INTRODUCTION
« La défense ! C'est la première raison d'être de l'État. Il n'y peut manquer sans se détruire lui-même. »
Charles de Gaulle, Bayeux, 14 juin 1952
L'objectif de consacrer 2 % du produit intérieur brut (PIB) au budget de notre défense s'avère à présent largement partagé, au sein de la « communauté de défense » et bien au-delà. Récemment, il a même pu paraître s'apparenter, dans le débat public, notamment électoral, à une sorte de « slogan ».
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat ne peut que se féliciter du large soutien ainsi témoigné à notre outil militaire : c'est à son initiative, en 2013, que le même « objectif d'un budget de la défense représentant 2 % du produit intérieur brut » s'est trouvé inscrit, en ces termes, à l'article 6 de la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2014 à 2019 1 ( * ) . Cette ambition rejoint évidemment la légitime préoccupation de nos concitoyens pour la sécurité 2 ( * ) .
Pourtant, la mesure de la part de richesse nationale affectée aux besoins militaires constitue avant tout un référentiel conçu dans le cadre de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN), au milieu des années 2000, en vue d'inverser la tendance à la baisse des budgets de défense précédemment constatée parmi les pays membres et d'organiser un meilleur partage international de l'effort commun en ce domaine. C'est dans ce contexte spécifique de l'Alliance que l'indicateur établi à partir du ratio « dépenses militaires/PIB » a puisé sa raison première - par laquelle s'expliquent, d'ailleurs, ses limites techniques fondamentales.
La portée de cet indicateur s'est très sensiblement accrue avec la forte dégradation du contexte sécuritaire des dernières années, sur notre territoire national comme en dehors de nos frontières. La cible des « 2 % », au-delà des clarifications méthodologiques qu'elle appelle, revêt de facto , désormais, un rôle politique essentiel pour fixer le cap de la nécessaire remontée en puissance des armées françaises .
Les besoins en la matière vont, en effet, croissant. Il s'agit de besoins opérationnels, alors que nos déploiements d'opérations extérieures se sont multipliés, intenses et durables, en Afrique et au Levant, et qu'une protection militaire inédite de notre sol se trouve assurée, depuis 2015, par l'opération « Sentinelle » ; la lourde charge de ces opérations s'ajoute à celle des postures permanentes et des forces pré-positionnées, outre une sollicitation importante de nos armées au titre du soutien à des exportations d'armements aujourd'hui en plein essor. Il s'agit aussi de besoins tenant aux exigences nouvelles de la guerre elle-même : accroissement du maintien en condition opérationnelle des équipements, en particulier de l'entretien programmé ; nouveaux enjeux du renseignement ; défense renforcée de l'espace extra-atmosphérique et du « cyberespace »... Il est à présent indispensable de relever les contrats opérationnels des armées au niveau de la menace et des engagements réels, et de combler les lacunes capacitaires - en ressources humaines, en équipements, en infrastructures -, tout en veillant à préserver la crédibilité de notre dissuasion nucléaire, ultime garantie d'autonomie de décision et d'action.
La loi d'actualisation du 28 juillet 2015 3 ( * ) avait commencé de réorienter à la hausse l'effort de défense inscrit dans la LPM adoptée en 2013. Cependant, face à la montée continue des périls, d'autres ajustements ont été décidés à la suite, entérinés en conseil de défense le 6 avril 2016. Pour intégrer le coût de ces mesures nouvelles dans la trajectoire financière et, dans le même temps, organiser la couverture de l'ensemble des besoins - tous, des besoins de court terme -, une nouvelle programmation militaire s'impose .
À cet égard, vos rapporteurs considèrent qu'il convient que soit rapidement menée à bien une revue stratégique, sur le fondement de laquelle l'actuelle programmation pourra être refondée - et ce, dans de brefs délais, idéalement dès avant la fin de l'année 2017 .
