III. LE POIDS CROISSANT DES CONSIDÉRATIONS D'ORDRE POLITIQUE DANS LES OPÉRATIONS D'ASSISTANCE MACROFINANCIÈRE

Eu égard au constat d'une efficacité économique certes réelle mais faible, l'expansion de l'assistance macrofinancière sur le plan géographique comme sur le plan financier, conduit à évoquer la place grandissante des considérations politiques dans les décisions d'octroi d'assistance. Le flou juridique entourant cet instrument financier suggère, en effet, l'existence d'une marge de manoeuvre importante des institutions de l'Union, et plus particulièrement de la Commission européenne qui assume la gestion directe de l'AMF.

L'exemple de la Moldavie, au profit de laquelle une assistance de 100 millions d'euros a été accordée début juin 2017, tend à confirmer cette interprétation. Cette étude de cas illustre également les dilemmes auxquels l'Union européenne est confrontée, en termes de degré d'exigence vis-à-vis du pays bénéficiaire ou de positionnement par rapport au FMI. Au terme de cette analyse, le présent rapport présente un ensemble de recommandations en vue de clarifier les conditions d'utilisation de l'assistance macro-financière et, ainsi, de légitimer pleinement son action au service de la politique extérieure de l'Union.

A. UNE INTERPRÉTATION EXTENSIVE DES CONDITIONS ET DES MODALITÉS DE RECOURS À L'ASSISTANCE

Le flou juridique entourant l'assistance macrofinancière a conduit à un développement empirique des opérations d'assistance. Selon la Représentation permanente de la France à Bruxelles, cette situation apparaît aujourd'hui « sous-optimale » dans la mesure où elle conduit à s'interroger à chaque nouvelle proposition sur les mêmes aspects, sans nécessairement y apporter une réponse cohérente.

1. La question du périmètre géographique de l'intervention et du respect des conditions préalables

Lorsque l'on examine la liste chronologique des opérations d'assistance macro-financière décidées depuis 1990 53 ( * ) , on constate une extension progressive du périmètre géographique d'intervention. Par exemple, l'aide accordée à la Jordanie en 2016 s'inscrivait dans le contexte de l'afflux de réfugiés dans ce pays, à la suite du conflit frappant la Syrie. L'assistance à la République du Kirghizistan décidée en 2013 fut, quant à elle, justifiée par la Commission européenne par « la force de l'élan pro-démocratique et de réforme économique » observée dans le pays et l'importance politique et économique de la région pour l'Union européenne 54 ( * ) .

De facto , il n'existe aucune liste de pays éligibles à l'assistance macrofinancière, l'accord interinstitutionnel de 2013 se contentant d'énumérer trois catégories de pays, en l'occurrence les pays candidats déclarés ou potentiels, les pays concernés par la politique européenne de voisinage et « d'autre pays » présentant une importance stratégique. Dès lors, l'Irak et l'Égypte ont récemment formulé des demandes d'assistance. Il appartient ensuite à la Commission européenne, destinataire des demandes d'aide, de déterminer si la présentation d'une proposition d'assistance est opportune et, sur cette base, aux co-législateurs d'adopter une décision au cas par cas.

Or « l'AMF de l'UE ne respecte pas toujours les cinq principes [caractère exceptionnel, conditions politiques préalables, complémentarité, conditionnalité et discipline financière ] que le Conseil Ecofin a adoptés en 1995 55 ( * ) et qui devraient régir la politique de l'AMF aux pays tiers. Dans certains cas, par exemple, l'assistance est régulière et continue plutôt qu'exceptionnelle. Les conditions politiques préalables [proximité géographique de l'UE, plein respect des droits de l'homme et primauté du droit] ne sont pas toujours remplies » 56 ( * ) d'après le rapport d'audit de la Cour des comptes européenne publié en 2002. Ce constat demeure valable pour un certain nombre d'opérations d'assistance. Par exemple :

- s'agissant de la Jordanie , au-delà de la question du périmètre géographique, le caractère exceptionnel de l'assistance tend à s'estomper dans la mesure où les 200 millions d'euros d'aide accordés en 2016 font suite à une première opération de 180 millions d'euros en 2013 et où le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne se sont déjà engagés à proposer une troisième assistance, d'un montant plus important 57 ( * ) ;

- en ce qui concerne la Moldavie , la situation économique et financière du pays au printemps 2017, certes précaire mais en amélioration par rapport aux années précédentes - avec une prévision de croissance réévaluée à 4,7 % pour 2017 par le FMI 58 ( * ) - ne semblait pas justifier une intervention financière urgente de l'Union. De plus, les témoignages de certains acteurs locaux peuvent conduire à s'interroger sur le plein respect des principes démocratiques et de l'État de droit.

