IV. COMMUNICATIONS THÉMATIQUES
Mercredi 13 juillet 2016
Présidence conjointe de M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères et de la défense et de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.
La réunion est ouverte à 14 h 20.
1. Réunion constitutive du groupe - Communication de MM. Jean-Pierre Raffarin et Jean Bizet (mercredi 13 juillet 2016)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes . - Deux documents vous ont été distribués, l'un relatif à la composition du groupe de suivi
- dix membres de la commission des affaires étrangères et dix membres de la commission des affaires européennes - et l'autre sur la réunion informelle à 27 qui s'est tenu à Bruxelles le 29 juin. La dernière phrase du point quatre de la déclaration des chefs d'État et de gouvernement mérite une attention particulière puisque l'accès des Britanniques au marché unique passe par leur acceptation de chacune des quatre libertés : ils sont donc placés devant un choix cornélien puisqu'ils ne veulent pas perdre une partie de leur souveraineté tout en désirant restreindre la liberté de circulation des personnes. Aucun des partenariats qui existent à l'heure actuelle ne leur convient : ils voudraient un nouveau modèle à la carte.
Lundi, à Bratislava, nous avons vu Lord Boswell de la Chambre des Lords, qui était plutôt triste, estimant qu'il n'était pas impossible que le nouveau Premier ministre soit appelé à provoquer des élections anticipées pour demander la confirmation de l'intention du peuple. Sir Cash, le président de la commission des affaires européennes de la Chambre des communes, qui était triomphant avant le référendum, nous a paru un peu désemparé, tout en réclamant des négociations informelles avant la notification de l'article 50.
Nous avons auditionné ce matin à l'Assemblée nationale l'ambassadeur d'Allemagne en France, M. Nikolaus Meyer-Landrut, qui prône la fermeté.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. - Excusez moi pour ce retard. Je me réjouis de la création de ce groupe sur un sujet d'une brûlante actualité. Hier, nous avions une réunion des commissions de la défense de l'Assemblée nationale et du Sénat français avec nos homologues britanniques. Les Anglais nous ont semblé perdus, désorganisés et opposés entre eux. Le sujet est grave et le calendrier incertain. Nous devrons tenir compte de cette réalité. Nous nous reverrons en septembre pour élaborer un programme de travail précis. Nous y verrons plus clair avec la nomination du nouveau Gouvernement britannique.
Nous avons une double crise à gérer : celle que traverse le Royaume-Uni mais aussi celle de l'Europe qui craint sa déconstruction. Il est toujours dangereux que deux faiblesses se rencontrent. En outre, nous devrons aider au redémarrage de l'Europe.
Hier, nos amis britanniques cherchaient à protéger leurs intérêts, qu'il s'agisse de l'agriculture ou de la défense. Leur ligne de défense était de dire qu'ils quittaient l'Union européenne mais pas l'Europe. La France se doit de définir une stratégie pour éviter de se faire tirailler entre les institutions européennes fragilisées et le Gouvernement britannique qui va vouloir imposer son propre rythme.
M. Jean Bizet, président. - Je me réjouis de voir nos deux commissions travailler ensemble. Nous allons devoir aider nos amis britanniques à répondre à la question : to be or not to be...
Notre première mission porte sur le suivi du retrait du Royaume-Uni à la suite du référendum du 23 juin. Le moins que l'on puisse dire est que la situation demeure assez confuse. L'article 50 du traité prévoit que le délai de deux ans pour la négociation d'un accord de retrait court à compter de la notification de sa décision de se retirer par le Royaume-Uni. Il prévoit que, accord ou pas accord, c'est à l'expiration de ce délai que les traités européens cesseront de lui être applicables. Or, nos amis britanniques ne semblent pas pressés de notifier leur décision. Une notification pas avant la fin de l'année est même évoquée : nous suivrons de très près les propos de Mme Theresa May. La déclaration des chefs d'État et de Gouvernement du 29 juin demande que cette notification soit faite « aussi rapidement que possible ». L'Union ne peut en effet demeurer dans l'incertitude sur une question aussi cruciale. Mais le traité est ainsi rédigé que le pays qui décide de se retirer a la maîtrise de la date à laquelle les négociations s'ouvrent. Notre ami Alain Lamassoure a rédigé cet article 50 et il n'imaginait sans doute pas qu'un pays pourrait un jour l'invoquer. Peut-être faudra t il le réécrire un jour...
La commission des affaires européennes a entendu la semaine passée notre représentant à Bruxelles Pierre Sellal qui nous a livré une réflexion intéressante. Je vous renvoie au compte rendu de la réunion. J'ajoute que le délai de deux ans prévu par le traité pourra en outre être éventuellement prorogé par le Conseil européen qui devra alors se prononcer à l'unanimité. Le groupe de suivi devra donc exercer sa mission dans la durée. C'est ainsi qu'il pourra rendre compte régulièrement à nos deux commissions et au Sénat dans son ensemble de l'évolution du processus de retrait jusqu'à l'achèvement de celui-ci.
Dans l'immédiat, nous pouvons engager des réflexions sur plusieurs questions : l'évolution de la position britannique sur la notification de la décision de retrait ; l'impact de la période transitoire sur le fonctionnement de l'Union et sur la place du Royaume-Uni en son sein ; la question des contributions budgétaires et des retours dont bénéficie le Royaume-Uni. Ce sera l'occasion de démontrer les contre-vérités énoncées par M. Boris Johnson et beaucoup d'autres.
Nous devrons aussi réfléchir à l'application du droit européen au Royaume-Uni ainsi qu'à l'impact d'un retrait sur les accords du Touquet concernant le contrôle des flux migratoires. L'essentiel des motivations anglaises portait sur la politique d'immigration alors qu'en 2004, cette même immigration a contribué au renouveau économique de la Grande Bretagne.
Nous allons devoir examiner les conséquences de ce retrait en matière de défense, ses effets sur les places financières et la question des chambres de compensation. Sur ce point, nous avons à l'esprit l'argumentaire de la Cour de justice qui a spécifié que ces chambres devaient être localisées dans un État membre.
La deuxième mission de notre groupe sera de faire des propositions en vue d'une refondation de l'Union européenne. La Déclaration des Chefs d'État de Gouvernement évoque « une réflexion politique afin de donner une impulsion à la poursuite des réformes ». Une réunion informelle se tiendra le 16 septembre. Dans cette perspective, le Gouvernement va préparer une proposition française. On voit donc que le calendrier s'accélère, même si, à ce stade, rien de très concret ne semble se dessiner. Tout ce que l'on peut dire est qu'une nouvelle impulsion politique apparaît indispensable. Rien ne se fera sans le moteur franco-allemand aujourd'hui bien affaibli. Nous l'avons redit ce matin à l'Assemblée.
Il me semble nécessaire que nous travaillions à la recherche de ce qui fait la plus-value européenne. C'est la clé d'une relance du projet européen pour surmonter le scepticisme croissant à l'égard de la construction européenne.
Je voudrais évoquer plusieurs axes qui pourraient être explorés en ce sens : une intégration économique renforcée, qui permette de construire une Europe plus compétitive et d'aller vers une plus grande convergence économique et sociale. À la question d'un collègue député socialiste qui évoquait ce matin une assurance chômage européenne, l'ambassadeur allemand a répondu clairement que l'Europe ne s'alignerait pas sur les indemnisations généreuses pratiquées par certains pays européens.
L'Europe devra aussi répondre à la demande de protection et de sécurité des citoyens européens, ce qui soulève l'enjeu de l'Europe de la Défense, de la lutte contre le terrorisme et de la sécurité intérieure. Elle devra aussi répondre à la crise migratoire.
Dans cette démarche, deux exigences devront être mises en avant : la simplification qui est la condition même de la réussite de l'action européenne et de sa perception positive par les citoyens et les entreprises, et la subsidiarité, qui pose la question du rôle des parlements nationaux dans le fonctionnement de l'Union européenne. Au fur et à mesure des réunions de la COSAC, la procédure dite du « carton vert » commence à être acceptée par beaucoup. La Commission européenne estime même nécessaire de donner un espace de liberté supplémentaire aux Parlements.
Toujours est il que le groupe de suivi devra s'attacher à formuler des propositions concrètes et opérationnelles d'ici la fin de l'année. Il ne s'agit en effet pas de refaire un état des lieux de la construction européenne. Notre commission des affaires européennes l'a déjà fait dans ses travaux antérieurs. Je songe en particulier au rapport de notre ancien collègue Pierre Bernard-Reymond.
Sur la base de ces réflexions, le groupe de suivi devra donc envisager les voies et moyens d'une relance effective du projet européen dans les prochains mois. Hier, le secrétaire d'État italien aux affaires européennes, Sandro Gozi, nous a rappelé que le 25 mars 2017, nous fêterions le soixantième anniversaire du traité de Rome. Nous pourrions à cette occasion essayer de réenchanter l'Europe et nos concitoyens.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Le Brexit aura également des conséquences sur nos relations bilatérales avec d'autres pays. Je pense notamment à l'Afrique.
Nous allons voir comment organiser nos travaux. Nos collègues britanniques veulent renforcer la coopération bilatérale mais évitons de tomber dans le piège qui nous verrait nous rapprocher du Royaume-Uni en matière de coopération bilatérale (défense, nucléaire...) et nous montrer beaucoup plus durs à Bruxelles. Comment gérer ces divergences ? Évitons de perdre en crédibilité.
Il nous faut à la fois conserver de bonnes relations avec nos voisins britanniques et éviter la déconstruction européenne. Nous rendrons nos arbitrages au sein de nos commissions et de nos groupes. Il nous faudra définir une position stratégique sur ces questions.
M. Jean Bizet, président. - Ne nous enfermons pas dans un cadre trop strict pour éviter d'être en porte à faux.
M. Yves Pozzo di Borgo. - Le calendrier va être difficile à établir : les chefs d'État vont se réunir à Bratislava à la mi-septembre et ils feront des propositions. Que faire des nôtres ?
En outre, les fonctionnaires européens donnent l'impression d'imposer leurs vues au Conseil et à la Commission. Ainsi, en raison d'une prise de position de la commissaire chargée de la concurrence, les valeurs italiennes des télécoms se sont effondrées et l'Espagne et le Portugal risquent d'être condamnés. Tout semble continuer comme avant, sans prise en compte du Brexit. Je regrette l'absence d'inspection générale à Bruxelles : les directeurs sont tout puissants et l'autorité politique très faible.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - L'administration de Bruxelles respecte beaucoup plus les politiques que certains directeurs de notre administration centrale.
M. Christian Cambon. - Qu'allons nous faire ? Des rapports ? Des communications ? Il serait dommage que nous commentions des évènements qui nous échappent. En septembre, nous verrons comment les choses tournent, mais ne nous bornons pas à être des spectateurs impuissants.
M. Jean Bizet, président. - Nous devrons fixer les lignes rouges sur lesquelles nous ne pourrons transiger. Nous examinerons à la loupe chaque Conseil européen et nous ferons des recommandations pour la refondation européenne.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Nous publierons sans doute des notes d'information et peut être des rapports thématiques légers. Ce travail sera long, dans un calendrier serré. Nous devrons nous montrer réactifs.
M. Jean Bizet, président. - Avec les élections de 2017, notre exécutif risque de ne pas avoir la tête à ce dossier. Notre travail sera d'autant plus nécessaire.
Mme Éliane Giraud. - Nous devrons régir rapidement. N'oublions pas l'élection présidentielle aux États-Unis, qui aura certainement un impact sur la façon dont sera traité le Brexit.
On nous dit que l'Europe est fragile, mais nous ne savons pas comment la faire redémarrer.
Enfin, les élections européennes auront prochainement lieu : j'appelle donc à prendre un certain recul avec tous ces évènements.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Nous devrons savoir quels sont les moyens dont disposera notre groupe de suivi. Pourrons-nous étudier les réactions de Moscou, de Pékin ou de Washington au Brexit ?
La commission des affaires européennes a des rendez vous réguliers avec les instances européennes. Les auditions de personnalités ne poseront pas de problème. En revanche, comment financer nos éventuels déplacements ?
M. Jean Bizet, président. - Il serait pertinent de prévoir l'audition de l'ambassadeur de Grande-Bretagne en France avant la réunion informelle des chefs d'État du 16 septembre. Peut-être serait-il également opportun de faire revenir notre ambassadeur de Londres pour l'entendre.
M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Nous solliciterons, en vue d'une audition, Sir Julian King qui restera sans doute ambassadeur britannique en France pendant encore quelque temps. Avec Jean Bizet, nous allons élaborer un programme de travail que nous vous soumettrons.
La réunion est levée à 15 heures.
Mardi 27 septembre 2016
Présidence conjointe de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes et de M. Xavier Pintat, vice-président de la commission des affaires étrangères et de la défense.
La réunion est ouverte à 17 h 30.
2. Organisation des travaux du groupe - Communication de MM. Jean Bizet et Xavier Pintat (mardi 27 septembre 2016)
M. Jean Bizet , président de la commission des affaires européennes . - Avec Jean-Pierre Raffarin, nous avons réfléchi à une méthode travail que vous nous soumettons aujourd'hui.
Nous sommes chargés de travailler sur deux questions qui ont des calendriers différents. Pour ce qui est du retrait du Royaume-Uni, le calendrier sera forcément étendu puisque le traité prévoit un délai de deux ans pour négocier un accord à compter de la notification de la décision qui pourrait intervenir au début de l'année prochaine. Ce contexte n'interdit pas - bien au contraire - de travailler dès maintenant sur le sujet. Mais le processus de suivi devra être maintenu dans la durée.
Pour la refondation, en revanche, le calendrier sera beaucoup plus resserré. Les réflexions sont en cours au sein des exécutifs. Même si l'on n'y voit pas encore très clair ! Nous avons en outre, en 2017, des échéances électorales majeures. Pour que les propositions du Sénat puissent contribuer utilement au débat public, elles devront donc être formalisées d'ici la suspension des travaux parlementaires fin février.
Avec Jean-Pierre Raffarin, nous avons souhaité identifier les grands axes qui pourraient guider nos réflexions :
- l'idée d'un Europe puissance qui implique les enjeux de défense, de sécurité intérieure, de frontières et migrations mais aussi la question de la politique commerciale à conduire ;
- une Europe croissance , qui recouvre les enjeux de compétitivité, de concurrence mais aussi les enjeux sectoriels et la dimension sociale ;
- une Europe proche des citoyens qui doit nous conduire à nous intéresser au fonctionnement des institutions, au rôle des parlements nationaux et à la subsidiarité.
Il nous paraît par ailleurs important d'avoir un suivi spécifique de la relation franco-allemande parallèlement au suivi du Brexit .
Nous souhaitons que tous les membres du groupe de suivi soient impliqués dans le travail préparatoire qui débouchera sur la synthèse que nous vous présenterons avec Jean-Pierre Raffarin.
C'est pourquoi nous avons retenu la formule de « binômes » pour chacun des thèmes correspondant aux trois grands axes que j'ai mentionnés. Leur liste vous a été distribuée. Ces « binômes » seront plus particulièrement impliqués dans les tables rondes thématiques qui jalonneront nos travaux. Ils auront vocation à présenter une communication qui présentera les différentes pistes envisageables dont le groupe de suivi débattra ensuite.
Je veux insister sur l'esprit dans lequel nous devons travailler pour pouvoir aboutir dans des délais assez serrés. Notre objectif est avant tout de formuler des propositions concrètes et opérationnelles. Il ne s'agit donc pas de refaire un état des lieux de la construction européenne. Nos commissions l'ont déjà fait dans leurs travaux antérieurs.
Les binômes devront s'appuyer sur ces différents travaux, sur les auditions qui seront toutes menées devant l'ensemble du groupe de suivi et sur les enseignements tirés des déplacements pour nous proposer les pistes dont le groupe de suivi débattra ensuite.
Je veux aussi redire que nos travaux seront sans préjudice de ceux que nos deux commissions ont d'ores et déjà lancés et qu'elles poursuivront. Ces travaux compléteront et alimenteront utilement les réflexions du groupe de suivi.
Nous devrons aussi veiller à associer étroitement, en tant que de besoin, les autres commissions permanentes pour l'examen des sujets relevant de leurs compétences.
Un premier calendrier prévisionnel vous a été adressé pour les tables rondes. Je vous indique aussi que nous prévoirons des entretiens avec des personnalités sous la forme de petits déjeuners le mercredi matin avant les réunions de commissions permanentes.
Un déplacement aura par ailleurs lieu à Strasbourg et à Bruxelles en novembre et décembre. Nous nous rendrons à Londres au début de l'année prochaine. Nous irons également en Allemagne avant de finaliser nos réflexions pour avoir un échange avec nos amis allemands.
M. Xavier Pintat , vice-président de la commission des affaires étrangères . -- Les présidents Bizet et Raffarin, co-présidents de notre groupe de suivi, feront la synthèse finale de nos travaux, dans un rapport qui devra être livré, s'agissant de nos propositions pour la refondation de l'Europe, d'ici fin février, avant la suspension des travaux parlementaires. Nous pourrons ainsi le verser au débat et nous serons prêts pour le 60 ème anniversaire du traité de Rome en mars 2017.
C'est un calendrier très resserré, aussi les présidents des deux commissions vous proposent, si vous en êtes d'accord, que chacun puisse prendre toute sa part à notre réflexion et soit chargé d'analyser un thème, en binôme majorité opposition panachant nos deux commissions.
Cela permettra aux sénateurs membres du groupe de suivi de faire des communications périodiques thématiques sur lesquelles les deux présidents s'appuieront pour leur synthèse.
M. Jean
Bizet
, président de la commission des affaires
européennes
. - Outre les thèmes principaux
proposés : Europe puissance, Europe croissance, Europe proche des
citoyens, certains sénateurs seraient chargés de suivre le
dossier du
Brexit
en tant que tel
- c'est-à-dire la
mise en oeuvre de l'article 50 et la relation future avec le Royaume-Uni -
et la relation franco-allemande.
Chacun participerait aux auditions et déplacements (Strasbourg, Bruxelles, Londres et Berlin) qui correspondent à son thème de travail.
Si la méthode vous convient, un tableau propose une répartition qui essaie de tirer profit au mieux des multiples compétences et talents de notre groupe de suivi. Y a-t-il des observations sur cette méthode « collaborative » qui vous est proposée ?
Il n'y a pas d'opposition ? Il en est ainsi décidé.
Répartition des communications thématiques au sein du groupe de suivi
« Europe proche des citoyens » |
Fonctionnement des institutions de l'Union européenne - élargissement |
C. Cambon - S. Sutour |
Subsidiarité et rôle des parlements nationaux |
Y. Pozzo di Borgo - S. Sutour |
|
« Europe puissance » |
Défense et sécurité |
J. Gautier - G. Jourda |
Sécurité intérieure, Frontières et migrations |
J-M. Bockel- D. Marie |
|
Politique commerciale |
E. Giraud - C. Mélot |
|
« Europe croissance » |
Gouvernance de l'euro |
F. Keller - R. Yung |
Actions pour la croissance et l'emploi (concurrence, dimension sociale, politique industrielle, recherche, brevets, énergie, numérique) |
A. Gattolin - J-N. Guérini - X. Pintat |
|
Suivi du Brexit |
E. Bocquet - J. Garriaud-maylam - F. Keller |
|
Suivi de la relation franco-allemande |
C. Kern - J-P. Masseret |
Mercredi 7 décembre 2016
Présidence conjointe de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes et de M. Jacques Gautier, vice-président de la commission des affaires étrangères et de la défense
La réunion est ouverte à 14h30.
3. Politique commerciale de l'Union européenne - Communication de Mmes Éliane Giraud et Colette Mélot (mercredi 7 décembre 2016)
M. Jean Bizet, président. - Nous avons souvent le sentiment que l'Europe a fait preuve de naïveté dans les négociations commerciales internationales. Au nom du libre-échange généralisé, elle a accepté de démanteler les barrières qui protégeaient ses industries quand ses grands partenaires économiques maintenaient les leurs de façon parfois subreptice.
L'Europe ne peut accepter la fermeture des marchés publics américains à ses productions ou encore l'extra-territorialité des lois américaines et doit savoir défendre ses indications géographiques. J'espère que le Comprehensive Economic and Trade Agreement (Ceta) fera jurisprudence dans ce domaine et que le prochain accord à négocier, avec le Japon, les respectera.
Une Europe puissance doit affirmer ses intérêts face à ses partenaires commerciaux en exigeant la réciprocité et en utilisant, le cas échéant, ses instruments de défense commerciale. La commission des affaires européennes examinera précisément, le 15 décembre, sur le rapport de Philippe Bonnecarrère et de Daniel Raoul, une proposition de résolution européenne sur les instruments de défense commerciale.
Reçus hier par le chef de cabinet du commissaire Timmermans, nous avons bien mis l'accent sur ces sujets.
M. Jacques Gautier, président. - Nous écoutons donc nos collègues avec attention sur la question de la politique commerciale de l'Union européenne.
Mme Colette Mélot. - Face au blocage des négociations commerciales multilatérales à l'OMC, la Commission européenne a engagé et conclu plusieurs accords bilatéraux de libre-échange dits de nouvelle génération qui, au-delà des simples réductions tarifaires ou non tarifaires, intègrent des dispositions sur la coopération réglementaire et des chapitres dédiés au développement durable, droits sociaux ou environnementaux notamment.
Ces accords font l'objet de contestations croissantes, du fait même de cette ambition. Mettant en jeu des modes de vie, des cultures, des préférences collectives, ils génèrent des oppositions et des inquiétudes fortes au sein de l'opinion. Compétence exclusive de la Commission européenne, la politique commerciale apparaît comme réduisant les rôles des États membres et singulièrement des parlements nationaux.
Si les échanges commerciaux ont été et doivent rester source de croissance et d'emplois, des conditions politiques nouvelles s'imposent désormais pour répondre aux inquiétudes souvent légitimes qui se font jour : ils imposent une transparence accrue et une position européenne plus tournée vers la défense de ses intérêts propres, dans un cadre de réciprocité et d'affirmation d'une Europe-puissance.
Quelles leçons tirer des difficultés politiques générées par les deux accords avec les États-Unis et avec le Canada ? C'est l'ambition même de ces accords de libre-échange de nouvelle génération qui se retourne contre eux, parce qu'au-delà des droits de douane et des réductions tarifaires, ils établissent des normes nouvelles et exigeantes : normes environnementales, sociales, sanitaires. Ils conditionnent nos modes de vie et nos préférences collectives et ont un impact quasi-culturel, ce qui suscite inquiétudes et suspicions. On l'a bien vu sur les deux accords que j'ai évoqués.
Pour y remédier, une communication et une pédagogie sont indispensables et une transparence sincère et loyale s'impose, en particulier vers les Parlements nationaux, dont le rôle ne doit plus se limiter à donner leur aval, en fin de course, à des textes bouclés loin d'eux.
Des progrès significatifs sont déjà intervenus, en particulier sur le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (PTCI), mais trop tardivement sur l'Accord économique et commercial global (AECG) ou Comprehensive Economic and Trade Agreement (Ceta) en anglais. Sur le premier, la Commission européenne a adopté une démarche de transparence, en intégrant sur son site des informations utiles sur les enjeux et les problèmes soulevés et le Conseil lui-même a autorisé la publication du mandat de négociation.
Il faut aussi relever l'engagement du secrétaire d'État français au commerce dans cette exigence de transparence. La mise en place du Comité de suivi stratégique, ouvert aux parlementaires et aux acteurs économiques et sociaux a été une excellente initiative. Il y a là un acquis sur lequel nul ne pourra revenir. J'y ajoute le rôle de la Direction générale du Trésor dont les réunions régulières, sur des sujets souvent techniques, sont essentielles pour pouvoir décrypter des enjeux complexes.
Peut-on et doit-on, aller plus loin ? Oui, si l'on veut tirer les conséquences des soubresauts autour des accords États-Unis et Canada et conjurer les risques sur des accords à venir. Je pense aux négociations, déjà engagées, avec le Mercosur ou, demain, avec le Japon. En tant que parlementaires nationaux, quelles propositions formuler ?
Il faut d'abord que la politique commerciale de l'Union fasse l'objet de débats réguliers dans les Parlements nationaux. Si elle relève de la compétence exclusive de la Commission, les gouvernements des États membres, ont heureusement leur rôle à jouer au Conseil des ministres de l'Union. Ces débats parlementaires doivent se tenir le plus en amont possible, par exemple avant l'adoption en Conseil du mandat de négociation confié à la Commission pour le lancement d'un accord de libre-échange. Ce serait l'occasion pour le Gouvernement de dire à la représentation nationale ce qu'il entend retirer du futur accord, mais aussi les lignes rouges qu'il n'acceptera pas de voir dépassées sur tel ou tel secteur. À lui d'expliquer les enjeux, les bénéfices attendus, les risques possibles, qu'il conviendra de prévenir dans le cours de la négociation.
