C. DES PERSPECTIVES DE SIMPLIFICATION POUR FAVORISER LA PARTICIPATION DES CITOYENS AUX PROJETS D'INFRASTRUCTURE ET SÉCURISER LES MAÎTRES D'OUVRAGE
Bien que conscients des limites des procédures en vigueur, les services de l'État, les élus locaux et les porteurs de projet privilégient une stabilisation du droit et l'évaluation, à moyen terme, de l'impact concret des quatre ordonnances de 2016 et de 2017.
Ce constat initial n'empêche pas, d'une part, d'envisager une évolution des pratiques et une unification des procédures à long terme et, d'autre part, de proposer quelques ajustements techniques à court terme.
1. L'évolution des pratiques : pour une maîtrise d'ouvrage forte et des outils participatifs plus accessibles
a) Une maîtrise d'ouvrage forte et épaulée par les services de l'État
La mission d'information observe une forte dilution des responsabilités lors de la conception et de la réalisation des infrastructures.
En l'état, il est difficile de déterminer les structures responsables de la bonne conduite d'un projet : le maître d'ouvrage - qui détermine le programme et le calendrier -, l'État et les collectivités territoriales - qui jouent un rôle clef dans l'instruction du dossier-, l'entreprise en charge des travaux, le gestionnaire de l'infrastructure, les financeurs...
Sur le terrain, les citoyens ne sont plus en mesure d'identifier leurs interlocuteurs , ce qui nuit sensiblement à la réussite des projets.
Parallèlement, les maîtrises d'ouvrage sont très hétérogènes : elles sont « parfois désarçonnées face à la complexité des projets » , certaines n'ayant « pas d'expérience ou très peu » 195 ( * ) .
Dans beaucoup de territoires, l'appui des services de l'État a été fragilisé et la mission d'ingénierie confiée à des cabinets de conseil privés qui sont rémunérés par les maîtres d'ouvrage. Comme le souligne M. Yves Verilhac, directeur général de la Ligue de protection des oiseaux, les moyens humains et financiers garantissant « les capacités d'intervention, d'analyse des dossiers et de contrôle de l'administration française de l'environnement » sont « sans cesse réduits » 196 ( * ) .
« L'État accompagnateur » et porteur de projet a laissé place à un « État contrôleur » , qui s'assure scrupuleusement du respect des procédures, sans suffisamment orienter les porteurs de projet dans le « labyrinthe administratif » précédemment décrit.
La transversalité des services de l'État demeure également insuffisante , ce qui complique la tâche des maîtres d'ouvrage. D'après un récent rapport d'inspection, « l'organisation de l'État en mode projet constitue une réalité encore diverse » 197 ( * ) et le nombre de services concernés reste important 198 ( * ) . Concrètement, « un certain nombre de services déconcentrés [...] ne s'inscrivent pas dans une organisation en mode projet et ont des difficultés à apporter pleinement leur contribution dans les délais [...], ce qui est de nature à désorganiser l'action coordonnée de l'État pour la bonne fin des dossiers » 199 ( * ) .
La mise en oeuvre de l'autorisation environnementale unique à compter du 1 er mars 2017 constitue, en ce sens, une opportunité à saisir : elle contraint les services de l'État à davantage se coordonner pour respecter le délai d'instruction fixé à neuf mois par l'ordonnance précitée n° 2017-80 du 26 janvier 2017.
Face à ces difficultés les maîtrises d'ouvrage doivent être renforcées , notamment en diffusant parmi elles une véritable culture de la participation (Cf. infra) .
La mission d'information soutient, en outre, le recours à des législations ad hoc permettant de prendre en compte les caractéristiques propres aux projets les plus stratégiques et de donner des compétences spécifiques aux collectivités territoriales ou à l'État.
L'exemple du Grand Paris Express démontre, en effet, l'efficacité de ce type de dispositifs : créée par la loi du 3 juin 2010 200 ( * ) , la Société du Grand Paris est aujourd'hui un maître d'ouvrage clairement identifié et bénéficiant de compétences spécifiques pour mener à bien ce projet ferroviaire de plus de 22 milliards d'euros.
