II. MIEUX RECONNAÎTRE LA PÉDOPSYCHIATRIE ET LES PROFESSIONS ASSOCIÉES

Face au continuum qui va de la souffrance psychique aux troubles psychiatriques, la réponse thérapeutique doit conjuguer différents traitements et associer plusieurs professionnels.

Le Pr Michel Wawrzyniak, président du conseil d'administration de la Société française de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent et disciplines associées (SFPEADA), insiste sur le fait que le « psychiatre du champ de la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent ne travaille jamais seul. C'est le dialogue et les interactions entre le système du soin et celui de la famille qui constituent le coeur et la matrice des soins en pédopsychiatrie (...). Le travail en pédopsychiatrie est marqué par un sentiment d'appartenance à une équipe » 145 ( * ) .

De ce point de vue, la mission d'information estime qu'une meilleure reconnaissance de la pédopsychiatrie et des professions associées est indispensable pour surmonter la crise qu'elles rencontrent et répondre ainsi aux besoins croissants de la population.

A. LES PÉDOPSYCHIATRES

1. Une crise démographique de la pédopsychiatrie

Paradoxe et confusion caractérisent la situation de crise que rencontre la pédopsychiatrie en France.

Paradoxe d'une part, car si le nombre de psychiatres est plus élevé en France (22,8 professionnels pour 100 000 habitants en 2015) que dans la moyenne des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (15,6 pour 100 000), et est en hausse depuis plus d'une décennie en raison notamment de l'augmentation du numerus clausus , le nombre de pédopsychiatres a été divisé par deux entre 2007 et 2016 selon le Conseil national de l'ordre des médecins (Cnom). Le Pr Marie-Rose Moro souligne ainsi que « nous faisons globalement partie des pays où l'offre de soins en pédopsychiatrie est la plus faible du point de vue des praticiens » 146 ( * ) .

Confusion d'autre part, car le dénombrement exact des pédopsychiatres se révèle difficile dans la mesure où la pédopsychiatrie ne constitue pas une spécialité médicale distincte de la psychiatrie . Le diplôme d'études spécialisées (DES) est commun à la psychiatrie : la pédopsychiatrie constitue une option, sous la forme d'un diplôme d'études spécialisées complémentaires (DESC) accessible à l'issue du DES de psychiatrie ou du DES de pédiatrie (cette possibilité concerne très peu d'internes en pratique).

Alors que l'atlas de démographie médicale publié par le Cnom pour 2016 dénombre 680 pédopsychiatres, M. Franck von Lennep, décrit en ces termes le difficile recensement des professionnels : « nous décomptons entre 2 000 et 2 500 pédopsychiatres, dont 778 qui ont la spécialisation, environ 1 200 qui ont une compétence en psychiatrie et 400 qui ont un diplôme non qualifiant. Le nombre de pédopsychiatres qui disposent de la spécialisation est en forte baisse ces dernières années. Leur âge moyen est élevé, avec un grand nombre d'entre eux âgés de plus de 55 ans. La question se pose bien sûr de savoir si ces différentes formes de qualification sont ou non équivalentes et donc s'il faut prendre en compte l'ensemble de ces professionnels en tant que pédopsychiatres » 147 ( * ) .

Si l'organisation de la formation porte la marque de l'histoire de la pédopsychiatrie en France, discipline issue de la psychiatrie, elle a pour corollaire l'absence de régulation des étudiants s'inscrivant au DESC de pédopsychiatrie . La régulation ne porte que sur les entrées dans le DES de psychiatrie générale, pour lequel le nombre de poste ouverts a été porté de 500 en 2012 à 559 en 2015, avec un reflux marqué en 2016 (505 places).

Selon les données communiquées par la DGOS, environ une soixantaine de DESC de psychiatrie infanto-juvénile seraient délivrés chaque année. Par ailleurs, à la formation initiale s'ajoutent les dispositifs de validation des acquis de l'expérience (VAE), qu'ils soient universitaires ou, depuis 2015, ordinaux.

Ces dispositifs font l'objet d'une régulation par des quotas annuels 148 ( * ) : selon la DGOS, les quotas étaient élevés lors de la création de la VAE pour prendre en compte le stock de professionnels en attente de validation, ce qui expliquerait leur diminution progressive. Ils ont concerné respectivement 6 et 9 professionnels en 2015.