La future LPM doit permettre de s'inscrire dans l'objectif des 2 % du PIB consacrés à notre défense, et davantage si nécessaire . L'effort paraît pleinement soutenable à la condition de s'en donner les moyens ; à cet effet, l'élan politique doit être impulsé clairement, la crédibilité de la trajectoire budgétaire fondée tant sur la sécurisation des ressources que sur l'efficience des dépenses, et la consolidation de notre base industrielle et technologique continuée. Un enjeu de financement majeur, dans cette future programmation, consistera à éviter tout effet d'éviction du besoin de rattrapage capacitaire des forces conventionnelles par les investissements que requiert la modernisation de la dissuasion nucléaire, et réciproquement. Il s'agira également que la poursuite d'autres buts que ceux de notre défense, aussi légitimes puissent-ils être pour l'intérêt général, ne viennent pas affaiblir la mobilisation dont nos armées ont besoin ; le projet d'un nouveau service national universel obligatoire, de ce point de vue, peut constituer un risque.
L'ensemble de ces éléments se trouve détaillé dans la suite du présent rapport d'information. Celui-ci représente le fruit de l'ensemble des travaux que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a conduits au long de ces dernières années.
Car l'enjeu est essentiel. L'objectif n'est bien évidemment pas de franchir pour lui-même un seuil financier - 2 % du PIB ; il est de donner aux armées les moyens de remplir leur mission , en calibrant en conséquence un budget de la défense crédible. Il en va de notre sécurité bien sûr, mais aussi de la souveraineté même de notre pays, du maintien de son rang dans le monde et, en somme, de la poursuite du destin singulier de la France.
I. « 2 % DU PIB POUR LA DÉFENSE » : D'UN PARTAGE INTERNATIONAL DU FARDEAU À UNE NÉCESSITÉ POUR NOTRE SÉCURITÉ
A. UNE DOUBLE CIBLE FIXÉE DANS LE CADRE DE L'OTAN
C'est dans la directive politique globale de l'OTAN approuvée par les pays membres de l'Organisation en décembre 2005 et entérinée par leurs chefs d'État et de gouvernement en novembre 2006, lors du sommet de Riga, qu'a été adoptée la recommandation des 2 % du PIB comme le minimum de dépenses nationales à consacrer à la défense. Il s'agissait, ce faisant, de favoriser l'amélioration des capacités militaires de l'Alliance atlantique.
L'objectif d'atteindre un tel niveau d'effort dans le délai de dix ans a fait l'objet d' un engagement des pays membres de l'OTAN, prononcé en septembre 2014, lors du sommet du Pays de Galles, à Newport, et renouvelé en juillet 2016, lors du sommet de Varsovie . Cet engagement à l'horizon 2024 s'est d'emblée trouvé accompagné de celui qu'au moins 20 % des budgets nationaux de défense bénéficient aux équipements d'importance majeure, recherche et développement (R&D) y afférente comprise.
1. Rehausser l'effort : un budget de la défense à hauteur de 2 % du PIB au moins
La déclaration des chefs d'État et de gouvernement des pays membres de l'OTAN consécutive au sommet du Pays de Galles, en septembre 2014, affirmait notamment que « les Alliés qui se conforment actuellement à la directive OTAN recommandant un niveau minimum de dépenses de défense de 2 % du produit intérieur brut (PIB) chercheront à continuer de le faire. [...] Les Alliés dont la part du PIB consacrée à la défense est actuellement inférieure au niveau précité :
« - cesseront toute diminution des dépenses de défense ;
« - chercheront à augmenter leurs dépenses de défense en termes réels à mesure que croîtra leur PIB ;
« - chercheront à se rapprocher dans les dix années à venir des 2 % recommandés, en vue d'atteindre leurs objectifs capacitaires OTAN et de combler les insuffisances capacitaires de l'OTAN. »
Cet engagement visait expressément à inverser la tendance à la diminution que connaissaient alors les budgets de défense des pays membres de l'Alliance , dans un contexte global, issu de la fin de la guerre froide, d'apaisement des tensions internationales et de perception des menaces comme de moindre intensité. Il tendait aussi à « favoriser une répartition plus équilibrée des dépenses et des responsabilités » militaires.