L'exemple d'une maîtrise d'ouvrage forte : la Société du Grand Paris Le projet du Grand Paris Express vise à créer 200 kilomètres de nouvelles lignes de métro , 68 gares interconnectées et 6 sites de maintenance en Île-de-France. Sa mise en service sera échelonnée entre 2022 et 2030. Cette opération implique l'évacuation de 43 millions de tonnes de déblais, l'intervention parallèle de 25 tunneliers et l'acquisition de 15 000 parcelles. La loi précitée du 3 juin 2010 a créé un régime juridique propre pour ce « projet urbain, social et économique d'intérêt national » , notamment au regard de « l'importance fonctionnelle et politique du futur schéma de transport pour la région capitale » et de « l'ampleur des investissements et des financements à mobiliser » 201 ( * ) . La maîtrise d'ouvrage a été confiée à un établissement public ad hoc , la Société du Grand Paris , qui compte aujourd'hui 260 équivalents temps plein et est dotée de compétences exorbitantes du droit commun . À titre d'exemple, la Société du Grand Paris réalise des opérations d'aménagement ou de construction dans le périmètre des gares, recourt plus facilement à des marchés publics globaux et exploite directement des réseaux de communications électroniques 202 ( * ) . Dans la même logique, la loi du 3 juin 2010 a institué un mode de financement spécifique au Grand Paris Express en créant une nouvelle taxe d'équipement spécialement affectée à la Société du Grand Paris 203 ( * ) . Enfin, le législateur a apporté des solutions concrètes aux difficultés rencontrées pendant l'opération . À titre d'exemple, il a prévu l'établissement de servitudes en tréfonds pour éviter les procédures plus complexes d'expropriation 204 ( * ) ainsi qu'une « validation législative » pour prévenir tout recours contre les ruptures de charge en gare de Saint-Denis Pleyel 205 ( * ) . Source : travaux de la mission d'information, d'après ses auditions et le droit en vigueur |
Dans le même esprit, les Danois ont recours à des législations spécifiques pour la construction d'infrastructures, comme le démontrent les exemples du tunnel immergé Danemark-Allemagne et la création de cinquante nouvelles gares de métro à Copenhague 206 ( * ) .
L'État doit également repenser son appui aux maîtres d'ouvrage . En parallèle des problématiques liées aux moyens financiers et humains des services déconcentrés, le rapport d'inspection précité propose la mise en oeuvre de deux mesures 207 ( * ) :
- généraliser les échanges préalables entre la maîtrise d'ouvrage , d'une part, et les services de l'État , d'autre part ;
- désigner, au sein de l'administration préfectorale, un « chef de projet légitime vis-à-vis de l'ensemble des acteurs » , qui serait à la fois l'interlocuteur unique du maître d'ouvrage et le coordinateur des services instructeurs.
Une maîtrise d'ouvrage forte suppose, enfin, d'établir un dialogue constant avec les élus locaux , sur lesquels « la mobilisation du public et le partage du diagnostic reposent en grande partie » selon Mme Estelle Salou, directrice adjointe au sein de la direction juridique de RTE 208 ( * ) .
Dans l'exemple du Grand Paris Express, une cellule des relations territoriales, directement rattachée au président du directoire, est spécialement chargée d'échanger avec les élus locaux sur le projet en lui-même et sur ses conséquences pour les collectivités territoriales. La mission d'information a pu constater l'efficacité de cette coopération lors de son déplacement à la gare de Clamart (Hauts-de-Seine) le 7 mars 2017.
b) Le renforcement de la culture de la participation
Les maîtres d'ouvrage, comme les citoyens, doivent encore s'approprier les dispositifs participatifs prévus par le droit en vigueur.
Comme l'écrit notre collègue Alain Richard, « accepter la conflictualité comme un symptôme de divergences est l'un des axes du changement souhaitable des pratiques » 209 ( * ) . La consultation du public n'est pas susceptible de lever toutes les oppositions observées contre une infrastructure , notamment au regard des intérêts personnels lésés. Elle permet, toutefois, d'identifier les principaux points de blocage, de les traiter le plus en amont possible et d'éviter la cristallisation des tensions ainsi que l'agrégation d'oppositions au projet.
Ces procédures de concertation ne réussissent, par ailleurs, qu'en faisant un retour aux participants : sans faire droit à toutes les demandes, il paraît essentiel de répondre aux questions posées par le public et d'expliquer les choix opérés par la maîtrise d'ouvrage entre les différentes alternatives possibles.
La mission d'information recommande, en ce sens, d' ajouter des modules « organisation et gestion de la participation du public » dans les formations d'ingénieurs et de cadres administratifs .
