DÉPLACEMENTS DE LA MISSION D'INFORMATION
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Déplacement dans les Bouches-du-Rhône (28 février et 1 er mars 2017) |
Une délégation de la mission d'information s'est rendue dans les Bouches-du-Rhône les 28 février et 1er mars afin de rencontrer les différents acteurs du repérage et de la prise en charge psychiatrique des mineurs.
Deux tables rondes ont été organisées.
La première sur la prise en charge sanitaire et médico-sociale rassemblait :
- Dr Guillaume Bronsard, directeur de la maison des adolescents et du CMPP ;
- Pr Hervé Castanet, directeur du centre psychanalytique de consultations et traitement de Marseille-Aubagne ;
- Dr Pierre Taudou, médecin-conseil au rectorat d'Aix Marseille ;
- Dr Evelyne Falip, médecin inspecteur à l'ARS PACA ;
- M. Pascal Daniel chef de service pôle enfants de la MDPH ;
- Mme Mélanie Sanchez, directrice des maisons de l'enfance et de la famille.
La seconde relative au lien entre la Justice et à la psychiatrie des mineurs a permis d'entendre :
- Mme Agnès Simon, directeur adjoint de la direction de l'enfance et de la famille du conseil départemental des Bouches-du-Rhône ;
- Dr Patricia Suter, pédopsychiatre à la direction inter-régionale de la protection judiciaire de la jeunesse Paca-Corse ;
- Mme Sabrina Nechadi, substitut du procureur à Draguignan ;
- Mme Michèle Guidi, directrice interrégionale DIRPJJ Sud-Est ;
- Mme Sophie Bondil, directrice de la prison pour mineurs la Valentine.
A l'occasion de la première table ronde
Le Dr Falip a notamment indiqué que la pédopsychiatrie n'est pas monolithique, qu'elle s'organise en fonction des différents âges et qu'il serait légitime que la prise en charge ne s'arrête pas à 16 ans mais aille jusqu'à la majorité,voire au-delà, sous certaines conditions. Il faut présenter une offre adaptée à chaque âge et assurer continuité de la prise en charge.
Il convient également de prendre en charge tout l'environnement de l'enfant : la famille (parents et fratrie) et les institutions. Il faut également prendre en compte la question des comorbidités qui est surtout présente chez les adolescents.
Pour les enfants de 2 à 6 ans, il importe de mettre en place des partenariats précoces avec le secteur médico-social, s'agissant surtout de la prise en charge des troubles autistiques.
Pour les adolescents, le premier enjeu est de les faire adhérer aux soins. D'où la nécessité d'avoir des points d'entrée bien identifiés par eux sur le territoire (points d'écoute jeunes et maisons des adolescents).
En région PACA, en 2014, 50 % des enfants qui sont entrés en hospitalisation en psychiatrie l'ont fait par les urgences (souvent avec un état de décompensation et avec des troubles du comportement). La moitié d'entre eux vont ensuite en pédiatrie. Tous ont eu un contact avec le soin antérieurement (ce n'est donc pas un problème de prise en charge tardive). C'est souvent les soins reçus n'ont plus été suffisants pour répondre à la souffrance.
Il faut pouvoir mobiliser des équipes spécialisées aux urgences pour répondre correctement aux adolescents.
L'articulation entre pédopsychiatrie et pédiatrie est essentielle. Les enfants qui ont des troubles psychiques et qui sont accueillis en pédiatrie, sont souvent ceux qui ont fait une tentative de suicide ou qui ont un problème d'addiction. L'objectif de cet accueil est de ne pas trop psychiatriser la prise en charge.
Il faut renforcer la liaison de la pédopsychiatrie avec les services de pédiatrie et d'urgence pédiatrique.
S'agissant des GHT, il n'existe dans la région qu'un seul exemple de GHT psychiatrique, celui du Vaucluse. Les GHT mixtes sont de nature à améliorer les relations entre services de MCO et services de psychiatrie. Par ailleurs, il n'est pas toujours vrai que dans les établissements mixtes la psychiatrie abonde le budget de la MCO.
