C. RELEVER LE DÉFI D'UNE EUROPE PLUS DÉMOCRATIQUE ET PLUS TRANSPARENTE

Une Europe plus démocratique suppose que le rôle des parlements nationaux soit renforcé. Plus de transparence doit être assurée dans le processus de décision. Par ailleurs, plus que jamais, l'Union doit s'affirmer comme une communauté de valeurs et de droit.

1. Affirmer l'Union européenne comme une communauté de valeurs

Les droits de l'Homme et les valeurs fondamentales semblent aujourd'hui relativisés voir menacés dans les discours des dirigeants de certaines grandes puissances mondiales. Il s'agit dans ce contexte, de réaffirmer l'Union européenne, longtemps réduite à un espace économique, comme une communauté de droits et de valeurs. Adopté en 1992, le Préambule du Traité sur l'Union européenne rappelle l'attachement de tous les Etats membres aux principes de liberté, de démocratie, au respect des droits de l'Homme, aux libertés fondamentales et à l'État de droit mais aussi aux droits sociaux fondamentaux. Aux termes de l'article 2 du Traité sur l'Union européenne, l'Union est ainsi fondée sur les valeurs de respects de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit et des droits de l'Homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux Etats membres. Le Traité met l'accent sur une société européenne caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes.

La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, élaborée en 2000, vient consolider droits personnels, civils, politiques, économiques et sociaux des citoyens et résidents européens, consacrés par les Traités, le législateur ou Cour de justice de l'Union européenne, pour renforcer leur visibilité. Elle est devenue juridiquement contraignante en 2009. Elle reprend les principes de la Convention européenne des droits de l'Homme, ratifiée par ailleurs par tous les Etats membres. L'inscription dans les Traités de la référence à la Convention européenne des droits de l'Homme (article 6 du Traité sur l'Union européenne) comme la Charte des droits fondamentaux vient rappeler les ambitions de l'Union européenne en la matière. Ces textes constituent le socle à partir duquel le législateur peut apporter des précisions. Dans le rôle qui est le sien, le juge est chargé de faire appliquer et d'interpréter ces principes et non d'en créer de nouveaux.

L'Union européenne s'est par ailleurs dotée d'un dispositif permettant de sanctionner un État membre en cas de violation grave et persistante des droits fondamentaux. Cette exigence est, en outre, au coeur de la politique étrangère de l'Union. Un représentant spécial pour les droits de l'Homme a ainsi été nommé, l'Union européenne disposant par ailleurs d'un instrument financier dédié, l'Instrument européen pour la démocratie et les droits de l'Homme, doté d'1,3 milliard d'euros pour la période 2014-2020.

2. Renforcer le rôle des Parlements nationaux : la Réunion permanente des parlements nationaux

L'élection des parlementaires européens au suffrage universel n'a pas permis, depuis 1979, de renforcer le lien entre les citoyens et l'Union européenne. L'idée de la mise en place d'un Sénat européen permettant de mieux associer les parlementaires nationaux aux débats européens est, de son côté, régulièrement avancée depuis une vingtaine d'années. Elle vise à mieux prendre en compte l'expression des citoyens via leurs représentants dans l'élaboration des textes européens.

Depuis sa création en 1989, la COSAC a joué un rôle déterminant pour mettre en réseau les Parlements nationaux et dans l'échange de bonnes pratiques à travers notamment ses rapports semestriels. La coopération parlementaire s'est aujourd'hui diversifiée : conférence prévue à l'article 13 du Traité sur la stabilité, la convergence et la gouvernance, conférence spécialisée en matière de défense, Groupe d'examen parlementaire conjoint sur les activités d'Europol. Un texte prévoyant une meilleure association des parlements nationaux à l'évaluation d'Eurojust est actuellement en débat.

Il convient aujourd'hui d'aller plus loin et de donner un cadre et une visibilité à ces formes de coopération interparlementaire. Sans créer une nouvelle institution, il pourrait être envisagé une agrégation de ces différentes formes d'association au sein d'une Réunion des parlements nationaux, en partant de l'acquis que représente la COSAC. Il s'agit, sur la base des Traités, d'en faire une instance identifiable par le citoyen où s'exprimeraient, sans préjudice des compétences du Parlement et du Conseil, des préoccupations parfois insuffisamment prises en compte. Ce qui contribuerait indéniablement à élargir la base démocratique de l'Union.