Il s'agit, ensuite, de développer une véritable pédagogie de la participation . Publiée en octobre 2016 par le ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer, la charte de la participation du public constitue une première étape. Elle permet de structurer la consultation des citoyens autour de quatre axes : un cadre clair (définition de l'objet du débat et des modalités de la réédition de comptes), un esprit constructif (acceptation des divergences et loyauté des participants), une recherche de la mobilisation de tous (inclusion de toutes les parties prenantes et égalité entre tous les participants) et un encouragement au pouvoir d'initiative des citoyens (examen des projets alternatifs et des demandes de contre-expertises).
De même, établir un véritable diagnostic partagé au sujet d'un projet d'infrastructure nécessite de diversifier les outils de la participation en développant, en parallèle des réunions publiques, des instruments plus innovants comme les ateliers participatifs, les « débats mobiles » dans les gares ou les centres commerciaux, les rencontres en entreprise, les consultations en ligne, etc.
D'ores et déjà entamée par la CNDP, cette démarche de « panachage » des outils participatifs rejoint d'ailleurs les préconisations de la mission d'information concernant, plus largement, le renforcement de la concertation dans la prise de décision publique.
La diversification des outils du débat
public :
Ce projet vise à créer une ligne de métro entre le nord-ouest (Colomiers) et le sud-est (Labège) de l'agglomération toulousaine . D'une longueur de 28 kilomètres et d'un coût prévisionnel de 1,7 milliard d'euros, cette ligne aura pour objectif d'accueillir 200 000 voyageurs quotidiens à compter de 2024. Un débat public a été mené par la CNDP du 12 septembre au 17 décembre 2016. Comme le souligne le président de la commission nationale, Christian Leyrit, « seulement quatre réunions publiques ont été organisées : il en faut notamment pour le lancement du débat public, la conclusion et la restitution d'une étude. Ces réunions publiques sont utiles mais, quand il y a 500 ou 800 personnes, tout le monde ne peut pas s'exprimer de la même manière. Cela devient une tribune pour les leaders d'opinion » 211 ( * ) . En complément, la CNDP a eu recours à d' autres moyens d'expression comme : - 16 « débats mobiles » ayant donné lieu à 357 contributions écrites ; - 6 rencontres en entreprise, auxquelles ont participé 275 salariés ; - 4 rencontres à l'université et 26 auditions publiques d'experts ; - l'ouverture d'un site internet (21 226 visiteurs, 315 questions), de comptes Twitter (836 abonnés) et Facebook (475 mentions « j'aime » ). Pour la première fois lors d'un débat public, un « dialogue 3 D » a été organisé. Ainsi, 81 personnes ont été recrutées avec l'aide d'un institut de sondage. Issues de trois zones géographiques plus ou moins éloignées de la future ligne de métro, elles ont pu donner leur avis sur le projet. Après une présentation par le maître d'ouvrage et un débat global sur l'infrastructure, les participants ont rempli un questionnaire relatif aux principaux objectifs du projet (réduction des embouteillages, lutte contre l'étalement urbain, desserte de l'aéroport, etc.). Conformément au droit en vigueur, la CNDP ne s'est pas prononcée sur le fond du dossier. À l'issue du débat public, elle s'est bornée à formuler cinq recommandations d'ordre méthodologique : partager le portage politique du projet, bien articuler les concertations à venir, prolonger la dynamique de participation, libérer des données importantes et étudier les alternatives à travers la mise en place d'un conseil scientifique. Source : travaux de la mission d'information, d'après la CNDP |
La mission d'information appelle, enfin, à rendre plus accessibles les informations délivrées au public . Pour reprendre les mots de notre collègue Alain Richard, il s'agit de « développer des canaux d'information grand public sur les projets en cours, permettant de sortir le dialogue participatif du cercle restreint où il se déroule trop souvent » 212 ( * ) .
À titre d'exemple, le
contenu du
dossier
d'enquête publique
- précisé
à l'article R. 123-8 du code de l'environnement - devrait
être
simplifié
et l'insertion d'un
résumé non technique
généralisée, afin de rappeler le sens du projet aux
participants
213
(
*
)
.
De même, un site internet unique pourrait être créé, comme dans l'exemple canadien 214 ( * ) , pour regrouper en open data le calendrier et les principaux documents des procédures de participation (cadre et bilan du débat public, étude d'impact environnementale, dossier d'enquête publique, etc.).