Dans le cadre de l'enveloppe budgétaire fermée, les mesures d'économie sont plus importantes que les mesures nouvelles, donc les budgets baissent.
La question du manque de lits en pédopsychiatrie doit être analysée département par département car les situations sont contrastées. Elle est un exemple des inégalités territoriales de prise en charge.
De plus, le parcours de soins n'est pas fluide : s'agissant de l'offre ambulatoire, les CMP demandent plusieurs mois d'attente, parfois jusqu'à 9, pour un rendez-vous. De plus, les consultations sont espacées et n'ont donc pas l'intensité suffisante pour accompagner correctement l'enfant.
Il y a ensuite des difficultés pour sortir l'enfant de l'hôpital car le système est embolisé ; il n'existe notamment pas de places en hôpital de jour, ni en CMP et les établissements médico-sociaux comme les IME sont engorgés ou ne veulent pas accueillir le jeune car la place a été prise par un autre ou que son cas est considéré comme difficile. Un travail avec la famille est nécessaire (s'agissant notamment des retours les week-ends et pendant les vacances).
Certaines places à l'hôpital sont également prises par des enfants qui n'ont pas réellement leur place en psychiatrie mais souffrent de troubles « frontière ».
Il faut plutôt accompagner la dynamique de virage ambulatoire ce qui nécessite plus de travail en réseau. Ainsi, il est préférable de développer la liaison ville-hôpital avec des équipes mobiles plutôt que de créer des lits. Cela coûte moins cher de faire de la liaison et c'est moins stigmatisant pour les mineurs.
Pour répondre au déficit dans les Bouches-du-Rhône, 8 lits ont été créés mais ce sont des structures coûteuses en raison du fort taux d'encadrement. L'enjeu actuel est de fluidifier l'accès au CMP et de développer la liaison entre l'hôpital et les structures médico-sociales.
L'ARS PACA a bénéficié de la mise à disposition d'un chercheur de l'Irdes à mi-temps pour travailler sur les données relatives à la pédopsychiatrie. On a pu constater que des enfants de 10 ou 11 ans présentent des troubles qui relèvent de l'adolescence. Il est cependant difficile d'hospitaliser ces enfants avec des adolescents plus âgés.
Le PMSI ne permet pas d'avoir une vision précise des parcours de soins. On ne peut pas suivre le parcours de l'enfant pris en charge dans un CMP de secteur avant d'être hospitalisé. Il faudrait un meilleur investissement pour exploiter les données afin de mieux connaître ces parcours.
Il faut également se pencher sur la question des thérapies familiales qui nécessitent une compétence particulière.
Les travaux d'audit effectués dans la région ont mis en évidence l'importance de l'environnement familial, surtout s'il est perturbé. Dans le cadre de l'audit régional, 70 % des enfants pris en charge en pédopsychiatrie étaient issus de familles monoparentales alors qu'en population générale la même proportion vit avec ses deux parents. Par ailleurs, 45 % des enfants avaient un membre de leur fratrie qui présentait également des troubles. Il est donc important d'agir dès la naissance sur la construction des liens de parentalité lorsqu'on a identifié une difficulté.
Enfin, la situation des mineurs placés en chambre d'isolement en raison du manque de places qui les contraint à les hospitaliser dans un service psychiatrique pour adulte a été dénoncée comme indigne.
Le Pr Hervé Castanet a souligné la nécessité d'interroger les concepts couramment utilisés en psychiatrie.
Il a présenté le centre psychanalytique de consultation et traitement de Marseille Aubagne (CPCT) qui, fort d'une expérience de 10 ans, accueille des mineurs dès la naissance soit environ 1 000 personnes par an et 120 consultations par semaine.
La prise en charge est entièrement assurée par des bénévoles.
La structure est investie d'une mission tant en matière de clinique que de recherche.
Le CPCT est complémentaire des structures de soins qui existent par ailleurs et ne reçoit pas les cas les plus complexes. Elle assure surtout une fonction sociale d'écoute et oriente les patients ailleurs si la structure n'est pas adaptée.
Ces structures existent dans à peu près dans toutes les grandes villes universitaires.
