IV. POUR UNE MÉTHODE AMBITIEUSE ET PRAGMATIQUE
Pour mettre en oeuvre la « feuille de route » ambitieuse qu'il a tracée, le groupe de suivi propose de s'appuyer sur le moteur franco-allemand qui bénéficiera, à compter de l'automne 2017, de 5 années de stabilité des exécutifs. La méthode doit être à la fois ambitieuse et pragmatique. Les coopérations renforcées entre les Etats membres qui souhaitent avancer doivent avoir un rôle d'entraînement pour l'ensemble de l'Union. Enfin, l'Europe doit redevenir le projet partagé des citoyens européens.
A. RETROUVER LE RÔLE D'IMPULSION DU COUPLE FRANCO-ALLEMAND
Le couple franco-allemand a toujours joué un rôle moteur dans la construction européenne. Il a perdu aujourd'hui sa dynamique. Le groupe de suivi plaide pour une initiative franco-allemande de refondation de l'Union européenne. Naturellement, pour votre groupe de suivi, il n'est pas exclusif et a vocation à s'ouvrir à d'autres Etats membres.
1. Un rôle essentiel qui a perdu sa dynamique
Le Traité de l'Élysée est l'acte de naissance emblématique du fameux « couple franco-allemand ». Signé le 22 janvier 1963, il poursuivait trois objectifs : sceller la réconciliation franco-allemande, créer entre les deux pays une véritable amitié et favoriser la construction de l'Europe unie, véritable but commun des deux peuples.
Sont traditionnellement cités Airbus, Arte ou l'Office franco-allemand de la jeunesse comme gages de la qualité et le caractère exceptionnel de la relation franco-allemande Ce couple dans ses « riches heures » a joué un rôle majeur dans les grandes avancées de la construction européenne : l'Acte unique européen, le Traité de Maastricht, la monnaie unique ou plus récemment, la mise en place de l'Union bancaire.
L'importance du couple franco-allemand s'est ainsi affirmé comme vital pour l'Union . Le poids de leurs économies cumulées font de la « France-Allemagne » le troisième bloc économique mondial derrière les États-Unis et la Chine. C'est une réalité qui est loin d'être négligeable au moment où l'on assiste à une forme de retour de l'équilibre des puissances entre des États-continents.
Outre ce poids économique, si la France et l'Allemagne ont longtemps donné une réelle impulsion au développement de l'Union européenne ce n'est pas parce que ces deux pays seraient semblables entre eux et différents des autres États-membres mais bien parce qu'ils sont différents l'un de l'autre. Ainsi, lorsqu'un compromis franco-allemand existe, il n'est en général pas trop loin d'un point de ralliement possible, d'une base de travail acceptable à la fois par, l'Europe « dite du nord » et l'Europe « dite du sud », ou par les représentants de chacune des lignes de partage, économiques, sociales, ou autres de l'Union. De même, un autre ressort fort du moteur franco-allemand est son exemplarité : le fait de voir ces pays faire l'effort de transcender leurs différences a souvent constitué un encouragement pour les autres États-membres à faire de même. C'est là tout le rôle d'entraînement du « moteur » franco-allemand.
Ce couple franco-allemand est toutefois aujourd'hui souvent questionné. Si les anniversaires du Traité font régulièrement l'objet de commémoration 18 ( * ) , aboutissant en 2013, à une déclaration, dite « déclaration de Berlin ». les effets concrets du « moteur européen » semblent dater un peu, et les exemples de réussite plus récents semblent moins nombreux ou moins structurants.
La déclaration conjointe de Berlin, par exemple, présentait de « nouvelles ambitions pour les politiques européennes, notamment dans le domaine de la recherche et de l'innovation, de l'énergie, des transports, de la politique industrielle, de l'économie numérique, de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, y compris par l'instauration d'un parquet européen, de la défense ». De même, elle réaffirmait que la France et l'Allemagne étaient « déterminé(e)s à développer encore la coopération franco-allemande et à la mettre au service de l'approfondissement de l'Union économique et monétaire afin que l'Europe surmonte les difficultés et nous permette de sortir de la crise plus forts ». Ses effets sont encore attendus.