À partir de ce site, une application informatique pourrait également permettre d'informer les citoyens de l'organisation d'une procédure de participation à proximité de leur domicile.
Proposition n° 5 : Renforcer les maîtrises d'ouvrage, y compris par un accompagnement repensé de l'État et des cadres juridiques ad hoc , et consolider la culture de la participation en matière d'infrastructure, notamment en simplifiant les documents soumis à concertation et en les rendant accessibles en open data. |
2. Une évolution de long terme : envisager une procédure continue de consultation du public sous l'égide d'un garant
La majorité des personnes entendues en audition déplore la complexité et l'empilement des procédures de consultation du public. Pourtant, comme indiqué précédemment, peu proposent des simplifications d'ordre structurel ou un changement de modèle , principalement car ils attendent, à ce stade, une stabilisation du droit applicable. À titre d'exemple, l'enquête publique, dont la suppression a été débattue par la commission présidée par notre collègue Alain Richard, est considérée comme une procédure « bien identifiée par le public, (...) un véritable outil d'information et de recueil d'opinions » 215 ( * ) .
À long terme, la mission d'information propose d' envisager , pour les projets entrant dans le champ de la CNDP, une procédure continue couvrant toutes les phases du projet et regroupant les séquences en vigueur (débat public, concertation, enquête publique, expropriation).
La mission d'information rejoint ainsi le professeur émérite Yves Jegouzo, selon lequel « la multiplicité des instances qui interviennent dans ces processus [...] conduit [...] à se demander si un travail d'unification des procédures ne donnerait pas plus de lisibilité et d'efficacité à la participation du public » 216 ( * ) .
Concrètement, un garant serait désigné par la Commission nationale du débat public (CNDP) dès le début du projet de conception et de réalisation d'une infrastructure.
Ce garant organiserait les procédures visant à analyser l'opportunité du projet (le débat public ou la concertation « code de l'environnement », puis les dispositifs plus légers de post-débat public ou de post-concertation). Il serait ensuite chargé de veiller à l'examen des modalités de réalisation de l'ouvrage et de ses conséquences sur les riverains (enquêtes publiques environnementales ou relatives aux expropriations, participation du public par voie électronique, etc.).
Le garant se bornerait à garantir le bon déroulement de ces consultations et ne prendrait pas position sur le fond du dossier , comme le prévoit l'actuel article L. 121-1-1 du code de l'environnement.
S'il modifierait substantiellement les procédures en vigueur, ce continuum dans les démarches de participation du public présenterait trois avantages .
En premier lieu, il simplifierait les procédures, le garant assurant la cohérence de l'ensemble des débats : les risques de confusions entre les étapes amont (examen de l'opportunité du projet) et aval (examen de ses modalités de réalisation) seraient réduits, tout comme la nécessité de demander plusieurs fois un même document aux porteurs de projet. À l'heure actuelle, les enquêtes publiques se transforment souvent en « second round » de concertation du public, voire en « procédure d'appel » de la concertation, ce qui ne correspond pourtant pas à leurs objectifs.
En pratique, l'orientation proposée par votre mission d'information permettrait de supprimer toute rupture entre la phase amont, actuellement supervisée par la CNDP, et la phase aval, dont une partie seulement (les enquêtes publiques) relève des commissaires-enquêteurs.
Cet effort de simplification bénéficierait aux maîtres d'ouvrage, mais aussi aux citoyens, le garant pouvant les orienter à toutes les étapes du projet. Il faciliterait également la création d'un site internet unique regroupant le calendrier et les documents des procédures de participation 217 ( * ) .
En deuxième lieu, ce continuum permettrait de mieux gérer les « temps faibles » de la participation du public . En effet, en l'état du droit, un délai important peut séparer la phase amont de la phase aval. À titre d'exemple, pour le Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO) 218 ( * ) , « il existe un long moment à l'issue de la concertation et de l'enquête publique, durant lequel nous n'occupons pas le terrain. L'enjeu consiste aussi à gérer ces temps faibles » , comme l'indique François Tainturier, directeur du design du réseau à SNCF réseau 219 ( * ) .
En dernier lieu, l'évolution de long terme proposée par la mission d'information permettrait de clarifier la responsabilité de chacun des acteurs .