Enfin, le Pr Castanet a mis en garde contre les effets délétères d'une médicalisation excessive du champ scolaire sans pour autant nier l'existence de troubles.
Le Dr Guillaume Bronsard considère qu'en 20 ans, les choses ont évolué plutôt positivement. Le grand changement est la demande des parents mais aussi des partenaires publics (Ecole, ASE, PJJ), avec une demande de psychiatrisation. C'est surtout l'inquiétude des parents qui a augmenté.
Au cours d'un même après-midi, on peut avoir des consultations très graves comme certaines qui concernent des cas très superficiels. D'où l'importance d'être au début dans un accueil général. Le rôle du psychiatre est aussi d'écouter et de dire non.
Les délais d'accès à une consultation sont un peu induits par l'immensité de la demande et moins par le manque de moyens. On ne peut pas faire un tri a priori car de nombreux paramètres entrent en jeu, ce qui rend la régulation difficile. Mais une fois un premier accueil réalisé, il faut pouvoir faire un tri. Les maisons des adolescents pourraient jouer ce rôle.
L'élargissement considérable des diagnostics, notamment par les généralistes, est extrêmement défavorable aux cas les plus complexes.
S'agissant des cas complexes, il faut relever que le partenariat entre institutions, notamment avec l'ASE, est d'abord interpersonnel et que la difficulté dans la gestion d'un cas est de nature à détruire ces liens.
Les foyers de l'enfance connaissent une difficulté particulière car le principe est l'absence de sélection à l'entrée et l'impossibilité d'exclure alors que les Itep et la PJJ n'ont pas d'obligation d'accueil. Il est donc parfois impossible de réorienter certains jeunes.
Il faut également renforcer le lien entre la pédopsychiatrie et la psychiatrie adulte car il est souvent nécessaire de connaître la situation des parents, avec le cas particulier des enfants de parents atteints de pathologies mentales.
Le Dr Pierre Taudou a constaté que la première consultation en pédopsychiatrie a lieu assez rapidement en cas de demande de rendez-vous par un professionnel de l'éducation nationale.
Dans l'académie, il existe 70 postes de médecins scolaires titulaires mais 13 postes sont vacants. Des postes de contractuels ont été pourvus ce qui donne plus de capacité d'adaptation.
La réforme des psychologues scolaires a été relancée grâce au rapport Moro-Brison. Dans une démarche de santé mentale, il a souligné l'intérêt de l'expérimentation du remboursement de consultations par des psychologues en libéral. Malgré ses sollicitations, l'ARS PACA a préféré investir dans les MDA plutôt que se lancer dans l'expérimentation du dispositif.
M. Pascal Daniel a rappelé que les Bouches-du-Rhône sont le deuxième département après le Nord en nombre de décisions rendues par la MDPH (25 000 par an).
Sur 3 200 enfants relevant de l'ASE, 800 sont porteurs d'un handicap.
Le handicap et les populations ont changé : dans 80 % des cas traités par la MDPH, il s'agit de familles monoparentales. De plus en plus de familles monoparentales ont plusieurs enfants handicapés.
En l'espace de trois ans, la MDPH a eu à connaître 70 situations critiques. Il s'agit majoritairement de cas d'autisme et un profil type peut-être défini. Le profil type est celui d'un jeune adolescent de 13-14 ans issu d'une famille monoparentale pour lequel ni l'hôpital de jour, ni l'ULIS ne sont plus capables de faire face.
On constate le caractère devenu inadapté de l'offre médico-sociale par rapport aux besoins, qu'il s'agisse du taux d'encadrement, de la formation des personnels, ou du niveau du prix de journée. Pour assurer la scolarisation en milieu ordinaire, l'Education nationale a créé massivement des ULIS à un rythme soutenu. Il aurait fallu que le médico-social puisse se développer à la même vitesse en mettant en place des SESSAD. Or la mise en place du plan autisme a bouleversé les priorités. Il conviendrait de remettre à plat l'ensemble des établissements existants, puis d'adapter l'offre s'agissant notamment des IME. Certains IME qui accueillaient des déficients légers ont un taux d'encadrement d'un pour huit alors que le taux d'encadrement nécessaire pour l'accueil d'enfants atteints de troubles autistiques est de un pour deux.