Au-delà du nombre de postes ouverts chaque année dans le DES de psychiatrie générale, le fait que tous ne soient pas pourvus traduit un problème latent d'attractivité . À titre d'exemple, dans les Bouches-du-Rhône où la mission d'information s'est rendue, seuls quatre internes en pédopsychiatrie sont en formation. Notant le cercle vicieux ainsi enclenché, M. Michel Laforcade fait part de ses craintes : « moins il y aura de médecins dans cette discipline moins il y aura de formateurs et moins il y aura de nouvelles vocations, car les jeunes craindront une charge de travail insupportable » 149 ( * ) . La mission d'information partage cette inquiétude et estime nécessaire de mettre en place les conditions permettant d'augmenter le nombre de formateurs en pédopsychiatrie .

2. Une crise universitaire traduisant le manque de reconnaissance de la discipline

Mme Bénédicte Barbotin, présidente de l'association française fédérative des étudiants en psychiatrie, a affirmé lors de son audition que « d'après un sondage récent, 30 % des internes en psychiatrie souhaiteraient obtenir le DESC [de pédopsychiatrie]. Il y a donc un décalage » 150 ( * ) avec le nombre de places effectivement pourvues. Cette situation s'explique notamment par le manque de reconnaissance universitaire de la pédopsychiatrie et justifie le constat du Collège national des universitaires de psychiatrie (CNUP) selon lequel le problème prioritaire porte sur l'offre de formation et l'encadrement. Or, comme le relève le Pr Christian Müller, « la reconnaissance d'une discipline et d'une spécialisation qu'est la pédopsychiatrie passe bien sûr aussi par les universitaires » 151 ( * ) .

Certes, l'essor récent de la discipline explique en partie la faible représentation de la pédopsychiatrie au sein des facultés de médecine. Pour autant, cette faible représentation compromet sa capacité à répondre aux besoins de soins croissants.

Le Pr Pierre Thomas, président du CNUP, dresse ainsi l'état des lieux des forces universitaires en psychiatrie : « il n'y a que 102 postes de professeurs de psychiatrie, 27 en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent et 75 en psychiatrie d'adulte. En France, une faculté de médecine sur cinq n'a pas de professeur d'université en pédopsychiatrie ; c'est le cas des neuf facultés de Dijon, Saint-Etienne, Clermont-Ferrand, Limoges, Tours, Caen, Grenoble, Antilles Guyane et Réunion-Océan indien. » 152 ( * ) Les répercussions de la faiblesse de l'offre de formation en psychiatrie vont au-delà de cette seule spécialité dans la mesure où ces enseignants sont également mobilisés dans le cadre du DES de médecine générale.

Dans ces conditions, l'encadrement des internes en psychiatrie constitue une difficulté majeure : selon le CNUP, le taux d'encadrement est le plus faible de toutes les spécialités médicales, les professeurs de pédopsychiatrie représentant 0,7 % des professeurs de médecine à l'université. Le Pr Jean-Luc Dubois-Randé, président de la Conférence des doyens des facultés de médecine observe que « le nombre de formateurs en pédopsychiatrie est dérisoire et plus qu'alarmant. La psychiatrie est clairement le parent pauvre de notre système de formation. Il y a également un enjeu de répartition géographique » ; un tiers des PU-PH se trouve à Paris. 153 ( * )

La faiblesse de l'encadrement des internes de pédopsychiatrie et l'inégale répartition territoriale de l'offre de formation se traduisent par la difficulté pour les internes de trouver des terrains de stages . Selon Mme Bénédicte Barbotin, les internes ne peuvent pas obtenir l'équivalence européenne, qui nécessite six stages en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Le manque d'attractivité se rencontre également au-delà du parcours universitaire, puisque, selon le CNUP, l'offre en postes de chef de clinique compte parmi les plus faibles des disciplines médicales .

De fait, la faible attractivité de la pédopsychiatrie a deux conséquences. D'une part, elle alimente un cercle vicieux et ne permet pas d'enrayer la démographie défavorable et de répondre aux besoins croissants. D'autre part, cette atrophie contribue à l'isolement de la pédopsychiatrie par rapport aux autres spécialités médicales. C'est ce que le Pr Jean-Philippe Raynaud souligne : « nous ne sommes pas les parents pauvres mais l'enfant pauvre de la psychiatrie et de la médecine ! Ce qu'il faut garder en tête, c'est que je reconnais l'autre lorsqu'on est sur un pied d'égalité » 154 ( * ) .

3. Renforcer la reconnaissance de la pédopsychiatrie pour accroître son attractivité

Un renforcement de l'attractivité de la pédopsychiatrie doit en ce sens faire l'objet d'une démarche globale, à travers une réflexion sur les conditions de la formation et sur les modalités d'exercice de la spécialité. L'entretien avec le Pr Bernard Jacob sur la conduite de la réforme de la psychiatrie en Belgique, lors du déplacement de la mission d'information à Lille, va dans ce sens : l'existence d'un DES de pédopsychiatrie coïncide avec une tarification spécifique des consultations de pédopsychiatrie.