Les fonctions de garants semblent particulièrement adaptées à cet objectif : tout en étant aussi neutres et impartiaux que les commissaires-enquêteurs, les garants se bornent à veiller à la bonne tenue et à l'exhaustivité du dialogue entre le porteur de projet et le public. En effet, comme le rappelle la CNDP, « le rôle du garant n'est ni celui d'un arbitre ni celui d'un conciliateur. C'est celui d'un observateur vigilant, chargé de veiller au respect des règles de la concertation [...]. Il assure le relais entre les parties et permet à la parole de chacun de trouver à s'exprimer » 220 ( * ) . Le garant émet des recommandations sur le déroulement de la consultation mais ne donne pas un avis favorable ou défavorable sur le fond du dossier.
À l'issue de ce dialogue, chaque acteur serait en mesure de prendre ses responsabilités : le maître d'ouvrage - qui adapte son projet en fonction des observations du public -, l'État et les collectivités territoriales - qui accordent ou non les autorisations administratives et d'urbanisme -, et le juge administratif - qui valide, suspend ou annule les projets illégaux. Les droits des personnes expropriées devraient également être préservés dans cette nouvelle procédure de concertation et leur accès au juge de l'expropriation serait bien entendu maintenu.
Les actuels commissaires-enquêteurs , dont votre rapporteur salue l'engagement, ne seraient pas exclus de cette nouvelle configuration : ils disposent de toutes les compétences requises pour être désignés garants par la CNDP .
Votre rapporteur constate, d'ailleurs, qu'un tel mouvement de convergence vers la figure du garant a déjà débuté :
- plus de 40 % des personnes qui se sont portées candidates pour intégrer la liste nationale des garants établie par la CNDP sont des commissaires-enquêteurs ;
- l'article L. 123-4 du code de l'environnement permet au garant d'une concertation préalable d'être ensuite désigné commissaire-enquêteur sur un même projet 221 ( * ) .
L'orientation proposée par votre mission d'information permettrait, enfin, de préserver les commissaires-enquêteurs dont le travail et les avis sont, aujourd'hui, trop souvent instrumentalisés par les personnes en faveur du projet ou les opposants.
Créer un continuum dans les procédures de participation du public constituerait ainsi l'aboutissement d'un processus de simplification partiellement engagé par les quatre ordonnances sur la démocratie environnementale de 2016 et 2017.
Proposition n° 6 : Envisager, à long terme, la création d'une procédure continue de consultation du public, couvrant toutes les phases du projet d'infrastructure et placée sous l'égide d'un garant désigné par la Commission nationale du débat public. |
3. Les évolutions de court terme : des simplifications juridiques souhaitables
La mission d'information propose, enfin, quatre évolutions plus techniques qui pourraient être envisagées dès la ratification des ordonnances précitées de réforme de la démocratie environnementale.
Il s'agirait, tout d'abord, de mieux articuler la concertation « code de l'environnement » , d'une part, et la concertation « code de l'urbanisme » , d'autre part, pour éviter le cumul de ces deux procédures à l'occasion d'un même projet.
À titre d'exemple, le droit en vigueur 222 ( * ) dispense les porteurs de projet de concertation « code de l'environnement » lorsque la tenue d'une concertation « code de l'urbanisme » est obligatoire (zones d'aménagement concerté, opérations de renouvellement urbain, etc.) 223 ( * ) . À l'inverse, les maîtres d'ouvrage ne bénéficient pas de cette dispense lorsqu'ils prennent l'initiative, sur la base du volontariat, d'organiser une concertation « code de l'urbanisme » 224 ( * ) .
Cette concertation volontaire prévue par le code de l'urbanisme comporte, cependant, de nombreuses garanties concernant la participation du public :
- elle n'est applicable qu'en présence d'un document d'urbanisme, lui-même soumis à enquête publique, et nécessite l'accord de l'autorité compétente pour instruire le permis de construire ;
- les documents sont mis à la disposition du public « dans des conditions lui permettant d'en prendre connaissance et de formuler des observations ou propositions » ( article L. 300-2 du code de l'urbanisme) et un bilan de la concertation est établi à son issue ;
- le juge administratif veille, en toute hypothèse, au respect du principe de participation du public.
La concertation « code de l'urbanisme » présente donc des garanties comparables à la concertation « code de l'environnement » même si elle n'appelle pas d'intervention de la CNDP.
Dans ces conditions, la dispense de concertation « code de l'environnement » pourrait être étendue aux opérations où le maître d'ouvrage prend l'initiative d'organiser une concertation « code de l'urbanisme » facultative . Les projets les plus importants resteraient néanmoins soumis à un débat public, procédure de consultation plus exigeante que les concertations.