Il est certain que les crises récentes auxquelles l'Union a été confrontée - celle de la Grèce et puis celle des migrants - n'ont pas renforcé la relation bilatérale entre la France et l'Allemagne. Il est même apparu que les décisions fondamentales semblaient, sur des sujets majeurs, être prises par l'un des deux au sein du couple. De plus, de façon plus structurelle, on constate aussi depuis dix ans une forte divergence économique : en termes de croissance, de chômage, de compétitivité et d'équilibre financier, les écarts se creusent. Ainsi, depuis quelques années, des signes de déséquilibres existent dans la relation bilatérale. Dans ce contexte, la persistance du couple franco-allemand comme dynamique européenne doit être réaffirmée.
2. Pour une initiative franco-allemande de Refondation de l'Union européenne
Il convient tout d'abord de rappeler qu'il n'existe pas d'alternative au moteur franco-allemand pour l'Europe. Cela signifie que si le moteur franco-allemand était durablement en panne, c'est l'Europe qui serait fragilisée. Le poids de notre coresponsabilité est donc considérable. Le dialogue entre la France et l'Allemagne doit donc être approfondi, afin d'aboutir à une vision commune sur l'équilibre à trouver entre la nécessité d'associer mieux les parlements nationaux au processus décisionnel européen et l'impératif consistant à ne pas affaiblir les institutions communautaires dans une période aussi complexe.
La dynamique franco-allemande retrouvée est la seule réponse aux défis auxquels l'Union européenne doit faire face. Cela suppose un engagement ferme de la France à redresser ses finances publiques. La France doit renouer avec une croissance plus forte, plus productrice d'emploi, et se rapprocher ainsi de l'Allemagne à la fois pour répondre à la première attente des Français qui est et reste l'emploi, pour respecter nos engagements d'appliquer les critères européens encadrant les déficit et dette publics, et pour affirmer la convergence européenne . Sans convergence, dans 10 ans, le projet européen n'aura plus de sens et ne sera plus réalisable.
Cette convergence est la condition d'un renforcement de la confiance au sein de notre relation bilatérale, elle-même carburant du moteur franco-allemand. C'est dans ce contexte qu'une action franco-allemande est envisageable, après que les élections se seront tenues dans nos deux pays, ouvrant une période de stabilité qui doit être mise à profit pour refonder l'Union européenne sur la base d'un consensus politique fort . Il devra permettre de définir une feuille de route franco-allemande pour les 15 années à venir qui, sur la base de la reconnaissance de valeurs partagées et d'une même vision de l'avenir à moyen terme, donne un cadre de référence à la coopération franco-allemande au service d'une Europe consolidée. Ce document, organisé autour de quelques grands thèmes, doit approfondir les initiatives prises dans le cadre de l'agenda franco-allemand 2020, adopté en 4 février 2010 avec ses 80 propositions, mis à jour en 2013 lors du 50e anniversaire du Traité de l'Élysée.
Cette feuille de route sera le signe d'une coopération d'autant plus solide que l'Allemagne et la France auront fait le nécessaire effort d'analyser ensemble les enjeux du nouveau siècle qui s'ouvre, véritable défi de civilisation, tant les évolutions technologiques et scientifiques telles que la numérisation de nos sociétés et de nos économies induisent de nouveaux rapports sociaux et de nouvelles pratiques culturelles. Sur la base de cette analyse commune, faisant la part belle aux valeurs européennes, le couple franco-allemand doit chercher à fédérer les États membres et à répondre aux aspirations des peuples qui souhaitent préserver leur identité nationale et mieux l'articuler avec leur identité européenne.
Cela permettrait de redonner une impulsion franco-allemande inclusive forte. Cette collaboration doit être inclusive car si le moteur franco-allemand est essentiel, il ne doit pas pouvoir être perçu comme exclusif, et doit être ouvert à d'autres partenaires sous différents formats : triangle de Weimar avec la Pologne, zone euro, espace Schengen, etc.
Au service de la cohésion des États-membres et de la refondation de l'Union européenne, le couple franco-allemand doit mettre en oeuvre des coopérations renforcées entre les États qui le souhaitent, dans les domaines où le principe de subsidiarité trouve à s'appliquer, c'est-à-dire où l'action au niveau européen est plus pertinente que l'action au niveau national. Il s'agira bien sûr de la coopération de défense, du développement de la sécurité intérieure et du renforcement des frontières, du développement durable et de la mise en oeuvre de la COP 21, de la politique numérique, de la politique de l'emploi et de la formation ou encore de la politique énergétique.