Cela pose ensuite la question de la publication du mandat finalement adopté. C'est là une prérogative du Conseil, donc des États membres. Répondant à une demande insistante, celui sur le PTCI a été finalement publié. La Commission européenne, qui n'est pas décisionnaire sur ce point, propose de les publier systématiquement. Nous avançons. Certes, tout ne doit pas être dévoilé au partenaire lorsqu'une négociation va s'ouvrir. Mais les risques politiques de l'opacité sont largement supérieurs à ceux de la transparence.
La transparence doit aussi s'exercer au cours de la négociation. Au Parlement français nous pouvons nous rendre au secrétariat général des affaires européennes (SGAE) pour consulter les documents, plus ou moins confidentiels, faisant le point sur les sessions successives de négociation. C'est un pas en avant positif. Mais que de tels documents ne soient disponibles qu'en anglais est inacceptable. Cela perpétue l'opacité vis-à-vis de ceux qui ne sont pas forcément familiers avec cette langue. Au demeurant, il est inscrit dans les traités européens qu'ils doivent être traduits en français.
Enfin deux démarches s'imposent, non seulement au profit des parlements nationaux mais aussi des acteurs concernés : d'abord la réalisation et la diffusion aussi large et anticipée que possible, d'études d'impact préalables, tant à l'engagement de négociations qu'à la mise en oeuvre provisoire des accords conclus. De même, une politique systématique de suivi de la mise en oeuvre des accords, après une certaine durée d'application, est nécessaire. Elle est aujourd'hui négligée, surtout quant au suivi des dispositions sur le développement durable sur les exigences sociales et environnementales notamment.
Il faut enfin de la transparence sur ce qui, dans un accord de commerce, relève des compétences exclusives de la Commission ou des compétences partagées. Le flou qui a longtemps entouré le Ceta à cet égard -accord mixte ou non - a pesé très négativement dans le débat. Il serait aussi parfaitement légitime que le ou la commissaire en charge du Commerce soit régulièrement entendu par les représentants des Parlements nationaux, en particulier dans le cadre de la Conférence des Organismes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac). Le président de la Commission, M. Juncker, a incité ses commissaires à aller au plus près des parlementaires nationaux. La Cosac, qui les rassemble tous en même temps dans un même lieu est un cadre privilégié pour communiquer et convaincre.
Dans un contexte de suspicion généralisée à l'égard du développement des échanges commerciaux, la transparence va main dans la main avec la démocratie elle-même. Une libéralisation commerciale équilibrée n'a rien à cacher.
Mme Éliane Giraud. - Les négociations des accords bilatéraux, singulièrement celles du PTCI, ont été le révélateur d'un nécessaire ajustement entre deux démarches : d'un côté, le principe d'une ouverture commerciale toujours plus large et, de l'autre, la nécessité d'une véritable réciprocité. Ce sont des débats anciens, notamment au Parlement européen.
Plus largement, une démarche offensive de l'Union s'impose désormais pour que, de puissance économique, elle sache aussi s'affirmer comme une puissance commerciale, centrée sur la défense de ses intérêts. La France est la seule pour l'instant à avoir demandé l'arrêt des négociations du PTCI.
L'Union européenne doit utiliser pleinement les outils de défense commerciale. Comme les autres économies, elle est confrontée à des pratiques qui aboutissent à de graves distorsions de marché et faussent le jeu d'une concurrence équitable. Le dumping et les subventions étatiques généralisées, en particulier, ont pour effet de fausser les prix des produits de certains pays exportateurs - singulièrement la Chine - au détriment des industriels européens et de l'emploi. L'Union européenne dispose d'un arsenal adapté contre ce genre de pratiques. Ces instruments de défense commerciale sont d'ailleurs parfaitement conformes aux règles de l'OMC. Pour autant, jusqu'à présent, l'Union européenne en a toujours fait un usage restrictif. C'est cette retenue systématique qui doit évoluer.
La lutte contre les pratiques de dumping ou les effets d'une économie massivement subventionnée est d'une grande actualité puisque l'Union devra modifier, dans quelques jours, le mode de calcul des pratiques de dumping d'entreprises chinoises, même si, cela va de soi, la Chine ne saurait être considérée comme un économie de marché justifiant de recalculer, à la baisse, les capacités de défense tarifaire de l'Union européenne. La Commission a donc décidé de modifier une politique jusqu'alors par trop bienveillante à l'égard des économies coutumières de ces pratiques commerciales déloyales.
L'une de ces mesures très techniques, essentielle et qui a longtemps divisé les États membres est la « règle du droit moindre ». Pour justifier une mesure antidumping, il faut pouvoir prouver la réalité de cette pratique et la causalité entre ce dumping et le préjudice subi par l'industrie. Le droit antidumping établi correspond alors soit à la marge du dumping lui-même, soit au niveau nécessaire pour éliminer le préjudice, si celui-ci est plus faible. C'est cette règle de droit moindre qui a toujours été privilégiée par la Commission. Par exemple : face au dumping sur certains produits sidérurgiques chinois, le droit antidumping moyen était dans l'Union de 21 % ou 35 % en application de la règle du droit moindre, alors qu'aux États-Unis, pour le même produit venant du même pays, il était de... 261,5 %.
L'Union européenne doit également s'impliquer sur la question de la réciprocité dans l'accès aux marchés publics. Enfin, les accords de libre-échange comportent tous, conformément aux règles de l'OMC, des mécanismes de stabilisation ou des clauses de sauvegarde, en cas de déséquilibre durable et importants des importations de biens des pays partenaires. Le cas de la banane, dans les accords passés entre l'Union et des pays d'Amérique latine a démontré une inertie coupable de la Commission à mettre en oeuvre ces outils.
L'Union européenne doit travailler à une réciprocité équilibrée dans l'accès aux marchés publics. Beaucoup de nos entreprises se plaignent à ce sujet. L'accès des entreprises de l'Union européenne aux marchés publics des pays partenaires est au coeur des négociations d'accords de libre-échange. Ce fut - et ce sera encore peut-être à l'avenir - l'un des points de blocage principaux dans le cadre du PTCI avec les États-Unis. Ce le sera sûrement aussi avec le Japon. L'accord signé avec le Canada sur ce point a été l'occasion d'une relative satisfaction, le degré d'ouverture étant passé de 10 à 30 % sur les marchés publics fédéraux, mais aussi provinciaux.
La situation sur ce sujet est assez parlante : 82 % des marchés publics européens sont ouverts aux entreprises des pays tiers, quand cette proportion n'est que de 32 % aux États-Unis et de 28 % au Japon. Compte tenu de l'importance de l'enjeu économique pour les entreprises européennes et, en particulier, les PME françaises, il est clair que l'Union doit modifier cette démarche d'une ouverture sans contrepartie. La Commission européenne, en 2012, avait préparé un dispositif de réciprocité forcée, prévoyant trois options : la possibilité offerte aux adjudicateurs publics de différencier les fournisseurs extérieurs selon le degré d'ouverture de leurs pays aux offres européennes ; la possibilité pour la Commission de fermer partiellement le marché européen aux soumissionnaires d'un pays tiers où les entreprises européennes sont systématiquement exclues. Les divergences d'approches entre États membres n'ont pas permis d'aboutir à ce jour à l'adoption d'un texte consensuel. Cela s'impose désormais.
Troisième aspect d'une démarche offensive que l'Union européenne devrait résolument adopter : le blocage des effets extraterritoriaux que certains États - en fait principalement les États-Unis - donnent à leur législation nationale. Les entreprises européennes sont aujourd'hui exposées à une multiplicité de règles américaines de portée extraterritoriale, applicables dès lors qu'il existe un lien même ténu avec les États-Unis, par exemple du fait de l'utilisation du système financier ou monétaire américain, difficilement contournable.
Après BNP Paribas, qui a dû acquitter près de 9 milliards de dollars de pénalités, du fait de contrats avec des pays sous embargo américain, et Alstom, qui a dû débourser 770 millions d'euros en application de la législation américaine anticorruption, c'est la Deutsche Bank qui est actuellement menacée d'une pénalité qui pourrait atteindre 14 milliards de dollars, pour son rôle dans la crise des subprimes. S'il était avéré, ce montant ferait courir un risque de déstabilisation à l'ensemble du système financier européen. Par ailleurs, la reprise des relations avec l'Iran est bloquée, malgré l'accord sur le nucléaire du 14 juillet 2015, en raison du maintien par les États-Unis de sanctions bilatérales, dont aucune entreprise même non-américaine ne peut faire abstraction.
La mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'extraterritorialité de la législation américaine a évalué à 20 milliards de dollars le montant des pénalités récemment versées par des entreprises européennes aux administrations américaines, aux motifs de corruption internationale ou de violation des sanctions économiques décidées par les États-Unis. Or l'Histoire montre que les Européens peuvent s'opposer aux Américains ; c'est moins une question de droit que de rapport de force. L'Europe a fait reculer les États-Unis, après l'adoption en 1996 par le Congrès de lois qui sanctionnaient les entreprises non-américaines qui auraient certaines activités économiques à Cuba, en Libye et en Iran.
Nous vous proposons, à ce sujet, deux orientations. En premier lieu, l'Europe peut s'opposer aux États-Unis en bloquant l'application des lois américaines. Il existe un projet d'actualisation du règlement européen de blocage en date de 1996. Cette actualisation doit être relancée. En second lieu, l'Europe doit mettre en oeuvre ses propres dispositifs et donner une visibilité politique et institutionnelle à l'application des sanctions économiques qu'elle décide en identifiant, au sein de la Commission, un interlocuteur spécifiquement en charge de cette démarche.
De l'audition de ce matin, je retiens que les discussions avec les États-Unis vont être de moins en moins politiques et de plus en plus commerciales. Ces sujets deviendront donc centraux dans les positionnements que prendront l'Allemagne et la France. Ce que nous étudions ici est au coeur de l'actualité.
M. Jean Bizet, président. - Le président Raffarin a posé ce matin à Mme Sylvie Bermann, ambassadeur de France au Royaume-Uni, une question pertinente ; nous ne devons plus penser à l'échelle d'un État, mais d'un continent. Dans un monde conflictuel, où des personnalités - disons - marquées sont à la tête de la Russie, des États-Unis ou de la Turquie, l'Europe ne sera respectée que si elle est ferme.
C'est le Conseil qui bloque les instruments de défense commerciale européens puisque 14 États membres sont contre et 14 sont pour. Or si les Européens n'affirment pas leur puissance, ils ne seront pas respectés et nous ne pourrons pas rassurer nos concitoyens quant à leurs angoisses sur l'emploi et le commerce, qui ne sont pas moindre que sur la sécurité. Nous sommes passés de négociations multilatérales à l'OMC à des négociations bilatérales. Annonçons la couleur : M. Trump l'a annoncée, lui !
Mme Éliane Giraud. - Le Brexit nous ouvre les yeux. Je vous suis totalement sur la perception que ces questions donnent de l'Europe à nos concitoyens.
M. Jean Bizet, président. - Une Europe qui protège doit être à l'offensive.
4. Politique de défense de l'Union européenne - Communication de M. Jacques Gautier et Mme Gisèle Jourda (mercredi 7 décembre 2016))
M. Jacques Gautier . - Nous cherchons des solutions pour redonner espoir en l'Union européenne à nos concitoyens. Je crains que notre travail sérieux, posé, pragmatique ne soit pas de nature à lui seul de susciter un souffle nouveau modifiant la vision que les citoyens ont de l'Europe. Nous vivons des surprises stratégiques : Brexit, élection de Donald Trump, « non » massif au référendum italien. Les citoyens veulent peser sur les décisions et se reconnaître en elles - nous en sommes loin aujourd'hui. Les structures européennes, et en particulier la Commission, ne l'ont pas totalement compris. Les politiques, notamment français, ne peuvent rester sourds et doivent faire évoluer le fonctionnement de l'Union ; celle-ci doit arrêter d'édicter norme sur norme, appliquer plus nettement le principe de subsidiarité et ajouter de l'humain dans les décisions pour que les Européens rêvent à nouveau. Gisèle Jourda sera heureusement plus optimiste dans son intervention sur le même sujet : la défense européenne.
L'idée de refonder l'Europe autour de la défense me paraît illusoire. Peut-on, en parlant de coopérations renforcées, de politique industrielle ou d' « acte préparatoire », insuffler l'élan politique qui manque à l'Union aujourd'hui ? En partie, mais pas totalement. Oui, il faut faire l'Europe de la défense, oui, il faut refonder l'Europe, mais la première n'est pas la condition de la seconde. Une réelle défense, « politique », ne pourra se fonder que dans une « Europe politique » - nous en sommes loin.
Ceci étant dit, il faut tirer parti de ce moment particulier. Tout nous y pousse : le terrorisme, la montée des menaces et le retour de la force sur la scène internationale, l'incertitude quant à l'alliance atlantique... Cinq-cents millions d'Européens attendent l'affirmation de l'Europe dans le domaine de la défense. Il est certain que le Royaume-Uni a été un frein au développement de la défense européenne, s'opposant à la création d'un Quartier général européen et bridant le budget de l'Agence européenne de défense (AED) année après année. Reconnaissons-le, il a également été un alibi commode pour les pays qui n'envisagent d'autres cadres de défense que celui de l'Otan.
Que signifie concrètement la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne dans le domaine de la défense ? Membre permanent, comme nous, du Conseil de sécurité de l'ONU, appartenant à l'Otan, détenteur de la puissance nucléaire en Europe, le Royaume-Uni consacre déjà 2 % de son budget aux dépenses de défense. Nos deux pays représentent à eux seuls 70 % des dépenses de recherche et développement et 50 % des budgets militaires européens. Nous avons des bases industrielles et technologiques de défense (BITD) majeures et une relation forte et fiable : rappelez-vous la rapidité de la réponse britannique lorsque nous avons fait appel à la solidarité européenne dans le cadre de l'article 42-7 du traité sur l'Union européenne ! Cela favorise les coopérations stratégiques, opérationnelles et industrielles : en mars 2016, lors du sommet bilatéral franco-britannique d'Amiens, des coopérations importantes ont été annoncées : le renouvellement par MBDA de l'ensemble des missiles de frappe dans la profondeur et la réalisation en commun d'ici 2025 de démonstrateurs opérationnels de drones de combat.
Nous le savons tous, le traité de Lancaster House liant la France et le Royaume-Uni en matière de défense, a vocation à prospérer ; nos gouvernements -et nous-mêmes- l'avons rappelé à de nombreuses reprises depuis le 23 juin. Mais nous perdons au sein de l'Union un pays qui partage notre expérience stratégique et opérationnelle, qui dispose d'une armée réellement engagée sur de nombreux théâtres d'opérations extérieures, bref un acteur majeur de la défense en Europe. Ceci m'amène à vous présenter la première de nos propositions : dans le domaine de la défense, il me semble impératif de proposer un Lancaster House élargi, cadre intergouvernemental de concertation régulière et de coopération multilatérale réunissant le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne, sans doute également l'Espagne et l'Italie dans un premier temps. Dans notre rapport de juillet 2013 sur la défense européenne, nous pensions également à la Pologne ; cela paraît moins facile aujourd'hui alors que cet état membre semble se tourner davantage vers les États-Unis.
Il est indispensable que la concertation, la coopération et les actions communes soient maintenues, non seulement dans le cadre bilatéral franco-britannique mais aussi dans un cadre multilatéral européen intergouvernemental.
Deuxième élément de contexte méritant notre attention : les répercussions des résultats des élections américaines sur la défense européenne. On peut espérer que le quarante-cinquième président des États-Unis sera finalement moins hostile à l'Otan que sa campagne électorale ne le laissait craindre. Une réelle incertitude pèse toutefois sur le rôle que les États-Unis joueront désormais sur l'échiquier international et sur la place que l'Europe occupera dans la hiérarchie de leurs priorités stratégiques. Dans ce contexte, les pays appartenant à l'Union européenne et membres de l'Otan semblent partagés entre deux options : la première consiste à rester à tout prix sous le parapluie américain en renonçant à toute autonomie par rapport à l'Otan, voire en renonçant à développer toute capacité de défense supplémentaire, sorte de tentative désespérée pour contraindre l'allié américain à tenir encore le rôle qu'il semble vouloir délaisser. La deuxième, au contraire, qui me semble, vous le comprendrez, la meilleure, consiste à renforcer sa défense. Les pays voisins de la Russie et les pays du Nord de l'Europe sont prêts à tout, et en particulier à acheter américain, pourvu que les Américains continuent de contribuer à leur défense. C'est d'ailleurs répondre au désir exprimé par notre allié américain d'un meilleur partage des coûts de la défense du vieux continent. Désir qui n'est n'est pas nouveau : souvenez-vous de Leon Panetta et de son « partage du fardeau ».
Il me paraît donc indispensable, lorsque les pays de l'Europe de l'Est auront pu se positionner par rapport au futur président américain, de préciser les enjeux et les priorités de la relation entre l'Union européenne et l'Otan, afin qu'il soit clair qu'une défense européenne est complémentaire et en aucun cas redondante ou concurrente du dispositif de l'Otan. Dans un contexte de raréfaction des ressources budgétaires et de multiplication des menaces, cela devient même indispensable. Lors du dernier sommet de l'Otan à Varsovie, en juillet 2016, les deux organisations ont donné un aperçu des domaines dans lesquels elles souhaitent renforcer leur coopération : lutte contre les menaces hybrides, amélioration de la résilience, renforcement des capacités de défense, cyberdéfense, sûreté maritime et exercices communs. L'importance d'une collaboration étroite entre les deux institutions en faveur du développement d'une approche globale internationale de la gestion des crises et des opérations a été rappelée. Notre rapport, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur les opérations extérieures le 13 juillet dernier a montré l'importance de cette « approche globale ».
Nous ne pourrons parler d'Europe de la puissance que si, dans ce domaine, une réelle autonomie stratégique s'exprime. Pour cela une volonté politique forte est indispensable. L'initiative franco-allemande de défense de septembre 2016 et les lettres des ministres de la défense français, allemand, espagnol et italien sont un signe encourageant en faveur d'une défense européenne robuste. Celle-ci a besoin, pour exister au-delà du niveau intergouvernemental, d'être accompagnée de certains préalables.
D'abord, un document de type « revue stratégique » de la défense européenne apparaît indispensable à moyen terme. Une des raisons pour lesquelles la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) n'a pas donné les résultats attendus est que chaque pays y projetait sa propre vision politique et sa propre analyse des menaces. Il est indispensable de remédier à ces ambiguïtés en définissant la base d'une autonomie stratégique, c'est-à-dire une analyse partagée des menaces exprimant une volonté politique claire. Cela seul garantira l'efficacité du plan de mise en oeuvre de la « stratégie globale » validée par le Conseil européen en juin.
Ma deuxième proposition consiste à instaurer un dialogue politique permanent visant à renforcer et clarifier la coopération franco-allemande dans le domaine de la défense. Il est nécessaire au bon fonctionnement du moteur franco-allemand, dont chacun s'accorde à penser qu'il est indispensable à la refondation européenne. Lorsque l'Allemagne prévoit l'intégration de son armée de terre avec l'armée néerlandaise ou utilise le concept de « nation cadre » à l'Otan pour fédérer les investissements des pays autour de projets capacitaires spécifiques, elle développe une vision politique qui lui est propre. Faisons en sorte, grâce à un dialogue organisé et constant, que nos objectifs respectifs soient bien compris et compatibles avec une vision commune de la défense européenne.
Ce moteur franco-allemand fortifié ouvrirait la voie à une démarche volontaire et concertée de planification des budgets et des capacités de défense au niveau des gouvernements et des états-majors, à travers une « revue annuelle de défense coordonnée ». Sorte de « semestre européen » adapté au domaine de la défense et de la sécurité, cette revue permettrait aux États volontaires de se concerter sur leurs budgets de défense, leurs projets d'investissements capacitaires et ainsi de mutualiser leurs efforts pour maximiser l'efficacité des moyens alloués à la défense. Ce mécanisme aurait vocation à entraîner les pays volontaires à atteindre l'objectif de 2 % du PIB et à combler les déficits capacitaires déjà bien identifiés que sont le ravitaillement en vol, la cybersécurité, les drones ou encore les communications satellitaires.
Ce dernier domaine illustre bien les démarches positives qui peuvent être initiées, en partant de la coopération franco-allemande, pour bâtir un dispositif de défense européenne. Les capacités satellitaires développées en commun - dans le cadre desquelles les Allemands ont accepté de participer au financement de projets français - pourraient être mises à la disposition de la défense européenne.
Naturellement, il conviendra de réduire les divergences culturelles qui, en matière de défense, peuvent encore séparer les approches françaises et allemandes - en particulier en matière d'appréciation des demandes d'autorisation d'exportation d'armement vers des pays non membres de l'Union européenne ou de l'Otan. La ligne restrictive suivie par l'Allemagne en ce domaine nous a pénalisés : le refus des autorités allemandes de délivrer des licences d'exportations pour certains composants allemands d'équipements réalisés en France a retardé, fin 2012, la fourniture par Nexter de châssis et moteurs destinés à des véhicules blindés acquis sur fonds saoudiens et bloqué pendant plusieurs mois, à l'automne 2014, la livraison par MBDA de missiles antichars MILAN ER destinés au Qatar. Il faut veiller à ce que les choix allemands, en particulier à propos du drone européen à l'horizon 2025 ne fassent pas apparaître de véritables divergences de fond.
L'Union européenne a élaboré des instruments d'harmonisation des pratiques et des politiques d'exportation ; mais le Guide d'utilisation (publié en juillet 2015) du code de conduite de 1998 pourrait encore être amélioré, sachant que nous sommes les seuls à le respecter, à notre détriment... Il convient également de mettre à jour la législation européenne sur la passation des marchés de défense et la circulation des produits liés à celle-ci au sein de l'Union. C'est au demeurant une ambition affichée par la Commission européenne dans le plan d'action pour la défense européenne qu'elle a présenté le 30 novembre dernier en vue du prochain Conseil européen.
Dernière observation : la France fait trop souvent figure de donneur de leçons auprès des autres Etats membres. Nous n'avons pas encore compris que, si nous avons de bonnes idées, nous portons nos certitudes de façon parfois autoritaire ou maladroite. Trouvons des relais pour nos propositions : nous serons ainsi plus crédibles. Quand les orientations du président Trump seront plus claires, il conviendra de porter des orientations fortes mais, en attendant, ne portons pas nos options sur la place publique, au risque de nous mettre à dos nos partenaires européens.
Mme Gisèle Jourda . - Voici les autres pistes que nous proposons. Afin de tirer pleinement parti des dispositions du traité de Lisbonne, un Conseil européen de sécurité et de défense devrait se réunir au minimum une fois par an afin d'évaluer les menaces auxquelles l'Union est confrontée. Menaces intérieures, extérieures, terroristes, cyberattaques : cette évaluation a vocation à déboucher sur des politiques concrètes ; et c'est dans ce cadre très politique de la réunion des États membres que s'effectuerait la fusion entre sécurité intérieure et sécurité extérieure. La PSDC en est un élément majeur, mais pas le seul.
En amont de ces réunions, il convient aussi d'institutionnaliser un Conseil des ministres de la défense, à même d'échanger sur les menaces et les réponses à y apporter, et de proposer des orientations collectives, en particulier sur la coopération capacitaire.
Le traité de Lisbonne a créé, sur le papier, une coopération structurée permanente ouverte à des États disposant de capacités militaires élevées. Dans les domaines du partage de capacités ou du soutien et de la cohérence logistique, cette opportunité, relativement souple et dont le champ d'application n'est pas délimité, doit devenir réalité. Elle peut apporter une réelle valeur ajoutée européenne.
Il faut ensuite adapter et utiliser les groupements tactiques de l'Union européenne, ces forces multinationales de 1 500 hommes créées en vue d'un déploiement rapide et pour une période limitée sur un théâtre de crise. Pour différentes raisons - manque de financements, défaut de volonté politique -, elles n'ont jamais été déployées. Plusieurs occasions ont été manquées, notamment en République centrafricaine ou au Mali. Une fois de plus, nous ne sommes pas en mesure d'apporter une réponse européenne adaptée aux menaces, alors même qu'une boîte à outils est disponible.