Les IME sont ouverts 220 jours par an et il n'y a plus d'internat ouvert le week-end. Les enfants sont donc envoyés en foyer. Un établissement IME a une liste d'attente de 240 enfants.
Par ailleurs, la tendance est de considérer tout enfant en difficulté scolaire comme atteint d'un Dys, le nombre de dossier traités est passé de 4 500 2 600.
Il y a également une explosion des demandes de tiers temps à l'Éducation nationale.
Mme Mélanie Sanchez a indiqué que le foyer de l'enfance prend en charge les jeunes de 3 à 18 ans. Il n'y a pas de sélection à l'entrée. Le foyer a vocation à accueillir les enfants qui ont un besoin de placement à un instant T. Il existe 212 places. En 2016 1 000 enfants au total. Un nombre non négligeable d'entre eux souffre d'un handicap. Il convient de relever que le handicap psychiatrique ne se décèle pas immédiatement.
Environ un quart à un tiers des d'enfants accueillis en permanence dans le foyer de l'enfance souffrent de troubles psychiatriques. Plus généralement le défenseur des enfants estime que 70 % des cas complexes sont accueillis en foyer de l'enfance.
Dans les Bouches-du-Rhône, le partenariat est très peu formalisé et beaucoup lié aux relations inter-personnelles mais le foyer travaille avec la MDA et le CMPP.
A l'occasion de la seconde table ronde
Mme Michèle Guidi a rappelé que la protection judiciaire de la jeunesse exerce des mesures privatives ou attentatoires à la liberté dans le cadre de décisions prises par le pouvoir judiciaire. Elle s'appuie sur un corps de psychologues qui est aujourd'hui titulaire et sur un partenariat ancien avec les secteurs de psychiatrie infanto-juvénile.
La PJJ a créé un poste de médecin-conseil psychiatre au niveau national et un poste à mi-temps dans chaque direction régionale pour favoriser l'articulation avec le secteur sanitaire.
Le Dr Suter a souligné les difficultés que pose la participation aux actions de la PJJ pour les psychiatres hospitaliers qui perdent une partie de leur rémunération.
Certains des jeunes pris en charge dans le cadre de la PJJ présentent des troubles qui mettent à mal l'ensemble des professionnels. Le travail effectué ces dernières années a consisté à essayer de trouver des solutions pour des enfants dont personne ne veut.
La PJJ dispose de centres éducatifs fermés dont certains sont renforcés en santé mentale.
Le Dr Suter a indiqué qu'il existe une approche clinique de la délinquance qui fait d'ailleurs l'objet d'un enseignement.
Les CEF disposent de 1 à 1,3 postes de psychiatre. Pour la PJJ, toute la région PACA Corse ne dispose que d'1,7 ETP.
La prise en charge psychiatrique dépend donc de la bonne volonté des équipes. Dans ce contexte le passage aux urgences marque l'échec du système de soins.
Mme Agnès Simon a souligné le problème de trouver l'offre correspondant aux besoins en particulier des familles d'accueil pour des enfants de plus en plus en difficulté dès l'âge de 5 ou 6 ans.
Il est intéressant de « protocoliser » les rapports entre le département et la PJJ comme cela a été fait dans le Vaucluse.
La question de la sortie du dispositif de protection de l'enfance à 18 ans se pose également dans la mesure notamment où il est de plus en plus difficile de prévoir des contrats jeune majeur jusqu'à 21 ans.
Se pose par ailleurs la question de la formation des éducateurs spécialisés qui ne sont pas préparés à accompagner les jeunes atteints de troubles psychiatriques.
Elle a indiqué que tous les enfants placés n'accèdent pas à une consultation spécialisée à leur arrivée (qu'elle soit faite par un psychiatre ou un psychologue). Il y a cependant systématiquement un bilan médical.
Il arrive souvent que le foyer soit la solution ultime alors que cela n'est pas forcement légitime.