Dans ce cadre, la mission d'information soutient le principe d'une réforme de la tarification des consultations de pédopsychiatrie, afin de prendre en compte la nécessaire association des familles, parfois éclatées, au parcours de soin de l'enfant . Le barème en vigueur n'opère pas de distinction entre consultations psychiatriques et pédopsychiatriques, contrairement à la pratique de nos voisins européens, belges ou allemands par exemple. Or, comme le souligne le Dr Catherine Lacour-Gonay, « ce n'est pas la même chose de recevoir toute une famille avec parents et grands-parents que de recevoir une personne seule. (...) Chacun a quelque chose à dire et il est important d'écouter tout le monde. Il faudrait donc que l'acte médical soit reconnu en conséquence » 155 ( * ) .

Proposition n°40 : Réformer la tarification des consultations de pédopsychiatrie en ville et à l'hôpital, afin de prendre en compte la réalité du temps passé à l'écoute et pour la prise en charge du mineur et de son entourage.

Si la revalorisation de la tarification de la consultation en ville et à l'hôpital en pédopsychiatrie constitue une première réponse au manque d'attractivité de la discipline, elle participe surtout d'une stratégie d'ensemble, devant conduire à reconnaître la pédopsychiatrie comme spécialité médicale distincte de la psychiatrie. Les deux éléments vont en effet de pair, comme le montre le difficile recensement du nombre de pédopsychiatres. Le Pr David Cohen précise ainsi que « les chiffres du Conseil de l'ordre ne recensent que les pédopsychiatres exclusifs, mais en pratique, quelques psychiatres généralistes acceptent encore de recevoir des enfants. Mais ils ne le font qu'à la marge, car sinon ce n'est pas viable pour eux » 156 ( * ) .

Dans le cadre de la réforme du troisième cycle des études médicales en cours de finalisation, l'architecture actuellement retenue s'articule, selon le Pr Benoît Schlemmer chargé d'élaborer le projet de réforme, autour d'un DES de psychiatrie en quatre ans, suivi d'une cinquième année optionnelle de formation en pédopsychiatrie.

Le Pr Marie-Rose Moro précise qu'ainsi, « les psychiatres d'adultes qui n'auront pas fait la spécialisation ne pourront pas prendre en charge les enfants » 157 ( * ) .

En parallèle, cette affirmation de la spécificité de la pédopsychiatrie doit s'accompagner d'un renforcement des capacités de formation, passant notamment par une politique volontariste de nomination. Afin de former davantage de pédopsychiatres, la mission d'information recommande la présence d'au moins un poste de professeur d'université de pédopsychiatrie par université .

Proposition n°41 : Prévoir au moins un poste de professeur d'université de pédopsychiatrie par université.

Augmenter la représentation de la pédopsychiatrie au sein des facultés de médecine permet d'envisager une réforme plus ambitieuse du troisième cycle des études de médecine s'agissant de la psychiatrie. La mission d'information recommande la définition d'un co-DES, aussi qualifié de système en « Y », où un tronc commun de psychiatrie générale se diviserait ensuite en deux branches distinctes, l'une pour la psychiatrie adulte, l'autre pour la pédopsychiatrie . Le co-DES, qui existe déjà pour d'autres spécialités 158 ( * ) , conduit à des DES spécifiques, et l'entrée dans chaque branche fait l'objet d'un quota de régulation propre.

Le Pr Jean-Philippe Raynaud approuve cette orientation, en affirmant être « favorable à la création d'un DES de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. (...) Au niveau européen, les pédopsychiatres sont formés en moyenne en trois ou quatre ans. En France, ils sont formés au maximum en deux ans, ce qui est insuffisant pour leur garantir des compétences solides. Il est clair que nous serons moins nombreux. Il faut donc que nous soyons mieux formés et plus armés. En Allemagne où existent un DES de psychiatrie de l'enfant et un DES de psychiatrie de l'adulte, on note, premièrement, une reconnaissance de la pédopsychiatrie ; deuxièmement, la transition dans le parcours de soins ; et troisièmement, une amélioration des relations entre la psychiatrie de l'adulte et la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. » 159 ( * )

Proposition n°42 : Dans le cadre de la réforme en cours du troisième cycle des études de médecine, envisager dès à présent la mise en place d'un co-DES de psychiatrie des adultes et de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, avec une régulation du nombre d'internes dans chacune des deux branches.

Le schéma ci-après récapitule les trois modèles distincts : le cadre en vigueur, le cadre envisagé au terme de la réforme en cours, et le cadre préconisé par la mission d'information.

