivait totalement l'article en navette. Nos deux rapporteurs avaient regretté que des ajouts aussi substantiels n'aient pu faire l'objet d'une étude d'impact, du fait de leur introduction en cours de navette par un amendement qui comportait de nombreuses dispositions. Le texte législatif ne détaille pas les principes sur lesquels repose la tarification, se limitant au renvoi à un décret. Les conditions dans lesquelles s'est déroulé le débat n'ont pas véritablement permis d'exposer devant le Parlement les principes de la réforme qui entre en vigueur cette année.
La loi relative à la santé représente à elle seule plus du tiers des mesures d'application attendues pour les lois de l'année 2015-2016. En janvier dernier, j'avais indiqué que le taux d'application, un an après l'entrée en vigueur, n'était que de 64 %. Un effort particulier a été réalisé sur le début de l'année puisqu'une trentaine de mesures supplémentaires sont intervenues, portant à 84 % le taux d'application à la mi-mai.
Parmi ces mesures récentes, on peut notamment citer un décret précisant les missions et le fonctionnement de l'Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé, un arrêté sur l'interdiction de la mise à disposition de boissons sucrées à volonté, un décret et un arrêté sur la protection de la santé des personnes exerçant la profession de mannequins, plusieurs dispositions sur la lutte anti-tabac, comme le décret sur l'interdiction du vapotage dans certains lieux à usage collectif ou celui sur la transparence des dépenses liées aux activités d'influence des fabricants, deux décrets relatifs aux sanctions encourues par les assureurs qui enfreindraient le droit à l'oubli, un décret sur le contrôle de l'activité libérale des praticiens dans les établissements publics de santé.
S'agissant de l'étiquetage nutritionnel, la précédente ministre avait choisi, entre les différents dispositifs proposés, le « Nutri-Score », soutenu par la plupart des instances de santé publique mais contesté par les représentants de l'industrie de l'alimentation. Il repose sur une notation selon cinq couleurs allant du vert au rouge. L'arrêté détaillant cette présentation devait être notifié à la Commission européenne, ce qui a été fait fin avril, et celle-ci devrait se prononcer cet été. Je rappelle qu'en tout état de cause, cet étiquetage est facultatif, conformément à la réglementation européenne. Certains industriels ou grands distributeurs ont d'ores et déjà annoncé leur intention de le mettre en oeuvre.
Parmi les textes récents, je dois aussi mentionner un décret du 11 avril qui repousse au 15 janvier 2018 la mise en place du 116-117, numéro d'appel national pour l'accès à la permanence des soins ambulatoires. Ce numéro devait en principe fonctionner dès ce début d'année.
Sur la loi santé, une trentaine de textes sont toujours en attente. C'est le cas de plusieurs dispositions sur lesquelles j'avais attiré l'attention du Gouvernement en début d'année, tout particulièrement la mise en oeuvre de l'article 119 sur les conditions d'exercice en pratique avancée des professionnels paramédicaux. Il s'agit là d'une disposition très importante, non seulement pour les professionnels concernés, mais aussi pour l'organisation des soins. Il m'avait été répondu que les décrets paraîtraient mi-2017.
Plusieurs textes nécessaires à l'application des dispositions concernant les masseurs kinésithérapeutes, les assistants dentaires, les orthophonistes ou les orthoptistes sont également en attente.
C'est le cas également pour plusieurs dispositions de santé environnementale, comme l'interdiction du bisphénol A dans les jouets qui semble soulever des difficultés aux plans technique et européen.
Enfin, je voudrais vous rappeler que les textes réglementaires sur la généralisation du tiers payant étaient intervenus. Obligatoire depuis le 1 er janvier pour les personnes en ALD et les femmes enceintes, il doit normalement devenir obligatoire pour tous le 1 er décembre.
Le Premier ministre a confirmé le 7 juin dernier qu'une évaluation du dispositif serait menée, comme l'avait laissé entendre avant son élection le Président de la République.
La loi « santé » comportait aussi un grand nombre d'habilitations à légiférer par ordonnances dans plusieurs domaines. Pas moins de 30 ordonnances sont intervenues depuis avril 2016, ce qui recouvre la quasi-totalité des habilitations figurant dans la loi. Toutefois, certaines habilitations accordaient au Gouvernement des délais de dix-huit mois ou de deux ans pour prendre les ordonnances. C'est notamment le cas de l'article 222 qui concerne le service de santé des armées et l'Institution nationale des invalides et qui laisse au Gouvernement jusqu'à janvier 2018 pour intervenir.
En revanche, aucun des 12 rapports prévus par la loi n'a été remis au Parlement.
La loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels est la dernière des lois adoptées en 2015-2016. Près de 90 % des mesures d'application sont intervenues. Les dernières en date, parues début mai, concernent la responsabilité sociale des plateformes de mise en relation par voie électronique, la création d'instances de dialogue social dans les réseaux de franchise, le repérage obligatoire de l'amiante avant travaux ou encore la lutte contre la fraude au détachement.
Une quinzaine de mesures, de nature technique, restent à prendre, de même qu'une ordonnance pour transposer le code du travail à Mayotte, les trois autres ordonnances prévues par la loi ayant été prises.