Le graphique ci-après montre en effet l'orientation à la baisse des dépenses de défense, jusqu'à l'année 2015 incluse, rapportée à l'ensemble de dépenses publiques aux États-Unis, en France, au Royaume-Uni et en Allemagne.
Évolution des dépenses de défense* dans les dépenses publiques
(en % de dépenses publiques)
(*) : D'après données SIPRI, gendarmerie incluse.
Source : ministère de l'économie et des finances
Du reste, comme l'a récemment observé notre collègue Jean-Marie Bockel en sa qualité de rapporteur général de la commission de l'économie et de la sécurité de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN 4 ( * ) , « le montant des dépenses de défense ne constitue pas un objectif en tant que tel : l'ambition fondamentale de l'OTAN reste l'amélioration des capacités militaires et leur adaptation aux réalités stratégiques actuelles, mais il est largement admis que cela ne peut se faire sans un relèvement significatif des niveaux de dépenses et un rééchelonnement des priorités en matière de dépenses, de manière à garantir des investissements effectifs à long terme. »
La déclaration des chefs d'État et de gouvernement des pays membres de l'OTAN à laquelle a donné lieu le sommet de Varsovie, en juillet 2016, a pris acte du changement d'orientation, en la matière, auquel ont conduit le nouveau contexte sécuritaire mondial et la résorption des espérances un temps placées dans une paix durable et ses possibles « dividendes ». Ce document fait ainsi valoir que « collectivement, les dépenses de défense des Alliés ont augmenté, en 2016, pour la première fois depuis 2009. En deux ans seulement, une majorité d'Alliés ont enrayé ou inversé la baisse de leurs dépenses de défense en termes réels. Aujourd'hui, cinq Alliés se conforment à la directive OTAN recommandant un niveau minimum de dépenses de défense de 2 % du produit intérieur brut . » Le rapport annuel pour 2016 du secrétaire général de l'OTAN 5 ( * ) signale en outre que « de nombreux autres [Alliés] ont mis en place des plans visant à atteindre ce seuil d'ici à 2024 [...] Par rapport à 2015, la hausse des dépenses de défense des Alliés européens et du Canada s'est établie à 3,8 % en termes réels (soit environ 10 milliards de dollars des États?Unis). »
Les cinq États atteignant en 2016 l'objectif budgétaire des « 2 % » fixé par l'OTAN sont, avec les données statistiques retenues par l'Organisation : les États-Unis, dont l'effort de défense est estimé à 3,61 % du PIB ; la Grèce, avec un effort de défense estimé à 2,36 % du PIB ; l'Estonie, avec un effort de défense estimé à 2,18 % du PIB ; le Royaume-Uni, avec un effort de défense estimé à 2,17 % du PIB ; enfin, la Pologne, avec un effort de défense estimé à 2,01 % du PIB. La France, dont le budget militaire est estimé pour 2016 à 1,79 % du PIB (contre 1,8 % en 2015), se situe dans ce classement au sixième rang (comme en 2015) , à la suite immédiate de la Pologne et juste devant la Turquie, dont l'effort de défense est estimé à 1,69 % du PIB.
Dépenses de défense rapportées au PIB des pays membres de l'OTAN
en 2009 et estimées pour 2016
(en % du PIB)
(*) : Les dépenses comptabilisées pour la Bulgarie n'incluent pas les pensions.
Source : Rapport annuel 2016 du secrétaire général de l'OTAN
Il convient ici de préciser que ces statistiques « otaniennes » reposent sur la notification à l'OTAN, par les États membres, de leurs dépenses prévisionnelles de défense, incluant en principe, notamment, les pensions militaires. Il existe de fait une certaine hétérogénéité des périmètres de dépenses effectivement comptabilisées dans ce cadre (cf. infra ).
