C. DES ÉVALUATIONS DIFFÉRENTES MAIS QUI CONVERGENT SUR DES ORDRES DE GRANDEUR MACROÉCONOMIQUES
1. Des écarts de un à quatre dans les évaluations
Par nature, la fraude aux cotisations sociales ne se prête pas à une quantification très précise.
Aussi, comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale de septembre 2014, « Malgré les précautions méthodologiques prises, les résultats obtenus ne sont que des estimations statistiques, par nature imprécises, mais qui permettent de fournir des ordres de grandeur ».
Les différentes méthodes d'évaluation utilisées produisent donc, sans surprise, des écarts considérables dans la quantification du phénomène.
a) L'estimation de la Cour des comptes
Dans son rapport de 2014 sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, la Cour des comptes a publié une évaluation du montant de la fraude aux cotisations sociales en s'appuyant sur les résultats des contrôles effectués par les Urssaf, tant en matière de contrôles comptables d'assiette que de lutte contre le travail dissimulé.
Cette estimation repose sur l'application d'une méthode dite de « post-stratification » qui extrapole une quantification de la fraude à partir des résultats des contrôles.
Le résultat aboutit à un taux de cotisations éludées de 6,3 à 7,7 % par rapport au montant total théorique des cotisations, soit 19 milliards d'euros sur le champ du recouvrement des Urssaf hors assurance chômage et 22,5 milliards d'euros avec les contributions d'assurance chômage et les cotisations de retraite complémentaire.
Évaluation des cotisations et contributions sociales éludées
Estimation
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Champ Urssaf
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Champ Urssaf
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Montant |
Entre 16,8 et 20,8 milliards d'euros |
Entre 20,1 et 24,9 milliards d'euros |
Source : Acoss-Urssaf
Cette évaluation fait apparaître une très forte augmentation de la fraude par rapport au résultat publié en 2007 par le Conseil des prélèvements obligatoires sur la base de données de 2004 qui donnait une fourchette comprise entre 6,6 et 11,7 milliards d'euros sur le champ Urssaf hors assurance chômage.
b) La mutualité sociale agricole (MSA)
La MSA, qui couvre 188 031 entreprises en 2012, avec une masse salariale de 18 milliards d'euros et des cotisations de 6,4 milliards d'euros a publié, en décembre 2015, une première estimation du montant des cotisations éludées.
Elle s'est appuyée sur un échantillon de contrôle, réparti en différentes strates en fonction des secteurs d'activité agricole.
L'étude aboutit à une estimation de 57,2 millions d'euros au titre du travail illégal.
c) L'évaluation réalisée par l'Acoss
Tout en étant à l'origine de l'évaluation publiée par la Cour des comptes, l'Acoss a souligné les biais induits par la méthode de post-stratification en faisant valoir que les contrôles réalisés par les Urssaf étaient de plus en plus ciblés : 80 % des contrôles de lutte contre le travail dissimulé (LCTI) se sont traduits par la notification d'un redressement en 2012, contre 22 % en 2004. L'Acoss considère ainsi qu'en dépit de l'existence d'un biais de détection qui a tendance à minorer la fraude, « l'augmentation du montant de fraude estimé s'explique en grande partie par l'amélioration du ciblage et de l'efficacité des contrôles LCTI et non par la hausse de la fraude elle-même ».
Un montant de cotisations éludées correspondant à l'équivalent de 1,3 million de salariés au Smic à temps plein ou à l'ensemble des prélèvements sur les travailleurs indépendants, ne semblait pas correspondre à une réalité observable.
En mars 2016, l'Acoss a publié 1 ( * ) une estimation du manque à gagner de cotisations et contributions sociales en se fondant sur les résultats des contrôles aléatoires opérés par les Urssaf dans certains secteurs.
La méthode estime un montant de cotisations éludées à partir du taux de salariés dissimulés dans le secteur, en leur appliquant le salaire moyen et le taux de cotisations observé dans ce secteur.
L'Acoss formule ensuite un certain nombre d'hypothèses pour extrapoler le résultat obtenu à l'ensemble du champ des cotisants.
L'estimation ainsi obtenue est comprise entre 5,2 et 6,3 milliards d'euros et le champ du recouvrement des Urssaf (contributions d'assurance-chômage comprises), elle est comprise entre 6,1 et 7,7 milliards d'euros sur un champ plus large incluant les cotisations aux régimes de retraite complémentaire.
2. Une convergence des évaluations sur une grandeur « macroéconomique »
Vos rapporteurs n'ont pas vocation à arbitrer entre ces différentes estimations.
Elles se bornent à constater leur convergence sur des grandeurs d'ordre macroéconomique, de 0,3 à 1 point de PIB, ce qui justifie un engagement résolu des pouvoirs publics.
Vos rapporteurs soulignent la nécessité d'un approfondissement des réflexions sur les évaluations. L'Acoss s'est engagée à actualiser ses travaux des résultats des contrôles aléatoires réalisés dans d'autres secteurs.
Le Conseil national de l'information statistique, le Cnis, a mis en place un groupe de travail sur la mesure du travail dissimulé et ses impacts pour les finances publiques, dont le rapport, finalisé en avril 2017, devrait être prochainement disponible.
Ainsi que le souligne l'Acoss dans son étude précitée « il convient de signaler que le montant estimé ne peut être assimilé à une « cagnotte » directement comparable au niveau des déficits publics. En effet, (...) une partie des activités dissimulées, et donc des revenus générés, n'existerait probablement pas si la fraude était impraticable .»
Il s'agit cependant de faire respecter le droit afin de garantir les conditions d'une concurrence non-faussée, de préserver le consentement aux prélèvements et d'assurer les droits sociaux des salariés attachés au versement des cotisations sociales.
Pour conforter la politique de lutte contre la fraude, la connaissance de son ampleur et de ses évolutions tendancielles est indispensable.
3. Une augmentation de la fraude détectée
Il est difficile de déterminer si le travail dissimulé progresse dans notre pays ou s'il est mieux détecté. On peut observer que les chiffres de la fraude détectée augmentent dans tous les domaines, qu'il s'agisse de la fraude fiscale, de la fraude douanière ou de la fraude sociale.
Les redressements notifiés pour travail dissimulé sont ainsi passés de 108 millions d'euros en 2008 à 555 millions d'euros en 2016. Avec une augmentation de 10 % chaque année, de 20 % entre 2015 et 2016, il est probable que le phénomène a été sous-estimé et sous-contrôlé pendant des années.
Montant des redressements notifiés au titre du travail dissimulé sur la période 2008-2016
Source : ACOSS, indicateur 5-3 du programme de qualité et d'efficience « Financement » annexé au PLFSS 2016 et rapport thématique 2016.
Depuis 2014, les résultats obtenus dépassent l'objectif fixé par la convention d'objectifs et de gestion de l'Acoss pour 2017. Il serait souhaitable de les rehausser pour la prochaine COG.
* 1 Acoss, note d'étude et de résultats, Évaluation de l'évasion sociale, une estimation basée sur les contrôles aléatoires