De même, certains membres de la mission d'information appellent à une meilleure articulation entre, non seulement, le code de l'urbanisme et le code de l'environnement, mais également avec le code du patrimoine lorsque celui-ci est concerné.
La mission d'information recommande, en outre, de recentrer l'enquête publique , qui serait supprimée pour les documents d'urbanisme et les schémas supra-départementaux tels que le schéma de cohérence territoriale (SCoT) et le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) 225 ( * ) .
Dans la même logique, les efforts de modernisation des enquêtes publiques doivent être poursuivis , notamment en appliquant aux enquêtes prévues par le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique les simplifications mises en oeuvre depuis la loi Grenelle II du 12 juillet 2010 (dématérialisation des procédures, possibilité d'organiser des réunions d'information, etc.).
La durée minimale des enquêtes publiques pourrait également être réduite de 30 à 15 jours lorsqu'une concertation « code de l'environnement » ou « code de l'urbanisme » a été organisée en amont , même en présence d'une étude d'impact environnementale 226 ( * ) .
La mission d'information soutient, par ailleurs, l'autorisation environnementale unique , dispositif regroupant en un même dossier onze procédures jusque-là distinctes et incitant à renforcer la transversalité des services déconcentrés de l'État (Cf. supra) .
Un assouplissement de ce dispositif pourrait toutefois être envisagé , en particulier pour les infrastructures linéaires telles que les voies ferrées ou les lignes électriques.
À titre d'exemple, les porteurs de projet pourraient être autorisés à solliciter des autorisations sectorielles ( « loi sur l'eau », défrichement, protection des espèces protégées, etc.) lorsque cela leur semble plus adapté au calendrier de l'opération .
Concrètement, cette souplesse permettrait de débuter le défrichement (autorisation sectorielle instruite en quelques semaines par les préfectures) avant la délivrance de l'autorisation environnementale unique (procédure dont l'instruction doit théoriquement durer neuf mois). Un tel assouplissement s'est d'ailleurs révélé nécessaire lors de l'expérimentation de l'autorisation environnementale unique 227 ( * ) .
Parallèlement, les possibilités de modification des autorisations environnementales uniques devraient être précisées, pour ne pas contraindre les maîtres d'ouvrage à constituer un nouveau dossier en cas d'évolution du projet ou de ses incidences environnementales.
En l'état du droit, une nouvelle autorisation doit être sollicitée pour « toute modification substantielle du projet » 228 ( * ) , sans que cette notion n'ait été précisée par le pouvoir règlementaire. Or, au stade de l'autorisation environnementale unique, « le tracé (de l'infrastructure linéaire) envisagé pour le projet est générique ; il est impossible de détecter la nécessité d'une éventuelle dérogation à la législation relative aux espèces protégées » selon Mme Estelle Salou, directrice adjointe au sein de la direction juridique de Réseau de transport d'électricité (RTE) 229 ( * ) . Les possibilités de régularisation de l'autorisation doivent donc être précisées, notamment si la présence d'une espèce protégée est constatée durant le chantier. Dans le cas contraire, les procédures risquent d'être alourdies et fragilisées sur le plan contentieux.
En dernier lieu, la mission d'information recommande de mieux organiser le droit au recours pour sécuriser les projets d'infrastructure et faciliter leur financement . Il s'agirait ainsi de poursuivre les efforts réalisés depuis les travaux de la commission présidée par Daniel Labetoulle, conseiller d'État, en 2013 tout en s'inscrivant dans la logique du groupe de travail « Simplification législative du droit de l'urbanisme, de la construction et des sols » du Sénat.
