AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Désignés en janvier 2017 par la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) du Sénat pour établir un bilan de l'action de l'interrégimes en matière de retraite, vos rapporteurs ne savaient pas qu'ils seraient autant rattrapés par l'actualité.
En 2016, la Mecss avait éclairé le circuit complexe du financement des dispositifs de solidarité du système de retraite en se penchant sur le rôle du Fonds de solidarité vieillesse 1 ( * ) . Elle entendait, cette année, poursuivre sa tâche de contrôle des opérateurs de retraite en analysant la conduite des missions du groupement d'intérêt public (GIP) Union retraite chargé d'animer la communauté des régimes pour simplifier la relation qu'entretiennent les assurés avec leurs régimes de retraite.
La promesse du Président de la République,
pendant sa campagne, d'engager une réforme systémique des
retraites pour mettre en place un système en compte notionnel est venue
percuter de plein fouet les travaux de vos rapporteurs. Le point de
départ d'une telle réforme est en effet de répondre
à l'extraordinaire complexité de notre système de
retraite,
à laquelle l'interrégimes de retraite tente depuis
2003 d'apporter un premier niveau de réponse aux assurés.
Les faits sont entendus. Le paysage des retraites en France est morcelé avec ses trente-cinq régimes de base et ses vingt-neuf régimes complémentaires 2 ( * ) . Ces régimes, pour la plupart composante d'une identité socioprofessionnelle forte 3 ( * ) , sont gérés selon des règles différentes, ne parlent pas le même langage et n'avaient pas jusqu'à très récemment les moyens d'échanger entre eux.
Chaque Français cotise ainsi en moyenne à 2,3 caisses de retraite différentes en ayant au moins, pour le cas d'un salarié du secteur privé, un régime de base et un régime complémentaire. La part des personnes polypensionnées, c'est-à-dire percevant une retraite d'au moins deux régimes de base, représente chaque année 40 % des départs à la retraite pour les hommes et 30 % des départs à la retraite pour les femmes. Un nombre non négligeable d'assurés est en relation avec six ou sept régimes à la fois.
Dans un contexte d'accélération de la mobilité professionnelle, pouvant entraîner des changements de statut au cours de la carrière, cette tendance ne devrait pas se réduire dans les années à venir.
Cette situation a justifié la création, lors de la réforme des retraites de 2003 4 ( * ) , d'un droit à l'information retraite permettant à chaque assuré de disposer, tout au long de sa carrière et au moment de la préparation de son départ à la retraite, d'une vision consolidée de ses droits acquis et d'une évaluation de son futur montant de retraite. Le droit à l'information retraite, qui se décline désormais dans un bouquet de services en ligne qui a impressionné vos rapporteurs, est une avancée considérable en matière de simplification du rapport des assurés à leur retraite.
Il a été mis en oeuvre par l'ensemble des organismes assurant la gestion des régimes de retraite de base et complémentaire légalement obligatoires, réunis depuis 2004 au sein d'un GIP appelé Info retraite . Confirmé dans sa mission par la réforme des retraites de 2010 5 ( * ) , ce GIP est devenu le GIP Union retraite à l'occasion de l'élargissement de ses missions lors la réforme de 2014 6 ( * ) . En plus du droit à l'information retraite, le GIP Union retraite est désormais chargé du pilotage de l'ensemble des projets de coordination, de simplification et de mutualisation ayant pour objet d'améliorer les relations des régimes avec leurs usagers.
Au terme de leurs auditions, vos rapporteurs établissent le constat suivant. Le droit à l'information retraite, qui s'est patiemment construit depuis près de quinze ans sans bénéficier sans doute de l'attention qu'il méritait, est un succès incontestable à porter au crédit du GIP et de ses membres.
Toutefois, la dynamique de l'interrégimes semble désormais se gripper. La définition concrète de la nouvelle mission du GIP de simplification et de mutualisation de l'assurance vieillesse, au-delà du projet important de demande unique de retraite en ligne interrégimes devant être mis en place à l'horizon 2019, ne fait pas l'objet d'un consensus entre le GIP et les régimes. Le retard pris par certains projets d'ampleur comme le répertoire de gestion des carrières unique ou le blocage pur et simple d'autres projets comme celui de la mutualisation du contrôle de l'existence illustrent les inquiétudes ressenties par les régimes à l'égard d'une action interrégimes touchant désormais à leur coeur de métier. Les tensions observées depuis 2016 sur le plan budgétaire sont un autre symptôme du malaise de l'interrégimes qui semble entrer dans une ère de défiance après le succès du droit à l'information.
Ces tensions sont en partie dues à l'absence de vision stratégique de l'État quant à l'organisation à la fois budgétaire et informatique de notre système de retraite. Elles sont cependant révélatrices des limites atteintes par l'interrégimes qui, s'il a permis de mettre en place une simplification de façade des régimes de retraite, ne pourra pas aller plus en avant sans s'interroger sur son architecture et sur le nombre de régimes qui la dessine.
Aussi, et dans la perspective de la réforme à venir, il semble utile de faire le bilan de l'action de l'interrégimes depuis sa création. Le Général de Gaulle considérait qu'une Constitution « c'est un esprit, des institutions, une pratique » 7 ( * ) . Ce triptyque peut très utilement être repris pour analyser l'interrégimes qui repose sur des institutions solides, une pratique à succès du droit à l'information retraite et un esprit de simplification à consolider (première partie).
L'avenir de l'interrégimes semble toutefois obscurci par des tensions liées à l'absence de vision stratégique de l'État, qui se retrouve d'une part, dans le manque d'articulation financière entre les priorités de l'interrégimes et celles des régimes et d'autre part, dans le manque de cohérence du système d'information de l'assurance vieillesse et de ses grands projets informatiques structurants. L'avenir de l'interrégimes est également suspendu au projet de réforme systémique, qui au regard des difficultés actuellement observées, ne pourra faire l'économie d'une réflexion sur l'architecture globale du système de retraite (seconde partie).
* 1 Mecss du Sénat, rapport n° 668 (2015-2016), Le vrai rôle du Fonds de solidarité vieillesse, C. Génisson et G. Roche, juin 2016.
* 2 Voir annexe 1 - Les régimes de retraite en France.
* 3 C'est le cas des régimes spéciaux de retraite.
* 4 Loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites.
* 5 Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites/
* 6 Loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système des retraites.
* 7 Comme il l'a affirmé dans sa célèbre conférence de presse du 31 janvier 1964.