Autre objectif, lié au précédent : mettre en oeuvre la disposition du Traité autorisant le financement, sur la base de contributions de tous les États membres, du lancement d'urgence d'opérations militaires à la charge des seuls pays participants.
Nous proposons, dans la perspective du développement d'outils de cohérence opérationnelle et de capacités de financement européennes en faveur de la défense, de mettre en place, sur la base de l'actuel Centre européen de commandement des opérations pratiquement jamais mis en oeuvre, une structure permanente de planification, de commandement et de conduite des missions militaires de l'Union européenne. Celle-ci a recouru jusqu'à présent à des quartiers généraux nationaux - France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie ou Grèce - ou au quartier général de l'Otan en Belgique. La création d'une réelle capacité de commandement et de conduite est à la fois un enjeu d'efficacité opérationnelle et, surtout, d'autonomie stratégique.
Augmenter les moyens d'action de l'Agence européenne de défense, et en premier lieu ses ressources financières, est un levier important de cette politique ; c'est même, si j'ose dire, le nerf de la guerre. Son ambition initiale prend aujourd'hui tout son sens : identifier les capacités militaires nécessaires pour l'Union, développer les programmes correspondants et s'appuyer sur la recherche commune de défense pour mettre en place une industrie d'armement européenne. Son mode de fonctionnement intergouvernemental qui suppose l'accord de tous les États membres pour avancer, tout comme la faiblesse de son budget, ont conduit à la marginaliser. Or c'est elle qui a vocation à définir les normes communes applicables aux équipements produits par les États membres, et son rôle dans le développement des programmes d'armement européens est vital.
La Commission européenne, avec l'AED, a aussi lancé un système de financement pour la recherche de défense, essentielle à l'autonomie stratégie en matière d'armement et la création d'une base industrielle et technologique de la défense (BITDE). Cette « action préparatoire » a vocation à déboucher sur une ligne budgétaire ambitieuse lors du prochain cadre financier pluriannuel. La Commission européenne a proposé la semaine dernière, dans son plan d'action européen de la Défense, que le Fonds européen de la défense reçoive et gère des contributions des États membres pour le développement conjoint de capacités de défense. Elle suggère aussi que ces contributions ne soient pas intégrées dans les contraintes du Pacte de stabilité.
Toujours dans le cadre des financements européens au service de la défense, il convient de donner suite à d'autres initiatives de financement européen qui permettraient, sur le modèle du Fonds européen d'investissement stratégique, d'impliquer la Banque européenne d'investissement dans l'aide aux PME du secteur de la défense.
Le renforcement de ce que l'on appelle le « secteur de la sécurité » pour des pays en sortie de crise, afin d'assurer leur stabilisation durable, est un volet important des opérations extérieures de l'Union européenne. Le financement de cette action par des fonds européens, par exemple pour la formation de forces de gendarmerie ou de police, a longtemps été bloqué par des obstacles juridiques ; il est désormais facilité. Cet instrument de stabilité doit être renforcé ; il peut être un outil essentiel, hors du territoire européen, de la prévention du terrorisme dans des zones politiquement fragiles. Le Mali en est une bonne illustration.
Le mécanisme de financement des opérations militaires de la Politique de sécurité et de défense commune, dit Athena, doit enfin être profondément réformé pour accroître largement la part du financement commun et réduire, à due concurrence, celle des États engagés militairement dans l'opération. La France et l'Allemagne feront une proposition dans ce sens avant la fin de cette année.
Ces pistes que nous vous proposons sont en grande partie inspirées de la proposition de résolution européenne appelant à une refondation de la PSDC, adoptée par notre commission des affaires européennes et enrichie par celle des affaires étrangères et de la défense. Le Brexit a, depuis, provoqué un lancement plus rapide que prévu de ces réflexions...
Comme l'a montré notre collègue Jacques Gautier, ces pistes ont toutes en commun la recherche de l'autonomie stratégique de l'Union.
Trois observations pour conclure. D'abord, la sécurité et la défense font sans doute partie des rares domaines où les populations de l'Union sont le plus convaincues qu'on ne peut agir efficacement qu'ensemble et non pas isolément. Dans un climat d'euroscepticisme général, la sécurité et la défense sont centrales dans la valeur ajoutée européenne. Je le ressens profondément. La PSDC, qui est l'action de l'Union hors de ses frontières pour prévenir les menaces sur son territoire, ne constitue qu'une infime partie de la capacité de sécurité de l'Union européenne.
Contrairement aux précédents traités européens, le traité de Lisbonne contient de nombreuses dispositions en faveur d'une PSDC ambitieuse. Longtemps, la défense européenne a été tenue pour suspecte ; le traité a inversé cette logique. Tout n'est pas gagné mais il nous incombe d'installer, sur la base de ces textes, un nouvel état d'esprit en prenant appui sur l'existant. Comme Jacques Gautier, je pense que nous sommes freinés par la crainte de passer à l'Europe politique ; mais le poids de la menace sécuritaire pourrait lever cet obstacle psychologique. Cependant, sans volonté politique solide et durable, ce sera une énième occasion manquée. Ne croyons pas que nous nous en sortirons seuls, comme les sirènes du populisme voudraient nous en convaincre ; la jeunesse montre la voie à travers son attachement profond à l'Europe.
Enfin, même si un espace semble se dessiner pour une PSDC crédible, la défense est, et restera, comme l'a dit Jacques Gautier, une responsabilité souveraine des États. Budgets de défense, stratégies, capacités, volonté ou capacité politique à s'engager militairement sur des théâtres de crise : autant de paramètres qui relèvent exclusivement de la souveraineté nationale. Sont en cause les gouvernements mais aussi les Parlements nationaux qui, dans le domaine de la défense comme dans d'autres, ont vocation à obtenir un espace d'expression accru. Il y a un équilibre délicat à trouver entre souveraineté et cohérence collective, entre des traditions diplomatiques, politiques et militaires très diverses pour construire une stratégie partagée, sur la base d'intérêts identifiés en commun.
L'exercice est difficile. L'adoption en juin 2016 d'une stratégie européenne a été un point de départ. Il faut désormais, et rapidement, construire du concret.
M. Jacques Gautier . - Merci à Gisèle Jourda de porter un regard plus optimiste sur cette Europe qui n'est pas toujours celle dont nous rêvons...
M. Yves Pozzo di Borgo . - Ce matin, lors de la réunion de la commission des affaires étrangères, Daniel Reiner a eu cette formule à propos des intentions de M. Trump en matière de politique étrangère : « ce qui est certain, c'est l'incertain ». Avec sa mentalité d'homme d'affaires, M. Trump est guidé par le principe du donnant-donnant. Il considère que l'Otan coûte trop cher, même si 80 % des achats militaires de l'Europe se font auprès des Américains... Le président de notre commission, Jean-Pierre Raffarin, a quant à lui observé que, si la vision de l'Europe qu'ont la Chine, la Russie ou les États-Unis est connue, celle que l'Europe a d'elle-même semble parfois insaisissable.
Notre groupe de suivi pourrait orienter ses travaux dans ce sens. La défense est un des éléments importants de cette vision. Les représentants de la commission des affaires étrangères en contact avec l'équipe du futur président nous avertissent que les logiciels changent plus vite que nous ne le pensions.
M. Jean Bizet , président . - Nos partenaires veulent une Europe divisée, atomisée. À nous d'écrire notre vision. La Russie a observé le Brexit avec intérêt ; la Turquie nous voit embourbés dans le dossier des migrants... La très belle idée de nos pères fondateurs a cédé la place à une Europe fatiguée d'elle-même.
Merci à Jacques Gautier d'avoir souligné la complémentarité entre la politique européenne de défense et l'Otan, qu'on veut trop souvent opposer. Merci aussi à Gisèle Jourda d'avoir rappelé que les dépenses militaires n'ont pas vocation à être prises en compte dans le pacte de stabilité. Enfin, vous avez bien fait de souligner que la BEI aurait intérêt à s'investir via le plan Juncker de deuxième génération, dans le soutien aux PME du secteur de la défense, où la recherche-développement n'est jamais loin des applications civiles. Les Américains l'ont compris, eux qui ont énormément investi dans ce domaine sous le couvert de la Défense.
Vos communications enrichiront notre document final. Une conclusion s'impose : l'Union européenne doit davantage se prendre en main, non seulement dans sa politique de défense, mais aussi en affirmant sa puissance commerciale, la première au monde. Nous avons souligné, face au directeur de cabinet de M. Timmermans, notre incompréhension vis-à-vis du manque de volonté à cet égard. Confusément, nos concitoyens en ont pris conscience. Ils n'ont plus confiance en une Europe qui ne les protège pas. Il convient de le faire non par une ligne Maginot de nouvelle génération, mais par des démarches offensives.
La réunion est levée à 15h40.
Mercredi 25 janvier 2017
Présidence conjointe de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes et de M. Xavier Pintat, vice-président de la commission des affaires étrangères et de la défense
La réunion est ouverte à 15h45.
5. Europe croissance - Communication de MM. André Gattolin, Jean-Noël Guérini et Xavier Pintat (mercredi 25 janvier 2017)
M. Jean Bizet, président. - L'Europe compétitive et créatrice d'emplois devra être l'un des axes forts de nos conclusions. Je remercie donc André Gattolin, Xavier Pintat et Jean-Noël Guérini d'avoir approfondi cette question.
Le chemin de la croissance et de l'emploi passe par un approfondissement du marché unique, l'harmonisation des marchés de capitaux, un marché unique du numérique et l'union de l'énergie. Ce peut être la vocation d'un petit groupe d'Etats déterminés, autour du couple franco-allemand, de construire une Europe plus compétitive en développant des actions communes dans ce sens et en progressant dans la convergence sociale et fiscale. L'Union européenne pourra appuyer efficacement leur démarche en poursuivant son soutien à l'investissement à travers un fonds Juncker de deuxième génération.
M. André Gattolin. - Le numérique est désormais tellement présent dans notre économie et notre société toute entière, qu'il n'est pas si facile de l'appréhender en quelques minutes. Je m'y essaie pourtant.
L'Europe, comme le reste du monde, est en pleine mutation numérique. La question qui se pose à elle, c'est comment ne pas subir ce bouleversement, mais bien en être un acteur des transformations économiques et un architecte de la société qui en sortira. Le numérique peut être un moteur pour la croissance sur notre continent !
Cette question se pose depuis plusieurs années déjà et a permis l'adoption en 2015 de la stratégie pour un marché unique numérique de l'Union européenne. Cette stratégie, si nous en avons dénoncé les limites dans le cadre des travaux que nous avons menés avec Colette Mélot, nous l'avons soutenue. Je pense qu'il faut que nous continuions à le faire pour permettre son achèvement. Je prends deux exemples très différents, mais qui illustrent les défis qui sont encore devant nous.
Le premier, c'est le statut de la donnée. La donnée est au centre de l'économie numérique. Elle en est le pétrole. Il y a la donnée personnelle, la donnée privée ou encore la donnée sociale. Or, elle n'est pas encore complètement encadrée juridiquement et surtout les conditions de sa circulation et de son usage ne sont pas assez définies. Il y a un régime européen de la donnée qui doit être renforcé, car on ne peut accepter que nos données partent aux États-Unis, où les grands groupes les exploitent et en tirent seuls le bénéfice.
Le second exemple, c'est la qualification des salariés. Le numérique transforme un grand nombre de métiers. Il faut accompagner ce changement. Et s'il détruit beaucoup d'emplois, il en créée aussi. Il y a et il y aura de nouveaux métiers. Il faut que l'ensemble des salariés européens soient formés à ce nouvel environnement. C'est une question de compétitivité pour notre économie et un enjeu pour des centaines de millions d'Européens.
Je pense aussi que l'internet mondial tend à se différencier d'une région du monde à une autre. Les États-Unis dominent bien sûr ce secteur, puisqu'ils en sont les initiateurs. Mais en réaction, la Chine et la Russie sont en train de régir différemment le fonctionnement d'internet à l'intérieur de leurs frontières. L'Union européenne doit, elle aussi, affirmer sa souveraineté en conformité avec ses valeurs démocratiques.
Elle doit tout d'abord édicter ses règles. Comme l'expliquait Benoît Potier quand nous l'avons auditionné, de par sa nouveauté, le numérique ne fait que peu l'objet de normes nationales. Alors, n'attendons pas et faisons le choix d'une régulation unifiée avec des normes et des standards européens !
Pour affirmer sa souveraineté, l'Europe doit aussi mieux protéger ses intérêts, ses entreprises et ses citoyens. J'évoque avec vous un aspect qui me tient à coeur, celui de la cybersécurité. On s'inquiète aujourd'hui de l'ingérence d'un État dans les élections d'un autre. Pour souligner le risque, je rappelle que plusieurs pays d'Europe tiendront chacun des élections majeures en 2017 : la France et l'Allemagne, bien sûr ; mais aussi les Pays-Bas et peut-être l'Espagne et l'Italie. Et si cet exemple est patent, il y a aussi ce qu'on dit moins. C'est-à-dire la cybercriminalité, les attaques contre les entreprises pour leur voler leurs idées, leurs brevets, parfois détourner des fonds et j'en passe. Je crains que nous ne soyons sur ce point encore trop candides. Et, sans tomber dans une forme de paranoïa, je pense qu'une véritable culture de la cybersécurité doit se développer en Europe.
Demain, nous emploierons des millions d'objets connectés. Imaginez qu'on puisse détourner une voiture connectée, arrêter un pacemaker à distance ou s'approprier les données de santé d'une personne. Qu'adviendrait-il ?
Enfin, mon troisième et dernier point concerne un projet industriel pour le numérique en Europe. Je pense que sur ce point, je rejoins les propositions de Jean-Noël Guérini sur la compétitivité. On ne développera pas de grands acteurs européens du numérique si nous n'en faisons pas plus en la matière.
L'intelligence, nous l'avons. La connaissance, nous l'avons. La créativité, nous l'avons. Des start-ups, nous en avons (la France avait le troisième contingent au sommet de Las Vegas derrière les États-Unis et la Chine). Mais elles ont du mal à grandir. Et quand elles y parviennent, elles sont rachetées par les leaders du marché, les américains. Résultat : les fameuses licornes, nous en avons peu ; et des poids lourds du secteur susceptibles de rivaliser avec les géants mondiaux, nous n'en avons aucun.
C'est pourquoi, la politique de la concurrence ne doit pas seulement se limiter à l'harmonisation du marché intérieur qui devient un self-service pour une partie de la planète et une prétendue défense du consommateur. Nous devons aussi favoriser le développement industriel. L'Union doit, soit développer des outils propres à soutenir l'objectif stratégique d'une industrie du numérique, soit autoriser les États à le faire.
Le poids et l'importance du budget européen sont très faibles et le plan Juncker présente certaines limites. Si le numérique est l'enjeu avec un grand « E », pourquoi ne pas prévoir que les États puissent pratiquer des aides d'État, ce qui n'est actuellement possible que dans le cadre de l'exception culturelle ? Pourquoi pas aussi envisager des crédits d'impôts sectoriels pour aider ces nouveaux acteurs économiques ? Le périmètre et le volume de ces aides pourraient être fixés par un accord entre l'Union et chaque État membre. Si l'Union européenne a un retard, c'est moins dans les usages de la technologie que dans les moyens mis pour développer cette économie, contrairement à ses concurrents.
M. Xavier Pintat. - Après André Gattolin, qui a évoqué le numérique, j'évoquerai pour ma part un autre secteur d'importance vitale tant pour l'économie que pour la sécurité de l'Europe : le secteur énergétique.
En effet, la refondation de l'Union européenne ne sera durable que si elle repose sur une économie forte. L' « Europe croissance » doit être fondée sur quelques piliers solides : l'Union de l'énergie est l'un de ces piliers.
Lancée, sur le fondement du traité de Lisbonne, par une communication de la Commission européenne du 25 février 2015, l'Union de l'énergie est la condition d'une Europe compétitive, indépendante de ses voisins, procurant un bénéfice directement perceptible au consommateur, tout en donnant corps aux objectifs climatiques que l'Union européenne s'est fixés, dans le cadre de l'accord de Paris.
L'Union de l'énergie doit apporter des réponses aux dysfonctionnements constatés du système électrique européen et permettre d'unifier des réglementations et marchés, actuellement encore cloisonnés, ce qui a d'importants coûts économiques, sociaux et environnementaux.
L'Union de l'énergie a aussi évidemment une dimension géostratégique.
En 2014, l'Union européenne a importé 53 % de sa consommation intérieure d'énergie.
Plus de 90 % du pétrole est importé, alors qu'il conserve un rôle stratégique pour les transports, l'industrie et la défense. Pour se fournir en gaz, l'Union dépend à près de 70 % de deux pays - la Russie et la Norvège.
Cette concentration des sources d'approvisionnement, auprès d'un nombre limité de partenaires, est un facteur de fragilité.
Les craintes concernant la sécurité de l'approvisionnement ont été renforcées par les conflits gaziers à répétition entre la Russie et l'Ukraine, depuis les années 2000, et leurs répercussions possibles dans les pays limitrophes.
C'est pourquoi une diversification des sources d'approvisionnement a paru souhaitable, notamment vers la Méditerranée, ainsi qu'un accroissement de la solidarité entre États membres, par multiplication des interconnexions.
L'Union de l'énergie était déjà un objectif ambitieux avant le Brexit. Demeure-t-elle réalisable sans le Royaume-Uni, l'un des principaux acteurs économiques et énergétiques de l'Europe ?
Le Royaume-Uni est l'un des principaux « hubs » énergétiques de l'Europe et il était, au moins jusqu'à récemment, l'un des plus engagés dans la réduction de ses émissions de CO2, avec des projets tels que le développement de l'éolien en mer, le remplacement du charbon par le gaz, et l'augmentation de la part du nucléaire dans la production électrique grâce notamment au projet Hinkley Point.
Selon les règles en vigueur, s'agissant des secteurs non couverts par le marché européen du carbone (transports, bâtiment, agriculture), les pays qui ont plus de PIB par habitant se voient attribuer des objectifs plus ambitieux que les autres, pour l'atteinte de l'objectif global de réduction de gaz à effet de serre dans ces secteurs (- 30 % en 2030).
Le départ du Royaume-Uni nécessitera donc un rééquilibrage douloureux entre États membres, sauf à revenir sur l'objectif global, ce qui constituerait un signal très négatif, alors que les incertitudes sur l'avenir de l'accord de Paris sont déjà grandes.
Mais surtout, le Brexit affaiblit considérablement le poids de l'Union européenne dans les négociations internationales, et notamment son rôle de leader dans le domaine climatique, pour lequel elle perd incontestablement une part de sa crédibilité.
Dans ce contexte, la solidarité européenne dans le domaine de l'énergie doit être sans failles.
Je voudrais simplement suggérer ici trois orientations.
En premier lieu, une réflexion globale sur la diplomatie énergétique européenne est nécessaire.
Les grands Etats font de cette diplomatie une composante essentielle de leur politique étrangère.
L'Union européenne, a malheureusement connu en la matière des orientations discordantes, par exemple lors de la mise en oeuvre du projet Southstream, finalement abandonné par la Russie, au profit d'un projet de gazoduc vers la Turquie.
La Commission européenne a dénoncé six accords bilatéraux conclus entre des États membres et la Russie, comme non conformes aux normes européennes.
Southstream a par ailleurs contribué à mettre en sommeil le projet européen Nabucco, qui devait permettre une diversification des sources d'énergie.
La question se pose aussi à propos du projet Nordstream 2, consistant à renforcer les capacités du gazoduc déjà existant entre la Russie et l'Allemagne et dont la Commission estime qu'il ne ferait qu'accroître des capacités de transport qu'elle juge déjà excessives.
Sur le fond, nous ne pouvons pas, dans le cadre du travail que nous menons, nous prononcer sur la pertinence de tel ou tel projet énergétique.
Mais, comme nous l'avons rappelé lors du vote de la résolution européenne, adoptée par le Sénat le 11 avril 2016, à l'initiative de la commission des affaires européennes, la Commission européenne doit agir dans le respect du principe de subsidiarité et, en l'espèce, du droit des États membres, garanti par les traités européens, à déterminer la structure générale de leur approvisionnement énergétique.
Il ne s'agit donc pas de donner tout pouvoir de contrôle à la Commission, mais d'inciter les États membres à mieux coordonner leurs initiatives dans le domaine énergétique, en particulier à l'international. C'est aussi un enjeu de puissance pour l'Europe.
En second lieu, l'Union européenne doit conserver son rôle moteur dans la lutte contre le changement climatique, en encourageant le développement de certaines technologies d'avenir.
Parmi l'ensemble des chantiers lancés par l'Union européenne - dont la réforme essentielle du système d'échanges de quotas d'émissions de gaz à effet de serre - l'accent devrait être mis sur le développement de certains secteurs d'avenir, dont le potentiel de croissance est important.
Je pense ici à toutes les technologies qui permettent d'accroître l'efficacité énergétique, au bénéfice du consommateur, notamment les réseaux électriques de distribution dits « intelligents » (smart grids), utilisant des technologies informatiques d'optimisation de la rencontre entre offre et demande, ou encore les dispositifs de stockage de l'énergie, qui nécessitent encore d'importants efforts de recherche & développement.
L'effort de coordination européenne dans ce domaine n'est toutefois pas à la hauteur de la concurrence internationale.
Nous risquons ainsi, comme dans le numérique, de ne pas pouvoir développer suffisamment rapidement des chaînes industrielles véritablement compétitives, nous laissant longtemps encore dépendants des technologies chinoises ou américaines.
Enfin, dans cette période difficile du Brexit, la poursuite d'une politique volontariste de l'Union européenne en direction d'une transition énergétique compétitive doit aller de pair avec suffisamment de circonspection dans les réformes qui touchent à certains grands équilibres politiques, économiques et sociaux. Tel devrait être le cas par exemple en ce qui concerne les tarifs réglementés de vente d'électricité pour les consommateurs résidentiels.
Là où les Etats ont estimé devoir les maintenir, ceux-ci protègent les citoyens-consommateurs contre des fluctuations de prix trop importantes dans ce domaine si sensible pour la vie quotidienne, et il conviendra de le garder bien présent à l'esprit.
Voilà, Messieurs les Présidents, mes chers collègues, les premières orientations qu'il me semblerait utile de privilégier dans ce nouveau contexte.
M. Jean-Noël Guérini. - Messieurs les présidents, mes chers collègues, au-delà du marché unique du numérique et de l'Union de l'énergie qui peuvent incarner une nouvelle ambition industrielle européenne, l'Union européenne doit se doter d'instruments au service de cette politique.
Trois leviers devraient aujourd'hui être actionnés : la concurrence, la fiscalité et l'investissement.
En ce qui concerne la concurrence, nous ne pouvons continuer sur la base schizophrénique actuelle, qui consiste à ouvrir toujours plus nos marchés et, dans le même temps, à empêcher la constitution de grands groupes européens.
André Gattolin a abordé, il y a quelques instants, la question du numérique. Jamais, compte-tenu des règles actuelles de la politique de la concurrence européenne, un Google européen n'aurait pu émerger. L'action de la Commission apparaît aujourd'hui contre-productive, quel que soit le secteur.
En matière agricole, un groupe de travail mis en place par la Commission est ainsi arrivé à un constat déjà partagé par la plupart des acteurs : la politique de la concurrence favorise à juste titre le consommateur mais empêche tout regroupement de producteurs.
Dans ces conditions, il s'agit de promouvoir une politique de la concurrence dynamique. Elle passe par une révision de la notion de marché pertinent. Le marché européen n'est pas isolé, il s'intègre au marché mondial. La politique de la concurrence doit être au service de la politique industrielle européenne et non lui porter préjudice. Elle doit faciliter l'émergence de champions européens.
Il paraît également opportun de demander une révision des critères d'examen par la Commission européenne des aides d'État :
- la concurrence internationale devra être prise en compte dans l'analyse préalable des éventuelles sanctions ;
- l'aide d'État devrait également être envisagée comme un levier pour l'investissement privé dans des secteurs à fort potentiels de croissance : je pense aux biotechnologies, au numérique, aux technologies « vertes », industrie 4.0... ;
- à l'image des dérogations en faveur des réformes structurelles et de l'investissement dans le Pacte de stabilité et de croissance, les aides d'État pourraient être autorisées si elles concourent directement aux objectifs industriels de l'Union européenne.