En revanche, je rappelle que la commission d'experts chargée de proposer une refondation du code du travail n'a jamais été mise en place, alors qu'elle devait remettre ses travaux avant août 2018. Le précédent gouvernement s'est borné à demander à France Stratégie d'étudier différentes hypothèses pour le périmètre et le calendrier des travaux de cette commission. Nous aurons certainement très bientôt l'occasion d'interroger son successeur sur le devenir de la nouvelle architecture du code du travail ébauchée par la loi El Khomri.
Pour terminer, je dois préciser que plus d'une cinquantaine de mesures ont été prises au cours de l'année écoulée pour l'application de lois plus anciennes, antérieures à la session 2015-2016.
Des lois dont la mise en oeuvre demeurait largement en souffrance, comme la loi de mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine ou la loi de 2013 sur la biologie médicale, sont devenues applicables en 2016.
Et sept ans après la promulgation de la loi HPST, le gouvernement a pris le décret d'application de son article 63 sur le code de déontologie des infirmiers !
Comme chaque année, des observations détaillées des mesures intervenues et des dispositions en attente figureront, au titre de la commission des affaires sociales, dans le rapport publié sous la signature du président Claude Bérit-Debat.
M. Gérard Roche . - Co-rapporteurs du projet de loi sur l'adaptation de la société au vieillissement, nous sommes hostiles, mon collègue Georges Labazée et moi-même, au principe d'un forfait dépendance uniforme dans chaque département mis en place dans le cadre de la réforme de la tarification des Ehpad. Verser aux établissements un forfait résultat d'une moyenne départementale, quel que soit le degré de dépendance de leurs résidents, revient à les pénaliser lorsqu'ils accueillent des personnes lourdement dépendantes. Cette réforme aura des conséquences humaines désastreuses pour nos aînés les plus dépendants et leurs familles.
Mme Catherine Génisson . - Votre rapport, Monsieur le Président, met en évidence le travail considérable réalisé par le précédent gouvernement pour la mise en oeuvre des lois que nous avons examinées. Vous avez évoqué le report de la mise en service du 116-117, numéro d'appel national pour l'accès à la permanence des soins ambulatoires. Je doute que ce dispositif voie réellement le jour, compte tenu de l'hostilité de l'ensemble des acteurs concernés, comme nous l'avons constaté, avec Laurence Cohen et René-Paul Savary, lors des travaux sur la situation des urgences hospitalières que nous vous présenterons prochainement.
M. Georges Labazée . - A l'occasion de la mission qui m'avait été confiée par le précédent gouvernement sur la tarification des services d'aide à domicile, nombre de mes interlocuteurs ont également évoqué la réforme de la tarification des Ehpad. Nous savions que les difficultés se concentreraient sur la question du forfait dépendance pour lequel le financement était partagé entre les départements et l'assurance maladie. Je rejoins ce qu'a dit Gérard Roche sur l'impact de cette réforme. Il faut d'urgence remettre cette question sur la table.
M. Gérard Dériot . - Je n'hésite pas à dire que la réforme du forfait dépendance constitue une véritable aberration. Dans mon département, elle pénalise considérablement les Ehpad publics, ceux dont les résidents ont généralement le degré de dépendance le plus élevé et le niveau de ressources le plus bas. Il s'agit d'un problème majeur. Le décret, pris sur la base d'une disposition législative adoptée dans les conditions rappelées par le président Alain Milon, va dans le sens inverse de ce que nous souhaitions.
Mme Nicole Bricq . - Notre président a souligné que la commission d'experts chargée de proposer une refondation du code du travail n'a pas été mise en place. Je l'ai pour ma part regretté car l'article premier du projet de loi « travail », qui prévoyait sa création, avait donné lieu à de nombreux débats. C'est d'ailleurs le seul article qui a été débattu à l'Assemblée nationale, compte tenu des circonstances d'adoption du texte. Avec l'actuel Gouvernement, la méthode a changé. Il ne s'agit plus de refondre le code du travail par le haut, en faisant préalablement travailler cette commission d'experts, mais en quelque sorte par le bas, en menant avec les partenaires sociaux une concertation sur les différentes thématiques dont traiteront les futures ordonnances. C'est un changement de méthode mais la problématique est rigoureusement la même puisqu'il s'agit de distinguer les dispositions d'ordre public, le champ de la négociation collective et le droit supplétif applicable en l'absence d'accord collectif. Nous ne tarderons pas à entrer dans ce débat.
Mme Élisabeth Doineau . - J'appuie les propos de mes collègues sur les effets négatifs de la réforme du forfait dépendance. Nous constatons là une fois de plus le décalage considérable entre les intentions telles qu'elles s'expriment lors du débat parlementaire et la réalité de la mise en oeuvre sur le terrain.
M. Daniel Chasseing . - Ces dernières années, un effort avait été réalisé pour améliorer les moyens de certains Ehpad manifestement sous-dotés. Avec la nouvelle tarification, le forfait dépendance va malheureusement diminuer dans des établissements accueillant des résidents fortement dépendants.
M. Jean-Marie Morisset . - Je confirme la situation très difficile de nombreux Ehpad, d'autant que les départements ont aussi fortement contraint l'évolution des forfaits hébergement.
M. Alain Milon , président . - Je vous remercie de vos observations.
La réunion est close à 10 h 45.