DEUXIÈME PARTIE : QUELLES DOIVENT ÊTRE LES MISSIONS DE LA PSYCHIATRIE DES MINEURS ?
L'apparition d'une éventuelle pathologie mentale se manifeste souvent d'abord par un trouble du comportement. Celui-ci est susceptible d'être perçu par une pluralité d'acteurs, qu'il s'agisse de la famille bien sûr mais aussi de l'école, des intervenants dans le cadre des activités extra-scolaires ou des professionnels de santé.
Cette situation génère nécessairement une inquiétude forte de l'entourage immédiat du mineur. S'ouvre une période au cours de laquelle tous vont devoir franchir plusieurs étapes, de l'éventuelle orientation vers un professionnel de santé à l'établissement d'un diagnostic. Les intervenants sont confrontés au caractère incertain et évolutif des troubles. Les familles ont d'autant plus besoin d'être accompagnées qu'elles doivent faire face à leur propre inquiétude et au fait que les professionnels de santé ne peuvent pas apporter de réponse immédiate et évidente. La pathologie mentale revêt un caractère plus insaisissable qu'un dysfonctionnement organique ou une infection. Les parents, et plus largement l'entourage familial, peuvent se sentir plus directement mis en cause et développer un sentiment de culpabilité.
Une fois un diagnostic posé, les familles peuvent se trouver confrontées à un double sentiment de sidération si c'est une pathologie grave qui leur est annoncée et d'espoir face à une proposition de prise en charge. La multiplicité des dispositifs de diagnostic et de prise en charge n'est pas de nature à faciliter le fait pour les familles de s'orienter.
Dans ce contexte, la manière dont sont pris en charge les mineurs, de la première réponse au trouble jusqu'à la prise en charge sanitaire, est encore très tributaire des circonstances locales et personnelles. Pour décrire l'entrée dans le parcours de soins, certaines personnes auditionnées ont ainsi pu affirmer à la mission d'information qu'elle relevait plus du hasard que de la stricte cohérence .
Par ailleurs, le défaut de proposition thérapeutique concrète immédiatement après le diagnostic a été à plusieurs reprises dénoncé. Si l'établissement du diagnostic et les informations communiquées sur les solutions possibles suscitent des espoirs, l'absence d'accès à un dispositif de prise en charge a nécessairement des effets délétères .
De l'avis général, il paraît donc d'autant plus important d'assurer un meilleur accompagnement des familles pour qu'elles sachent où s'adresser. Cela passe par la mise à disposition d'une information d'ensemble claire et objective sur les démarches à effectuer et les personnes ou structures à contacter.
Proposition n°4 : Mieux accompagner les familles dans l'information et l'orientation, dès la détection du trouble et jusqu'à sa prise en charge, en particulier par la mise à disposition d'une information synthétique et pratique. |
I. PRÉVENIR, REPÉRER ET DÉPISTER AVEC LES AUTRES ACTEURS
La nécessité d'un diagnostic le plus précoce possible des pathologies mentales est inscrite dans les circulaires ministérielles relatives à la psychiatrie depuis les années 1960. Il faut donc être en mesure de connaître et repérer les signes d'appel d'un trouble psychique afin de prévenir le développement éventuel d'une pathologie mentale. Au constat de l'existence d'un trouble doit succéder un dépistage qui déterminera s'il y a lieu ou non de consulter un spécialiste.
La réalisation de cette mission implique de s'adapter aux différents âges, aux capacités d'expression et au contexte de la vie sociale dans lequel évolue le mineur. Plus on intervient tôt, moins les signes sont spécifiques. Il faut prendre au sérieux toute expression d'un mal-être, quels que soient l'âge et le mode d'expression de l'enfant, lequel n'est souvent pas en mesure de demander des soins. Enfin, selon le contexte où il se trouve, notamment l'école ou la famille, le mineur peut ou non présenter des signes.
En tout état de cause, aux côtés des familles, les signes d'appel précoces doivent être connus et repérés par les professionnels qui interviennent dans le champ de la petite enfance jusqu'à l'adolescence, lesquels sont donc potentiellement nombreux. Cela suppose que chacun d'entre eux, notamment les travailleurs sociaux, dispose d'une formation minimale en psychopathologie du développement et en psychologie de l'enfant et de l'adolescent.