L'Union européenne s'est dotée, en 2008, d'un « Small business act » (SBA) en faveur des petites et moyennes entreprises. Mais l'ensemble tient plus d'une série de recommandations que de normes favorables aux PME, contrairement au Small business Act américain.
Il convient d'aller plus loin et d'envisager, comme le font les États-Unis, de réserver une partie de la commande publique des Etats membres à leurs petites et moyennes entreprises.
Rappelons que les entreprises employant moins de 250 personnes et dont le chiffre d'affaires n'excède pas 50 millions d'euros, représentent 99 % des entreprises européennes et emploient presque 70 % de la main d'oeuvre du secteur privé.
Le SBA européen doit par ailleurs être enrichi de dispositions facilitant l'accès aux financements, l'aide à l'exportation et le développement de guichets uniques.
Toute ambition industrielle passe également par un rapprochement des fiscalités. Un grand groupe européen ne pourra réellement se développer et tirer profit des potentialités offertes par plusieurs Etats membres que s'il peut s'appuyer sur une fiscalité à la fois favorable à l'investissement et harmonisée de part et d'autre de l'Union. Après une tentative avortée en 2011, la commission a publié le 26 octobre dernier une proposition de directive européenne tendant à uniformiser l'assiette de l'impôt sur les sociétés. Nous ne pouvons que nous en féliciter.
Cette approche doit également permettre de lutter contre la concurrence fiscale entre Etats membres et les phénomènes d'optimisation.
Une harmonisation progressive de la fiscalité des entreprises, du travail et du capital devrait être recherchée. Le couple franco-allemand peut faire, à cet égard, figure de laboratoire.
Le troisième moyen d'action concerne l'investissement.
La création du Fonds européen d'investissement stratégique par l'actuelle Commission constitue un premier pas. L'augmentation annoncée de sa capacité d'intervention va incontestablement dans le bon sens. Elle doit être doublée d'une vaste réflexion européenne sur la levée des obstacles réglementaires aux investissements.
Cela passe notamment par l'achèvement du projet d'Union des marchés de capitaux, en insistant sur l'utilisation de l'épargne individuelle, la mise en avant du financement durable en faveur de l'investissement dans les technologies vertes ou l'encouragement au développement des technologies financières ou FinTech, qu'il s'agisse du paiement ou de l'affacturage en ligne ou du financement participatif, avec la création d'un cadre européen adapté, assurant la protection des acteurs.
Au-delà de l'aide à certains secteurs, il apparaît indispensable que l'investissement public européen soit au service de la création de véritables écosystèmes, à l'image de la Silicon Valley.
Il s'agit d'y réunir grandes entreprises, start-up, universités, centres de recherche et financiers.
Ces écosystèmes devront, par la suite, être mis en réseau au niveau européen. Cette connexion pose la question d'un statut européen d'entreprise extraterritoriale. Elle devra être accompagnée d'une coordination des programmes de recherche entre les universités européennes.
M. Jean Bizet, président. - Je remercie nos trois rapporteurs pour ces contributions. Quelqu'un souhaite-t-il ajouter quelque chose ?
M. André Gattolin. - Je pense qu'il faut rester prudent vis-à-vis du plan Juncker. Certes, la première phase a bien marché et particulièrement pour la France. Mais si plusieurs projets ont été retenus, c'est parce qu'ils existaient déjà avant l'adoption du plan et qu'ils ont bénéficié d'un fort abondement de fonds de la part de la Banque européenne d'investissement. Pour les deuxième et troisième phases, cela pourrait être plus compliqué, en particulier pour la levée de fonds privés avec un effet de levier qui pourrait être moins efficace. Je crois que ce plan est important, mais il ne peut être un substitut à une véritable stratégie industrielle pour l'Union européenne.
M. Jean Bizet, président. - C'est vrai qu'il faudra que nous soyons inventifs, plus sélectifs et aussi plus prospectifs. Dans le domaine agricole, il y a des choses à faire et j'y travaille. Pour les start-ups, peut-être pourrions-nous nous appuyer sur les incubateurs qui sélectionnent déjà les plus prometteuses d'entre elles.
Merci pour ces propositions qui vont nourrir notre travail final .
6. La relation franco-allemande - Communication de MM. Claude Kern et Jean-Pierre Masseret (mercredi 25 janvier 2017)
M. Jean Bizet , président . - Dès le lancement de nos travaux, nous avons souhaité réserver une place spécifique à la relation franco-allemande. Sans le moteur franco-allemand, l'Europe n'avance pas. Dans un monde où la fragmentation menace, c'est au couple franco-allemand, comme par le passé, de montrer la voie de l'unité européenne et de proposer des projets mobilisateurs.
Or aujourd'hui la relation paraît déséquilibrée au profit de l'Allemagne et les deux pays ont bien du mal à être à l'initiative ensemble. C'était donc tout l'intérêt du déplacement que nous avons effectué à Berlin d'échanger avec nos amis allemands, notamment avec le ministre des Finances M. Schäuble. Je remercie nos collègues Claude Kern et Jean-Pierre Masseret d'avoir approfondi la question pour nous faire des propositions concrètes. Nous entendrons aussi avec l'intérêt l'analyse avertie de notre collègue Jean-Marie Bockel qui a participé à notre déplacement.
M. Claude Kern , rapporteur . - Avant que mon collègue Jean-Pierre Masseret ne revienne plus précisément sur les enseignements de la mission de notre groupe à Berlin des 15 et 16 janvier, je souhaiterais tenter de remettre en perspective le fameux « couple franco-allemand ».
Nous connaissons son acte de naissance emblématique, à savoir le Traité de l'Élysée signé le 22 janvier 1963 qui poursuivait trois objectifs : sceller la réconciliation franco-allemande, créer entre les deux pays une véritable amitié et favoriser la construction de l'Europe unie, qui est le véritable but des deux peuples.
Nous nous rappelons aussi des riches heures de ce couple qui a joué un rôle majeur dans les grandes avancées de la construction européenne : l'Acte unique européen, le Traité de Maastricht ou plus récemment, la mise en place de l'Union bancaire.
Nous nous plaisons à y repenser mais il faut avouer que depuis quelques années, il est aussi possible de s'interroger sur la réalité du couple franco-allemand au sein duquel les signes de déséquilibres se multiplient. Lors de crises récente - celle de la Grèce et puis celle des migrants - les décisions fondamentales semblaient prises par l'un des deux au sein du couple.
De façon plus structurelle, on constate aussi depuis dix ans une forte divergence entre nos deux économies en termes de croissance, de chômage, de compétitivité et d'équilibre financier.
Peut-on encore parler d'un couple franco-allemand ? Quel peut-être son rôle ? Ces questions se posent désormais. C'était d'ailleurs le thème d'un dîner réunissant un grand nombre d'eurodéputés des deux pays que nous avions organisé, lors du déplacement de notre groupe de suivi à Strasbourg le 21 novembre dernier.
Je ne m'appesantis pas davantage sur l'état des lieux car nous le connaissons et nos travaux visent surtout à réfléchir à la « refondation de l'Europe après le Brexit », c'est à dire à l'avenir.
Sur ce point, je souhaiterais partager avec vous plusieurs observations.
Tout d'abord, qu'on le déplore ou que l'on se félicite, il n'existe pas d'alternative au moteur franco-allemand pour l'Europe. Est-ce à dire qu'il est appelé à fonctionner de toutes façons et que nous n'avons pas de souci à nous faire ? Je ne crois pas. Bien au contraire, cela signifie que si le moteur franco-allemand est en panne, c'est l'Europe qui est menacée. Le poids de notre coresponsabilité est donc considérable.
Ensuite, je ne peux m'empêcher de rappeler ce qui fait l'importance vitale de ce couple franco-allemand pour l'Union. Il y a déjà, tout simplement, le poids de nos deux puissances cumulées qui font de la France-Allemagne le troisième bloc économique mondial derrière les États-Unis et la Chine. C'est une réalité qui est loin d'être négligeable au moment où l'on assiste à une forme de retour de l'équilibre des puissances entre des États-continents.
Mais, plus fondamentalement, si la France et l'Allemagne jouent ce rôle au sein de l'Union européenne ce n'est pas parce que ces deux pays seraient différents des 25 ou 26 autres. C'est au contraire parce qu'ils sont différents l'un de l'autre. Lorsqu'un compromis franco-allemand existe, il n'est en général pas trop loin d'un point de ralliement possible, d'une base de travail acceptable à la fois par, l'Europe dite « du nord » et l'Europe dite « du sud ». C'est une réalité qu'il nous faut sans cesse rappeler à nos partenaires. Car certains, en particulier parmi les nouveaux pays qui n'ont pas toujours l'expérience de ce moteur franco-allemand, peuvent en douter. Et puis, faisons aussi notre mea culpa en reconnaissant que parfois, les accords entre la France et l'Allemagne ont davantage consisté en un compromis entre deux intérêts nationaux plutôt que définis dans l'intérêt européen.
Un autre ressort du moteur est qu'en voyant la France et l'Allemagne faire l'effort de transcender leurs différences, les autres États membres sont encouragés à faire de même. Tel est le rôle d'entraînement du fameux moteur. Il en est ainsi depuis le début de la construction européenne, fondée sur la volonté de réconciliation entre les pays.
Enfin, si le moteur franco-allemand est essentiel, il ne doit néanmoins pas être exclusif. Il doit être ouvert sur d'autres partenaires sous différents formats : triangle de Weimar avec la Pologne, zone euro, espace Schengen, etc.
De même, le couple franco-allemand est sans doute le point de départ idéal pour nouer les fameuses coopérations renforcées pour faire avancer l'Europe dans certains domaines où il est difficile d'avancer à 27.
Quand je dis que le couple franco-allemand ne doit pas être exclusif, c'est que j'espère qu'il ne soit pas le seul moteur disponible pour faire décoller l'Europe. Le moteur franco-allemand est indispensable et sans doute irremplaçable. Cela ne signifie pas qu'il soit toujours suffisant !
Je cède la parole à Jean-Pierre Masseret qui rentre de Berlin en espérant qu'il nous apporte de bonnes nouvelles.
M. Jean-Pierre Masseret . - Je vais vous faire un rapide compte rendu des entretiens que nous avons eus à Berlin sur ces deux thèmes : le Brexit et la Refondation de l'Union européenne.
Sur le Brexit, il est clair que nos interlocuteurs allemands partagent nos vues. C'est-à-dire qu'il est nécessaire d'être ferme dans la négociation, qu'il n'est pas question que la situation de la Grande-Bretagne dans la période transitoire ou dans l'après Brexit soit plus favorable que lorsqu'elle était membre de l'Union européenne. Donc les quatre libertés ne sont pas négociables, il faudra tenir bon sur ce point.
Mais dans le même temps, nos interlocuteurs allemands lorsqu'ils abordent les questions de défense ou de sécurité, ou encore de diplomatie, rappellent que, dans ces domaines, la Grande-Bretagne est un vrai partenaire. On l'a vu tout à l'heure avec l'ambassadeur de Grande-Bretagne. On voit bien que dans la résolution des défis que représentent l'évolution de l'OTAN, la diplomatie, les relations avec la Russie, la situation en Syrie et en Irak, la Grande-Bretagne a un rôle à jouer ce qui peut lui permettre de peser sur les discussions et les négociations du Brexit. C'est un élément qui peut contribuer à diviser les 27 États membres, et on peut compter sur la Grande-Bretagne pour user de toutes les ressources possibles pour défendre au mieux ses intérêts. Il faut avoir cela présent à l'esprit : le couple franco-allemand partage une même vision du Brexit mais, dans la discussion, il lui faudra vraiment tenir bon et ne pas se laisser diviser lors de négociations sur des questions ponctuelles, sur l'un ou l'autre des sujets que je viens de mentionner.
Nous ressortons d'ailleurs des entretiens de Berlin avec la conviction que, pour l'Allemagne, l'intérêt premier est l'intégrité de l'Union européenne et l'union des 27 États membres. Il a même été dit que ceci primait sur les intérêts économiques de l'Allemagne, voire des autres pays membres. On entend là que des évolutions sont possibles, que des discussions peuvent être ouvertes pour maintenir la cohésion des 27 États membres.
Sur la Refondation, j'ai trouvé nos partenaires allemands probablement moins volontaristes que les Français. Nous sommes beaucoup plus volontaristes, nous avons des visions politiques que l'on souhaite voir traduire dans l'organisation du projet européen. Les Allemands m'ont semblé moins allants. Il nous a été répété systématiquement qu'avant d'envisager des évolutions ou une refondation de l'Union européenne il était nécessaire de respecter les règles actuelles, c'est-à-dire de respecter les limites encadrant le déficit et la dette publics. Wolfgang Schaüble, ministre de l'économie, l'a rappelé mais peut-être pas de la façon la plus ferme. Il a en effet reconnu lors de la discussion que les États membres n'étaient pas tous dans la même situation et qu'il y avait peut-être une marge de discussion, sans toutefois aller plus loin sur cette voie.
En tout cas, pour nos interlocuteurs, le couple franco-allemand est indispensable. Mais, comme notre collègue vient de nous le dire, le couple franco-allemand ne fonctionne plus. Il y a un effacement de la France. Or, l'Allemagne n'a pas forcément envie d'occuper un poste de leader, telle n'était pas son intention initiale. Dans ce contexte, l'effacement de la France porte préjudice au couple franco-allemand ; et nous attendons tous d'ailleurs qu'après les élections en France et en Allemagne en 2017 puisse s'établir un projet pour cinq ans porté par nos deux pays.
La rencontre avec les fondations allemandes, qui jouent des rôles importants dans ce pays a été très intéressante. Nous avons dressé le constat, partagé, que l'Union européenne était en perte de vitesse, qu'elle avait perdu la confiance des peuples, que les espérances étaient évanouies et que la légitimité même de l'Union européenne était contestée par les peuples et par des dispositions gouvernementales assez inquiétantes.
En termes de méthodologie, on nous a beaucoup parlé de la « politique des petits pas ». Si cette voie ne doit pas être négligée elle n'est pas suffisante. La politique européenne apporte de la valeur ajoutée à des politiques nationales, sans doute ! Mais pour ma part je pense qu'il faut avoir une vision plus générale. On ne peut pas se satisfaire d'aborder la Refondation de l'Union européenne par des « petits pas » un peu technocratiques. Il nous faut avoir une vision politique ! Et la France et l'Allemagne ont les moyens de poser le problème de la Refondation à partir des valeurs universelles de l'Europe. Il faut bien que l'Europe se distingue dans l'organisation du monde pour en être un acteur respecté et respectable, et ses valeurs sont précisément les instruments et les outils à partir desquels cela est possible.
Au-delà de ces « petits pas », une réflexion sur les enjeux du XXI e siècle m'apparaît nécessaire. Qu'est-ce que le monde du XXI e siècle ? À quoi ressemble le monde tel qu'il est en train de s'organiser ? Ce matin, nous entendions en audition Mme Nicole Fontaine, ancienne présidente du Parlement européen, et des professeurs. Nous sommes d'accord, je crois, pour dire que nous sommes en train de solder l'après-guerre et il s'agit d'organiser maintenant cette relation mondiale géopolitique nouvelle. C'est là que l'Union européenne doit avoir un projet fondé sur des valeurs intégrant les problématiques que nos collègues ont évoqué dans leur communication : la politique industrielle, la politique numérique, les problèmes de formation etc.
Il serait souhaitable qu'à l'automne prochain, la France et l'Allemagne soient capables de poser, ce qu'on appelle aujourd'hui, une feuille de route, fondée sur des valeurs, qui offre des perspectives, qui donne une vision non technocratique, une vision encourageante aux citoyens européens. On ne peut pas aujourd'hui faire l'impasse sur les approches « identité et souveraineté nationales » et sur la façon dont on fait aujourd'hui démonstration qu'à cette identité nationale, une identité européenne s'ajoute et qu'à une souveraineté nationale une souveraineté européenne vient s'ajouter, de façon à ce que les politiques nationales et les politiques européennes convergent et aillent dans le même sens !
M. Jean-Marie Bockel . - Ce déplacement à Berlin était effectivement très intéressant. À titre personnel, je l'ai d'ailleurs mis en regard du déplacement effectué en décembre au titre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qui nous avait permis d'aborder les enjeux de défense avec nos collègues du Bundestag. Lors de la réunion de décembre, qui a eu lieu avant les terribles attentats qui ont frappé Berlin, nos collègues allemands étaient dans l'état d'esprit visant à s'impliquer davantage sur les enjeux de défense, à renforcer notre partenariat dans le domaine de la sécurité. Lors de la réunion de janvier, il m'a semblé qu'il y avait en toile de fond la réflexion sur le différentiel économique entre la France et l'Allemagne qui évidemment freine les choses.
Pour autant, je m'attendais à ce que nous soit présentées des positions plus fermées sur le partenariat franco-allemand. Je travaille sur ce thème depuis déjà 35 ans, et depuis quelques temps il me semblait percevoir une moindre adhésion, une moindre croyance à cette démarche franco-allemande, au-delà même du différentiel économique que j'évoquais tout à l'heure. Les Allemands étaient sur d'autres tropismes, vers l'Europe centrale notamment. J'ai donc été presque surpris à Berlin d'avoir des interlocuteurs qui malgré les différences, malgré les freins, semblent de nouveau croire au moteur franco-allemand. Cela vaut d'ailleurs pour les interlocuteurs de haut niveau qui nous ont reçus mais aussi pour les parlementaires que l'on peut rencontrer dans d'autres enceintes.
Dans le cadre des auditions de notre groupe de suivi qui sont très denses, nous entendons parfois des propos inverses qui pouvaient laisser penser qu'on ne pouvait plus parler de couple franco-allemand. Rappelez-vous de l'audition d'Hubert Védrine. Ces propos sont souvent très intéressants mais peut-être pas toujours justes. Plusieurs fois, lors de nos entretiens à Berlin, je me suis dit que les raisonnements qui battaient en brèche le couple franco-allemand étaient mis à mal. Il est évident, que lorsque nous rencontrons nos interlocuteurs allemands, chacun envie de faire un pas vers l'autre. Wolfgang Schaüble a été formidable dans ce domaine, nous tendant des perches, prenant le temps de nous recevoir longuement. J'ai vraiment perçu comme un signal, comme une opportunité, comme l'ouverture d'une fenêtre pour une action franco-allemande. Cela me semble très important. C'est ce type de démarche qui peut contribuer à refonder l'Europe.
Par ailleurs, les fondations étaient là dans leur diversité politique et leurs discours étaient convergents en ce sens.
M. Jean-Pierre Masseret . - Un complément simplement. Je n'ai peut-être pas assez dit que la grande préoccupation des Allemands est la sécurité, l'immigration et le terrorisme. Cela a pris le pas pratiquement sur tous les enjeux, même économiques.
M. Jean-Marie Bockel . - Je partage tout à fait cette remarque.
M. Jean Bizet , président . - Nous avons effectivement ressenti à Berlin une certaine inflexion dans le discours de nos amis allemands. Bien sûr, le respect des règles actuelles reste essentiel mais la lutte contre le terrorisme devient une priorité et il est donné crédit à la France d'être toujours demeurée très engagée dans ce combat.
Nous avons aussi perçu que tout en reconnaissant l'importance des relations avec nous, l'Allemagne s'inscrivait aujourd'hui dans une relation sans doute moins exclusive.
La réunion est levée à 16h45.
Mercredi 8 février 2017
Présidence de MM. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères et Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes
La réunion est ouverte à 15h15.
7. Parachever la gouvernance économique - Communication de Mme Fabienne Keller et M. Richard Yung (mercredi 8 février 2017)
M. Jean Bizet , président . - La gouvernance de la zone euro devra occuper une place importante dans les conclusions des travaux de notre groupe de suivi. Je remercie nos deux collègues d'avoir approfondi cette question, en lien étroit avec la Présidente de la commission des finances Michèle André et le Rapporteur général Albéric de Montgolfier. L'audition de Jean-Claude Trichet et de Pervenche Bérès nous avait donné des pistes intéressantes pour notre réflexion. On sait néanmoins que la Commission européenne doit présenter un Livre Blanc en mars. Nos conclusions ne pourront donc pas être définitives. Le Sénat devra poursuivre ses travaux sur le sujet.
Mme Fabienne Keller . - La sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne constitue aujourd'hui une opportunité indéniable pour réaffirmer le projet politique que constitue l'euro. Je rappelle que les Traités prévoient que tous les Etats adhèrent à terme à la zone euro. Le renforcement de l'Union économique et monétaire apparaît cependant aujourd'hui dans l'attente d'un second souffle, alors même que les institutions européennes multiplient des rapports en faveur d'un approfondissement de la zone euro, avec en filigrane l'instauration d'instruments contra-cycliques (budget européen, mécanisme d'assurance chômage européen, mutualisation d'une partie de la dette). Aller plus loin implique désormais un choix collectif en faveur d'un renforcement de la coordination des politiques budgétaires et donc de nouveaux partage de souveraineté.
Une première étape doit consister en la poursuite de ce qu'on appelle la phase I de l'approfondissement de l'UEM, lancée en octobre 2015. Censée se terminer le 30 juin 2017, il s'agit d'un approfondissement par la pratique, utilisant les instruments existants. Plusieurs dispositifs ont déjà été mis en place : réforme du semestre européen, révision de la procédure pour déséquilibre macro-économiques, création d'autorités nationales de la productivité, institution d'un comité budgétaire consultatif européen, unification progressive de la représentation de la zone euro au sein des instances financières internationales ou lancement d'une consultation sur un socle européen des droits sociaux. Certains - comité budgétaire, autorités nationales de la productivité - mériteraient de voir leur rôle clarifié afin de mieux évaluer leur apport.
Il convient d'aller plus loin sur les autres propositions, en favorisant notamment la mise en place d'un Code de convergence social et fiscal. Il est nécessaire d'établir progressivement un mécanisme d'incitation à la convergence des règles relatives aux marchés du travail et aux systèmes sociaux afin de véritablement renforcer la dimension sociale de la zone euro. La démarche en matière sociale devra également être prolongée dans le domaine fiscal, au travers de la réflexion en cours sur l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) en vue de renforcer la convergence des économies de la zone et lutter contre le développement de la concurrence fiscale entre les Etats. Un calendrier doit notamment être mis en place en vue de rapprocher la fiscalité des entreprises. Toute convergence en la matière ne doit pas se faire au détriment de la compétitivité des entreprises françaises ou des recettes fiscales nationales. Le couple franco-allemand peut constituer le cadre pour accélérer cette convergence.
La réforme du semestre européen doit également être prolongée. Le semestre européen devrait être divisé en deux périodes afin de mieux mettre en avant l'évaluation de la situation de la zone euro. Le premier trimestre serait dédié à l'analyse de la situation macro-économique de la zone euro. L'orientation de la politique budgétaire et de la politique économique au niveau de la zone pourrait ainsi être définie. Le deuxième trimestre serait consacré à l'examen des pays.
L'Union bancaire doit également aboutir le plus rapidement possible. Il s'agit de mettre en oeuvre un fonds européen d'assurance des dépôts. La possibilité pour le Mécanisme de résolution unique prévu dans le cadre de l'Union bancaire de pouvoir emprunter auprès du Mécanisme européen de stabilité lorsqu'il doit affronter une crise systémique doit également être envisagée. À défaut, il devra être doté de moyens suffisants pour être crédible.
Une réforme de l'UEM ambitieuse passera par une réflexion sur la mise en place d'un Fonds monétaire européen ou d'un budget de la zone euro. Je laisserai Richard Yung détailler ces projets. Tous sont néanmoins conditionnés par le renforcement de la légitimité démocratique de l'UEM - un renforcement au demeurant d'ores et déjà nécessaire aujourd'hui. Il semble à ce titre indispensable de réfléchir à une meilleure association des parlements nationaux.
L'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) prévoit une conférence interparlementaire, réunissant représentants des parlements nationaux et du Parlement européen. J'ai pu encore mesurer, la semaine passée, les limites de cette réunion. Il s'agit aujourd'hui de la réformer et de renforcer son rôle, tant son format n'apparaît pas adapté pour permettre l'organisation de débats de fond entre parlementaires nationaux et européens. Le temps accordé aux exposés d'experts, ainsi que le nombre de sujets à l'ordre du jour doivent être réduits. La conférence devrait, en outre, être associée aux travaux de la Commission sur l'évaluation de la situation agrégée de la zone euro, sur les projets de recommandation visant les Etats dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance ou de la procédure de déséquilibre macro-économique mais aussi au suivi de la situation des Etats qui bénéficient d'une assistance financière. Elle doit pouvoir auditionner tout acteur institutionnel de l'UEM.
