III. DÉMOCRATIE REPRÉSENTATIVE ET DÉMOCRATIE PARITAIRE : COMMENT RÉFORMER LE CODE DU TRAVAIL ?

A. LE PARITARISME DE DÉCISION AU NIVEAU LÉGISLATIF : UNE MÉTHODE ORIGINALE POUR RÉFORMER LE DROIT DU TRAVAIL, L'EMPLOI ET LA FORMATION PROFESSIONNELLE

1. Le paritarisme de décision au niveau législatif occupe une place centrale au sein de la démocratie sociale

La démocratie paritaire n'étant pas définie dans le code du travail, les partenaires sociaux ont proposé leur conception du paritarisme dans l'accord national interprofessionnel (ANI) du 17 février 2012 235 ( * ) . De fait, « La notion de paritarisme peut recouvrir plusieurs acceptions :

- la négociation collective, dont l'objet est de fixer entre partenaires sociaux (représentants des salariés et des employeurs) les normes applicables aux salariés et aux entreprises, liées à l'existence d'un contrat de travail ;

- la gestion paritaire des normes issues de la négociation collective ;

- l'interprétation de ces normes. »

Lors de son audition plénière par la mission d'information, M. Jean-François Pilliard, ancien vice-président et président du pôle social du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), a distingué le « paritarisme de décision », qui fixe les rôles des différents acteurs dans « l'établissement de la norme sociale », du « paritarisme de gestion », qui « intervient une fois la norme fixée » 236 ( * ) .

Pour son analyse, la mission d'information a retenu une acception de la notion de démocratie paritaire centrée sur la décision publique et désignant l'ensemble des relations formelles tissées entre le Gouvernement et le Parlement d'une part, et les partenaires sociaux (organisations syndicales de salariés et organisations professionnelles d'employeurs) d'autre part, visant à déterminer le contenu de projets ou de propositions de loi réformant à titre principal le code du travail afin de faciliter l'adhésion des personnes concernées.

Le paritarisme de décision ainsi défini apparaît comme un élément central de la démocratie sociale , qui désigne l'ensemble des relations formelles et informelles qu'entretiennent de nombreux acteurs (partenaires sociaux, associations, acteurs institutionnels...) en vue de créer, piloter et suivre des dispositifs sociaux au sens large, ouvrant une troisième voie entre le marché et l'État 237 ( * ) .

Cette définition pragmatique de la démocratie paritaire entraîne deux conséquences.

D'une part, la mission d'information n'abordera qu'indirectement les problématiques liées au paritarisme de gestion . En ce sens, le rapport de la mission d'information est complémentaire de celui élaboré par la mission d'information de l'Assemblée nationale de juin 2016 « Quel paritarisme demain ? De la réparation du risque à la construction des parcours » 238 ( * ) , ainsi que des travaux menés par de nombreux organismes de réflexion 239 ( * ) , qui n'ont pas abordé le sujet du paritarisme de décision au niveau législatif. Les négociations sur la convention d'assurance chômage présentent toutefois un intérêt manifeste en mettant en exergue la nécessité d'un diagnostic partagé (voir infra ).

Le rôle essentiel des partenaires sociaux
dans le pilotage de l'assurance chômage

En application des articles L. 5422-20 à L. 5422-21 du code du travail, il revient aux partenaires sociaux représentatifs au niveau national, réunis au sein de l'Unedic (Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce) de fixer par convention , tous les deux voire trois ans, les conditions d'indemnisation des bénéficiaires des indemnisations d'assurance chômage et de leur financement.

La convention détermine notamment le taux des contributions, les règles d'indemnisation (condition d'ouverture des droits, montant et durée du versement de l'allocation) ainsi que la nature des différentes aides au retour à l'emploi.

Un décret du ministre de l'emploi doit ensuite agréer la convention pour lui donner un caractère opposable 240 ( * ) . L'agrément peut être refusé ou retiré et il peut également aménager certaines stipulations de la convention.

Alors que la dette de l'Assurance chômage s'élevait à 25,7 milliards d'euros en 2015, elle devrait atteindre, selon les prévisions de l'Unedic en février dernier, 37,5 milliards d'euros en 2018 à réglementation inchangée, soit plus d'un an de recettes 241 ( * ) .

C'est pourquoi plusieurs responsables politiques plaident pour une reprise en main de l'Assurance-chômage par l'État.

Jeudi 16 juin 2016, à l'issue de huit séances de négociation, les partenaires sociaux ont constaté l' impossibilité de conclure une nouvelle convention d'assurance chômage, en raison notamment du refus des organisations patronales d'instaurer une taxation sur les contrats courts.

Le Gouvernement a adopté un décret le 29 juin 2016 242 ( * ) pour prolonger la convention du 14 mai 2014, qui arrivait à échéance le 30 juin 2016.