À l'instar du Bundesrat allemand, cette assemblée serait composée de délégués désignés par leurs chambres et se réunirait à Strasbourg au moins deux fois par semestre et en tant que de besoin . Elle serait le cadre idoine pour l'exercice du droit d'initiative. Les sessions plénières, précédées de réunions de commissions thématiques (économie, affaires sociales, défense, migrations, justice et affaires intérieures, budget), adopteraient des résolutions sur les grands sujets européens. Cette représentation serait systématiquement consultée sur les sujets ayant trait à la souveraineté des États membres : défense, migrations, contrôle d'Europol et d'Eurojust...

Dans ce cadre, les parlements nationaux pourraient également avoir un débat chaque année avec la Commission européenne sur son programme de travail annuel. Cette COSAC réformée ferait la synthèse des avis des parlements nationaux et leur permettrait de peser collectivement sur l'activité des institutions européennes en faisant prendre en compte leurs propres priorités.

Pour mettre en oeuvre au mieux ses missions, la Réunion des parlements nationaux, devrait pouvoir avoir un échange régulier à chacune de ses sessions plénières avec le Président du Conseil européen, celui de la Commission européenne et des membres de celles-ci. Elle devrait veiller à promouvoir un vrai débat politique introduit systématiquement par un parlementaire national et qui réserve un temps d'expression suffisant aux parlementaires présents selon un schéma interactif. Des sessions informelles parallèlement à la session officielle pourraient permettre de développer les contacts entre parlements sur des thématiques spécifiques. Les rapports qu'elle adoptera devront être diffusés largement, notamment auprès de la presse spécialisée européenne et des universitaires investis dans les questions européennes.

Le secrétariat permanent de la COSAC devrait, dans ces conditions, être renforcé et appuyer les travaux des conférences sectorielles. L'organisation des débats pourrait être facilitée par un travail préparatoire conduit par un petit groupe de chambres intéressées.

Il s'agira également d'intégrer systématiquement les parlements nationaux aux différentes étapes des grands dossiers européens : avenir de l'Union économique et monétaire, politique commerciale, Union de l'énergie, réponse à la problématique environnementale, avec des débats préalables à l'adoption de nouveaux instruments et l'audition régulière des commissaires en charge de ces dossiers. Les rapporteurs du Parlement européen devraient également pouvoir être auditionnés par les parlements nationaux, à leur demande.

3. Assurer la transparence du processus de décision

L'accord interinstitutionnel du 13 avril 2016 a permis de contribuer à une plus grande transparence en ce qui concerne l'élaboration de la norme européenne 17 ( * ) . La nouvelle architecture institutionnelle présentée plus haut devrait contribuer à mieux définir, pour le citoyen européen, le rôle de chacun et limiter dans le même temps l'inflation normative. Ce qui permettrait de contribuer à améliorer la qualité de la norme européenne et respecter un peu plus le principe de subsidiarité.

Deux actions complémentaires pourraient être menées en vue de clarifier un peu plus le processus décisionnel européen.

a) Les trilogues

La première vise les trilogues, qui réunissent représentants du Conseil, de la Commission européenne et du Parlement européen et qui tendent, ces dernières années, à symboliser une forme d'opacité. À l'image des commissions mixtes paritaires, les trilogues réunissent les colégislateurs pour faire émerger un compromis dès l'issue de la première lecture. 1 500 réunions du trilogue ont eu lieu au cours de la législature 2009-2014. 85 % des textes ont été adoptés sur cette période à l'issue d'un trilogue, contre 29 % au cours des deux législatures précédentes. Les Traités prévoyant trois lectures dans la procédure législative ordinaire, l'intérêt du dispositif est certain puisqu'il permet d'accélérer la procédure législative.

Le trilogue n'est, cependant, pas défini précisément par les Traités. Cette procédure reste peu transparente comme en témoignent l'absence de publication de l'ordre du jour des trilogues ou de comptes rendus publics des négociations. Il convient de s'interroger également sur la composition de ces trilogues, où la présence d'experts de la Commission ou du Conseil peut fragiliser la position du Parlement européen. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que le Médiateur européen ait ouvert une enquête sur cette question le 28 mai 2015. Elle a rendu ses conclusions le 12 juillet 2016. Elle identifie plusieurs pistes pour accroître la transparence du dispositif :

- Prévoir un calendrier prévisionnel des trilogues ;

- Présenter un résumé des propositions de chacun des co-législateurs avant les réunions ;

- Publier un document rendant public les versions successives du texte une fois celui-ci adopté ;

- Permettre au public d'accéder aux documents utilisés dans le cadre des trilogues ;

- Créer une base de données accessible au public, réunissant l'ensemble de ces documents.