Mme Sabrina Nechadi a confirmé que dans un CEF renforcé en santé mentale comme celui de Brignoles tous les mineurs ont une consultation avec le psychiatre à leur arrivée. Mais le dispositif repose beaucoup sur les personnes.
Pour les mesures de placement provisoire (OPP) en urgence le problème est celui de trouver un établissement adapté il revient souvent à l'ASE de mettre en oeuvre les prescriptions sanitaires.
Elle a indiqué que les juges pour enfants de Draguignan ont mis en place une politique délibérée de dialogue et de visite avec les structures de prise en charge.
Mme Sophie Bondil a indiqué que la prison pour mineurs de la Valentine a un effectif moyen de 51 mineurs en 2016. La durée moyenne de détention est de 85 jours. 29 % des incarcérations le sont en lien avec une affaire de stupéfiants. 85 % des mineurs incarcérés souffrent de fortes addictions (85 % des mineurs). 25 % des incarcérations sont motivées par une atteinte aux personnes ou violences.
Le nombre de mineurs non accompagnés a connu une augmentation : ils sont 11 sur 50 aujourd'hui contre 17,8 % en 2007. Leurs parcours sont chaotiques, marqués par de forts traumatismes.
On observe un fort pourcentage de violences en détention. En 2016, on a recensé 23 violences exercées contre le personnel, 98 entre détenus, soit plus que l'année précédente. Ces chiffres sont très largement au-dessus des objectifs fixés au niveau national.
On observe également une hausse des comportements d'automutilations, dont une partie relève du chantage émotionnel mais qui relèvent surtout de problèmes psychiatriques.
Tout mineur entrant est vu par le personnel de direction, un officier de l'administration pénitentiaire, un surveillant-éducateur de la PJJ et l'unité sanitaire, c'est-à-dire un infirmier qui peut l'orienter vers un médecin, notamment psychiatre. Les moyens sont très restreints et les mineurs sont souvent extraits en urgence vers l'hôpital.
Déplacement à Lille (7 mars 2017) |
Une délégation de la mission d'information s'est rendue à Lille le 7 mars 2017 afin de s'entretenir avec les personnels de la clinique Lautréamont située à Loos-les-Lille et de conduire une série d'entretiens thématiques au sein du service de l'Établissement public de santé mentale Lille-Métropole, désigné Centre collaborateur de l'Organisation mondiale de la santé pour la recherche et la formation en santé mentale (CCOMS).
Visite et entretiens à la clinique Lautréamont de Loos-les-Lille (59)
Accueillie par M. Patrick de Saint-Jacob, directeur de la division « Psychiatrie » du groupe Orpea-Clinea, la délégation a visité les installations de la clinique, logée sur un ancien site industriel textile.
Une discussion s'est ensuite déroulée pour préciser l'insertion de la clinique dans le contexte de la prise en charge psychiatrique des mineurs, à laquelle ont participé :
- M. Patrick de Saint-Jacob, directeur de la division « Psychiatrie » du groupe Orpea-Clinea ;
- M. Yannick Mazier, directeur régional du groupe Orpea-Clinea ;
- M. Vincent Masetti, médecin coordinateur psychiatre national des cliniques- du groupe Orpea-Clinea ;
M. Frédéric Kochman, médecin coordinateur psychiatre à la clinique Lautréamont ;
- Mme Emmanuelle Clément, responsable juridique des tutelles.
La clinique propose différents types de prises en charge :
- 15 places d'hospitalisation de jour pour les 13-25 ans ;
- 5 places d'hospitalisation de nuit pour les 16-25 ans ;
- une hospitalisation à temps complet, avec 30 places pour les 16-25 ans et 10 places pour les 8-15 ans.
Autour de quatre psychiatres et de deux pédopsychiatres, les équipes de la clinique regroupent des infirmiers, des psychologues, une psychomotricienne, une art-thérapeute, un professeur d'activités physiques adaptées, un éducateur spécialisé, une diététicienne, et plusieurs animateurs. Un bilan somatique de chaque patient est effectué lors de son admission.