Dans ces conditions, ce véritable parlement de la zone euro pourrait se réunir, à Strasbourg, pour au moins deux sessions : la première au début du semestre européen, en novembre, pour l'examen de la situation de la zone euro, et la deuxième, en juin de l'année suivante, pour la présentation des projets de recommandation par pays. Nous serions ainsi en amont des procédures budgétaires nationales. Il s'agit désormais d'aller plus loin que les conclusions adoptées par la conférence de l'article 13 et d'envisager l'adoption de résolutions par la Conférence. Il pourrait être envisagé que ce soit cette Conférence qui valide, au nom des parlements nationaux, le principe d'un engagement du Fonds monétaire européen pour aider un État membre. L'engagement de crédits resterait cependant une prérogative des parlements nationaux.
Je laisse la parole à Richard Yung pour aborder les autres pistes envisageables pour renforcer la gouvernance économique de la zone.
M. Richard Yung . - Fabienne Keller vient de présenter les voies à suivre afin d'achever la phase I du complément de l'UEM et d'assurer l'indispensable renforcement de la dimension démocratique de cette Union, en particulier le rôle des parlements nationaux. Pour ma part, je voudrais développer deux séries de réflexions : d'abord, quant à la mise en place d'un mécanisme de stabilisation budgétaire pour la zone Euro ; ensuite, quant à la gouvernance exécutive de cette zone.
En ce qui concerne un éventuel mécanisme de stabilisation budgétaire, je ferai d'abord deux rappels.
Premièrement, le Pacte de stabilité et de croissance, depuis vingt ans, a surtout été un pacte de stabilité. C'est sans doute une erreur. L'accent a été mis sur le maintien des déficits publics à moins de 3 % du PIB. En dépit des clauses de flexibilité de ce Pacte, l'instrument budgétaire demeure faiblement utilisé par les États membres. Je vous renvoie aux débats auxquels ont donné lieu nos auditions de Mme Pervenche Berès et M. Jean-Claude Trichet, ainsi qu'au récent rapport de M. Mario Monti. Le retour à l'équilibre des comptes publics apparaît comme prioritaire, au risque de peser sur la relance économique. Notre croissance « molle » s'explique sans doute ainsi pour une part.
Deuxième rappel : le rapport dit « des cinq présidents », voici plus d'un an et demi, a prévu une phase II de complément de l'UEM, à compter de juillet 2017 - autant dire : demain - et jusqu'en 2025. L'objectif de cette phase est de mettre en place un mécanisme de stabilisation budgétaire pour la zone Euro. Cependant, la forme de ce mécanisme n'a pas été précisée dans le rapport. Seuls ont été présentés certains critères à remplir, assez généraux : ouverture et transparence de l'instrument pour tous les États membres ; non seulement un rôle de gestion de crise mais aussi de prévention des crises ; une utilisation conditionnée au respect de règles de coordination budgétaire ; enfin, pas de transferts permanents entre pays ni de transferts à sens unique. Ce dernier critère était vraisemblablement destiné à satisfaire l'Allemagne.
Dans ce contexte, deux options sont imaginables. La première serait de transformer l'actuel Mécanisme européen de stabilité (MES) en un « Fonds monétaire européen » (« FME »).
M. Jean Bizet , président . - C'est une hypothèse séduisante !
M. Richard Yung . - Oui. Ce FME serait en effet de nature à favoriser une gestion plus souple qu'aujourd'hui. A minima, il assurerait la gestion commune d'une partie de la dette des États membres avec l'objectif de renforcer la stabilité de la zone Euro. Il serait doté de capacités de négociation et de suivi propres, afin de limiter les risques d'attaques spéculatives sur les dettes souveraines et de faciliter une éventuelle restructuration de la dette publique d'un pays membre de la zone euro, sans faire appel au Fonds monétaire international (FMI). Il pourrait en outre se voir octroyer une licence bancaire, qui lui permettrait de se refinancer auprès de la Banque centrale européenne (BCE). Il s'agirait là d'une garantie en vue de faire face à une crise frappant directement un grand pays de la zone Euro. On peut en effet s'interroger sur la capacité du MES à assumer de telles interventions, avec ses ressources actuelles : plus de 700 milliards d'euros, dont on a utilisé que le dixième environ.
Ce FME pourrait également émettre de la dette pour les États membres confrontés à des difficultés. Cette dette additionnelle serait garantie par tous les États membres de la zone Euro. À cet égard, je dois dire que le FMI se montre plus ouvert que l'Union européenne qui, sous la pression de l'Allemagne, rechigne à certains scénarios. La difficulté dans laquelle se trouve aujourd'hui la Grèce en témoigne.
Pourrait-on aller plus loin, à plus long terme ? Ce serait la deuxième option : créer une véritable capacité budgétaire pour la zone Euro. Cette idée, pour l'heure, soulève encore de nombreuses questions.
Quant à l'objectif, différentes possibilités existent.
On pourrait créer un « rainy-day fund » - disons : un « fonds pour les mauvais jours » -, mécanisme d'assurance intergouvernemental destiné à assister les États membres en cas de chocs conjoncturels. C'est déjà la vocation du MES, mais il est peu utilisé, et le FME que j'envisageais tout à l'heure répondrait à cette préoccupation.
On pourrait créer un budget de la zone Euro à part entière, orienté vers une réponse contra-cyclique, encourageant les pays ayant d'importants excédents à réaliser des investissements.
On pourrait encore mettre en place plus directement un budget d'investissement de la zone Euro, qui permettrait de faire face aux chocs asymétriques en encourageant les réformes. Cet instrument pourrait aider des États membres faisant face à des évènements imprévus et soutenir les réformes structurelles engagées par des gouvernements contraints par les règles du Pacte de stabilité et de croissance, en démultipliant le programme d'appui à la réforme structurelle présenté par la Commission européenne.
L'idée existe également de créer un système d'assurance chômage à l'échelle de l'UEM : soit un fonds européen qui offrirait une assurance aux chômeurs de courte durée, soit un dispositif de réassurance pour les assurances chômage nationales, activé si le niveau de chômage venait à excéder un certain niveau.
Quant aux ressources permettant d'alimenter ce budget, sujet au coeur de la récente audition de MM. Mario Monti et Alain Lamassoure à laquelle ont procédé en commun les commissions des finances et des affaires européennes, les hypothèses sont diverses. L'assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés (ACCIS), objet de propositions de la Commission européenne selon une approche graduée, peut constituer une piste. Il y a également celle de la TVA, ou encore celle de l'impôt sur les sociétés ou d'une taxe sur les transactions financières - qui suscitent les réticences que l'on sait de la part des entreprises et des banques ! On pourrait encore imaginer de mettre à contribution tout ou partie des excédents de la BCE...
M. Jean Bizet , président. - Il me semble que ce dernier point mériterait d'être creusé.
M. Richard Yung . - Sans doute. J'ajouterai que la possibilité d'une mise en commun des dettes dans le cadre d'un « Trésor européen » ne pourrait être envisagée qu'à la condition d'une réelle coordination des politiques budgétaires et économiques des États membres et de leur convergence fiscale.
Les idées sont très nombreuses. Toute la difficulté est de trouver un accord, notamment avec l'Allemagne - mais pas seulement.
En tout état de cause, la perspective de telles réformes appelle, dès à présent, une rénovation de la gouvernance de la zone Euro. Fabienne Keller ayant abordé l'aspect démocratique et parlementaire, je m'attacherai à la dimension exécutive.
À cet égard, le besoin est d'abord de renforcer le pilotage politique de la zone Euro ; nous ne cessons de le dire... Il s'agit d'assurer progressivement la coordination des politiques économiques et budgétaires et une convergence fiscale des États membres, ainsi qu'une meilleure complémentarité avec l'action de la BCE.
Le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) a instauré un sommet de la zone Euro. En pratique, cependant, ce sommet, qui n'est réuni qu'en cas de crise, manque de substance. Il conviendrait donc d'en systématiser l'organisation ; le sommet de la zone Euro, par exemple, pourrait se réunir tous les trois ou six mois. Les chefs d'État et de gouvernement, dans ce cadre, établiraient un programme de travail pour la zone, fixant des objectifs en matière budgétaire et fiscale.
Par ailleurs, il est nécessaire de renforcer la visibilité politique de la zone Euro. Le sommet de la zone Euro est certes doté, en droit, d'un président, désigné par les chefs d'État et de gouvernement, mais c'est en pratique le président du Conseil européen. Il faudrait créer un véritable coordonnateur politique de la zone Euro, qui serait le président de l'Eurogroupe et dont les missions seraient notamment de mettre en oeuvre les orientations définies par le sommet de la zone Euro et assurer la représentation de cette zone au sein des instances financières internationales. On peut imaginer en outre qu'il soit, sur le modèle du Haut-représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), vice-président de la Commission européenne, qu'il préside le conseil Ecofin et soit responsable du MES puis, le jour venu, du FME, voire d'un éventuel budget de la zone Euro.
Cela dit, je me garderais bien de trancher sur la manière dont toutes ces propositions pourraient recueillir un accord entre les États membres...
M. Jean Bizet , président . - Merci pour ce rappel des pistes actuellement à l'étude pour renforcer la gouvernance économique et cette mise en perspective. Par souci de simplification mais aussi pour l'image, je suis assez favorable à la transformation du Mécanisme européen de stabilité en un véritable Fonds monétaire européen, doté de surcroît d'une licence bancaire. Cela renforcerait la visibilité de l'Union économique et monétaire.
Nous devons également réfléchir à la question des ressources propres. Nous sommes à la recherche de nouvelles pistes en la matière. Sans verser dans la caricature, je suis assez séduit par l'idée d'un prélèvement sur les excédents de la Banque centrale européenne. La taxe sur les transactions financières a été envisagée. La Belgique est cependant en train de se retirer de la coopération renforcée au risque de faire échouer celle-ci. On peut également envisager un reliquat de TVA. Il faudra expertiser à l'avenir ces différentes possibilités.
Mme Fabienne Keller . - Nous devons très vite envoyer un signal avec des mesures visibles. Le Fonds monétaire européen et le Parlement de la zone euro sont des idées séduisantes mais à long terme. Nous devons progresser plus rapidement vers la convergence fiscale, afin de réduire la concurrence en la matière qui donne un sentiment d'inégalité, notamment sur les territoires où est créée effectivement la richesse. Nous devons trouver des mesures symboliques en la matière. Cette question est en train de devenir le scandale de l'Union européenne.
M. Didier Marie . - Concernant les ressources propres, il faudrait s'intéresser à la question de l'évasion fiscale. L'Union européenne comme les Etats membres doivent être plus performants dans ce domaine, notamment en matière de perception des taxes. Je pense notamment aux grandes entreprises du secteur numérique. Les exemples ne manquent pas ces derniers temps comme l'illustre le cas de l'Irlande avec Google.
M. Richard Yung . - Si M. Trump parvient à diminuer de 35 à 15 % le taux de l'impôt sur les sociétés aux États-Unis, les entreprises américaines cesseront de s'installer au sein de l'Union européenne... La difficulté tient à trouver un accord au niveau européen. Il n'existe pas de volonté politique pour y parvenir...
Mme Fabienne Keller . - Qu'en sera-t-il demain si le Royaume-Uni joue lui aussi sur le biais de la concurrence fiscale. Il existe aujourd'hui un véritable sentiment d'injustice et de révolte concernant ces questions, notamment chez les petites entreprises qui ne peuvent délocaliser leur activité au gré des taux d'imposition. La commissaire européenne Margrethe Vestager mène un combat qu'il convient d'appuyer au plus haut niveau, tant il est un signal fort au sein même de l'Union et au dehors...
M. Jean Bizet , président . - J'insiste également sur cette urgence en matière fiscale. Elle est à mon sens double. Comme le conclut Marcel Gauchet dans son dernier ouvrage, compte-tenu de ses performances économiques, l'Allemagne aura-t-elle encore besoin de l'Union européenne ? Dans ces conditions, quel avenir pour la convergence fiscale dont le couple franco-allemand pourrait être le moteur ? Par ailleurs, comme l'a souligné Fabienne Keller, il existe aujourd'hui un risque certain à ce que, une fois sorti de l'Union européenne, le Royaume-Uni soit tenté par le dumping fiscal...
8. Sécurité et migrations - Communication de MM. Jean-Marie Bockel et Didier Marie (mercredi 15 février 2017)
M. Jean Bizet , président . - Nous abordons maintenant deux sujets majeurs sur lesquels l'Union européenne est confrontée à des défis immenses. La sécurité relève d'abord de la compétence des Etats membres. Le traité le rappelle opportunément. Mais l'Union européenne peut jouer un rôle très utile notamment pour veiller à une bonne coordination et à l'échange d'informations. Nous l'avons dit au Sénat pour ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, en appelant à l'adoption d'un véritable acte pour la sécurité intérieure. Les drames causés par les attentats terroristes dans plusieurs Etats membres montrent que cette exigence demeure. Il faut en particulier renforcer le volet opérationnel.
En ce qui concerne les migrations, nous devons rappeler que Schengen a une double signification : la suppression des contrôles aux frontières intérieures d'un côté mais, de l'autre, un renforcement des contrôles aux frontières extérieures et de la coopération policière et judiciaire pour lutter contre la criminalité grave. Pour avoir négligé ce second volet, l'Union s'est trouvée démunie pour affronter la crise des réfugiés.
L'Union a pris plus récemment des décisions appréciables. Je veux saluer la nouvelle agence de garde-côtes et garde-frontières à partir de Frontex. Mais l'Union doit aller plus loin. L'objectif doit être d'obtenir un contrôle effectif des frontières extérieures dans un délai rapide. Nous ne pouvons plus tergiverser.
M. Jean-Marie Bockel . - Une dernière observation sur le sujet de la gouvernance économique, puisque j'ai participé au récent déplacement à Berlin : si notre décrochage économique vis-à-vis de l'Allemagne est bien réel, le Brexit amène quand même ce pays à considérer la France comme un partenaire indispensable, malgré ses faiblesses.
Nous abordons maintenant la question migratoire, qui a influé sur certains résultats électoraux récents, notamment au Royaume-Uni et aux Etats-Unis et dans la montée du populisme. Un certain fatalisme a longtemps prévalu en ce qui concerne la gestion des flux migratoires. Ayant été maire d'une grande ville, Mulhouse, j'ai pu mesurer les conséquences négatives que peuvent avoir des flux non maîtrisés.
Cette pression migratoire durable et croissante appelle donc une réponse forte de l'Europe, pour des raisons à la fois politiques, sociales, humanitaires (que l'on songe aux trop nombreux migrants décédés en Mer Méditerranée) mais aussi sécuritaires, compte tenu du risque d'infiltration par des terroristes.
Ajoutons à cela le fait que ces « flux incontrôlés » - pour reprendre les termes de la Déclaration de Bratislava - remettent en cause l'un des acquis les plus concrets et les plus symboliques de la construction européenne, à savoir la liberté de circulation à l'intérieur de l'espace Schengen. En effet, depuis un an et demi, ils ont entraîné le rétablissement par un certain nombre d'Etats membres de contrôles à leurs frontières intérieures.
Par ailleurs, le facteur migratoire a joué un rôle déterminant dans le vote britannique sur le Brexit. L'Europe pourrait succomber à la crise migratoire ; maîtriser la pression migratoire est donc un enjeu de premier plan pour la relancer. Dès lors, quelles préconisations formulons-nous ?
1°) Tout d'abord, il est impératif de continuer à renforcer la protection des frontières extérieures de l'Union européenne, dont la récente crise a mis en évidence les insuffisances.
Cette crise aura pourtant permis une avancée significative qui est l'adoption d'un statut rénové de l'agence Frontex. Devenue Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, celle-ci se voit doter de moyens renforcés et de nouvelles responsabilités - que ce soit dans le soutien à un Etat défaillant ou dans la mise en oeuvre de la politique de retour des migrants en situation irrégulière - qui doivent lui permettre de jouer un rôle plus actif dans la gouvernance des frontières de l'espace Schengen.
Il convient désormais - et c'est notre première recommandation - de mettre en oeuvre ce mandat rénové et de tirer parti de toutes les possibilités qu'il offre pour la maîtrise des flux migratoires.
De nouvelles avancées seront, par ailleurs, nécessaires pour doter les gardes-frontières européens déployés sous la bannière de FRONTEX des mêmes attributions et capacités que les gardes-frontières nationaux, particulièrement en ce qui concerne l'accès aux bases de données européennes. L'objectif devant être, à terme, de faire émerger une véritable police européenne des frontières.
Par ailleurs, les contrôles opérés aux frontières extérieures doivent être renforcés : il est nécessaire de procéder à des contrôles approfondis, impliquant la consultation systématique des bases de données policières et la vérification des documents de voyage, aussi bien à l'entrée qu'à la sortie, et ce pour toutes les personnes, qu'elles viennent de pays tiers ou d'Etats membres de l'Union européenne. Une modification en cours du code frontières Schengen devrait le permettre prochainement. Afin de garantir une traçabilité des flux, il serait opportun d'assortir cette mesure d'un enregistrement - dans une base de données - de l'identité des personnes qui franchissent les frontières. Ces mesures ne doivent pas être considérées comme portant atteinte à nos libertés.
S'agissant des ressortissants des pays tiers, c'est précisément l'objet du futur Système entrée-sortie (SES), qui permettra un suivi en temps réel de la validité des visas de court séjour. Ce dispositif vise à remédier au phénomène des « overstayers », c'est-à-dire des migrants qui entrent légalement dans l'Union européenne et y demeurent à l'expiration de leurs visas. Je vous rappelle qu'il s'agit là d'une source importante d'immigration clandestine. Il est donc souhaitable d'adopter rapidement ce projet, actuellement en discussion.
Néanmoins, pour que ces « Frontières intelligentes » - je fais là référence au nom donné par les instances européennes à ce projet- « smart borders »- soient efficaces, il faudrait aussi y intégrer le suivi des données des ressortissants européens, qui représentent aujourd'hui trois quarts des franchissements aux frontières extérieures de l'Union européenne. Or, ce n'est pour l'instant pas prévu.
En complément du Système Entrée-Sortie, il faut souligner l'intérêt du projet de système européen d'information et d'autorisation de voyage (European travel information and autorisation system ou ETIAS) pour les ressortissants des pays tiers exemptés d'obligation de visas. Il s'agit de soumettre à autorisation préalable l'entrée d'environ 30 millions de personnes chaque année dans l'espace Schengen afin de s'assurer qu'elles ne présentent pas de risque particulier du point de vue migratoire ou sécuritaire. Souhaitons que ce projet, sur lequel les discussions viennent de démarrer, puisse, lui aussi, être mené à bien avec célérité, afin d'envisager une mise en fonctionnement au plus tard en 2020. Si l'on peut avoir l'impression d'une accumulation de mesures contraignantes, il faut avoir conscience qu'il était nécessaire de remédier à la perte de confiance des citoyens dans la capacité de l'Europe, souvent qualifiée de « passoire », à assurer la maîtrise des flux migratoires.
2°) Notre deuxième axe de recommandations concerne la nécessité de coopérer davantage à la gestion des flux migratoires avec les pays tiers.
En effet, le renforcement des frontières ne peut être la seule réponse à la pression migratoire qui s'exerce aux portes de l'Union européenne. Il faut aussi faire en sorte de limiter les départs, en coopérant avec les pays de transit et avec les pays d'origine.
S'agissant des pays de transit, l'accord passé en mars 2016 avec la Turquie, combiné à la fermeture de la route des Balkans, a permis d'endiguer le flux sur la route de Méditerranée orientale, ramenant les arrivées de plusieurs milliers par jour à une cinquantaine aujourd'hui. La coopération se poursuit, malgré un contexte politique difficile. Mais nous restons à la merci du bon vouloir de la Turquie, qui utilise cet accord comme moyen de pression, que ce soit pour exiger la libéralisation des visas ou, plus récemment, l'extradition de militaires demandeurs d'asile en Grèce et en Allemagne.
Par ailleurs, le problème demeure entier sur la route de Méditerranée centrale, sur laquelle les arrivées ont progressé de 20 % en 2016. En effet, 90 % des quelque 180 000 migrants arrivés en Italie venaient de Libye, pays avec lequel il est pour l'heure difficile d'envisager, compte tenu de sa situation, de conclure un accord sur le modèle turc, bien que plusieurs pays européens se montrent très désireux d'avancer dans cette direction. En attendant, les dirigeants européens ont décidé la semaine dernière au sommet de Malte de renforcer l'aide apportée à la Libye, notamment pour la formation de ses garde-côtes et l'amélioration des conditions de vie des migrants sur son territoire.
Si l'approfondissement de la coopération avec d'autres pays de transit comme l'Egypte peut constituer une piste, il est essentiel d'agir aussi sur les routes migratoires situées en amont, notamment en Afrique subsaharienne :
- en incitant et en aidant les pays source à mieux contrôler leurs frontières et à lutter contre les passeurs ;
- en contribuant à la stabilisation des zones en proie à des conflits et à la prévention des crises ;
- et en promouvant le développement économique afin d'offrir des perspectives dans leurs pays aux populations susceptibles d'émigrer. A cet égard, la chancelière Merkel défend l'idée de lier aide au développement et maîtrise des flux migratoires, c'est une piste intéressante qu'il ne faut pas s'interdire de creuser.
La mise en oeuvre de ces axes suppose de nouer des partenariats étroits avec les pays d'origine. Cette idée n'est pas nouvelle. Elle est au fondement de « l'approche globale des migrations et de la mobilité » qui, depuis 2005, constitue le volet extérieur de la politique migratoire européenne. L'objectif poursuivi est, on le sait, d'obtenir la coopération des pays source dans la gestion des flux migratoires, notamment la signature d'accords de réadmission, en contrepartie d'avantages comme des aides financières et des accords de libéralisation ou de facilitation de visas.
Jusqu'à présent, cette approche n'avait pas produit de résultats tangibles, du fait de la faiblesse des moyens alloués, mais aussi de la réticence des pays d'origine, en particulier africains, pour qui la migration est à la fois un enjeu économique et une question sociale très sensible.
Le succès de la démarche conduite par l'Espagne avec plusieurs pays africains montre qu'il est possible d'obtenir des résultats, en mobilisant simultanément plusieurs instruments et leviers.
C'est ce à quoi tendent le processus initié au sommet de la Valette de novembre 2015 et les nouveaux pactes migratoires lancés lors du Conseil européen de juin 2016. A ce jour, des « pactes migratoires » ont signés avec cinq pays prioritaires (Ethiopie, Mali, Niger, Nigéria et Sénégal). Un premier bilan dressé à l'occasion du Conseil européen de décembre 2016 fait état de résultats contrastés, encourageants avec le Niger, plus mitigés avec les autres partenaires.
Il n'en faut pas moins poursuivre et amplifier cette démarche partenariale, en dégageant les moyens suffisants pour permettre le financement d'actions, qui, si l'on veut agir sur les « causes profondes de la migration », ne devront pas porter uniquement sur les aspects sécuritaires et le contrôle des flux, mais viser également à promouvoir le développement économique.
Les pactes migratoires ne sont toutefois pas le seul instrument européen pouvant être mobilisé pour la coopération avec les pays tiers, la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) a également un rôle à jouer. Certes, la situation politique instable dans laquelle se trouve la Libye paralyse pour l'instant l'opération Sophia de lutte contre les passeurs en Méditerranée centrale et la mission européenne d'assistance aux frontières en Libye (EUBAM), mais il faut espérer qu'elles puissent évoluer dans le bon sens.
Il est, par ailleurs, tout à fait stratégique de poursuivre l'action menée au Niger par la mission civile EUCAP Sahel Niger qui aide ce pays par lequel transitent 90 % des migrants originaires d'Afrique de l'Ouest, à renforcer le contrôle de ses frontières et à prévenir les flux migratoires irréguliers.
3°) Pour finir, je voudrais évoquer, en complément, les adaptations qui pourraient être apportées au fonctionnement du système d'asile européen.
La crise migratoire souligne, en effet, la nécessité d'une harmonisation accrue des systèmes d'asile des Etats membres pour réduire l'attractivité de certains d'entre eux. Elle appelle aussi un traitement davantage harmonisé des demandes d'asile, notamment par l'adoption d'une liste commune de pays tiers sûrs.
