III. LES ENJEUX ET LES RISQUES DE LA NÉGOCIATION

Comme il a été dit, le Conseil européen doit fixer le cadre de la négociation lors d'une réunion en avril 2017 après la mise en oeuvre de l'article 50. Le Conseil se prononcera sur le contenu des négociations et plus particulièrement sur les trois volets de ces négociations.

Il faut, premièrement, arrêter le dispositif de la négociation, deuxièmement identifier tous les sujets qui devront faire l'objet de l'accord de retrait (« les termes du divorce »), ce qui signifie une séparation ordonnée dans les domaines administratif, institutionnel, juridique et budgétaire. Enfin, le troisième volet posera les principes pour les relations futures qu'entretiendront le Royaume-Uni et l'Union. Ces négociations dureront deux ans, ce qui est court, et on ne peut pas exclure une séparation sans accord.

Le Conseil et la Commission doivent garder la pleine maîtrise du calendrier et pourraient choisir de ne pas entamer une négociation sur la relation future avant que les termes du divorce ne soient acceptés. Une fois les principes posés, la Commission recevra mandat du Conseil pour négocier.

En cas de succès des négociations de retrait, les termes du divorce seront acceptés par les deux parties et les principes seront posés pour un autre accord qui régira la relation future Royaume-Uni-Union européenne.

En cas d'échec de la première étape, ce serait une sortie « sèche » pour le Royaume-Uni, avec un retour aux seules règles des Etats membres de l'OMC.

A. LES ENJEUX DU « DIVORCE » D'ICI MARS 2019

1. Les enjeux administratifs juridiques et institutionnels

Sur le plan institutionnel et administratif, on sait qu'il faudra s'assurer qu'au jour de la sortie du Royaume-Uni, tous les ressortissants britanniques quittent leurs fonctions au Conseil, au Parlement, à la Commission, mais aussi dans les agences et les organes européens, au Comité économique et social, au Comité des régions... Les négociations doivent établir leurs droits individuels, les phases de transition ou d'extinction.

L'Agence européenne du Médicament et l'Autorité Bancaire européenne situées à Londres devront rejoindre le territoire de l'Union. Quant à l'ensemble des actifs européens, le Royaume-Uni pourra prétendre en recevoir, sous forme de compensation, la fraction correspondant à son poids relatif dans l'accumulation de ces actifs.

Le sort des procédures administratives et juridictionnelles en cours devra être réglé ; de même que (par les 27) celui des 73 sièges au Parlement européen « libérés » par les Britanniques, ainsi que le poste du commissaire britannique à la Commission.

La question des fonctionnaires européens de nationalité britannique devra également être tranchée.

2. L'enjeu budgétaire correspondant aux engagements souscrits par le Royaume-Uni en tant qu'État membre

Le Royaume-Uni devra s'acquitter, à son départ, de l'ensemble de ses obligations et de tous les paiements correspondant aux engagements contractés par lui, ainsi que de toutes les autres obligations correspondant aux engagements qui ont été pris pour la durée du cadre financier pluriannuel 2014-2020 et pour la politique de cohésion. Le Royaume-Uni devra aussi rester garant des projets du plan Juncker par exemple. Enfin, le Royaume-Uni devrait aussi continuer à contribuer aux pensions des fonctionnaires européens pour tous les droits totalisés pendant la période où le Royaume-Uni était un État membre.

Les estimations officieuses 23 ( * ) varient, suivant la date de retrait effectif du Royaume-Uni. Le chiffre de 60 milliards d'euros a été avancé. Des compensations au départ du Royaume-Uni pourraient en outre être demandées par les pays tiers liés à l'Union européenne par des accords commerciaux.

3. Les autres problèmes à régler avant le retrait
a) Les droits acquis par les citoyens

Le retrait du Royaume-Uni conduira à traiter la question des droits acquis par les citoyens de 27 États membres actuellement installés sur le sol britannique et ceux acquis par les ressortissants britanniques installés sur le territoire d'un des 27 États membres restants, qu'il s'agisse des titres de séjour, des permis de travail, des droits relatifs aux études, de la coordination des régimes de sécurité sociale, des droits à pension ou de l'accès aux soins.

300 000 Français résident au Royaume-Uni et 200 000 Britanniques vivent en France. Le Royaume-Uni accueille 2,7 millions d'Européens, et l'Europe continentale 1,3 million de Britanniques.

b) La déconsolidation des accords multilatéraux et bilatéraux dont l'Union est partie

L'Union européenne a contracté environ 1 700 accords multilatéraux ou bilatéraux dans le monde dans tous les domaines de l'environnement à la coopération judiciaire. Le Royaume-Uni devra en sortir à titre national lorsqu'il s'agit d'accords mixtes engageant l'Union européenne et les États membres. Ce sera automatique pour les accords qui relèvent de la compétence exclusive de l'Union.

La question est délicate quand il y a eu des engagements quantitatifs comme, par exemple, des contingents agricoles (ou des quotas à 28, tels que figurant dans l'accord de Paris sur le climat).

