PREMIÈRE PARTIE : QUELS SONT LES BESOINS ?

La psychiatrie, en particulier celle des mineurs, est une discipline par nature poreuse aux questions sociétales et à leur évolution. Elle fait aujourd'hui l'objet de multiples sollicitations. Face aux maux qui touchent la jeunesse et aux difficultés pour les institutions, notamment le cadre éducatif, d'y répondre, certains considèrent que l'on demande de nos jours à la psychiatrie d'apporter des réponses y compris sur des sujets qui ne sont finalement pas de son ressort. Le syndicat des psychiatres d'exercice public (SPEP) fait état d'une tendance à exiger d'elle de « nommer comme pathologie ce qui est au départ un écart à une norme ou une souffrance sociale » 9 ( * ) . Confrontée à des demandes de plus en plus nombreuses, la psychiatrie des mineurs fait également face à des attentes accrues de la part de la société.

Il faudrait pouvoir éviter de disperser les ressources trop rares de la pédopsychiatrie sur des sujets qui n'appellent pas de prise en charge psychiatrique. Le Pr Viviane Kovess-Masfety précise ainsi qu'il « est important de faire cette distinction entre des maladies mentales ayant des conséquences importantes sur le développement, et des symptômes passagers. Je ne dis pas que rien ne doit être fait pour ces symptômes passagers, mais il n'est pas certain que ce soit la psychiatrie qui doive intervenir » 10 ( * ) .

Cependant en pratique, dès lors qu'une souffrance s'exprime, les soignants ne sont pas en mesure de faire la part, a priori, entre des demandes qui seraient légitimes et d'autres qui ne le seraient pas. Plusieurs professionnels auditionnés ont considéré que les besoins de plus en plus nombreux qui semblent s'exprimer au sein de la société s'imposent à eux. Il ne s'agit pas de psychiatriser à tout-va la souffrance psychique mais au contraire de distinguer par une expertise a minima ce qui relèverait de la prise en charge psychiatrique. Cette expertise a minima suppose une appréciation de la souffrance psychique afin de distinguer la souffrance non pathologique de la souffrance pathologique.

Même si les soignants répondent le mieux possible à l'ensemble des demandes qui leur sont adressées, la mission d'information a été frappée par le manque de connaissances épidémiologiques relatives à la santé mentale des mineurs. L'enjeu est de répondre de la manière la plus adéquate aux besoins.

I. UN CONTEXTE QUI FAIT EMERGER DES BESOINS NOUVEAUX

Avec la prise en compte de la santé mentale de la population comme un enjeu de santé publique, le regard de nos concitoyens sur la psychiatrie a évolué et tend pour partie à banaliser le recours à ces soins. Son rôle n'est plus d'intervenir aux marges de la société ; il est désormais admis que chacun puisse avoir à y recourir à un moment dans sa vie.

Les attentes quant à l'efficacité de la prise en charge sont d'autant plus grandes que la société entend mieux intégrer les personnes en souffrance mentale.

A. LA NÉCESSITÉ AUJOURD'HUI PLEINEMENT ADMISE D'INTERVENIR AU STADE LE PLUS PRÉCOCE POSSIBLE

1. Un simple mal-être peut traduire un trouble

Le repérage et la prise en charge précoces sont des priorités unanimement partagées et tout aussi anciennes que fondées s'agissant particulièrement de la psychiatrie des mineurs.

S'il n'existe pas de déterminisme avéré en matière de pathologies mentales, les professionnels ont insisté sur l'existence d'une continuité possible entre la présence d'un simple mal-être et l'apparition ultérieure d'un trouble psychiatrique. Certains âges de la vie, notamment l'adolescence, sont propices à l'apparition de situations de mal-être souvent passagères. Au-delà d'une certaine durée et intensité, le risque existe cependant que le mal-être ne devienne pathologique, surtout s'il n'est pas pris en charge ou s'il l'est de manière inadéquate. En particulier, on sait que des troubles rencontrés au cours de la petite enfance peuvent ré-émerger au cours de l'adolescence, de la vie adulte ou de périodes de rupture.

Dès lors, la question se pose de savoir comment mettre en oeuvre précocement des méthodes permettant de distinguer entre la pathologie psychiatrique déjà constituée et la simple souffrance, qui peut néanmoins devenir chronique. Compte tenu des liens qui peuvent exister entre l'expression d'un mal-être et l'apparition d'un trouble pathologique, le Pr Marie-Rose Moro insiste sur la nécessité de répondre à toutes les situations : « Lorsqu'on travaille avec les enfants et les adolescents, on ne peut faire le tri entre les cas les plus graves et les moins graves car il existe une continuité » 11 ( * ) . Dans ce contexte, il faut insister sur l'attention qui doit être accordée à la parole des mineurs, en particulier celle des jeunes enfants .

2. De nouvelles expressions de mal-être et de troubles à prendre en compte

La psychiatrie des mineurs est sollicitée sur de nouveaux sujets car la société évolue. La rapidité de ces évolutions, les incertitudes sur l'avenir de nos sociétés et un climat à certains égards anxiogène génèrent des inquiétudes voire des besoins nouveaux.

Dans le seul cadre scolaire, les sujets à prendre en compte sont très divers : troubles des apprentissages, phobies scolaires, phénomènes de harcèlement, radicalisation ou encore violences psychologiques par l'intermédiaire des nouveaux moyens de communication. Les dernières enquêtes disponibles font apparaître qu'en France les élèves souffrent davantage qu'à l'étranger de plaintes somatiques et anxio-dépressives 12 ( * ) .

Comme l'indique le rapport du Pr Marie-Rose Moro et de M. Jean-Louis Brison : « certains de ces besoins, apparemment nouveaux, peuvent correspondre à des phénomènes anciens. Ils ont prospéré longtemps dans l'espace scolaire sans poser de réels problèmes et surtout sans que l'on pense, un seul instant, qu'ils pouvaient être des causes ou des conséquences de mal-être intenses ».

La hausse des demandes adressées à la pédopsychiatrie n'est pas nécessairement liée à une hausse de la prévalence des maladies. Les motifs de l'augmentation de ces sollicitations semblent multiples. La mission d'information n'a cependant pas eu connaissance de travaux permettant d'acquérir une vision plus fine et étayée des causes de ce phénomène.


* 9 Contribution adressée à la mission d'information.

* 10 Audition du mardi 17 janvier 2017.

* 11 Audition du mardi 10 janvier 2017.

* 12 Rapport de la mission « Bien-être et santé des jeunes », novembre 2016.

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