Les institutions concernées devaient adresser leurs propositions de réforme avant le 15 décembre dernier. L'amélioration de la publicité entourant l'activité des trilogues va incontestablement dans le bon sens, en permettant de clarifier un peu plus la procédure. Elle avait déjà été appelée de ses voeux par le Sénat dans une résolution adoptée le 20 novembre 2016 sur la proposition d'accord interinstitutionnel relatif à l'amélioration de la réglementation. Cette question n'est, par ailleurs, pas sans conséquence pour les parlements nationaux qui ne disposent d'aucun éclairage sur les observations qu'ils ont pu transmettre sur des textes via leurs gouvernements ou dans le cadre du dialogue politique avec la Commission européenne.

Il convient dans le même temps de conférer un véritable statut juridique au trilogue, afin de clarifier le recours à ce type de procédure et la composition de ces enceintes. Il s'agit également d'instituer une procédure d'urgence pour les textes européens, qui pourrait être mise en oeuvre à la demande du Président de l'Union européenne .

b) La comitologie et les actes délégués

La deuxième action à mener doit concerner la comitologie, qui couvre la question des actes délégués et d'exécution de l'Union européenne, l'équivalent des décrets d'application français . Le législateur peut, en effet, déléguer à la Commission européenne le pouvoir d'adopter des actes non législatifs de portée générale qui modifient ou complètent des éléments non essentiels de l'acte législatif. Le Sénat a constaté en 2014 un recours abusif à ce type d'acte, qui éloigne parfois le texte des intentions originelles du législateur.

La Commission européenne a annoncé, dans le cadre de son programme de travail pour 2017, vouloir amorcer une réflexion pour évaluer la légitimité démocratique des procédures d'adoption des actes d'exécution et des actes délégués. Un processus de contrôle politique sur ce type d'acte est déjà mis en place par la Commission depuis mai 2016.

Au-delà de l'action de la Commission dans ce domaine, il convient de parvenir, au moment de l'examen du texte par les législateurs, à un recours limité à ce type d'acte, dont la portée doit être précise et réduite. Latitude doit être laissée au législateur pour revenir sur ces actes une fois adoptés par la Commission : le délai de deux mois traditionnellement retenu est à cet égard trop court et doit être étendu à trois mois. La comitologie se fonde par ailleurs sur un échange entre la Commission européenne et des comités d'experts, nommés par ses soins, sans que ne soit garantie une représentation des Etats membres. Un processus transparent de désignation des experts doit de fait être mis en oeuvre, associant les législateurs. Compte-tenu de leur impact sur la législation nationale, les actes délégués et d'exécution devraient, par ailleurs, être soumis au contrôle de subsidiarité des parlements nationaux.

Recommandations pour une Union plus lisible et plus proche des citoyens

1. Recentrer l'Union sur l'essentiel

- Recentrer l'Europe sur ses missions essentielles : la recherche de la « plus-value » européenne :

rechercher la « plus-value » européenne en privilégiant le niveau d'intervention le plus pertinent ;

la subsidiarité doit constituer le principe constitutif de toute action européenne ;

rappeler que rien ne se fera en Europe sans l'impulsion des États permettant de regagner l'adhésion des peuples ;

limiter les délégations de souveraineté à des besoins spécifiques avec l'accord des États.

- Conforter la mission de contrôle des parlements nationaux :

Sur le contrôle du respect du principe de subsidiarité

Sans révision des traités (Protocole n°2 sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité) :

meilleure justification par la Commission européenne du recours à une proposition législative : renverser la charge de la preuve permettra de mettre fin à l'engrenage règlementaire ;

La révision des traités n'est pas la priorité du moment. Toutefois, à terme, pourrait être envisagé, avec une révision des traités (Protocole n°2 sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité) :

augmentation du délai d'examen des textes au titre de la subsidiarité de 8 à 10 semaines ;

introduction d'un délai de réponse de la Commission européenne à un avis motivé fixé à 12 semaines ;

examen des actes délégués et des actes d'exécution par les Parlements nationaux aux fins de contrôle du respect de principe de subsidiarité.