4. Les nouvelles frontières extérieures de l'Union européenne : Gibraltar, Chypre, l'Irlande ; la question écossaise

L'un des enjeux essentiels des négociations sur les modalités du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne portera sur les frontières entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, qui deviendront des frontières extérieures. Même si le Royaume-Uni ne fait pas partie de l'espace Schengen, plusieurs points d'achoppement sont prévisibles.

Cela ne devrait guère concerner Gibraltar, qui sortira de l'Union européenne avec le Royaume-Uni, mais qui reste un sujet bilatéral important entre l'Espagne et le Royaume-Uni. Gibraltar pourrait se voir attribuer dans la procédure de « divorce » avec le Royaume-Uni, un statut proche du statut d'Andorre ou du Liechtenstein. 96 % des Gibraltariens ont voté pour rester dans l'Union européenne le 23 juin avec un taux de participation de 84 % des inscrits. Pour accroître ses chances de voir ces demandes prises en compte, Gibraltar propose aujourd'hui de rouvrir ses eaux aux Espagnols et rappelle que selon sa constitution, le Royaume-Uni a la responsabilité des relations extérieures, mais que cela n'inclut pas les questions européennes, qui restent de la compétence du gouvernement local.

Face à la menace indépendantiste de l'Écosse et aux risques d'éclatement du Royaume-Uni, le gouvernement britannique devra assurer l'unité du pays et intégrer d'une manière ou d'une autre les préoccupations et demandes des entités dévolues, et en premier lieu de l'Écosse. Le 20 décembre 2016, la Première ministre d'Écosse, Nicola Sturgeon a présenté son plan pour faire face au Brexit. Cette stratégie en trois étapes exigeait que le Royaume-Uni reste dans le marché unique européen, à défaut qu'il demande que l'Écosse y demeure tout en restant partie intégrante du Royaume-Uni, enfin si aucune de ces deux solutions ne s'avérait possible, l'option de l'indépendance restait envisageable.

Lors du vote au Parlement du texte autorisant le lancement du processus de notification, le parti national écossais a déposé un amendement visant au rejet du projet de loi 24 ( * ) . Les négociations ne sont certainement pas terminées entre l'Écosse et le Royaume-Uni sur ce point.

La question la plus sensible concerne toutefois la frontière entre l'Irlande et l'Irlande du Nord. Elle a été levée en application d'un accord bilatéral créant « la zone de voyage commune » ( Common Travel Area-CTA ) établie depuis 1923 entre l'Irlande et le Royaume-Uni, abolissant les contrôles d'identité entre les deux pays.

Lorsque l'Irlande du Nord ne fera plus partie de l'Union européenne, sans mesures complémentaires, cet accord bilatéral pourrait être caduc, ce qui risquerait de remettre en cause le processus de paix en Irlande du Nord tel qu'il a été établi. Les deux parties devront tenir compte des préoccupations de l'Irlande et trouver une solution qui permette le maintien de l'absence de contrôle à la frontière avec l'Irlande tout en respectant les exigences qui doivent s'appliquer pour une frontière extérieure de l'Union européenne.

Après la tenue du référendum, la pérennité des programmes transfrontaliers PEACE et INTERREG a été assuré à court terme. L'objectif de l'Irlande et de faire en sorte que ces programmes soient pleinement mis en oeuvre jusqu'à leur terme en 2020 et que d'autres programmes prennent leur suite. L'Irlande a choisi l'unité et la cohésion des 27 États membres rejetant les propositions de Londres de conclure un accord bilatéral séparé du reste des discussions avec l'Union européenne sur ce point. L'Union européenne devra soutenir la mise en oeuvre de solutions consolidant le processus de paix.

Chypre a gardé des liens très étroits avec son ancienne puissance coloniale et pourrait être l'un des pays potentiellement les plus affectés par la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Avec les Maltais et les Irlandais, ils ont participé en tant que citoyens du Commonwealth au référendum du 23 juin. La question se posera de l'évolution du statut des deux bases militaires britanniques situées sur le territoire de Chypre, qui jouissent actuellement d'un statut d'extraterritorialité.

Pour sa part, si Malte reste membre du Commonwealth et n'a acquis son indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni qu'en 1964, sa position sur le Brexit est extrêmement claire. Malte, qui préside actuellement l'Union européenne, privilégie l'unité et la cohésion des 27 États membres à ses liens historiques avec le Royaume-Uni.


* 23 La Commission n'a pas publié de chiffrage.

* 24 Cet amendement demandait que le projet ne soit pas étudié par ce que le gouvernement n'avait pas prévu de consulter les Parlements régionaux, n'avait pas publié son Livre blanc sur la stratégie britannique, refusait de donner une garantie sur la situation des ressortissants de l'Union européenne vivant Royaume-Uni et ne répondait pas à toute une série de questions portant sur les implications d'un retrait du marché unique européen. Cet amendement a été rejeté par 336 voix contre 100.

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