Les psychiatres exerçant à la clinique Lautréamont peuvent poursuivre leurs activités de recherche au Centre hospitalier régional universitaire de Lille ; des internes sont également accueillis au sein de la structure. En outre, la clinique a développé avec la faculté de Lille un diplôme universitaire d'infirmier psychiatrique, afin de compléter la formation du personnel soignant.
Le docteur Kochman a présenté les récentes innovations thérapeutiques mises en oeuvre au sein de la clinique, notamment un casque de réalité virtuelle permettant d'agir sur la stimulation du cerveau des jeunes patients, conjuguant soins et aspect ludique.
M. Patrick de Saint-Jacob et Mme Emmanuelle Clément ont ensuite précisé les modalités de tarification et les conditions dans lesquelles le prix de journée est déterminé. En particulier, les différences de négociation selon les Agences régionales de santé (ARS) conduisent à une offre de soins disparate selon les territoires.
Conférences et entretiens au Centre collaborateur de l'Organisation mondiale de la santé pour la recherche et la formation en santé mentale (CCOMS)
La délégation a été accueillie par Deborah Sebbane. Trois séries de conférences, suivies d'échanges de vues, ont été organisées :
- La réforme belge de l'organisation de la psychiatrie a été présentée par le Dr Bernard Jacob, psychiatre ayant conduit la réforme et conseiller auprès du ministre de la santé ;
- Le travail en collaboration entre secteurs de psychiatrie adulte, pédopsychiatrie et Éducation nationale a été exposé par le Dr Laurent Defromont et le Dr Francis Moreau ;
- L'expérience des équipes mobiles de crise en pédopsychiatrie a été précisée par le Dr Vincent Garcin, chef du pôle de psychiatrie publique pour enfants, adolescents et famille à l'EPSM Lille-Métropole et M. Robert Joignant, cadre supérieur de santé.
Présentation générale du CCOMS et de ses missions
Service de l'EPSM Lille-Métropole, le CCOMS est l'un des 46 centres collaborateurs de l'OMS dans le monde spécialisé en santé mentale, et le seul en France. Il constitue depuis le 1 er janvier 2017 le centre national de ressources et d'appui des 170 conseils locaux de santé mentale. Regroupant des hôpitaux, des centres de recherche et des universités qui participent à la définition de son programme d'action, le CCOMS se compose notamment d'un Conseil scientifique consultatif.
Sa désignation comme centre collaborateur a été reconduite par l'OMS pour quatre ans en 2014, autour des quatre axes suivants :
- Le développement et la promotion des services de psychiatrie intégrés et communautaires, au travers des conseils locaux de santé mentale, instances locales de concertation entre acteurs de la santé mentale - élus, associations d'usagers et familles, professionnels de la santé et du social ;
- Le renforcement du rôle des usagers et des aidants ;
- L'amélioration des systèmes d'information et des connaissances en santé mentale ;
- La promotion de la santé physique pour les personnes vivant avec des troubles psychiques, afin de lutter contre la comorbidité.
Ensuite, les spécificités de la psychiatrie sont soulignées, articulées autour de trois points majeurs :
- la question du seuil à partir duquel le soin doit intervenir demeure posée en psychiatrie, dans la mesure où les indicateurs de pathologie ne sont pas les mêmes que pour les pathologies somatiques. Par conséquent, l'interrogation ne doit pas tant porter sur l'épidémiologie mais sur le besoin de soin psychiatrique : à partir de quel seuil faut-il initier un processus thérapeutique ?
- le fait que tout le monde, spécialistes comme non spécialistes, peut émettre un avis sur les maladies de santé mentale ;
- le pouvoir des psychiatres est très fort, puisqu'il peut aller jusqu'à l'hospitalisation sous contrainte et la mise sous tutelle.
Enfin, plusieurs exemples étrangers d'organisation de la psychiatrie sont rapidement proposés, notamment le modèle italien, où coexistent deux formations différentes : d'une part, en psychiatrie adulte, et d'autre part en neuropsychiatrie infantile, selon un fonctionnement différent.