Le 28 mars 2017, les partenaires sociaux sont parvenus à conclure une nouvelle convention d'assurance chômage , qui prévoit notamment la suppression des cotisations sur les contrats courts en contrepartie de négociations de branches sur ces contrats et d'une contribution exceptionnelle temporaire de 0,05 % de la masse salariale à la charge des employeurs, applicable pour tous les contrats.

Le Gouvernement a agréé la nouvelle convention par un arrêté le 4 mai 2017 243 ( * ) .

Source : travaux de la mission d'information

D'autre part, la mission d'information ne mentionnera qu'à titre accessoire les problématiques liée au dialogue social dans les branches et les entreprises . Elle s'intéresse en effet à l' articulation procédurale entre la loi et la négociation collective, et non à leur articulation matérielle. Cette dernière a d'ailleurs été traitée par la loi « Travail », qui a prévu qu'une commission d'experts, non encore mise en place, propose une refondation du code du travail attribuant une place centrale à la négociation collective, en élargissant ses domaines de compétence et son champ d'action, dans le respect du domaine de la loi fixé par la Constitution 244 ( * ) . Un premier exemple de cette nouvelle architecture concerne la législation sur la durée du travail et les congés, qui repose désormais sur le triptyque : ordre public défini par la loi ; négociation collective accordant le primat à l'accord d'entreprise sur l'accord de branche ; dispositions supplétives prévues par la loi en cas d'absence d'accord 245 ( * ) . Ce triptyque pourrait prochainement s'appliquer aux conditions de travail et aux rémunérations, voire aux règles du licenciement économique.

La mission d'information n'a pas abordé la réforme de la fonction publique, car elle ne relève pas à proprement parler du paritarisme, ni les lois de financement de la sécurité sociale, qui ont fait l'objet d'une reprise en main par l'État depuis 1995.

Réfléchir à l' articulation entre la démocratie représentative et la démocratie paritaire d'une part, et, plus accessoirement, entre cette dernière et la démocratie participative d'autre part, tel est le double objectif que s'est assigné la mission d'information au cours de ses travaux.

2. Les différentes formes du dialogue social, reconnu par le Conseil constitutionnel
a) La reconnaissance par le Conseil constitutionnel du rôle des partenaires sociaux, limité par les prérogatives du législateur

Dès le premier article de la Constitution, il est indiqué que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

Or, le huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, partie intégrante du bloc de constitutionnalité, dispose, comme cela a été rappelé supra , que « tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ». Ce principe recouvre deux droits distincts : celui de la négociation collective et celui de la participation à la gestion des entreprises.

Comme le souligne M. Olivier Dutheillet de Lamothe, si la jurisprudence constitutionnelle relative au droit à la participation et à la gestion des entreprises est peu nourrie, celle portant sur la négociation collective est « ancienne, abondante » et a donné lieu « à une construction originale quant à l'articulation des différentes normes sociales entre elles » 246 ( * ) .

Dès 1977, le Conseil constitutionnel a considéré qu'en application de l'article 34 de la Constitution, il revenait au législateur de déterminer les conditions et les garanties de la mise en oeuvre du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 247 ( * ) .

Le législateur conserve la faculté de confier aux partenaires sociaux le soin de préciser, après concertation, les modalités concrètes de mise en oeuvre des normes qu'il fixe 248 ( * ) .

Dans sa décision du 29 avril 2004 249 ( * ) , le Conseil constitutionnel a présenté pour la première fois de manière consolidée sa jurisprudence sur les rapports entre la loi et la négociation collective , qui n'a pas été remise en cause depuis cette date 250 ( * ) .

Le Conseil Constitutionnel met aujourd'hui exactement sur le même plan le renvoi par la loi au pouvoir réglementaire ou à la négociation collective car il est « loisible au législateur de renvoyer au décret ou de confier à la convention collective le soin de préciser les modalités d'application des règles » qu'il fixe lui-même 251 ( * ) .

b) Des formes diverses d'association des partenaires sociaux lors de l'élaboration des normes relatives au droit du travail, à l'emploi et à la formation professionnelle

Les relations entre le législateur et le Gouvernement d'une part, et les partenaires sociaux d'autre part, sont à géométrie variable selon l'objet de la norme à modifier (droit du travail, à l'emploi et à la formation professionnelle). Le Gouvernement peut solliciter les organisations représentatives au niveau national, au niveau d'une ou plusieurs branches, ou encore au niveau d'un établissement public, comme le montre le tableau en annexe 252 ( * ) .

Le plus faible niveau d'association des partenaires sociaux est leur simple information .

Le Gouvernement peut également les consulter pour recueillir leur avis , qui n'est pas liant en général, soit directement, soit en sollicitant une structure dans laquelle ils sont présents.

Il peut aussi être amené à organiser une concertation entre eux, pour préparer une décision politique.

Par ailleurs, le législateur peut confier aux partenaires sociaux le soin de fixer des règles par la voie de la négociation sur un sujet et dans un délai précis, au-delà duquel il doit reprendre la main pour éviter tout risque d'incompétence négative censurée par le Conseil constitutionnel (voir supra ).