Enfin, elle pose la question de la mise en oeuvre du principe de responsabilité des pays de première entrée pour l'examen des demandes d'asile, qui est au fondement du règlement de Dublin, les pays situés en première ligne (Italie, Grèce) réclamant, on le sait, un partage plus équitable de cette charge. Si la responsabilité des pays de première entrée doit être maintenue dans la mesure où elle est le gage de leur implication dans la gestion des frontières extérieures de l'Union européenne, il serait opportun d'introduire dans ce système un mécanisme correcteur permettant davantage de solidarité en cas de pression migratoire exceptionnelle, à l'instar du mécanisme de relocalisation.
Il s'agit, là encore, d'un sujet difficile, qui se heurte à l'opposition des pays du groupe de Visegrad réticents à accueillir sur leur territoire des populations d'origine non européenne. C'est pourquoi l'idée d'une « solidarité flexible » permettant à ces pays de participer autrement à l'effort de solidarité, que ce soit par une contribution financière ou par une participation renforcée à la sécurisation des frontières, mérite d'être explorée.
Je pourrais encore évoquer quelques idées concernant la gouvernance de l'espace Schengen, mais je préfère laisser du temps pour le débat.
M. Didier Marie . - Nous sommes confrontés à une crise migratoire, à une crise terroriste et à une crise de confiance. Notre objectif est d'assurer une sécurité globale et efficace à l'échelle européenne. A cet égard, le partenariat franco-allemand doit être absolument renforcé. Ma communication comprendra trois parties : la lutte contre le terrorisme, la coopération policière et la coopération judiciaire en Europe. Notre priorité est de démontrer que l'Union peut apporter dans ces domaines, comme dans d'autres, une vraie valeur ajoutée susceptible de « refonder » l'Europe.
Il importe tout d'abord de renforcer l'action de l'Union européenne dans la lutte contre le terrorisme.
M. Gilles de Kerchove, coordinateur de l'Union européenne pour la lutte contre le terrorisme, auditionné par la commission des lois et la commission des affaires européennes du Sénat au mois de février 2016, en matière de sécurité intérieure, nous a déclaré que les États membres assurent en l'état actuel environ 90 % de cette compétence partagée et en sont les premiers responsables. En particulier, a-t-il ajouté, le secteur du renseignement échappe aux compétences de l'Union européenne, les États membres en ayant la compétence exclusive.
Nous estimons pour notre part que les efforts devraient désormais porter sur les priorités suivantes :
- s'agissant de la question du chiffrement : il paraît nécessaire de nous doter d'un cadre juridique adapté permettant de lutter plus efficacement contre l'utilisation d'Internet à des fins terroristes et d'éviter que les opérateurs Internet puissent se soustraire aux demandes des Etats dans le cadre d'enquêtes pénales ;
- il importe aussi d'améliorer l'alimentation et l'utilisation qui est faite des bases de données européennes et d'assurer leur interopérabilité. Il s'agit notamment de prévoir leur alimentation par les Etats membres et de remédier à l'utilisation inégale qui en est faite actuellement. Il convient également, dans un souci d'efficacité, d'assurer un accès aisé des services répressifs à l'ensemble des fichiers.
Concernant spécifiquement le système d'information Schengen (SIS II), l'une des pistes d'amélioration pourrait consister à y introduire des données biométriques (photographies et empreintes génétiques) afin de faciliter et de fiabiliser l'identification des personnes recherchées ;
- il apparaît aussi urgent de développer une interopérabilité entre les différentes bases de données européennes existantes (SIS II, VIS, Eurodac) et futures (SES, ETIAS) et de se diriger vers un point d'entrée unique permettant d'interroger simultanément l'ensemble des fichiers. Ces avancées supposent évidemment des progrès techniques mais aussi que les États membres adoptent des méthodes et des règles communes dans la confection de leurs fichiers ;
- s'agissant enfin du PNR européen, définitivement adopté en 2016 après des années de négociations, relevons qu'il ne sera applicable que le 25 mai 2018, date limite fixée pour sa transposition. Soulignons surtout qu'à ce jour, seul un pays, le Royaume-Uni, dispose d'un PNR national finalisé et que trois autres pays européens - dont la France - seulement sont en passe de s'en doter. La mise en oeuvre rapide de cet outil indispensable implique donc encore des efforts très importants.
Deuxième volet : la coopération policière avec le rôle d'Europol.
La France joue un rôle moteur et exerce une influence non négligeable en ce qui concerne la coopération policière dans l'Union européenne, qu'il s'agisse de l'alimentation en informations du système d'information Schengen ou des organes européens qui sous-tendent cette coopération, à savoir Europol et Eurojust.
Dotée, en personnel, d'un effectif de quelque 1 000 personnes, l'agence européenne dispose actuellement de 368 analystes et experts en analyse criminelle.
Europol s'est adapté continuellement à ses missions.
En 2013, il a mis en place un Centre européen de lutte contre la cybercriminalité, en 2015, un Centre européen de lutte contre le terrorisme (une bonne partie des 90 postes créés en 2017 devrait être dédiée à ce centre), et en 2016, un Centre européen pour la lutte contre le trafic des migrants dans le cadre d'une stratégie pluriannuelle 2016 2020.
Europol n'a pas vocation à devenir un FBI européen. C'est à dire qu'il n'est pas habilité à arrêter des suspects ou à intervenir sans l'approbation des autorités nationales des États membres. L'agence est avant tout un service de soutien.
Quid de l'interopérabilité des fichiers : le fichier Europol et les fichiers nationaux de police des États membres ?
En décembre 2015, une feuille de route comportant une cinquantaine de mesures a prévu de la renforcer. Mais le problème n'est pas toujours simple et les difficultés techniques restent nombreuses, les fichiers de police de chaque État membre étant « bâtis » différemment. Le projet QUEST (Querting Europol Systems) se propose de donner aux utilisateurs un accès simplifié aux données d'Europol et aux bases nationales.
Le responsable de la coopération policière européenne à la Direction centrale de la police judiciaire a reconnu, devant vos rapporteurs, qu'il importait encore d'améliorer l'accès des services répressifs nationaux aux différents fichiers existants en Europe.
Troisième volet : la coopération judiciaire. Il s'agit notamment de conforter Eurojust et de mettre en place le Parquet européen. Le succès de la coopération judiciaire dans l'Union européenne témoigne des possibles voies de réussite d'une refondation de l'Europe.
C'est dans le domaine de l'entraide judiciaire internationale que le droit européen, intégré dans les législations nationales a et continue d'apporter une incontestable valeur ajoutée au niveau de l'efficacité de la lutte globale contre la criminalité grave et le terrorisme.
J'évoquerai dans le rapport écrit les « décisions d'enquête européenne » et les «équipes communes d'enquête » appelées à se substituer aux actuelles « commissions rogatoires internationales ».
Mais la forme la plus aboutie en matière de coopération judiciaire européenne - le symbole d'une « Europe efficace » -, c'est à l'évidence l'unité Eurojust créée par la décision du Conseil du 28 février 2002 afin de renforcer la lutte commune contre les formes graves de criminalité. Cet instrument est un organe de l'Union européenne doté de la personnalité juridique, qui agit en tant que collège ou par l'intermédiaire du membre national.
L'unité est chargée de promouvoir et d'améliorer la coordination et la coopération entre les autorités compétentes des États membres dans toutes les enquêtes et poursuites relevant de sa compétence.
L'unité Eurojust n'intervient que si l'une de ces trois conditions est remplie :
Les investigations, procédures ou condamnations portent sur des infractions punissables, dans l'un au moins des États membres concernés, d'une peine égale ou supérieure à cinq ans.
Deuxième condition alternative : les éléments du dossier font apparaître l'implication d'une organisation criminelle.
Troisième condition alternative : les éléments du dossier font apparaître que, par leur ampleur ou leur incidence transfrontalière, les faits sont susceptibles d'affecter gravement l'Union européenne ou de concerner des États membres autres que ceux directement impliqués.
L'unité de coopération judiciaire pénale Eurojust est composée de 28 bureaux nationaux qui échangent des informations opérationnelles et des demandes d'entraide en temps réel.
À la fin de l'année 2015, 349 personnes étaient en poste à Eurojust parmi lesquelles 69 membres nationaux, adjoints et assistants des membres nationaux.
Entre 2010 et 2015, les statistiques font apparaître une augmentation globale de 55 % de l'activité de l'unité.
Deux équipes communes d'enquête ont été mises en place dans les affaires de terrorisme en 2015-2016, Europol et Eurojust étant membres à part entière de l'équipe commune constituée dans le dossier des attentats du 13 novembre 2015.
L'obligation d'informer Eurojust en la matière est prévue par l'article 13 de la décision européenne précitée relative à Eurojust et en France par l'article 695-8-2 du code de procédure pénale. Mais cette obligation d'information est néanmoins soumise à des conditions relativement restrictives qui sont le fruit d'un compromis politique obtenu en 2008 dans un contexte où tant l'Allemagne que le Royaume-Uni affichaient leur opposition à toute transmission d'informations à Eurojust en invoquant un risque de doublon avec Europol.
Néanmoins, les notifications ont progressé de façon notable au cours des dernières années, traduisant la prise de conscience de l'utilité de l'unité dans la lutte contre la menace terroriste.
La très grande majorité des 54 000 données actuellement présentes dans le fichier d'Eurojust sont issues des dossiers d'entraide judiciaire ouverts par les bureaux nationaux qui les enregistrent systématiquement dans l'unité centrale.
Eurojust n'a aujourd'hui ni les moyens ni la base réglementaire qui lui permettrait de gérer un véritable « bureau d'ordre européen » dans lequel seraient enregistrées toutes les procédures judiciaires ouvertes dans les États membres, notamment en matière de terrorisme et de crime organisé.
Pourtant, la création d'un bureau d'ordre européen au sein d'Eurojust pourrait présenter un grand intérêt opérationnel au niveau européen en permettant des recoupements entre des procédures judiciaires ouvertes dans différents États membres, qui n'avaient a priori aucun lien entre elles.
La mise en place de ce bureau d'ordre européen nécessiterait une modification importante de la base réglementaire de l'unité de coopération judiciaire. Certains États membres, plutôt réticents par rapport à Eurojust, pourraient à nouveau afficher leur scepticisme.
J'en viens enfin au parcours, encore inachevé, du parquet européen.
Sur la base de l'article 86 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne que le 17 janvier 2013, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement portant création d'un « super- procureur européen » chargé de superviser, de coordonner et, le cas échéant, de diriger les enquêtes et les poursuites menées dans les États membres avec des procureurs européens délégués.
Plusieurs parlements nationaux (dont le Sénat) sont parvenus à faire évoluer le débat autour d'un parquet européen de forme collégiale s'appuyant sur des délégués nationaux dans chaque État membre.
Au cours du trilogue, certains États membres (Royaume-Uni, Irlande, Danemark, Suède et maintenant Pays-Bas) ont manifesté une opposition résolue au principe même de l'institution. D'autres (Italie) ont paru regretter la version initiale de la Commission tandis que des pays comme la France, l'Allemagne, l'Espagne ou la Belgique ont approuvé le principe de cette institution tout en demandant des précisions (pour l'Allemagne, par exemple, en ce qui concerne les droits de la défense des personnes poursuivies).
Dans une résolution du mois de novembre 2016, le Parlement européen a réaffirmé son « soutien de longue date à la mise en place d'un parquet européen efficace et indépendant afin de réduire la fragmentation actuelle des efforts de répression nationaux pour protéger le budget de l'Union, ce qui permettrait de renforcer la lutte contre la fraude dans l'Union européenne. »
Si la discussion se poursuit encore aujourd'hui, c'est parce que le débat a pris un caractère très technique s'agissant notamment de l'intégration ou non de la fraude à la TVA dans le domaine de compétence du parquet européen. On se dirige, actuellement, vers une compétence réduite dans ce domaine avec des seuils élevés, ou à condition que le préjudice subi par l'Union européenne soit supérieur au préjudice subi par les États membres.
On envisage désormais une « coopération renforcée » (neuf pays minimum) entre les pays favorables au projet pour lutter contre les fraudes financières intercommunautaires. Cette coopération renforcée pourrait être décidée au sommet des chefs d'État et de gouvernement de mars 2017 (avec une mise en route du parquet européen fin 2018 ou début 2019). En tout cas, tel est le souhait qui a été exprimé lors du Conseil des ministres européens de la justice le 8 décembre dernier.
Le Sénat appelle de ses voeux, à terme, l'extension de la compétence du futur parquet européen à la criminalité organisée transfrontière, y compris le terrorisme.
Il est clair qu'un tel élargissement ferait sens dans un programme de refondation de l'Europe sur des priorités fondamentales.
La menace terroriste déstabilise la sécurité intérieure de tous les États membres, obligés de recourir à des mesures exceptionnelles telles qu'états d'urgence ou interruptions de la liberté de circulation sur le territoire de l'Union, pourtant acquis fondamental de la construction européenne.
La création d'une véritable « Union européenne de la sécurité » redistribuerait les priorités en contribuant notamment à cette Refondation de l'Europe, aujourd'hui activement souhaitée.
La relance du couple franco-allemand conditionne toutefois dans ce domaine, comme dans d'autres, la mise en place de cette « Union européenne de la sécurité ».
M. Jean-Pierre Raffarin , président . - Il s'agit là de sujets stratégiques. La gouvernance de l'espace Schengen est une question qui mérite d'être approfondie. L'idée d'un parquet européen, d'inspiration fédérale, est-elle acceptable par la France et compatible avec sa conception de la justice ? Il faudrait en effet éviter à la fois de doublonner les systèmes et de soumettre les systèmes nationaux à une instance européenne. Cela fait débat.
M. Jean Bizet , président . - Concernant le parquet européen, la commission des affaires européennes, qui a beaucoup travaillé sur le sujet, plaide pour une approche collégiale et décentralisée, afin de tenir compte des sensibilités des Etats membres tout en garantissant une certaine cohérence. Je suis, en tous cas, favorable à l'idée d'une coopération renforcée. Concernant la maîtrise des flux migratoires, l'esprit du sommet de la Valette est mis en oeuvre. Il serait intéressant, à cet égard, de creuser l'idée simple, concrète et peu coûteuse, évoquée lors d'un récent colloque au club rhénan, d'un soutien de l'Union européenne aux entreprises européennes installées dans les pays du Maghreb embauchant des migrants.
M. Didier Marie . - Certaines de nos propositions, dont la synthèse vous a été distribuée, sont immédiatement applicables, d'autres relèvent d'une volonté politique à moyen terme. C'est le cas pour la politique migratoire, avec un sujet en suspens qui est celui de la solidarité européenne pour l'accueil des demandeurs d'asile. A ce propos, l'idée de « solidarité flexible » me paraît assez dangereuse car elle ouvre la voie au désengagement. C'est aussi le cas pour le volet « sécurité », la mise en place d'un parquet européen supposant une volonté politique forte.
Mme Gisèle Jourda . - On ne peut que regretter qu'après des années de discussions, le PNR européen ne soit pas encore applicable et qu'il ne le sera pas avant plusieurs années. L'Europe fait montre d'un manque de réactivité consternant eu égard à l'urgence des situations et des menaces.
Mme Éliane Giraud . - Je partage ces observations.
La réunion est levée à 16h35.
Mercredi 15 février 2017
Présidence conjointe de M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes
La réunion est ouverte à 14 h 45
9. Pour une Union européenne proche et lisible : communication de MM. Christian Cambon et Simon Sutour (mercredi 15 février 2017)
M. Jean Bizet , président . - Nous le soulignons depuis le début des travaux : le projet européen est devenu très largement illisible pour nos concitoyens. Pour retrouver son sens, il faut recentrer l'action de l'Union européenne là où sa plus-value est manifeste. Nous devons par ailleurs nous interroger sur le fonctionnement institutionnel et sur la façon dont il pourrait être amélioré.
C'est tout l'intérêt de la communication de Christian Cambon et Simon Sutour que je remercie d'avoir approfondi ces sujets difficiles mais essentiels dans la perspective d'un sursaut européen.
M. Christian Cambon . - Les crises de la dette souveraine, des migrants, le Brexit, les enjeux de sécurité sont autant de défis très importants auxquels l'Union européenne peine manifestement à répondre efficacement. Donc dans le cadre du travail approfondi mené par ce groupe, nous avons été conduits à nous interroger sur le fonctionnement du « triangle institutionnel » : Conseil, Commission, Parlement européen ainsi que sur le rôle du Conseil européen.
J'interrogerai ces deux points successivement mais je voulais tout d'abord souligner un élément. Les difficultés rencontrées ont naturellement renforcé la logique intergouvernementale et je crois que nous sommes dans un moment où l'opinion publique attend peut-être plus des Nations et des gouvernements que de toute organisation supranationale. Ceci appelle à réviser le rôle de la Commission européenne, si souvent vilipendée, parfois accusée de maux qui lui sont systématiquement imputés. La refondation du projet européen implique aujourd'hui une impulsion par les États membres, en meilleure coordination avec la Commission européenne, sur la base des traités qui ont été signés et ratifiés. C'est dans ce contexte que le rôle d'impulsion et de coordination du Conseil européen doit être réaffirmé, car c'est lui qui procède d'une logique démocratique perceptible par nos populations.
Je vous soumets en ce sens deux recommandations. La première porte sur l'adoption annuelle par le Conseil européen d'un programme de travail pour l'Union, comprenant un petit nombre de priorités, la Commission les mettant en oeuvre. Deux avantages : améliorer la lisibilité de l'action européenne et prendre en compte très en amont le principe de subsidiarité. Une bonne part des difficultés que rencontre l'action de l'Europe au sein des opinions publiques vient de ce que les priorités ne sont pas très lisibles. On reproche à l'Europe de n'avoir pas su régler le problème de la croissance, le problème de l'insécurité, celui de l'émigration. Dans le même temps, en revanche, elle se consacre à des problématiques perçues comme plus futiles telles que la composition des fromages ou des chocolats. Cette mauvaise perception pourrait être améliorée si nous rendons plus lisible l'action européenne, grâce à ce programme de travail de l'Union, comprenant quelques priorités, à charge pour la Commission de les mettre en oeuvre.
Ma seconde proposition concerne l'incarnation de l'Union européenne par le président du Conseil européen. Prévue par le Traité de Lisbonne, elle n'a pas vraiment convaincu. Et si nous devions interroger nos concitoyens sur le nom de la personne qui exerce actuellement le mandat de Président du Conseil européen, je ne suis pas sûr que nous obtiendrions la bonne réponse. Comment faut-il y remédier ? Faut-il fusionner les postes de président du Conseil européen et de président de la Commission, à traités constants ? Mais dans une telle hypothèse la Commission serait-elle absorbée par le Conseil européen ou l'inverse ? Il serait plus convaincant et opportun de renforcer la légitimité du Président du Conseil européen. Aujourd'hui élu par le Conseil européen, il pourrait l'être à l'avenir, sur proposition du Conseil européen, par le Parlement européen et la Réunion permanente des parlements nationaux, réunis en Congrès. Ce mode d'élection ferait de lui le garant du respect du principe de subsidiarité. Mais cela suppose une modification des traités, notamment pour supprimer la présidence tournante du Conseil. C'est donc pour nous un objectif qui ne peut être que de moyen et long terme, car le temps est à la refondation de l'édifice Union européenne et pas à la modification des traités européens qui absorberait tout notre élan politique et ne répondrait pas à l'aspiration des citoyens européens. Ce n'est pas au moment où on constate un excès de température qu'il faut casser le thermomètre. La solution à la situation que connaît l'Europe n'est évidemment pas principalement la révision des traités !
J'en viens maintenant au fonctionnement du triangle institutionnel. Je précise immédiatement que réaffirmer, comme je vous le propose, le rôle d'impulsion du Conseil européen n'affecterait pas l'équilibre existant entre méthode communautaire - la Commission européenne - et méthode intergouvernementale - le Conseil.
S'agissant de la Commission européenne, elle devrait continuer à concentrer son droit d'initiative sur les priorités communes arrêtées par le Conseil européen et dans le respect du principe de subsidiarité. Elle le présenterait pour se faire chaque année un programme de travail, resserré, débattu devant le Parlement européen et la nouvelle Réunion permanente des parlements nationaux. Nous l'avons dit, il faut rendre aux Parlements nationaux un pouvoir d'appréciation et d'influence sur ce que fait l'Europe, car l'une des critiques de base qui est adressée à l'Europe est que ses décisions passent « inaperçues » et que les Parlements nationaux sont dessaisis d'une partie de leurs pouvoirs, sans que jamais l'opinion publique n'en ait pris la mesure et n'en ait pleinement conscience.
Les textes présentés par la Commission européenne continueraient à être votés par le Conseil et le Parlement européen. Cette consolidation du rôle de la Commission s'accompagnerait d'une révision de son mode de fonctionnement afin de réduire le nombre de commissaires comme celui des directions générales. Je rappelle qu'actuellement, il y a 33 directions, en comptant les services de support.
Depuis 2014, la Commission se concentre sur une dizaine de priorités maximum chaque année. Le périmètre des directions générales doit s'adapter à ce recentrage par la fusion de certaines d'entre elles et une adaptation, en conséquence, des moyens humains mis à leur disposition. Cette réflexion vaut pour le nombre d'agences de l'Union européenne. Elles sont au nombre de 43. De la même façon, en application des dispositions prévues par le Traité de Nice, qui n'ont pas été mises en oeuvre, le nombre de commissaires doit également être adapté en conséquence. Il faudra accepter d'abandonner la logique d'un commissaire par État ! Elle contribue à créer des portefeuilles d'activités parfois peu dotés ou anecdotiques. Le plafonnement du nombre de commissaires déjà envisagé par le Traité de Nice a été d'ailleurs confirmé par le Traité de Lisbonne, mais n'a pas encore été mis en oeuvre. Revenons à l'esprit originel des pères fondateurs, avec une Commission concentrée, politique, composée d'experts de haut niveau, disant l'intérêt général, et non une Commission tentée par la surréglementation que nous dénoncions il y a un instant !
J'en viens maintenant au Parlement européen. Afin de renforcer sa légitimité démocratique et compte tenu de la nécessaire émergence d'une représentation européenne des parlements nationaux, il pourrait être envisagé une révision du mode d'élection au Parlement européen qui n'est pas perçu aujourd'hui comme un organe pleinement représentatif d'un peuple souverain. Comme l'a relevé la Cour constitutionnelle allemande en 2009, les contingents nationaux de députés se traduisent en fait par des inégalités de représentation considérables : un député européen allemand représentant 860 000 citoyens contre 67 000 pour un député maltais ! Dans un souci de meilleure représentation démocratique, il faudrait d'une part définir un mode de scrutin uniforme pour l'ensemble de l'Union, avec des listes respectant les principes de juste représentation démographique et d'égalité des sexes et d'autre part, réduire le nombre de parlementaires européens, en garantissant une représentation des petits États.
Enfin, le Conseil de l'Union européenne verrait le vote à la majorité qualifiée devenir la règle commune, sauf en matière de défense. Évolution rendue possible par le fait que les textes soumis à son examen seraient issus du programme de travail du Conseil européen.
M. Simon Sutour . - À côté de la réflexion à mener sur le triangle institutionnel européen et le rôle du Conseil européen, il convient de s'attarder sur le renforcement de l'association des parlements nationaux à l'action européenne. Je vous rappelle que le traité sur l'Union européenne dispose, à son article 12, que " les parlements nationaux contribuent activement au bon fonctionnement de l'Union européenne ". Cette action s'opère à plusieurs niveaux, qu'il s'agisse du dialogue politique avec la Commission européenne, mis en place en 2005 ou du contrôle de subsidiarité instauré par le protocole n° 2 annexé au Traité de Lisbonne.
L'examen de ces dispositifs et la pratique que nous en avons depuis cette date montrent qu'ils sont améliorables, en vue de rapprocher un peu plus l'Union européenne des citoyens, sans préjudice du rôle accordé par les Traités au Parlement européen. Le renforcement du rôle des parlements nationaux dans la construction européenne doit permettre d'aboutir à un véritable partage de l'exercice de la souveraineté entre l'Union européenne et les État-nations, qui est au coeur même de la notion de subsidiarité.
J'esquisserai tout à l'heure quelques pistes concernant l'amélioration du contrôle du principe de subsidiarité. Une amélioration du dialogue politique doit également être envisagée. Cet échange direct entre les parlements nationaux et la Commission européenne est centré sur le fond des documents transmis par la Commission européenne. La Commission européenne doit normalement répondre dans les trois mois aux observations des parlements nationaux. Ce délai est cependant rarement respecté. Les réponses de la Commission européenne devraient, par ailleurs, être mieux argumentées.