Recommandations de méthode pour relancer le projet européen 1. Présenter un front uni dans la négociation du Brexit : - Réaffirmer la volonté commune de la France et de l'Allemagne de ne pas dissocier l'accès au marché unique de la stricte application des quatre libertés de circulation : la libre circulation des personnes, la libre circulation des biens, la libre circulation des capitaux et la libre circulation des services ; - Maintenir l'unité des 27 États membres face au Royaume-Uni avant puis pendant les négociations du Brexit ; - Veiller à maintenir un dialogue stratégique de haut niveau avec le Royaume-Uni après le Brexit, notamment dans le domaine de la politique étrangère et de la défense ; - Créer les conditions d'un dialogue politique de haut-niveau franco-allemand avant et pendant les négociations du Brexit. 2. Favoriser l'émergence d'une analyse commune des défis du XXI ème siècle et Lever les obstacles à la cohésion franco-allemande : - Être une force d'entraînement pour l'Europe. Face aux crises internationales, aux menaces géopolitiques grandissantes , aux tentations de mener des politiques strictement nationales, l'Allemagne et la France doivent, comme le prévoit la déclaration commune dite de Berlin, réaffirmer le rôle moteur du couple franco-allemand en matière européenne, dans une démarche visant l'inclusion des autres États-membres ; - Définir les objectifs de l'Union européenne au 21ème siècle. Les élections qui se tiendront en 2017 en France et en Allemagne* ouvriront une période de cinq ans de stabilité qui doit être mise à profit pour instaurer un dialogue politique permettant de définir les enjeux du nouveau siècle. Une analyse commune des forces de l'Europe et des défis qui l'attendent, ainsi que des attentes des peuples européens, pourrait ainsi orienter l'action de l'Union européenne ; - Affirmer les valeurs européennes et la nécessité d'une diplomatie de paix. Dans un monde qui se réarme, où les menaces extérieures sont des menaces intérieures, le couple franco-allemand doit défendre la puissance européenne comme puissance de paix. Une conférence regroupant les institutions politiques et fondations allemandes et françaises, et des parlementaires pourrait être organisée sur ces questions ; - Définir une feuille de route franco-allemande pour les 15 années à venir qui, sur la base de la reconnaissance de valeurs partagées et d'une même vision de l'avenir à moyen terme, donne un cadre de référence à la coopération franco-allemande au service d'une Europe consolidée. Ce document, organisé autour de quelques grands thèmes, doit approfondir les initiatives prises dans le cadre de l'agenda franco-allemand 2020, adopté en 2010 et dans le cadre de l'anniversaire du Traité de l'Élysée en 2013 ; - Favoriser la convergence des réformes structurelles économiques de part et d'autre du Rhin. 3. Développer les coopérations renforcées d'initiative franco-allemande : - Dans le domaine de la défense : veiller à la mise en oeuvre complète de l'initiative franco-allemande de septembre 2016, ralliée par l'Espagne et l'Italie. Il s'agit notamment de mettre en place une « revue annuelle de défense coordonnée », dialogue volontaire de planification des budgets et des capacités de défense et de créer une structure permanente de planification, de commandement et de conduite des opérations militaires PSDC, propositions non reprises au Conseil européen de décembre 2016 ; - Dans le domaine de l'énergie, compte tenu de la forte divergence modèles respectifs, privilégier pour l'heure deux sujets d'importance économique majeure pour l'ensemble de l'Union : la gestion des réseaux et celles des marchés de gros ; - Dans le domaine du numérique, agir avec la Commission à la mise en place d'une véritable politique industrielle visant à permettre à l'Europe de rivaliser avec les géants américains et chinois ; - Dans le domaine de l'Union économique et monétaire, prendre les initiatives nécessaires au renforcement de la gouvernance institutionnelle de la zone euro. * Des élections législatives se tiendront également en 2017 en Irlande, aux Pays-Bas, en Bulgarie et en République tchèque. |
* 18 En janvier 2003, à l'occasion des célébrations des quarante ans de la signature du traité, la coordination bilatérale entre la France et l'Allemagne a trouvé un nouvel élan dans la mise en place du Conseil des ministres franco-allemands se réunissant à un rythme bi-annuel (remplaçant les sommets franco-allemands qui avaient été institués par le traité) et d'une journée franco-allemande (qui a lieu tous les ans le 22 janvier depuis ce 40e anniversaire).