Enfin, les prérogatives des partenaires sociaux au niveau national sont majeures lorsqu'elles relèvent de l' article L. 1 du code du travail , qui instaure un dialogue social obligatoire avant tout projet de réforme portant sur le code du travail , les partenaires sociaux restant libres d'ouvrir une négociation.

Compte tenu de la singularité de cette nouvelle forme d'association des partenaires sociaux dans le droit français et en Europe, ainsi que de l'absence de bilan de l'article L. 1 depuis sa création en 2007, la mission d'information a souhaité concentrer ses travaux sur cet article 253 ( * ) . D'ailleurs, lors de son audition par la mission d'information, M. Jean-François Pilliard, ancien vice-président et président du pôle social du Mouvement des entreprisse de France (MEDEF), évoquant « l'évolution du paritarisme » et « l'équilibre entre démocratie sociale et démocratie politique », a indiqué avec raison que « la seule initiative » qui avait « réellement été prise » en ce domaine était celle de M. le Président du Sénat Gérard Larcher lorsqu'il a fait adopter l'article L. 1 en tant que ministre du travail 254 ( * ) .


* 235 Préambule de l'accord national interprofessionnel du 17 février 2012 relatif à la modernisation et au fonctionnement du paritarisme.

* 236 Audition du 11 janvier 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170109/mi_democratie.html .

* 237 « L'article L. 1 du code du travail au miroir des exigences de la démocratie sociale », Pierre-Yves Verkindt, Droit social, 2010, p. 519.

* 238 Ce rapport a étudié de très nombreuses problématiques du paritarisme comme la gestion de la sécurité sociale, les retraites complémentaires AGIRC-ARRCO, la prévoyance, Action Logement, la santé et la sécurité au travail, l'Association de gestion du fonds d'insertion des personnes handicapées, la justice prud'homale ou encore la formation professionnelle.

* 239 « Faut-il en finir avec le paritarisme ? », rapport de Jean-Charles Simon, Institut de l'entreprise, octobre 2016 et « Dernière chance pour le paritarisme de gestion », Institut Montaigne, mars 2017.

* 240 Art. L. 5422-20 à L. 5422-24 du code du travail.

* 241 Situation financière de l'Assurance-chômage, Prévision pour les années 2017 et 2018, 28 février 2017, p. 6.

* 242 Décret n° 2016-869 du 29 juin 2016 relatif au régime d'assurance chômage des travailleurs involontairement privés d'emploi.

* 243 Arrêté du 4 mai 2017 portant agrément de la convention du 14 avril 2017 relative à l'assurance chômage et de ses textes associés.

* 244 Art. 1 er de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

* 245 Art. 8 et 9 de cette même loi.

* 246 « Les normes constitutionnelles en matière sociale », Cahiers du Conseil constitutionnel n° 29, octobre 2010.

* 247 Décision n° 77-79 DC du 5 juillet 1977, Loi portant diverses dispositions en faveur de l'emploi des jeunes et complétant la loi n° 75-574 du 4 juillet 1975 tendant à la généralisation de la sécurité sociale (considérant n°3) : « Si le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, dispose en son huitième alinéa que "tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises", l'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical ; qu'ainsi c'est au législateur qu'il revient de déterminer, dans le respect des principes qui sont énoncés au huitième alinéa du Préambule, les conditions de leur mise en oeuvre ».

* 248 Décision n° 89-257 DC du 25 juillet 1989, Loi modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion, considérant n° 11.

* 249 Décision n° 2004-494 DC du 29 avril 2004, Loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, considérant n° 8.

* 250 Il est par principe « loisible au législateur, après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions et aux relations de travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser, notamment par la voie de la négociation collective, les modalités concrètes d'application des normes qu'il édicte ». En particulier, le législateur peut « laisser les partenaires sociaux déterminer, dans le cadre qu'il a défini, l'articulation entre les différentes conventions ou accords collectifs qu'ils concluent au niveau interprofessionnel, des branches professionnelles et des entreprises ». Toutefois, lorsqu'il autorise un « accord collectif à déroger à une règle qu'il a lui-même édictée et à laquelle il a entendu conférer un caractère d'ordre public, il doit définir de façon précise l'objet et les conditions de cette dérogation », sauf à encourir une censure du Conseil constitutionnel pour « incompétence négative », le législateur devant exercer la plénitude des missions qui lui sont conférées par la Constitution.

* 251 Décision n° 2007-556 DC du 16 août 2007, Loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, considérant n °7.

* 252 Cf. tableau à l'annexe X. Il ne mentionne pas, parmi les modalités d'association, les auditions menées par les rapporteurs d'un texte au Parlement, au cours desquelles les partenaires sociaux sont régulièrement conviés.

* 253 Ce faisant, la mission d'information examinera également les habilitations conférées par la loi aux partenaires sociaux pour négocier sur des sujets précis.

* 254 Cf. compte rendu de l'audition du 11 janvier 2017 : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170109/mi_democratie.html .

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