Le travail de prévention, de repérage et de dépistage associe nécessairement les familles dans une approche qui mobilise l'ensemble des intervenants.
A. TRAVAILLER AVEC LES FAMILLES DANS UNE APPROCHE PLURIDISCIPLINAIRE
1. Le soutien à la parentalité dès la périnatalité et au-delà
a) Soigner la relation parent-enfant
La prévention de l'apparition de troubles psychiatriques doit intervenir dès la périnatalité, c'est-à-dire dès l'accompagnement des futurs parents.
Lorsqu'elle concerne l'enfant à naître, le nourrisson ou le très jeune enfant, la pédopsychiatrie a été décrite à la mission d'information comme étant souvent une thérapie de la relation entre les deux éléments d'une « dyade », qu'il s'agisse de la mère et de l'enfant, du père et de l'enfant ou de la relation entre ce dernier et une personne qui l'élève. En dehors des cas où l'enfant peut être malade, il s'agit d'un besoin de prise en charge de la relation elle-même . En d'autres termes, c'est la relation qui est malade mais pas l'enfant. Ainsi que l'a indiqué le Pr Jacques Dayan, « on n'est pas forcément en présence d'un malade tout en ayant un trouble des interactions » 42 ( * ) .
Parmi les professionnels auditionnés par la mission d'information, plusieurs ont insisté sur la nécessité de développer la détection et la prise en charge de la dépression maternelle.
Plus généralement, quelle que soit la figure d'attachement, il s'agit de réunir les conditions favorables à l'établissement de liens affectifs propices au développement psychique de l'enfant. Déterminer les besoins des parents dans ce domaine est l'un des objectifs poursuivis par l'entretien facultatif dit « du quatrième » mois de grossesse. Prévu à l'article L. 2122-1 du code de la santé publique, il s'agit d'« un entretien prénatal précoce dont l'objet est de permettre au professionnel d'évaluer avec [la future mère] ses besoins en termes d'accompagnement au cours de la grossesse ». Il peut être réalisé par un médecin ou une sage-femme, le plus souvent dans un service de protection maternelle et infantile (PMI).
Dix ans après son introduction, l'entretien du quatrième mois conserve tout son intérêt comme moyen de soutien à la parentalité à un stade précoce. Deux difficultés doivent cependant être prises en compte. D'une part, cet entretien n'est pas systématique et sa réalisation se heurte parfois au manque de moyens. D'autre part, il paraît nécessaire que les professionnels qui réalisent cet entretien soient suffisamment bien formés aux questions de santé mentale. Le risque a été évoqué que la priorité accordée au repérage de la maltraitance n'aboutisse à une stigmatisation des mères.
Lors de son audition par la mission d'information, le Dr Colette Bauby, médecin au centre de PMI de Gennevilliers, a ainsi indiqué que « cet examen est très important mais doit être conduit dans le respect des parents par les sages-femmes. Il ne faut pas forcément dévier tout de suite vers la protection de l'enfance. Un tel état d'esprit prévaut depuis plusieurs années. » 43 ( * )
A l'inverse, il a également été souligné que les négligences touchent beaucoup d'enfants et entraînent des atteintes graves de leur développement (déficiences multiples) ainsi que des troubles de l'attachement majeur. On sait notamment que les comportements de maltraitance, dont les violences physiques et sexuelles, ont potentiellement des conséquences psychiatriques et doivent être prévenus. Comme l'a rappelé Mme Véronique Gasté, 96 % des personnes victimes de violences sexuelles quand elles étaient mineures en subissent les conséquences sur leur santé mentale 44 ( * ) .
Le développement de la psychiatrie périnatale comme partie intégrante de la psychiatrie des mineurs doit être poursuivi. Son apport doit être pris en compte dans l'ensemble des dispositifs permettant de contribuer au soutien à la parentalité .
Proposition n°5 : Mieux prendre en compte l'importance du soutien à la parentalité dès la périnatalité, en s'appuyant notamment sur l'entretien prénatal précoce. |
b) Le travail avec les familles est
consubstantiel à la psychiatrie
des mineurs
Au-delà de la périnatalité, les professionnels estiment nécessaire à la prise en charge de l'enfant de prendre en compte également, au moins au début, sa famille sans que cela ne préjuge d'un lien existant entre celle-ci et la pathologie. Le travail avec les familles est en effet consubstantiel à la psychiatrie des mineurs.