La rationalisation du contentieux : les efforts déjà réalisés La rationalisation du contentieux a d'abord concerné le droit de l'urbanisme . Issue des travaux de la commission Labetoulle, l'ordonnance du 18 juillet 2013 230 ( * ) a notamment prévu : - la limitation de l'intérêt à agir aux personnes dont le bien est « directement affecté » par une opération d'urbanisme ; - la possibilité pour le juge de demander la régularisation d'un permis de construire dans un délai qu'il détermine ; - l'attribution de dommages et intérêts si le recours est mis en oeuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis. Certaines mesures concernent, plus largement, l'ensemble du droit administratif , ce qui inclut le droit de l'urbanisme mais aussi le droit de l'environnement : - en vertu de la jurisprudence Danthony de 2011, les vices de forme qui ne sont pas susceptibles d'influencer le sens de la décision prise par l'administration ne constituent plus une source d'annulation contentieuse 231 ( * ) . Dans la même logique, le juge administratif a élargi les possibilités de régularisation des actes illégaux : à titre d'exemple, il a laissé quatre mois à la commune de Mandres-en-Barrois (Meuse) pour régulariser la procédure de signature d'une convention relative au centre d'enfouissement des déchets nucléaires de Bure 232 ( * ) ; - les recours abusifs sont punis d'une amende pouvant aller jusqu'à 10 000 euros (article R. 741-12 du code de justice administrative) ; - le juge administratif peut « cristalliser les moyens » en fixant une date à compter de laquelle les parties ne peuvent plus invoquer de nouveaux moyens. Le juge peut, enfin, constater le désistement d'un requérant si ce dernier ne produit pas un mémoire récapitulatif dans les délais impartis (articles R. 611-7-1 et R. 611-8-1 du même code). Source : travaux de la mission d'information |
L'alignement intégral des règles contentieuses du droit de l'environnement et du droit de l'urbanisme ne semble pas envisageable. Comme le rappelle M. Philippe Martin, président de la section des travaux publics du Conseil d'État, « en matière d'urbanisme, des mesures ont été prises pour limiter les recours liés à des chantages de voisinage [...]. En matière d'environnement, c'est plus compliqué [...]. Il y a des intérêts environnementaux protégés et je ne vois guère comment l'on pourrait empêcher des citoyens ou des associations agréées de contester l'équilibre entre l'intérêt d'un ouvrage et la nécessaire protection de l'environnement » .
De manière pragmatique, la mission d'information propose de :
- s'inspirer de l'article L. 121-22 du code de l'environnement afin de prévoir un délai limite de quatre mois pour contester d'éventuels vices de forme dans les concertations « code de l'urbanisme » ;
- reprendre l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme pour reconnaître, au niveau législatif, la possibilité pour le juge administratif de demander la régularisation d'une décision « code de l'environnement » dans un délai qu'il déterminerait.
La réduction des délais de jugement pourrait, enfin, se traduire par la reconnaissance de la compétence directe des cours administratives d'appel pour les infrastructures ayant fait l'objet d'un débat public ou d'une concertation préalable .
Cette proposition - qui aurait pour effet de réduire le délai d'instruction des contentieux de vingt-et-un mois 233 ( * ) en supprimant le passage devant le tribunal administratif - permettrait de compenser le renforcement des procédures de participation en phase amont . Inspirée de mesures déjà mises en oeuvre dans d'autres secteurs du droit 234 ( * ) , elle ne priverait pas les requérants d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'État.
Proposition n° 7 : Simplifier, à court terme, les procédures applicables à la création d'infrastructures en : - coordonnant davantage le droit de l'environnement et le droit de l'urbanisme ; - recentrant l'enquête publique et en poursuivant sa modernisation ; - assouplissant le régime de l'autorisation environnementale unique ; - organisant mieux le droit au recours. |
* 195 Audition du 8 mars 2017, intervention de Mme Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable (CGDD). Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170306/mi_democratie.html .
* 196 Contribution écrite transmise à la mission d'information le lundi 27 mars 2017.
* 197 « Évaluation des expérimentations de simplification en faveur des entreprises dans le domaine environnemental » , décembre 2015, p. 6.
* 198 Directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), direction régionale des affaires culturelles (DRAC), direction départementale des territoires (DDT), missions inter-services de l'eau et de la nature, conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST), conseil national de la protection de la nature, etc.
* 199 « Évaluation des expérimentations de simplification en faveur des entreprises dans le domaine environnemental » , op.cit. , p. 6 et 59.
* 200 Loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris.
* 201 Rapport n° 366 (2009-2010) fait par M. Jean-Pierre Fourcade, au nom de la commission spéciale du Sénat sur le projet de loi relatif au Grand Paris, p. 29.
* 202 Articles 7 et 17 de la loi précitée n° 2010-597 du 3 juin 2010.
* 203 Article 1609 G du code général des impôts.
* 204 Article 52 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
* 205 Article 57 de la loi n° 2017-257 du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain.
* 206 Exemples examinés par la mission d'information lors de son déplacement au Danemark les 30 et 31 mars 2017. Cf. également les annexes VIII et IX pour des comparaisons internationales.