2. Garantir l'avenir : un niveau de dépenses pour les équipements majeurs, R&D comprise, de 20 % au moins du budget de la défense
De manière symétrique à ce qu'elle indiquait quant à l'objectif d'affecter 2 % du PIB au budget de la défense, la déclaration précitée du sommet de l'OTAN du Pays de Galles, en septembre 2014, affirmait notamment que « [...] les Alliés qui consacrent actuellement plus de 20 % de leur budget de défense aux équipements majeurs, y compris la recherche et développement y afférente, continueront de le faire. [...] Les Alliés qui consacrent actuellement moins de 20 % de leurs dépenses de défense annuelles à l'acquisition de nouveaux équipements majeurs, y compris la recherche et développement y afférente, chercheront, dans les dix années à venir, à porter leurs investissements annuels à 20 % ou plus de leur budget de défense total. »
La préoccupation de l'Alliance, au-delà du niveau des budgets de défense de ses membres, pour la structure même de leurs dépenses militaires, s'explique par l'évolution de ces dépenses constatée dans la période antérieure . En effet, comme l'a rappelé notre collègue Jean-Marie Bockel dans son rapport déjà cité fait au nom de la commission de l'économie et de la sécurité de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, « la crise économique et la réorientation des dépenses budgétaires après la guerre froide ont conduit parfois à donner des structures de budgets de défense défavorables à la préparation de l'avenir et des besoins capacitaires futurs » ; « les dépenses de fonctionnement sont évidemment une composante importante des dépenses de défense nationales, mais elles ne sauraient prendre la place des investissements requis pour garantir une sécurité durable ».
En 2016, dix pays membres de l'OTAN se trouvaient dans une situation conforme à la recommandation de consacrer au moins 20 % de leur budget de défense aux équipements majeurs, R&D y afférente comprise, contre huit pays en 2015, selon le rapport annuel pour 2016 précité du secrétaire général de l'OTAN. Ce dernier relève d'ailleurs une hausse des dépenses en termes réels pour ce type d'équipements, par rapport à 2015, dans 18 pays membres. La France, avec des dépenses d'équipements majeurs, R&D incluse, estimées à hauteur de 24,48 % de son budget de défense, se situe dans ce classement en sixième position - derrière la Lituanie et le Luxembourg (dont les dépenses d'équipements représentent plus de 27 % du budget militaire), ainsi que la Pologne, la Norvège et les États-Unis (dont les dépenses d'équipements représentent plus de 25 % du budget militaire), mais devant le Royaume-Uni et la Turquie (dont les dépenses d'équipements représentent plus de 22 % du budget militaire), ainsi que la Roumanie et l'Italie (dont les dépenses d'équipements représentent plus de 20 % du budget militaire), pour ne mentionner que les États atteignant la cible.
Part des dépenses d'équipements dans le budget de défense des pays membres de l'OTAN
en 2009 et estimées pour 2016
(en % du budget national de défense)
(*) : Les dépenses comptabilisées pour la Bulgarie n'incluent pas les pensions.
Source : Rapport annuel 2016 du secrétaire général de l'OTAN
Au demeurant, le rapport annuel précité du secrétaire général de l'OTAN fait apparaître que « seuls trois pays de l'OTAN ont respecté en 2016 à la fois la directive de 2 % et la directive de 20 % ». Il s'agit des États-Unis, du Royaume-Uni et de la Pologne.
* 1 Loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.
* 2 Un sondage d'opinion réalisé par l'Ifop, fin novembre 2016, pour Atlantico , et publié le 7 décembre 2016, fait apparaître que « la sécurité et la lutte contre le terrorisme » restaient alors cités le plus fréquemment en premier, parmi les enjeux les plus importants aux yeux des personnes interviewées, à égalité avec la lutte contre le chômage (27 %) ; globalement, la sécurité représentait ainsi le deuxième enjeu le plus fréquemment cité (par 48 % des sondés, contre 54 % retenant la lutte contre le chômage - plusieurs réponses étaient possibles).
* 3 Loi n° 2015-917 du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense.
* 4 Rapport général n° 166 ESC 16 F (NATO-PA), « Incidences budgétaires des nouveaux défis lancés à la sécurité transatlantique », 19 novembre 2016.
* 5 Rapport de M. Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'OTAN, publié en mars 2017.