La définition d'un co-DES répondrait à deux objectifs complémentaires. En premier lieu, comme la comparaison du Pr Jean-Philippe Raynaud l'indique, en prévoyant une durée de formation plus longue en pédopsychiatrie, elle faciliterait l'insertion de l'architecture française dans le cadre européen , qui exige la réalisation de six stages en psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. De plus, la mission d'information approuve la proposition de M. Michel Laforcade d'adapter les stages à la réalité des fonctions ensuite exercées par les psychiatres, en prévoyant des expériences dans le secteur médico-social.

Proposition n°43 : Dans le cadre de la mise en oeuvre du co-DES, se conformer aux règles des équivalences européennes en matière de stages et développer les stages au sein de structures médico-sociales.

En second lieu, la mise en place du co-DES offrirait un moyen de régulation que l'association du DES et d'une option ne permet pas , ce que confirme le Pr Benoît Schlemmer : « le système à deux branches permet d'avoir à la sortie l'effectif que l'on souhaitait. L'option ne permet pas cela » 160 ( * ) . Surtout, votre rapporteur estime que la réforme doit s'inscrire dans une refonte plus globale de l'internat, privilégiant une approche régionale dans l'objectif de répondre mieux aux besoins.

À cette fin, les épreuves classantes nationales (ECN) seraient régionalisées, et les spécialistes formés en fonction des besoins d'un bassin de population.

Le Pr Jean-Luc Dubois-Randé a indiqué lors de son audition 161 ( * ) que la conférence des doyens de faculté de médecine porte une proposition d'évolution en ce sens puisqu'elle souhaite que la régulation de l'entrée dans les spécialités sur l'ensemble du territoire national évolue et comprenne une part régionale.

Proposition n°44 : Substituer aux épreuves classantes nationales (ECN) des épreuves classantes régionales (ECR) afin de former le nombre de spécialistes nécessaires en fonction d'une carte régionale des besoins.

La reconnaissance de la pédopsychiatrie ne saurait intervenir isolément et doit s'inscrire dans une approche pluridisciplinaire, prenant acte du rôle de chef d'équipe du pédopsychiatre, régulièrement affirmé au cours des auditions.

C'est ce que Mme Anne-Marie Armanteras-de Saxcé précise en ces termes : « la formation est cruciale. L'articulation avec l'action des autres professionnels de santé qui prennent en charge l'enfant et l'adolescent l'est tout autant. Le comité de pilotage de psychiatrie co-présidé par le professeur Halimi travaille sur ce chantier avec nous. Il faut renforcer la coopération entre les pédopsychiatres et des professions telles que les orthophonistes, les psychomotriciens, les psychologues cliniciens, etc. » 162 ( * )


* 145 Audition du mercredi 18 janvier 2017.

* 146 Audition du mardi 10 janvier 2017.

* 147 Audition du mercredi 25 janvier 2017.

* 148 Pour la VAE universitaire, les quotas sont déterminés par arrêté co-signé par les ministres de la santé et de l'enseignement supérieur et de la recherche ; pour la VAE ordinale, le ministre de la santé fixe par arrêté, par région et pour chaque spécialité, le nombre maximum de médecins pouvant en bénéficier.

* 149 Audition du mercredi 21 décembre 2016.

* 150 Audition du mardi 7 février 2017.

* 151 Audition du mercredi 1 er février 2017.

* 152 Audition du mardi 7 février 2017. Selon le rapport Moro-Brison, « en 2015, le centre national de gestion de la fonction publique hospitalière recense 32 professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) en psychiatrie infanto-juvénile. Ces 32 postes sont à mettre en regard des 83 postes recensés en psychiatrie adulte et des quelques 4 000 professeurs des université-praticiens hospitaliers pour l'ensemble des disciplines médicales. Le pourcentage ainsi obtenu est de 0,73 % de professeurs en pédopsychiatrie parmi l'ensemble des professeurs de médecine. »

* 153 Audition du vendredi 24 février 2017.

* 154 Audition du mardi 24 janvier 2017.

* 155 Audition du mercredi 18 janvier 2017.

* 156 Audition du vendredi 24 février 2017.

* 157 Audition du mardi 7 février 2017.

* 158 L'arrêté du 13 novembre 2015 fixant la liste des diplômes d'études spécialisées de médecine prévoit des co-DES pour quatre spécialités : chirurgie orale/chirurgie maxillo-faciale, anesthésie-réanimation/médecine intensive-réanimation, médecine cardiovasculaire/médecine vasculaire, médecine interne/maladies infectieuses et tropicales.

* 159 Audition du mardi 24 janvier 2017.

* 160 Audition du vendredi 24 février 2017.

* 161 Audition du vendredi 24 février 2017.

* 162 Audition du mercredi 1 er février 2017.

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