Il apparaît également nécessaire de faire émerger un droit d'initiative ou « carton vert », qui confère aux parlements nationaux la possibilité de proposer des actions à mener par l'Union européenne ou d'amender la législation existante. Avec la subsidiarité, nous disposons d'un pouvoir de sanction à l'égard de la Commission européenne. Nous l'avons vu au Sénat, lorsque nous avons participé à l'adoption d'un carton jaune sur le droit de grève des travailleurs détachés, ce qui a conduit la Commission européenne à retirer son projet. Avec le carton vert, les parlements nationaux pourraient être force de proposition et avoir ainsi un rôle un peu plus positif. Un seuil minimal de parlements nationaux participant à cette procédure, un délai et un échéancier de participation devraient être mis en place. Je vous rappelle que ce droit existe déjà, depuis le Traité de Lisbonne, pour le Parlement européen, via les rapports d'initiative. Le « carton vert » permettrait aux parlements nationaux de disposer d'un outil semblable. Avant d'opérer une révision des Traités à ce sujet, j'insisterai sur le fait que le carton vert est déjà expérimenté de manière informelle. Le Sénat s'est ainsi déjà associé à des initiatives menées par nos homologues britanniques ou néerlandais.
Les parlements nationaux doivent également pouvoir contribuer à l'élaboration du programme de travail annuel présenté par la Commission. Aujourd'hui, seuls le Parlement européen et le Conseil ont un échange de vues avec la Commission, en amont de l'adoption de son programme de travail. A l'heure actuelle, nous intervenons avec la commission des affaires européennes en aval. Nous adressons en effet chaque année à la Commission européenne, après la publication du programme de travail, un avis politique présentant nos observations sur celui-ci.
Nous devons également nous interroger sur la représentation des parlements nationaux. L'élection des parlementaires européens au suffrage universel n'a pas permis, depuis 1979, de renforcer le lien entre les citoyens et l'Union européenne. L'idée de la mise en place d'un Sénat européen permettant de mieux associer les parlementaires nationaux aux débats européens est, de son côté, régulièrement avancée depuis une vingtaine d'années. Elle vise à mieux prendre en compte l'expression des citoyens via leurs représentants dans l'élaboration des textes européens.
Depuis sa création en 1989, la COSAC a joué un rôle déterminant pour mettre en réseau les Parlements nationaux. La coopération parlementaire s'est aujourd'hui diversifiée et vise la défense, le fonctionnement de la zone euro ou la justice et les affaires intérieures. Il convient aujourd'hui d'aller plus loin et de donner un cadre et une visibilité à ces formes de coopération interparlementaire. Sans créer une nouvelle institution, il pourrait être envisagé une agrégation de ces différentes formes d'association au sein d'une Réunion des parlements nationaux, en partant de l'acquis que représente la COSAC. Il s'agit, sur la base des Traités, d'en faire une instance identifiable par le citoyen où s'exprimeraient, sans préjudice des compétences du Parlement et du Conseil, des préoccupations parfois insuffisamment prises en compte. Ce qui contribuerait indéniablement à élargir la base démocratique de l'Union.
À l'instar du Bundesrat allemand, cette assemblée serait composée de délégués désignés par leurs chambres et se réunirait à Strasbourg au moins deux fois par semestre et en tant que de besoin. Elle serait le cadre idoine pour l'exercice du carton vert. Les sessions plénières, précédées de réunions de commissions thématiques, adopteraient des résolutions sur les grands sujets européens. Cette représentation serait systématiquement consultée sur les sujets ayant trait à la souveraineté des Etats membres : défense, migrations, contrôle d'Europol et d'Eurojust... La COSAC réunit à l'heure actuelle les commissions des affaires européennes. Sa transformation en une Réunion des parlements nationaux permettrait d'associer les commissions législatives.
Pour mettre en oeuvre au mieux ses missions, la Réunion des parlements nationaux devra pouvoir avoir un échange avec le Président du Conseil européen, celui de la Commission européenne et des membres de celle-ci. Il s'agira également d'intégrer systématiquement les parlements nationaux aux différentes étapes des grands dossiers européens, avec des débats préalables à l'adoption de nouveaux instruments et l'audition régulière des commissaires en charge de ces dossiers. Les rapporteurs du Parlement européen devraient également pouvoir être auditionnés par les parlements nationaux, à leur demande. La pratique n'est, pour l'heure, pas satisfaisante.
M. Yves Pozzo di Borgo . - Une des faiblesses que j'ai sentie plusieurs fois niveau du Conseil, c'est que la continuité de l'institution est assurée par les directeurs. Une réunion des représentants politiques a lieu tous les trois ou six mois, ensuite ce sont des fonctionnaires qui prennent le relais et qui ont un pouvoir qui me semble trop important. Je trouve très bien de retrouver l'idée de l'Europe des fondateurs mais il faut veiller à ce que la représentation reste au niveau politique. Chaque fois que je vais à Bruxelles, je ressens un manque de légitimité politique auprès des interlocuteurs rencontrés. Je ne suis pas sûr que ce point ait été traité par nos collègues.
M. Christian Cambon . - Nous avons esquissé quelques pistes sans prétendre avoir couvert le champ des possibles. Le sens des propositions que nous vous soumettons, c'est effectivement de renforcer le Conseil européen, cela ne passe pas seulement par les compétences mais aussi par l'investissement effectif des Etats pour le pilotage politique de l'Union européenne.
Mme Éliane Giraud . - Je ne sais pas si c'est à ce niveau-là qu'il faut prendre en compte la remarque que je tiens à formuler, mais il m'apparaît que l'on n'évoque jamais le cas des régions. Or aujourd'hui les régions gèrent des fonds européens importants, elles gèrent une partie du deuxième pilier de la politique agricole commune. Je m'aperçois sur le terrain de manière très concrète que, même lorsqu'un projet est financé par l'Europe, les élus ne le disent pas. Là où on pourrait rendre l'action européenne plus proche des citoyens, on a l'impression qu'au contraire on la rend difficile d'accès avec des dossiers très techniques. Dans les cas où le dossier est mené à bien, on n'en parle plus.
Nous avons de grandes régions aujourd'hui qui sont constituées pour être des acteurs du développement économique, pour être compétitives, pour passer des accords, en coordination avec les Etats, de développement stratégique dans certaines filières, je pense notamment à la micro-électronique. Comment pouvons-nous réaliser en France, c'est le cas pour d'autres pays qui ont également des régions dotées de compétences importantes telles que l'Allemagne, un renouveau du lien entre l'État, l'Europe et les régions.
M. Jean-Pierre Masseret . - À la lecture de la synthèse de ces propositions, vient à l'esprit le fait que l'on réagit par rapport à ce que nous vivons en France pour une part. En effet, le Parlement français sur les questions européennes est incroyablement soumis au pouvoir exécutif. Contrairement à d'autres pays où le premier ministre ou le ministre des affaires étrangères reçoit une délégation de discussion de la part de son Parlement, nous apprenons à la lecture des quotidiens du soir ce que le gouvernement français compte faire lors des sommets européens. Notre position est donc typiquement franco-française.
Cela m'amène à poser la question de savoir si nous ne sommes pas en décalage et quel est le rapport de forces. Si l'on veut faire bouger les lignes, il faut être conscient du rapport de forces en vigueur. Quel est-il dans l'espace européen ? Notamment pour ce qui concerne la création d'un Sénat européen qui semble se dessiner, je ne suis pas sûr que nous obtenions l'adhésion des pays membres de l'Union européenne. Beaucoup considèrent en fait que le Conseil européen sert de seconde chambre au Parlement européen. Le Parlement européen lui-même a-t-il d'ailleurs envie d'avoir une seconde chambre à ses côtés ?
Cela ne nous dispense pas de faire des propositions, mais il faut que nous ayons la lucidité de connaître la capacité de résonance de ces propositions auprès des autres Etats membres. Il faut veiller à ne pas apparaître comme étant trop différents au sein du concert européen dans nos propositions. Nous risquerions alors d'être mis de côté lors des discussions importantes. Je fais part ainsi de mes interrogations quant à l'efficacité du dispositif.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Je voudrais féliciter les rapporteurs. Il me semble tout de même qu'un mot manque et qu'il est fondamental : celui de citoyenneté européenne. C'est absolument essentiel si nous voulons rapprocher l'Union européenne de ses ressortissants. C'est une avancée majeure qui a été introduite par le traité dit de Maastricht, qui répondait à une attente considérable. Malheureusement, cette citoyenneté européenne est restée une coquille vide. Nous n'avons rien fait depuis, nous n'avons rien ajouté à ce chapitre alors qu'il y a vraiment des choses à faire. Nous devons mieux intégrer les citoyens européens, les ressortissants européens.
L'Union européenne se caractérise par la mobilité, vous avez plus de ressortissants européens qui habitent dans un pays dont ils ne sont pas citoyens que vous n'avez d'habitants à Luxembourg. J'avais proposé il y a déjà plusieurs années qu'il y ait des représentants de ces ressortissants sur le modèle des députés et des sénateurs des Français de l'étranger. On pourrait imaginer des représentants des expatriés français au Parlement européen. J'avais été auditionnée il y a très longtemps par la commission des affaires institutionnelles sur ce sujet pour proposer une petite structure qui pourrait être adossée à la réunion des parlements nationaux dont nous avons parlé pour que les ressortissants européens puissent avoir une voix.
C'est d'autant plus fondamental que l'on voit les conséquences de l'absence de représentation de ces citoyens européens pour le Brexit par exemple. Ainsi les ressortissants européens vivant sur le sol britannique n'ont pas une voix au chapitre. De la même manière, tous les ressortissants britanniques vivant dans un autre pays que le Royaume-Uni n'ont pas pu voter.
M. Christian Cambon . - En première réponse à Jean-Pierre Masseret, il a bien sûr raison de dire que nos propositions ressortent de la situation française mais elles sont aussi inspirées par l'équilibre des pouvoirs qui caractérise nos institutions.
En réponse à Éliane Giraud, je rappelle qu'il existe à Bruxelles une structure qui s'appelle le comité des régions dans laquelle notre ancien collègue Jacques Blanc a siégé pendant de nombreuses années. Cette instance est saisie par l'institution communautaire ou bien s'auto-saisit des questions relatives aux collectivités territoriales. Nous pourrions d'ailleurs ajouter à nos propositions une revalorisation, une revitalisation du rôle du comité des régions. Car il est tout à fait juste de dire, singulièrement maintenant que nous avons réduit le nombre des régions françaises pour qu'elles soient d'importance européenne, que celles-ci doivent peser d'autant plus. J'appartiens à la région d'Île-de-France qui vient de s'apercevoir que pendant plus de 15 ans nous n'avions jamais eu recours aux crédits des fonds structurels auxquels nous avions droit. La voix des régions doit effectivement se faire entendre.
Ceci est en relation avec ce que disait Joëlle Garriaud-Maylam sur la citoyenneté. La citoyenneté européenne est un beau projet en soi. Être citoyen c'est avoir des droits et des devoirs, ce concept ne prend corps que lorsque l'on vit sa citoyenneté, plutôt que lorsque l'on la reçoit. De même chaque région a besoin de se sentir plus représentée dans les instances européennes.
M. Simon Sutour . - Afin de rassurer Jean-Pierre Masseret, je voudrais poursuivre sur le sujet des régions. Ces réflexions sont également très franco-françaises car il existe bien un comité des régions, mais on compte également des États membres dans lesquels il n'existe pas de régions. Je suis bien sûr d'accord pour que l'on inscrive dans nos propositions la revalorisation du rôle des régions, mais c'est un aspect très franco-français. Les régions, certaines distribuent les fonds européens sur la base des directives communautaires.
Cela me permet de faire la liaison avec les observations de Jean-Pierre Masseret. Nos propositions ne sont pas franco-françaises, elles sont issues d'un travail que nous faisons depuis un certain nombre d'années au niveau européen. En tant que commission des affaires européennes, nous participons aux réunions de la COSAC, nous rencontrons régulièrement nos homologues des différents parlements européens. Ce que nous proposons est partagé par beaucoup d'autres pays.
Nous avançons de facto : s'agissant de la COSAC dont j'ai une longue expérience, j'ai déjà vu évoluer son rôle. Je vous rappelle que la COSAC est la réunion des commissions des affaires européennes des parlements nationaux des États membres. Nous voulons améliorer son caractère démocratique pour la transformer en une réunion des parlements nationaux et non plus des seules commissions des affaires européennes de ces parlements. Je parle sous le contrôle du président Jean Bizet qui participe également aux réunions de la COSAC. Je me souviens que pendant de nombreuses années on nous recommandait de ne pas voter de motion sur de nombreux sujets. Aujourd'hui nous nous emparons de sujets de fond. Lors de la réunion qui a précédé le sommet de Bratislava, nous avons parlé de la Turquie et nous avons pris des positions sur ce sujet. Nous avons adopté un texte.
Ainsi l'évolution vers la réunion des parlements nationaux, qu'on l'appelle ou non le Sénat européen, pourrait aboutir. Cela n'enlève rien au président du Conseil européen tout en étant un facteur de démocratisation des institutions européennes très important. Cette proposition est issue d'un travail concret que nous menons depuis de nombreuses années, c'est une position partagée par de nombreux États membres. Il existe d'autres exemples de telles avancées. J'ai parlé du carton vert, ce sont les Néerlandais qui avaient lancé cette idée que nous avions soutenue.
S'agissant du rapport de forces, certaines de ces propositions que nous faisons sur la Refondation de l'Europe nécessitent la révision des traités. Or l'adoption d'un nouveau traité est très compliquée, elle n'est pas notre priorité.
10. L'Europe de la subsidiarité : communication de MM. Yves Pozzo di Borgo et Simon Sutour (mercredi 15 février 2017)
M. Jean Bizet , président . - Une Europe recentrée est une Europe qui respecte pleinement la subsidiarité. Au Sénat, nous sommes très engagés dans les nouveaux pouvoirs de contrôle que le traité de Lisbonne a confiés aux parlements nationaux. Mais peut-on aller plus loin ? C'est le sens du travail qu'ont accompli Yves Pozzo di Borgo et Simon Sutour, en s'appuyant notamment sur leur expérience de la COSAC qui réunit les représentants des parlements nationaux.
M. Simon Sutour . - La réflexion sur la plus-value européenne constitue le corollaire de celle sur l'avenir des institutions européennes actuelles. Toute réforme institutionnelle doit aller de pair avec une meilleure organisation entre les différents niveaux de décision et la recherche du niveau d'intervention le plus pertinent. La subsidiarité doit constituer, à ce titre, le principe constitutif de toute action européenne.
Celui-ci n'est véritablement reconnu par les Traités que depuis 2009 alors qu'il a fallu attendre 2014 pour voir la Commission européenne présenter un programme de travail annuel enfin resserré sur 10 priorités. Il convient d'ailleurs de saluer la Commission Juncker pour cette initiative et particulièrement le rôle de Franz Timmermans, son premier vice-président, chargé notamment de l'amélioration de la législation. Je ne partage pas les appréciations entendues ici ou là sur Jean-Claude Juncker. Il forme avec Franz Timmermans un véritable tandem au service de l'Union européenne. Nous leur devons un resserrement de l'action de la Commission européenne sur quelques priorités et le retrait de près de 80 textes devenus obsolètes.
L'objectif de la construction européenne ne saurait être réduit à celui d'une uniformisation. L'harmonisation et la convergence peuvent laisser une marge d'appréciation aux Etats membres. Un meilleur respect du principe de subsidiarité au niveau européen permettrait de renforcer la prise en compte de la diversité de nos territoires, notamment des territoires d'outre-mer, dont la spécificité n'est pas assez relevée au niveau européen. Cette réflexion à mener sur la répartition des compétences implique, en tout état de cause, un rôle accru des parlements nationaux.
Établi par un protocole annexé au Traité de Lisbonne, le contrôle de subsidiarité est aujourd'hui un principe ancré au coeur de l'activité européenne des parlements nationaux. Les « actes législatifs européens », définis comme tels dans les traités, sont soumis au contrôle des parlements nationaux, c'est-à-dire la grande majorité des règlements et des directives. Il s'agit en effet de textes créateurs de normes qui s'imposent à tous les États membres, ce qui justifie que les parlements nationaux aient à en connaître.
Les parlements nationaux peuvent opérer ce contrôle de subsidiarité avant l'adoption d'un acte législatif par les institutions européennes - c'est ce qu'on appelle les cartons jaunes et orange - en alertant celles-ci sur la non-conformité d'un projet d'acte au principe de subsidiarité. Ils peuvent également demander à leur gouvernement de former en leur nom un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne d'autre part, dans les deux mois suivant l'adoption d'un acte législatif, c'est ce qu'on appelle le carton rouge. Il n'a pas été encore utilisé.
Le contrôle de subsidiarité permet ainsi aux parlements nationaux d'intervenir directement auprès des institutions européennes, indépendamment des gouvernements. Il leur permet également d'influer directement sur le processus législatif européen. En participant pleinement à ce contrôle, les parlements nationaux ont une chance d'aboutir à la modification d'un projet d'acte, voire à son abandon. En effet, le traité prévoit que plus le nombre de parlements nationaux adoptant un avis motivé sur un même projet d'acte législatif est élevé, plus les obligations incombant à l'institution auteure de la proposition sont fortes. La procédure reste cependant perfectible afin de renforcer la qualité de ce contrôle.
La Commission européenne devrait, au préalable, mieux justifier le recours à une proposition législative et ne saurait limiter la justification de son intervention à l'approfondissement du marché intérieur.
Les parlements nationaux disposent de huit semaines à compter de la transmission du projet de texte par la Commission européenne pour évaluer le respect du principe de subsidiarité. Ce délai peut apparaître court et devrait être porté à dix semaines. En cas d'avis motivé, la Commission européenne doit également s'attacher à répondre plus rapidement - un délai de 12 semaines devrait être fixé - en insistant précisément sur les arguments soulevés par les parlements nationaux.
Les actes délégués ou d'exécution - auxquels la Commission européenne a trop fréquemment recours - devraient être transmis aux parlements nationaux aux fins de contrôle du respect de principe de subsidiarité. Les actes délégués ou d'exécution constituent en effet des compléments des actes législatifs, voire, dans certains cas, de nouveaux actes législatifs. L'accord interinstitutionnel « Mieux légiférer » du 13 avril 2016 a permis de mieux associer le Parlement européen et le Conseil à leur élaboration mais ne fait pas mention du rôle que doivent avoir les parlements nationaux.
L'arrangement trouvé le 19 mars 2016 avec le Royaume-Uni, mais rendu caduc par une sortie de celui-ci, pourrait également être repris. Ainsi, dans le cas où les avis motivés sur le non-respect du principe de subsidiarité par un projet d'acte législatif de l'Union représentent plus de 55 % des voix attribuées aux parlements nationaux, la présidence du Conseil devrait inscrire la question à l'ordre du jour du Conseil afin que ces avis motivés et les conséquences à en tirer fassent l'objet d'une délibération approfondie. À la suite de cette délibération, les représentants des États membres mettront fin à l'examen du projet d'acte en question ou ils le modifieront pour prendre en compte les préoccupations exprimées.
Ce point me permet de répondre à notre collègue Jean-Pierre Masseret qui soulignait que certains gouvernements devaient respecter les points de vue de leurs parlements lors des négociations au Conseil. Le mandat impératif est interdit par notre Constitution... Je relève cependant que sur les questions de subsidiarité, le gouvernement approuve la plupart du temps nos avis motivés.
Au-delà de la procédure de contrôle du principe de subsidiarité, il est également permis de s'interroger sur la simplification des normes mais je laisse Yves Pozzo di Borgo aborder ce sujet.
M. Yves Pozzo di Borgo . - Avant d'amorcer notre réflexion sur la simplification, j'aimerais rappeler à la suite de Simon Sutour, un principe simple, au coeur de la construction européenne. Toute délégation de souveraineté doit être opérée pour répondre de manière pratique à des besoins spécifiques. Ces transferts ne sauraient s'imposer aux Etats et doivent reposer sur les Traités et non sur une lecture biaisée de ceux-ci. L'Union européenne est avant tout une fédération d'Etats-nations. Il convient d'en tirer les conséquences.
Mais revenons à la norme européenne. Celle-ci est souvent perçue, à tort ou à raison, comme peu lisible, trop complexe, tatillonne ou simplement injustifiée. Elle constitue souvent l'illustration d'une Europe éloignée des citoyens et de leurs attentes. Le projet européen qui devrait constituer une chance et une opportunité, notamment dans le domaine économique, peut parfois apparaître comme une source de contraintes et une entrave à nombre d'activités. La commission des affaires européennes a d'ailleurs travaillé sur cette question et vient de soumettre au Sénat une proposition de résolution européenne.
Il convient tout d'abord de saluer le travail entrepris par la Commission Juncker en faveur de la lutte contre l'inflation normative et l'allègement de la charge réglementaire. La Commission européenne est aujourd'hui dotée d'un poste de conseiller spécial pour l'amélioration de la réglementation. L'objectif assigné à celui-ci est de permettre la réduction des charges administratives imputables à la norme européenne et stimuler ainsi croissance, emploi et investissements. Il a pris le relais du groupe de haut niveau sur les charges administratives, créé en 2007, et va dans le sens d'une meilleure application du principe de subsidiarité. Il s'agit aujourd'hui de moins légiférer et de mieux légiférer. La visibilité et la compréhension de l'action de l'Union européenne par les citoyens européens passe par une telle rationalisation.
La mise en place du programme REFIT - acronyme anglais pour « réglementation affûtée » en octobre 2013 - constitue également une indéniable avancée qu'il convient d'encourager. Le dispositif vise à évaluer l'acquis réglementaire et adopter, le cas échéant, les mesures correctives nécessaires. Il s'agit de répondre à l'objectif louable d'allègement de la charge réglementaire et de lutte contre la « bureaucratie inutile » que la Commission européenne s'est assigné.
Il convient aujourd'hui de poursuivre ces efforts et rendre la norme européenne plus claire, plus lisible et plus accessible. Cela passe notamment par une réflexion sur l'impact de toute nouvelle législation. L'accord interinstitutionnel « Mieux légiférer » du 13 avril 2016 a permis quelques avancées. La Commission associe plus directement les acteurs concernés, via la consultation de leurs représentants qui peut prendre la forme de réunions de groupes de discussions ou d'audiences. Une attention particulière est également portée aux petites et moyennes entreprises avant toute prise de décision, en déterminant si un acte européen les affecte et le cas échéant évaluer l'impact en fonction du poids des différents types de PME (micro, petites et moyennes) dans les secteurs concernés.
Il s'agit désormais d'aller plus loin. Une répartition des coûts et des avantages doit systématiquement être effectuée par rapport à la taille de l'entreprise avant d'être analysée qualitativement et, si possible, quantitativement, en ayant soin de préciser les impacts tant directs (coûts administratifs et coûts de mise en conformité) qu'indirects (concurrence dans la structure du marché). Cette étude doit déboucher sur la recherche de mesures alternatives ou d'atténuation. Celles-ci doivent permettre d'assurer le respect du principe de proportionnalité, qui peut prendre la forme d'exemptions. Par exemple les entreprises en dessous de certains seuils n'ont pas à se conformer à certaines obligations spécifiques lorsque cela ne remet pas en cause l'objectif initial de la législation.
Le même raisonnement s'applique aux collectivités locales. Nombre de mesures récentes ont mis en avant un écart substantiel entre les gains liés à l'objectif poursuivi par l'Union européenne et le coût pour la mise en oeuvre de celui-ci par les collectivités locales. Ces dernières constituent souvent le premier échelon de mise en oeuvre des politiques européennes, il convient d'apprécier leur situation si l'on souhaite que la poursuite des objectifs européens soit optimale. Il s'agit de favoriser une meilleure intégration verticale, entre les niveaux fédéral, national, régional et local et exploiter au mieux les compétences de chaque échelon.
Une attention particulière doit également être portée à la clarification de la procédure de comitologie qui permet d'adopter actes délégués et actes d'exécution dont parlait Simon Sutour.
Enfin, concernant la simplification, il conviendra de renforcer à l'avenir le contrôle politique sur les mandats de normalisation accordés au CEN, l'organisme européen de normalisation. Il s'agit d'éviter les normes inutiles ou néfastes à l'activité des petites et moyennes entreprises. Je pense à l'interdiction de principe quant à l'utilisation du plomb dans le cristal dont les ressorts peuvent paraître obscurs. Je vous rappelle que le Sénat s'était mobilisé il y a quelques années sur la question du vin rosé, menacé par les normes européennes.
