II. CONTRIBUTION DE MM. BERNARD VERA ET CHRISTIAN FAVIER, AU NOM DU GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN
Les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ont pris connaissance avec intérêt des travaux de la mission d'information intitulée : Démocratie représentative, démocratie participative, démocratie paritaire : comment décider avec efficacité et légitimité en France en 2017 ».
Ce rapport a le grand mérite de traiter de l'ensemble des problématiques liées aux prises de décisions publiques et à leur légitimité.
Il tient compte des problèmes rencontrés dans la mise en oeuvre de grands projets d'infrastructures comme de projets de loi qui ont rencontré des oppositions très fortes et très larges. Il est admis que sur certains projets comme celui relatif à la « loi travail » ou celui relatif à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le passage en force fut préjudiciable.
Il fait le point sur les défis auxquels est confrontée notre démocratie représentative et sur l'essor des pratiques de démocratie participative.
Il formule des préconisations pour les rendre plus efficientes et pour dépasser les problèmes rencontrés et les limites constatées.
Le rapport met l'accent sur l'idée que notre système démocratique doit encore évoluer.
Il concentre cette évolution sur le point suivant : les représentants ne peuvent plus se contenter de leur légitimité issue de l'élection. Ils doivent s'assurer d'une « légitimité de décision » et, par conséquent, mettre en place des procédures décisionnelles qui permettent à tous les avis de s'exprimer, à partir d'un diagnostic partagé entre toutes les parties prenantes.
Il préconise que les outils participatifs soient mis en place le plus en amont possible.
Enfin, le rapport propose un certain nombre de moyens, destinés à améliorer les procédures décisionnelles dans le cadre d'un concept que nous pouvons partager de « démocratie coopérative ».
Cependant, si nous partageons bon nombre de constats et de recommandations, deux éléments suscitent notre réflexion, nos interrogations et nos doutes.
Premièrement , et cela est répété à plusieurs reprises, le souci exprimé par le rapport est de créer les conditions pour « lever les blocages » et permettre l'adoption dans le consensus de projets sans s'interroger sur leur nature qui a pu susciter de fortes mobilisations et d'oppositions.
Le rapport est empreint sur le fond de cette idée dans l'air du temps de la nécessité de réformer par principe sans tenir compte du caractère libéral d'adaptation à la mondialisation financière de la plupart de ces projets.
Si les réformes structurelles, dont il est si souvent question, sont repoussées, ce n'est pas simplement le fait de dysfonctionnement démocratique mais d'un décalage entre la volonté des représentants et celle des représentés.
C'est pourquoi, et c'est notre seconde réserve , il eut été nécessaire, compte tenu de l'objet de cette mission, de se poser la question fondamentale de la nature de la représentation politique en France.
La mission a repoussé cette réflexion à plus tard en arguant de la période électorale. C'est regrettable car la crise du politique, la crise de la représentation puisent leurs origines pour une grande part, dans la mauvaise représentation de notre société, de notre pays dans les institutions politiques et, en particulier, au Parlement.
L'analyse des raisons de l'accroissement de la défiance des citoyens envers les institutions paraît, dans le rapport, assez limitée. Certes, l'absence de résultats économiques en est un des facteurs mais il nous semble que le non-respect des engagements pris comme l'exigence d'exemplarité de la part des représentants ainsi que la prévalence absolue d'une éthique en politique, constituent aujourd'hui des raisons majeures qui structurent à très grande échelle la défiance des citoyens.
Ensuite, le rapport examine très en détail les voies et moyens pour rendre plus efficiente la démocratie des assemblées élues, mais il laisse intacte la question de leur composition et de leur réelle représentativité. Nombre de citoyens ne se sentent pas représentés, notamment au Parlement : insuffisance dans la parité homme-femme, déficit de représentation des catégories sociales modestes, mais aussi absence de représentativité proportionnelle. Nous regrettons pour notre part, que la définition du périmètre de la mission n'ait pas permis d'avancer des propositions dans ces domaines.
En définitive, le rapport propose d'améliorer la démocratie en aval, dans l'élaboration et la mise en application des réformes. Cependant, pour répondre aux nouvelles exigences démocratiques, une réforme en profondeur s'impose en amont. La nécessité d'une refonte des institutions et du fonctionnement de la démocratie nous conduit donc à proposer une réflexion autour de l'exigence d'une VIe République.
En outre, comment peut-on mener une mission sur la démocratie représentative sans par exemple étudier les conséquences sur les rapports entre citoyens et institutions de la création de « super-régions » que le Sénat avait d'ailleurs rejetée votant même une motion référendaire, la remise en cause des départements et les arbitrages répétés visant à dévitaliser les communes, éléments clefs de la démocratie représentative mais aussi participative.
Jamais le rapport ne se pose cette question : « Et si la mauvaise représentation expliquait pour beaucoup la production de projets rejetés ensuite par la population ? »
Concernant les referendums qui demeurent des questions complexes, il est dommageable que la mission n'ait pas proposé une forte réforme d'un referendum d'initiative populaire aujourd'hui quasiment inapplicable au plan national.
Enfin, concernant le volet social, le rapport insiste, à juste titre, sur la nécessité d'une concertation préalable avant tout examen d'un projet de loi, tirant enseignement de l'examen de la loi travail dite loi « El Khomri ».
Et, dans ce cadre, que dire de projets qui se proposent de légiférer par ordonnance à propos de la réforme du code du travail ?
Le rapport, même s'il conseille au Gouvernement la voie à suivre pour réussir une nouvelle réforme du code du travail, avertit toutefois celui-ci du danger du passage en force.
Ensuite, nous souhaitons insister sur la nécessité d'améliorer la démocratie dans l'entreprise. Selon ce contexte, l'idée d'aller vers la création d'une instance unique de représentation englobant les missions des comités d'entreprise, comités d'hygiène et de sécurité et délégués du personnel, ne nous paraît pas aller dans le bon sens. Au prétexte de simplifier le travail des représentants du personnel, cette mesure abaisserait, à notre sens, les possibilités d'intervention des organisations syndicales.
Nous estimons en revanche que la véritable participation des salariés à la gestion de l'entreprise constitue la clef d'une véritable citoyenneté en son sein.
En conclusion, notre groupe apprécie l'ampleur du travail accompli à l'occasion de cette mission d'information, et nous partageons bon nombre d'analyses et de préconisations, mais nous regrettons l'exclusion de son champ d'éléments fondamentaux à la source de la crise institutionnelle et politique actuelle.
Le groupe communiste républicain et citoyen a donc décidé, au vu de ces remarques, de s'abstenir sur ce rapport.