Certains médecins insistent sur l'importance de prendre en charge l'enfant dans le cadre d'une thérapie familiale. Le Dr Lacour-Gonay a ainsi indiqué : « il s'agit de quelque chose auquel je tiens et auquel je crois profondément depuis que je m'occupe d'adolescents. C'est aujourd'hui le coeur de mon métier car il ne sert à rien de soigner un enfant ou un adolescent si on ne prend pas en charge sa famille ou les changements qui doivent s'opérer dans cette famille et qu'on ne le considère pas comme ressource essentielle de ces changements. » 45 ( * )
Dans ce cadre, les professionnels se voient obligés de prendre en compte la multiplicité des figures familiales jouant un rôle dans la vie de l'enfant. Selon les témoignages reçus par la mission d'information, il peut par exemple arriver qu'ils reçoivent trois pères lors d'une même consultation, le père biologique, le père qui a élevé l'enfant et le père du moment qui constitue famille avec l'adolescent plus âgé. Une mère biologique peut également être reçue avec une mère de famille d'accueil. Ainsi que l'affirme le Dr Lacour-Gonay, « je travaille toujours avec les deux car il ne s'agit pas de choisir l'une plutôt que l'autre. Chacun a quelque chose à dire et il important d'écouter tout le monde. » 46 ( * )
De façon générale, les mutations sociales affectent les familles et ainsi les conditions de prise en charge. Les nouvelles formes familiales sont parfois associées à une montée de l'isolement. Par ailleurs, une précarité sociale plus grande est ressentie par les soignants. Le Pr Philippe Raynaud souligne « qu'en 20 ans, la précarité s'est installée, nous voyons arriver des familles totalement démunies tant sur le plan social que financier et culturel » 47 ( * ) .
2. L'évaluation pluridisciplinaire des situations et le partage d'outils de repérage communs
Afin que la prévention soit efficace, elle doit s'appuyer sur la coopération des différents acteurs du repérage et du dépistage. Plus l'enfant avance en âge, plus le nombre d'institutions appelées à le prendre en charge augmente (scolarisation, activités culturelles et sportives extra-scolaires, contact avec différents professionnels de santé...). Chacun de ces acteurs est susceptible de percevoir, à l'occasion de son interaction avec le mineur, un trouble, un mal-être ou un signe possible d'expression de celui-ci. Il faut donc que tous soient en mesure d'échanger leurs points de vue et de donner l'alerte de manière adéquate.
Les évaluations réunissant plusieurs professionnels, en particulier dans les services de PMI, peuvent permettre de déterminer si une situation nécessite une orientation vers le soin. Plus les institutions susceptibles de s'intéresser à la situation de l'enfant sont nombreuses et segmentées, moins les évaluations pluridisciplinaires associant des représentants de chacune d'entre elles peuvent naturellement se mettre en place.
Même si des réunions pluridisciplinaires ne sont pas toujours possibles, il faut, comme l'ont indiqué plusieurs personnes auditionnées par la mission d'information, que les différents acteurs disposent d'un langage et d'un socle de connaissances communs ainsi que d'outils partagés . Ces connaissances peuvent s'acquérir dans le cadre de formations communes.
Le ministère de la santé a indiqué à la mission d'information s'être saisi de ce sujet puisque la direction générale de la santé (DGS) a mis en place en novembre 2016 un groupe de travail dédié aux outils de repérage.
Il apparaît en effet nécessaire d'assurer la diffusion la plus large possible d'instruments communs auprès des professionnels concernés , en particulier dans le cadre scolaire (psychologues, infirmiers, médecins) et dans les services de PMI (psychologues, infirmiers, sages-femmes, travailleurs sociaux).
Proposition n°6 : Améliorer la diffusion des outils de repérage auprès des professionnels de première ligne, en particulier les psychologues et les infirmiers scolaires ainsi que les professionnels des services de protection maternelle et infantile (PMI). |
* 42 Audition du mercredi 25 janvier 2017.
* 43 Audition du mercredi 25 janvier 2017.
* 44 Audition du mercredi 25 janvier 2017.
* 45 Audition du mercredi 18 janvier 2017.
* 46 Audition du mercredi 18 janvier 2017.
* 47 Audition du mardi 24 janvier 2017.