La réforme belge de la psychiatrie
Initiée en 2009-2010, la réforme belge repose sur un changement de conception : d'une psychiatrie fondée sur le diagnostic à une psychiatrie basée sur le besoin de la population en soins de santé mentale. Puis, en fonction de ce besoin, il s'est agi de définir une réponse graduée des différents acteurs : malade, entourage, acteurs sociaux, professionnels de santé.
L'analyse des besoins en soins de santé mentale a mis en évidence une relation pyramidale : à la base de la pyramide, de nombreuses personnes éprouvent des besoins réduits, peu coûteux, liés au bien-être, puis l'intensité des soins augmente en même temps que la population concernée diminue, jusqu'à atteindre le sommet de la pyramide, où des personnes souffrant de troubles graves ont besoin de soins lourds et coûteux. De cette définition préalable découle une prise en charge adaptée, faisant intervenir différents types d'acteurs.
Une vision commune, partagée aux niveaux politique, administratif et sanitaire, a présidé à la mise en oeuvre de la réforme. Plusieurs points clés sont à relever :
- un travail en réseau sur une zone géographique, selon une double perspective liée au contenu des soins et à leur organisation. Douze réseaux, couvrant l'intégralité du territoire national, ont été définis. La réforme a ainsi concerné directement toute la Belgique, sans expérimentation préalable. Surtout, une trame a présidé à la constitution des réseaux : se départir de toute vision institutionnelle en veillant à regrouper une pluralité d'acteurs ;
- la définition de programmes relatifs à la détection précoce, aux stratégies thérapeutiques avec une distribution des rôles.
La mise en place s'est déroulée en plusieurs phases successives et s'est accompagnée d'allocation de crédits supplémentaires, pondérés selon les réseaux.
Le Dr Bernard Jacob précise que les dépenses de santé mentale représentent 6 % du total des dépenses de santé en Belgique, soit une part légèrement supérieure à la moyenne européenne de 5 %.
Enfin, il termine son intervention par un retour d'expérience sur la conduite de la réforme : selon lui, la logique devrait plutôt conduire à commencer une remise à plat de l'organisation des soins psychiatriques par la pédopsychiatrie plutôt que par la psychiatrie pour adultes.
Le travail en collaboration entre secteur de psychiatrie adulte, pédopsychiatrie et Éducation nationale : l'exemple du dispositif EO#ADO
Partant du constat des difficultés d'accès aux soins psychiatriques des adolescents, qui ont moins recours aux consultations pédopsychiatriques que les autres classes d'âge, ce projet vise à créer une concertation entre les partenaires pour améliorer les parcours, mieux évaluer les situations et définir les rôles de chacun. Elaboré en 2015, le dispositif concerne les enfants de 12 à 21 ans sur un territoire regroupant six communes ; il répond à une double perspective de dépistage et d'accompagnement des adolescents, ce qui implique de mobiliser des interventions pluridisciplinaires, avec des acteurs pluriels.
Il réunit actuellement les acteurs institutionnels et associatifs du territoire, à savoir : l'association intercommunale de santé, santé mentale et citoyenneté (AISSMC), le département du Nord avec les unités territoriales de prévention et d'action sociales de Marcq-Mons et d'Hellemmes, la psychiatrie adulte avec l'EPSM Lille-Métropole, la psychiatrie infanto-juvénile avec l'EPSM de l'agglomération lilloise, le CMPP Decroly, la mission locale de la métropole sud, la protection judiciaire de la jeunesse, l'Education nationale représentée par les médecins scolaires et l'association Bycile.
Deux objectifs principaux ont présidé à la construction du dispositif :
- d'une part, éviter que le parcours de soin ne dépende du point d'entrée initial. En effet, il est bien souvent constaté que le parcours de soins d'un adolescent est plutôt conditionné par son orientation initiale que par la réalité des troubles ;
- d'autre part, former les acteurs de premier niveau à évaluer puis adresser aux niveaux supérieurs des situations problématiques, afin d'éviter que les professionnels de santé mentale reçoivent uniquement ces adolescents lors d'un épisode de crise. Or, à défaut de concertation, le passage d'un niveau à l'autre n'intervient bien souvent qu'à l'occasion d'un épisode de crise.