Aussi, en se fondant sur le point de vue de certains acteurs et notamment des États membres, on peut estimer qu'un trop large pouvoir d'appréciation est laissé à la Commission européenne en matière d'assistance macrofinancière.

2. L'arbitrage entre prêt et don

La forme de l'assistance accordée - prêt et/ou don - est un domaine d'interrogation récurrent en matière d'assistance macrofinancière. Le montant de l'assistance dépend de trois facteurs : le déficit de financement du pays demandeur estimé par le FMI, la part de ce déficit couverte par le FMI ou d'autres bailleurs internationaux et, enfin, les crédits restant disponibles sous les plafonds du cadre financier pluriannuel de l'Union. Les critères de Genval définis en 1995 fixaient le plafond de la participation de l'Union européenne à 60 % des besoins de financement extérieur résiduel pour les pays candidats ou potentiellement candidats et à un tiers pour les autres pays. Cependant, la déclaration commune de 2013 ne mentionne pas ces plafonds.

Pour la dernière opération d'assistance à la Moldavie, la Commission européenne indique que les 100 millions d'euros proposés - inférieurs aux 150 millions d'euros initialement envisagés - correspondent à 24,9 % du déficit de financement résiduel du pays , ce qui est « conforme aux pratiques courantes en matière de partage de la charge » 59 ( * ) entre bailleurs. Dans les faits, « la Commission européenne et les services du FMI travaillent étroitement au stade amont des programmes de stabilisation macroéconomiques et le montant des apports potentiels des AMF fait partie des calculs de bouclage des plans de financement par le FMI » 60 ( * ) . Si la coopération entre la Commission européenne et le FMI mérite d'être saluée, cette situation peut conduire à s'interroger sur la valeur ajoutée de l'intervention européenne, voire sur son indépendance.

L'allocation de dons - en principe exceptionnelle - est un sujet plus sensible, comme l'ont montré les récents débats au sein du comité économique et financier du Conseil concernant la proposition d'assistance macrofinancière à la Moldavie. Les critères d'octroi de dons , définis par une méthodologie agréée par le Conseil en 2011 61 ( * ) , sont :

- le niveau de développement économique et social du pays demandeur, mesuré par son produit national brut (PNB) par habitant et son taux de pauvreté ;

- la soutenabilité de la dette et la capacité de remboursement , mesurés par les indicateurs de dette publique et de dette extérieure.

Il ressort des éléments d'analyse fournis par la Commission européenne que la Moldavie remplit les critères d'éligibilité aux dons : avec un PNB par habitant de 2 200 dollars américains en 2015, il s'agit du pays le plus pauvre du voisinage européen ; en outre, ses ratios de dette ont récemment augmenté sous l'effet de la crise bancaire et de la dépréciation de la monnaie nationale, le leu (dette publique de 45 % et dette extérieure totale de 101 % du PIB en 2017). Pour motiver le versement de l'assistance en partie sous forme de don, la Commission européenne a également présenté l'argument de l'éligibilité du pays au programme de financement concessionnel du FMI, réservé aux pays les plus pauvres.

Il n'en demeure pas moins que le montant de don proposé - en l'occurrence 40 millions d'euros sur 100 millions d'euros - est fixé à la discrétion de la Commission européenne ; celui-ci est toutefois soumis à l'approbation du Conseil et du Parlement européen.


* 53 Voir supra .

* 54 Commission européenne, Commission staff working document accompanying the report from the Commission to the European Parliament and the Council on the implementation of macrofinancial assistance to third-countries in 2016 , SWD(2017) 233 final.

* 55 Et réitérées dans la déclaration commune de 2013.

* 56 Cour des comptes européenne, rapport spécial n° 1/2002, op. cit ., p. 121.

* 57 Commission européenne, Commission staff working document, SWD(2017) 233 final, op. cit ., p. 11.

* 58 FMI, First reviews under the extended credit facility and extended fund facility arrangement, Republic of Moldova, avril 2017.

* 59 Proposition de décision du Parlement européen et du Conseil accordant une assistance macrofinancière à la République de Moldavie, COM(2017) 14 final.

* 60 Direction générale du Trésor, réponse au questionnaire écrit de votre rapporteur spécial.

* 61 Commission européenne, Note to the Economic and Financial Committee for determining the use of grants in the EU macrofinancial assistance, janvier 2011.

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