* 207 « Évaluation des expérimentations de simplification en faveur des entreprises dans le domaine environnemental » , op. cit ., p. 25 et 61.
* 208 Audition conjointe des entreprises du mercredi 8 mars 2017, intervention de Mme Estelle Salou, directrice adjointe au sein de la direction juridique de RTE. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170306/mi_democratie.html#toc4 .
* 209 « Démocratie environnementale : débattre et décider » , op.cit. , p. 10.
* 210 Les chiffres mentionnés dans cet encadré sont issus du bilan du débat public organisé pour ce projet et publié le 16 février 2017 par la CNDP.
* 211 Audition du 22 février 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170220/mi_democratie.html#toc6 .
* 212 « Démocratie environnementale : débattre et décider » , op.cit. , p. 15 .
* 213 Alors, qu'en l'état du droit, le résumé non technique se limite à synthétiser l'étude d'impact environnementale, document qui ne constitue qu'une partie du dossier d'enquête.
* 214 Au Canada, les consultations en cours sont disponibles sur le « registre canadien d'évaluation environnementale » et, plus précisément, à l'adresse suivante : www.ceaa-acee.gc.ca .
* 215 Audition du 22 février 2017, intervention de Mme Brigitte Chalopin, présidente de la compagnie nationale des commissaires-enquêteurs. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170220/mi_democratie.html .
* 216 « La démocratie participative en question » , op. cit .
* 217 Site dont la création est souhaitée par la mission d'information (Cf. supra).
* 218 Le GPSO regroupe deux projets de ligne à grande vitesse entre Bordeaux et Toulouse, d'une part, et entre Bordeaux et l'Espagne, d'autre part. Il a été déclaré d'utilité publique le 4 janvier 2016.
* 219 Compte rendu de l'audition conjointe des entreprises du mercredi 8 mars 2017.
* 220 Commission nationale du débat public, rapport annuel 2015, p. 72.
* 221 Cette disposition du code de l'environnement apparaît toutefois moins complète que le continuum proposé par la mission d'information car elle nécessite, pour une personne donnée, d'être inscrite à la fois sur la liste d'aptitude des garants et sur celles des commissaires-enquêteurs. De même, la disposition en vigueur ne concerne pas les débats publics et ne permet pas de couvrir le délai pouvant s'écouler entre la phase amont de participation du public et la phase aval .
* 222 Article L. 121-15-1 du code de l'environnement.
* 223 Obligation prévue à l'article L. 103-2 du code de l'urbanisme.
* 224 Concertation facultative prévue à l'article L. 300-2 du code de l'urbanisme.
* 225 Enquêtes publiques prévues par les actuels articles L. 143-22 du code de l'urbanisme et L. 4251-6 du code général des collectivités territoriales.
* 226 Sur un plan technique, l'actuel article L. 123-9 du code de l'environnement fixe la durée minimale de l'enquête publique à 30 jours. Cette durée est toutefois réduite à 15 jours en l'absence d'étude d'impact. La proposition de la mission d'information consiste à étendre ce « délai réduit » aux opérations faisant l'objet d'une étude d'impact et d'une concertation préalable du public.
* 227 Article 56 de la loi n° 2017-257 du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain, qui concerne principalement le Grand Paris Express comme l'a indiqué notre collègue Mathieu Darnaud (rapport n° 82 (2016-2017) fait au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi relatif au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain).
* 228 Actuel article L. 181-14 du code de l'environnement.
* 229 Audition conjointe des entreprises du mercredi 8 mars 2017, intervention de Mme Estelle Salou, directrice adjointe au sein de la direction juridique de RTE Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170306/mi_democratie.html#toc4 .
* 230 Ordonnance n° 2013-638 relative au contentieux de l'urbanisme.
* 231 Conseil d'État, Ass., 23 décembre 2011, n° 335033.
* 232 Tribunal administratif de Nancy, 28 février 2017, affaire n° 1503615.
* 233 Soit le délai constaté en 2015 dans le jugement, par les tribunaux administratifs, des affaires ordinaires (source : Rapport public 2016 du Conseil d'État, p. 61).
* 234 Les cours administratives d'appel étant, à titre d'exemple, directement compétentes pour les litiges relatifs au permis de construire tenant lieu d'autorisation d'exploitation commerciale (article L. 600-10 du code de l'urbanisme).