Pour autant, le Dr Defromont souligne la difficulté à nouer des relations officielles avec l'Éducation nationale : si les représentants de terrain de l'école désirent s'inscrire dans cette démarche, ils n'ont pas encore l'aval express de leur hiérarchie.
L'expérience des équipes mobiles de crise en pédopsychiatrie
Le Dr Vincent Garcin présente les principaux enseignements de la mise en place d'équipes mobiles pour adolescents depuis 2003 au sein d'un secteur de psychiatrie. Les équipes mobiles sont conçues comme des outils permettant de répondre aux problématiques d'accès aux soins, liées à plusieurs difficultés :
- l'absence de recours aux professionnels de la santé mentale : les adolescents sont principalement visés par les équipes mobiles, dans la mesure où cette population a moins recours à des consultations de pédopsychiatrie que les enfants ;
- des capacités d'accueil insuffisantes, avec des unités d'hospitalisation en pédopsychiatrie parfois saturées et des soins ambulatoires pas toujours accessibles.
Dans ce contexte, les équipes mobiles visent à apporter une réponse complémentaire et à faire le maillage entre les différents dispositifs, pour réduire le nombre de personnes en souffrance non diagnostiquées et non prises en charge. Elles ont pour objectif d'aller au-devant de ceux qui ont besoin de soins et qui ne s'adressent pas aux services dédiés. Elles jouent alors le rôle d'interface entre les différents acteurs - famille, médecin traitant, médecine scolaire, urgences, etc. - et le centre de santé mentale. Le point de départ de la création d'équipes mobiles réside dans la volonté de réunir différents professionnels afin de faire sortir des adolescents hospitalisés depuis trop longtemps. Ensuite, la perspective a été progressivement élargie pour une sensibilisation de tous les acteurs concernés aux problématiques de santé psychique.
De façon générale, trois types d'équipes mobiles doivent être distinguées selon leur fonction : accès aux soins, gestion de crise ou hospitalisation à domicile. Les équipes mobiles mises en place par le service du Dr Vincent Garcin concernent les deux premiers aspects. Cinq formes d'équipes mobiles ont été successivement établies :
- une équipe mobile pour adolescents (12-18 ans) en 2003, dont la coordination a été réorganisée en 2014 ;
- une équipe mobile périnatalité et petite enfance (0-6 ans) en 2006 ;
- une équipe mobile de suivi indirect auprès des institutions pour adolescents placés en 2007 ;
- une équipe mobile mixte soignants-enseignants à Tourcoing en 2012. Cette expérience n'a pas été concluante, dans la mesure où les enseignants ne se sont pas saisis de ce nouveau dispositif. Parmi les éléments d'explication, le Dr Vincent Garcin insiste sur la montée en puissance des équipes mobiles préexistantes, sur le fait que l'enseignant de liaison n'était pas un collègue direct des enseignants concernés, et sur le contexte plus général de sollicitations multiples des enseignants ;
- dans le secteur socio-judiciaire, une équipe mobile mixte soignants-éducateurs en 2015.
Les équipes mobiles présentent deux avancées :
- d'une part, elles facilitent une intervention plus précoce, avant l'épisode de crise, et plus rapide des professionnels, réduisant ainsi le temps nécessaire pour récupérer de l'épisode de trouble psychique ;
- d'autre part, en offrant aux acteurs de premier niveau une ligne directe vers les professionnels des niveaux supérieurs, elles renforcent leur appréhension des questions de santé mentale.
Surtout, elles contribuent ainsi à accroître la part des soins ambulatoires et à diminuer le recours à l'hospitalisation. C'est pourquoi le Dr Vincent Garcin considère que la question de l'augmentation du nombre de lits en pédopsychiatrie ne doit être posée qu'en regard de la mise en place effective de dispositifs alternatifs de type équipes mobiles. Le Dr Vincent Garcin termine son intervention en mentionnant la formule du Dr Jacques Hochmann, un des pionniers français de la psychiatrie de secteur : « les équipes mobiles viennent mettre de l'huile dans les rouages d'une machine sectorielle qui était en train de rouiller ».