Sur le dialogue politique avec la Commission européenne

améliorer le délai de réponse de la Commission européenne ;

obtenir des réponses plus argumentées.

- Faire de la simplification une priorité permanente :

rendre la norme européenne plus claire, plus lisible et plus accessible ;

approfondir les études d'impact, notamment à destination des petites et moyennes entreprises et des collectivités locales ;

renforcer le contrôle politique sur les mandats de normalisation accordé au CEN, l'organisme européen de normalisation.

2. Rénover le fonctionnement institutionnel : répondre au défi démocratique

Conforter le rôle d'impulsion et de coordination du Conseil européen :

Sans révision des traités :

assurer un meilleur équilibre entre logique intergouvernementale et méthode communautaire ;

réaffirmer le rôle d'impulsion du Conseil européen, qui adopte chaque année un nombre réduit de priorités qui doivent guider l'action de l'Union européenne.

La révision des traités n'est pas la priorité du moment. Toutefois, à terme, pourrait être envisagé, avec une révision des traités :

faire élire le président du Conseil européen par le Parlement européen et la Réunion permanentes des parlements nationaux

supprimer la présidence tournante de l'Union européenne ;

Revoir le fonctionnement du triangle institutionnel :

Sur la Commission européenne :

le droit d'initiative législative de la Commission européenne doit se concentrer sur la mise en oeuvre les priorités communes arrêtées par le Conseil européen, en respectant le principe de subsidiarité ;

le nombre de commissaires serait réduit et leurs portefeuilles adaptés aux priorités définies dans le programme de travail pour revenir à l'esprit originel des pères fondateurs, avec une Commission extranationale, concentrée, politique, composée d'experts de haut niveau, disant l'intérêt général ;

les périmètres des directions générales et des agences de l'Union européenne doivent être, dans le même temps, redéfinis, les moyens humains requis étant adaptés à ce recentrage ;

Sur le Conseil :

la majorité qualifiée devient la règle commune, sauf en matière de défense.

Sur le Parlement européen :

le nombre de ses membres est limité à 700, puis à 630 après la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne ;

son mode d'élection est harmonisé, les listes devant respecter les principes de juste représentation démographique et d'égalité des sexes.

3. Relever le défi d'une Europe plus transparente et plus démocratique

- Renforcer le rôle des Parlements nationaux : la Réunion permanente des parlements nationaux :

la Réunion permanente des parlements nationaux agrègerait toutes les formes de coopérations existantes : COSAC, conférence de l'article 13, groupe d'examen parlementaire conjoint des activités d'Europol... ;

elle serait composée de délégués désignés par leurs chambres ;

elle se réunirait à Strasbourg au moins deux fois par semestre et en tant que de besoin ;

elle pourrait compter des commissions thématiques (économie, affaires sociales, défense, migrations, justice et affaires intérieures, budget) ;

elle pourrait disposer d'un droit d'initiative ou « carton vert », lui donnant la possibilité de proposer des actions à mener par l'Union européenne ou d'amender la législation existante, sur le modèle du rapport d'initiative du Parlement européen ;

elle pourrait échanger régulièrement avec le président de l'Union européenne et la Commission européenne, notamment au cours des sessions plénières.

- Assurer la transparence du processus de décision européen :

conférer un véritable statut juridique aux trilogues, associant après la première lecture d'un texte Parlement européen, Conseil et Commission européenne, améliorer la publicité de leurs travaux et clarifier leur composition ;

instituer une procédure d'urgence pour les textes européens, qui pourrait être mise en oeuvre à la demande du Président de l'Union européenne ;

imposer un recours limité aux actes délégués et aux actes d'exécution et les soumettre au contrôle du respect du principe de subsidiarité, tel que mis en place par le protocole n°2 annexé au Traité de Lisbonne ;

encadrer la comitologie en mettant en oeuvre un processus transparent de désignation des experts au sein des comités, associant les législateurs.


* 17 Accord interinstitutionnel entre le Parlement européen, le Conseil de l'Union européenne et la Commission européenne «Mieux légiférer», 13 avril 2016.

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