M. Jean-Pierre Masseret . - On sait que Jean-Claude Juncker est sans doute le responsable politique européen le plus conscient de l'embonpoint administratif pris par Bruxelles ces dernières années. Pour autant, sauf dans quelques cas particuliers, les citoyens sont-ils concernés par cette évolution ? Le problème tient surtout à ce que les dirigeants politiques européens se cachent derrière directives et règlements de l'Union européenne dont ils sont à l'origine mais dont ils n'assument pas la responsabilité. Les citoyens se détournent aujourd'hui de l'Europe moins pour des questions de subsidiarité qu'en raison de l'absence de résultats. La plus-value européenne n'est pas au rendez-vous. Il s'agit là, de la question la plus importante, les gens ne voient pas ce qu'apporte l'Union européenne. Ce qui amène une réflexion sur ce qu'est l'identité nationale et ce qu'est l'identité européenne complémentaire, j'insiste souvent sur ce sujet. A la souveraineté nationale doit s'ajouter une souveraineté européenne pour que les gens perçoivent la plus-value que représente l'action européenne sur leur vie quotidienne et sur leur avenir. C'est moins une question de subsidiarité que de courage politique en vérité. Il ne faudrait pas tomber sur ce qui n'est pas la vraie raison de la contestation de l'Europe aujourd'hui, ce qui est une tragédie d'ailleurs.
M. Jean-Pierre Raffarin , président . - Oui, le vrai dilemme tient aujourd'hui à ce que les priorités politiques sont nationales. On l'a vu en matière de politique régionale européenne, avant que les régions ne deviennent les guichets de celle-ci. La DATAR captait alors les fonds européens qu'elle mettait au service de sa propre politique, via les contrats de plan. Il n'existe aucune priorité politique nationale accordée à l'Europe, personne n'étant rémunéré politiquement en fonction des résultats européens. Nous sommes au fond dans une situation qui peut s'apparenter à de la manipulation : on se sert de l'Europe pour faire du national. Les crédits européens sont ainsi utilisés aujourd'hui en compensation du manque de crédits nationaux...
M. Simon Sutour . - Tout en attribuant à Bruxelles la complexité des procédures de mises à disposition de ces fonds... Là, on parle d'Europe...
M. Jean Bizet , président. - Pour répondre indirectement aux propos de notre collègue Jean-Pierre Masseret, Jean-Claude Juncker a pris la mesure, dès son entrée en fonctions, de la pléthore d'initiatives législatives devenus obsolètes, faute d'avancée politique notamment. 80 ont ainsi été supprimés. Certains Etats n'ont d'ailleurs pas apprécié.
Le problème tient aujourd'hui à l'ambiance concernant l'Union européenne. Elle est mauvaise et il convient d'inverser la tendance. Notre proposition de renforcer le rôle d'impulsion du Conseil européen pourrait y participer. Cela devrait responsabiliser les chefs d'Etats. Dans l'architecture actuelle, où la Commission européenne devrait conserver son monopole en matière d'initiative même s'il sera encadré, le Conseil européen aura véritablement un devoir d'impulsion. Cela pourrait donner une meilleure image et améliorer l'ambiance...
11. Point d'étape sur le Brexit : communication de Mmes Joëlle Garriaud Maylam, Fabienne Keller et M. Eric Bocquet (mercredi 15 février 2017)
M. Éric Bocquet . - Messieurs les Présidents, mes chers collègues, entré tardivement dans l'Union européenne, en 1973, après avoir déposé deux fois sa candidature, en 1961 puis 1967, le Royaume Uni aspirait à rejoindre la zone de croissance rapide que constituait le marché unique alors que les échanges au sein de l'AELE progressaient moins vite que prévu et que les liens au sein du Commonwealth se distendaient peu à peu. Dès l'adhésion, un débat s'instaure sur la modification de la PAC et la réduction de la contribution britannique au budget communautaire. Le 5 juin 1975, 67,2 % des votants se prononcent en faveur du maintien de la Grande-Bretagne au sein de ce marché commun.
L'appartenance du Royaume-Uni à l'Union n'allait pas de soi et a donné lieu à la mise en place progressive d'une place singulière au sein de l'Union. Ainsi, au gré des revendications britanniques et des concessions faites par ses partenaires, un régime particulier, qualifié parfois de « singularité britannique », s'est dessiné, en trois temps : le chèque britannique, les opt-out et pacte budgétaire européen.
Le premier temps est celui de l'obtention d'un rabais britannique, le fameux « I want my money back » ! La minoration de la contribution britannique au budget européen est actée dès juin 1984. Le Royaume-Uni se voit ainsi rembourser 66 % de son solde budgétaire, la France supportant la part essentielle de ce rabais britannique, soit 1,6 milliard d'euros en 2014. La participation britannique à l'Union européenne reste toutefois positive et atteint, en 2015, environ 10 milliards d'euros.
Le second temps de la construction de la singularité britannique est l'émission de quatre options de retrait ou « opt-out ». Ainsi, le Royaume-Uni ne participe pas à l'espace Schengen, et n'appartient pas à la zone euro. Il ne participe pas non plus à l'« espace de liberté, de sécurité et de justice ». Enfin, il a obtenu une option de retrait sur la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
A cette liste des opt-out, on peut ajouter une autre dérogation : La Grande-Bretagne ne participe pas au pacte budgétaire européen entré en vigueur le 1 er janvier 2013. Londres ne l'a pas signé, le Premier ministre David Cameron indiquant que Londres souhaitait pouvoir garder le contrôle sur les services financiers fournis par la City.
Malgré ce statut sur-mesure, la tendance eurosceptique s'est affirmée au sein de la société britannique, de ses deux grands partis et du nouveau Parti de l'indépendance (UKIP) tout au long des années 1990 et 2000. Un audit de la répartition des compétences entre l'Union européenne et le Royaume-Uni a conclu à la nécessité d'importantes réformes. Le 23 janvier 2013, dans son discours dit « de Bloomberg », le Premier ministre David Cameron a annoncé la tenue d'un référendum sur la question du maintien ou non du Royaume-Uni dans l'Union européenne.
Le 9 novembre 2015, Londres a adressé au Président du Conseil européen, une lettre faisant état des réformes jugées nécessaires pour confirmer son appartenance à l'Union européenne. Il s'agissait d'améliorer la compétitivité avec l'approfondissement et l'élargissement du marché unique (numérique, services, transports et énergie), et la signature d'accords commerciaux avec les États-Unis, la Chine et le Japon. Londres souhaitait la « protection » des États hors zone euro des décisions prises par les pays membres de l'eurozone. Dans le domaine de la souveraineté, l'exemption de la notion d'« une union toujours plus étroite » était souhaitée ainsi que le renforcement du système permettant aux Parlements nationaux de bloquer la Commission. Enfin, la Grande-Bretagne souhaitait d'importants aménagements au principe de libre circulation des personnes.
En réponse, le « paquet Tusk » de février 2016 apportait une réponse favorable aux demandes britanniques. Parfois même jugée trop favorables, les propositions du Président du Conseil européen ouvraient la voie à un possible consensus, prenant largement en compte les demandes britanniques dans les domaines de la compétitivité ou de la protection des États non membres de la zone euro. De même, l'opt-out sur la clause d'union étroite faisait l'objet d'une acceptation de principe et les droits des Parlements nationaux se voyaient renforcer par la création d'un mécanisme de protection renforcée de la subsidiarité. Enfin, un mécanisme dit de « frein d'urgence » pour les mesures de sécurité sociale dont bénéficient les travailleurs migrants communautaires venait aménager le principe de libre circulation des personnes.
Pour autant, le 23 juin, les Britanniques ont majoritairement voté en faveur d'une sortie de l'Union européenne ou « Brexit ». Le taux de participation a été particulièrement élevé atteignant 72,2 % des inscrits. Ce sont 51,9 % des votants qui ont choisi le camp du « Leave », soit 17,4 millions de Britanniques.
La carte des régions révèle de nombreuses disparités. En Angleterre, 53,4 % des voix sont allés au Brexit, et 52,5 % des voix au pays de Galles. À l'inverse, le vote pour le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne l'a largement remporté en Écosse avec 62 % des voix et en Irlande du Nord avec 55,8 % des voix.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Messieurs les Présidents, mes chers collègues, aujourd'hui, les positions des deux parties sont connues du moins sur le papier. Le Premier ministre, Mme Theresa May, a clarifié la position britannique dans le discours de Lancaster House, complété par le livre blanc déposé au Parlement. Chaque institution de l'Union européenne a choisi un négociateur : le négociateur en chef pour la Commission est Michel Barnier ; le négociateur choisi par le Conseil est Didier Seeuws ; et, enfin, un troisième négociateur a été choisi par le Parlement, Guy Verhofstadt. Les Vingt-Sept ont fait savoir qu'ils attendaient la mise en oeuvre de l'article 50 avant de préciser au négociateur en chef les lignes de la négociation, mais on connaît déjà les grands principes qui devront être respectés.
Dans le discours de Lancaster House, Theresa May arbitre en faveur de la souveraineté et du contrôle de l'immigration, et assume enfin la sortie du marché unique et de l'union douanière. Ainsi, le gouvernement britannique va au bout de la logique de retrait et opte pour une sortie claire et rapide. Une fois sorti de l'Union européenne, le Royaume-Uni espère négocier un accord bilatéral de libre-échange avec l'Union et maintenir un accord de coopération en matière de défense et de sécurité, voire d'autres secteurs sensibles intéressant les deux parties.
Il est clair, à la lecture du discours de Theresa May, que le Royaume-Uni assume la rupture. Ce discours, qui se veut rassurant, décline la feuille de route des deux ans à venir. Theresa May veut négocier les modalités du retrait en même temps que l'accord pour la relation future et l'accord transitoire.
Même si Theresa May rappelle l'utilité de l'immigration, elle souhaite que son pays reste maître du niveau de l'immigration et ne subisse pas les conséquences de la quatrième liberté ; elle demande que le statut des ressortissants européens résidant actuellement au Royaume-Uni soit garanti comme celui des Britanniques vivant sur le sol continental de l'Union, et que cette question soit réglée dès le début des négociations.
Theresa May a d'autre part indiqué que le niveau actuel des droits des travailleurs serait maintenu. Pourtant on trouve dans ce discours un mélange de menaces voilées et de gages de bonne volonté.
Theresa May a présenté son discours comme la déclaration d'ouverture au monde d'un pays qui se veut le champion du libre-échange ; elle a affirmé que le Royaume-Uni restait l'ami et l'allié de l'Union ; elle n'a pas exclu des contributions ciblées au budget de l'Union et elle a rappelé l'importance de conserver une étroite coopération dans les domaines de la sécurité, de la défense et de la recherche.
Cependant, elle n'a pas hésité à faire allusion à l'adoption, en fonction de la position de l'Union européenne dans la négociation, de mesures de rétorsion qui passeraient sans doute par une plus grande dérégulation.
Toutefois, il reste des silences dans le discours de Lancaster House et, entre autres, rien n'est dit de manière précise sur :
- la facture du retrait qui pourrait aller jusqu'à 60 milliards (mais cette somme dépendra de la date de sortie de la Grande-Bretagne) ;
- les accès sectoriels qui ne sont pas détaillés ;
- l'organisation de l'immigration (quotas, green card ...) ;
- la frontière irlandaise, Gibraltar et Malte...
Venons-en maintenant à la position de l'Union. On sait que la négociation sera menée par la Commission sous l'étroit contrôle du Conseil et que l'accord, conformément à l'article 50, sera soumis à l'approbation du Parlement européen avant sa conclusion par le Conseil statuant à la majorité qualifiée.
La négociation doit être conclue d'ici octobre 2018 pour laisser le temps de mener la procédure parlementaire à son terme avant mars 2019.
L'Union a déterminé quatre lignes rouges à ne pas franchir et elles figureront sans doute dans le mémorandum que le Conseil publiera après la première réunion suivant la mise en oeuvre de l'article 50. Voici ces quatre lignes rouges :
a) Un État ne peut prétendre obtenir plus d'avantages en étant en dehors de l'Union que lorsqu'il en est membre ;
b) Les quatre libertés de circulation sont indissociables et constituent en bloc la contrepartie et la condition de l'accès au marché intérieur ;
c) L'Unité et la cohésion des 27 États membres restants sont une priorité (comme l'a encore rappelé le président Tusk après le Sommet de Malte) ; le corollaire de cette position est qu'aucune négociation bilatérale ne sera acceptée, chaque État membre devant s'attendre à devoir consentir au compromis trouvé ;
d) Les parlements nationaux devront être associés aux négociations ; même si l'accord de retrait ne nécessite pas de ratification, celui sur le cadre des relations futures entre le Royaume-Uni et l'Union nécessite, lui, une ratification des parlements.
En conclusion, le calendrier est serré, les points de vue sont tranchés, mais il faut tout mettre en oeuvre pour réunir et trouver un compromis satisfaisant à une situation qui ne l'est pas.
Mme Fabienne Keller . - Messieurs les Présidents, mes chers collègues, comme l'a dit ma collègue, c'est au Conseil européen qu'il appartient de fixer le cadre de la négociation. Il le fera lors d'une réunion en avril 2017, après la mise en oeuvre de l'article 50 par le Royaume-Uni. Le Conseil se prononcera alors sur le cadre des négociations et plus particulièrement sur les trois volets de ces négociations.
En effet, il faut, premièrement, arrêter le dispositif de la négociation, deuxièmement identifier tous les sujets qui devront faire l'objet de l'accord de retrait (« les termes du divorce »), ce qui signifie une séparation ordonnée dans les domaines administratif, institutionnel, juridique et budgétaire. Enfin, le troisième volet posera les principes pour les relations futures qu'entretiendront le Royaume-Uni et l'Union.
Ces négociations dureront deux ans, ce qui est court, et on ne peut pas exclure une séparation sans accord. Le Conseil et la Commission ont bien l'intention de garder la pleine maîtrise du calendrier et de ne pas entamer une négociation sur la relation future avant que les termes du divorce soient acceptés. Une fois les principes posés, la Commission recevra mandat du Conseil pour négocier.
En cas de succès des négociations de retrait, les termes du divorce seront acceptés par les deux parties et les principes seront posés pour un autre accord qui régira la relation future Royaume-Uni-Union européenne. La négociation de cet accord commencera après que l'on aura agréé un accord provisoire. En cas d'échec de la première étape, ce sera une sortie sèche avec un retour aux seules règles OMC, et sans doute de nombreux contentieux.
1. Les enjeux du divorce
- Les enjeux administratifs, institutionnels et financiers
Sur le plan institutionnel et administratif, on sait qu'il faudra s'assurer qu'au jour de la sortie du Royaume-Uni, tous les ressortissants britanniques quittent leurs fonctions au Conseil, au Parlement, à la Commission, mais aussi dans les agences et les organes européens, au Comité économique et social, au Comité des régions... Il y aura alors une discussion pour établir les droits individuels des fonctionnaires britanniques, les phases de transition ou d'extinction et les éventuelles indemnités. Aucun ressortissant britannique ne sera plus actif dans aucun organe ou institution européenne.
Le Royaume-Uni devra s'acquitter, à son départ, de l'ensemble de ses obligations et de tous les paiements correspondant aux engagements contractés, ainsi que de toutes les autres obligations correspondant aux engagements qui ont été pris pour la durée du cadre financier pluriannuel 2014-2020 et pour la politique de cohésion. Le Royaume-Uni devra aussi rester garant des projets du plan Juncker par exemple. Enfin, le Royaume-Uni devrait aussi continuer à contribuer aux pensions des fonctionnaires européens pour tous les droits totalisés pendant la période où le Royaume-Uni était un État membre. L'ensemble de cette facture a été annoncée officieusement comme avoisinant les 60 milliards d'euros, soit environ le cumul de neuf années de contributions budgétaires nettes, mais ce chiffre variera en fonction de la date de sortie de l'Union. Nous sommes allés à Londres et nous avons auditionné M. Michel Barnier : il est clair, de ce que nous avons entendu des deux côtés, que ce sera un point dur des négociations que M. Barnier veut introduire dès leur commencement et ce n'est pas la position britannique.
- Les autres problèmes à régler avant le retrait
a) Les droits acquis
Le retrait du Royaume-Uni conduira à traiter la question des droits acquis par les citoyens de 27 États membres actuellement installés sur le sol britannique et ceux acquis par les ressortissants britanniques installés sur le territoire d'un des 27 États membres restants, qu'il s'agisse des titres de séjour, des permis de travail, des droits relatifs aux études, de la recoordination des régimes de sécurité sociale, des droits à pension ou de l'accès aux soins.
300 000 Français résident au Royaume-Uni et 200 000 Britanniques vivent en France. Le Royaume-Uni accueille 3,2 millions d'Européens, et l'Europe continentale 1,3 million de Britanniques.
b) Le partage des actifs et le rapatriement des agences européennes
L'Agence européenne du Médicament et l'Autorité Bancaire européenne situées à Londres devront rejoindre le territoire de l'Union. Je vous signale que Strasbourg est candidate et je remercie mon collègue, M. Simon Sutour, d'avoir aussi proposé Strasbourg pour siège du Sénat européen. Quant à l'ensemble des actifs européens, le Royaume-Uni pourra prétendre en recevoir, sous forme de compensation, la fraction correspondant à son poids relatif dans l'accumulation de ces actifs.
c) La déconsolidation des accords multilatéraux et bilatéraux dont l'Union est partie
L'Union européenne a contracté environ 1 700 accords multilatéraux ou bilatéraux dans le monde dans tous les domaines de l'environnement à la coopération judiciaire. Le Royaume-Uni devra en sortir à titre national lorsqu'il s'agit d'accords mixtes engageant l'Union européenne et les États membres. Ce sera automatique pour les accords qui relèvent de la compétence exclusive de l'Union. Des problèmes en perspective et ce sera le cas pour la COP 21.
d) La question des accords commerciaux
La question est délicate quand il y a eu des engagements quantitatifs comme, par exemple, les contingents agricoles ; sinon, il faut espérer que le Royaume-Uni prendra des engagements équivalents à ceux de l'Union européenne partout où cela est possible.
- La question des nouvelles frontières
L'unité du Royaume-Uni est en jeu si l'Ecosse persiste à réclamer son indépendance, mais aussi la stabilité de l'Irlande qui, aujourd'hui, ne connaît plus de frontière intérieure et qui trouverait au milieu de son territoire la nouvelle frontière de l'Union. Gibraltar ne manquera pas de poser un problème ; Malte avec ses bases militaires britanniques et même Chypre seront affectées.
Je rappelle que l'Irlande sera un sujet majeur. Le référendum a ravivé les vieilles plaies ; les Catholiques ont voté « Remain » et les Unionistes ont voté « Leave ». Il faudra renégocier les accords de 1923 et de 1998.
2. Les enjeux de la relation future entre le Royaume-Uni et l'Union
- Risques économiques et enjeux budgétaires
Une fois le Royaume-Uni sorti de l'Union, il manquera chaque année 10 milliards d'euros dans le budget de l'Union et il faudra trouver une solution pour combler ce manque.
L'économie britannique se porte plutôt bien mais déjà, certains indicateurs comme la baisse de la livre, l'inflation en hausse et la stagnation des salaires laissent présager un ralentissement, sans qu'on sache encore si ce ralentissement est dû au Brexit non encore mis en oeuvre.
- Des opportunités pour la finance européenne ?
Le Brexit devrait entraîner la perte du « passeport européen » et celle des chambres de compensation traitant l'euro, et sans doute une partie des actifs gérés, voire un déplacement du « private equity » vers le continent. La City s'en inquiète mais certains parlent de 7 500 postes perdus, d'autres de 65 000.
Paris, Dublin, Francfort, Luxembourg, Amsterdam et Milan sont sur les rangs... Les banquiers français que j'ai rencontrés sont optimistes mais une grande partie de la gestion restera à Londres.
Nous avons rencontré le CBI à Londres. C'est l'équivalent du Medef français. Reste à savoir quelle sera la politique migratoire après le Brexit, et si l'accès aux talents ne va pas devenir plus difficile. D'autres secteurs économiques dépendant d'une main-d'oeuvre moins qualifiée s'en inquiètent aussi.
Enfin, il ne faudra pas renoncer à toute coopération et maintenir les accords, notamment pour la défense et la lutte contre le terrorisme.
Un énorme travail de négociation s'annonce à un moment où l'Europe dans son ensemble est affectée par une croissance molle, par une immigration massive et par le terrorisme. Il faut que les principes de réalité et de solidarité l'emportent. « 2019 est un rendez-vous politique et pas technique » , comme l'a dit le Président Raffarin. Il ne faut pas que les opinions publiques trouvent dans ces négociations des sujets de tension et de dissension.
M. Simon Sutour . - Je me félicite de ce rapport d'étape sur le Brexit remarquablement écrit et j'aurais aimé qu'il y eût un vote, en particulier pour approuver les propositions qu'il contient concernant les positions de négociations, car je crois que nous sommes tous d'accord sur ces propositions.
M. Jean-Pierre Masseret . - Je souscris à ce propos mais le dernier paragraphe de la page 8 me contrarie. C'est un ressenti personnel, mais je ne suis pas en phase avec sa rédaction : « De la même façon, le groupe de suivi estime que la relation bilatérale entre le Royaume-Uni et la France, déjà très dense, doit encore être renforcée, du fait du Brexit, dans au moins trois domaines : défense, sécurité et lutte anti-terroriste, nucléaire civil. La France a besoin de relations fortes avec l'Allemagne, et aussi le Royaume-Uni. Le Brexit ne saurait donc ouvrir la voie à une dérive de la relation franco-britannique. ». Il me semble que cette rédaction met la France en position de faiblesse. Je comprends le sens de ce paragraphe mais je ne comprends pas le choix de cette rédaction.
M. Jean-Pierre Raffarin , président . - C'est une réponse au sentiment qu'ont les Britanniques que nous voudrions les punir. Or nous souhaitons faire savoir seulement que nous n'avons pas peur du « no deal » -une sortie sèche sans accord- mais nous avons une opinion publique qui risque de se crisper. L'idée de base est de dire « nous n'avons pas peur du Brexit » mais au-delà de cette question, reste qu'à l'Est, nous avons l'Allemagne et à l'Ouest, le Royaume-Uni, et que c'est notre destin de coopérer avec les deux côtés.
M. Jean-Marie Bockel . - Derrière cette position, il y a la question politique suivante : nous sommes partagés sur l'après-Brexit, pris entre un sentiment de découragement et d'euroscepticisme, et d'un autre côté, on pense que c'est une opportunité à saisir pour aller plus loin avec les Allemands, et cela, il faudra le faire apparaître dans nos travaux.
M. Jean-Pierre Raffarin . - Je propose de reformuler le paragraphe de manière plus positive en mettant simplement en avant que la France a besoin de relations fortes avec l'Allemagne, et aussi avec le Royaume-Uni.
M. Yves Pozzo di Borgo . - Il faut rappeler par exemple que, quelle que soit l'issue du Brexit, nous maintiendrons notre coopération dans le domaine de la défense.
M. Jean-Pierre Raffarin . - Le Brexit, c'est un problème britannique, et notre problème à nous, c'est l'avenir de l'Europe. Nous n'aurons aucune indulgence à l'égard de ceux qui menaceraient notre union, qu'il s'agisse du Président Poutine, du Président Trump ou de la Chine.
M. Jean Bizet . - Je reviens à la question de Simon Sutour, pour lui dire que le Groupe de suivi étant appelé à approuver la publication du rapport, approuvera dans le même temps ses conclusions et ses propositions. J'ajoute que le groupe de suivi sur le Brexit ne va pas s'arrêter là. Souvenez-vous de la quatrième ligne rouge : l'information des Parlements nationaux et leur approbation. C'est de la première importance car il ne s'agit pas de se retrouver comme avec le CETA et le blocage de dernière minute du Parlement wallon.
Mme Gisèle Jourda . - Je souhaite intervenir sur la question de la défense : il faut maintenir une coopération sur le long terme et je regrette que l'on ne parle pas de l'ouverture à l'Espagne et à l'Italie.
M. Jean-Pierre Raffarin . - Bonne remarque, mais cela figurera dans le rapport que nous examinerons la semaine prochaine. Vous avez un peu d'avance, chère collègue.
Je propose qu'on autorise la publication de ce rapport d'étape.
La publication du rapport d'étape est autorisée à l'unanimité (moins une abstention, celle de M. Eric Bocquet).
La réunion est levée à 16 h 30.