B. LA GESTION DANS L'URGENCE DE L'URGENCE
1. La création de places d'urgence, première priorité au coût parfois élevé et au prix du « sacrifice » de solutions plus qualitatives
La quasi-totalité des personnes rencontrées, qu'il s'agisse des services de l'État ou des structures associatives, ont mis en évidence le fait que l'urgence des situations conduisant à trouver rapidement des solutions d'hébergement s'impose aux gestionnaires qui parviennent difficilement à s'en extraire .
Pour le ministère du budget, la gestion de l'urgence conduit parallèlement à un renchérissement des solutions apportées , tout en présentant une qualité moindre .
Il est vrai que, dans le cas des nuitées d'hôtels, il a été indiqué à votre rapporteur spécial que, si le tarif moyen en Île-de-France s'établit à 17 euros (23 euros à Paris), il peut atteindre 40 euros, voire 70 euros pour certaines places obtenues en extrême urgence.
Les associations estiment qu'elles pourraient parvenir à des solutions plus satisfaisantes, tant d'un point de vue financier que qualitatif, si elles n'étaient pas si pressées. Ce sentiment est accentué par le fait que, comme cela a été montré précédemment, la sous-budgétisation chronique du programme 177 conduit à une gestion à court-terme d'une politique qui mériterait pourtant une réflexion plus stratégique, y compris en matière de création de places.
Le principe de « l'urgence avant tout » , qui peut tout-à-fait se comprendre dans le contexte actuel de pression de la demande et de recherche prioritaire de mises à l'abri, conduit toutefois à privilégier des solutions temporaires, souvent bien plus coûteuses, à la création de places et de structures plus qualitatives, notamment dans le secteur du logement adapté . Peuvent ainsi être citées les pensions de famille et les maisons-relais qui constituent des réponses efficaces aux situations de personnes sans-abris depuis une longue période ainsi que pour les personnes les plus âgées.
Bien que le principe du « logement d'abord » ait été affirmé depuis plusieurs années, le constat semble tout autre en pratique.
Il est apparu, au cours des auditions et des déplacements réalisés, qu'au-delà des crédits qui leur sont consacrés (et en hausse au cours des dernières années), les dispositifs de logement adapté souffrent également, pour être davantage développés, du manque de disponibilité des équipes compétentes pour mener à bien ces projets.
Ainsi, les directions des services déconcentrés et les opérateurs semblent tellement occupés à gérer l'urgence et à rechercher des places nouvelles qu'elles peinent à développer, parallèlement, d'autres projets d'hébergement et d'accès au logement plus structurants. Ce problème semble d'ailleurs s'être accru au cours des derniers mois avec la crise migratoire, l'évacuation des campements illicites à Paris ou encore le démantèlement de la « jungle » de Calais.
Comme cela sera mis en évidence également dans la suite du présent rapport 7 ( * ) , les services déconcentrés ne semblent pas non plus disposer du temps nécessaire pour mettre systématiquement en place les contrôles pourtant indispensables dans les structures, en particulier dans les hôtels où des nuitées sont réservées . Pourtant, compte tenu des sommes en jeu et surtout du fait que ce mode d'hébergement est essentiellement retenu pour le logement de familles, il est indispensable qu'ils soient réalisés et qu'en cas de manquement constaté, des mesures puissent être prises.
Autre exemple de solution parfois « sacrifiée », l'intermédiation locative paraît mise en oeuvre de façon très erratique sur l'ensemble du territoire . Certaines directions départementales ne disposeraient pas des moyens et de la compétence nécessaires pour développer un dispositif qui, pourtant, permet à la fois de répondre à la logique du « logement d'abord » et de proposer des solutions à faible coût pour l'État. En effet, l'intermédiation locative représenterait une dépense de 2 165 euros par place, contre 8 050 euros la place en hébergement d'urgence et 6 200 euros par an pour une nuitée d'hôtel (coûts moyens nationaux fournis par la direction générale de la cohésion sociale). En revanche, elle exige un niveau d'investissements des structures qui la mettent en place bien plus important.
Encore une fois, il a été indiqué à votre rapporteur spécial que les services déconcentrés manqueraient d'un cadre, de lignes directrices leur permettant de développer ce type de dispositif plus innovant .
En outre, l'intermédiation locative est considérée, dans beaucoup de régions, comme une « queue d'enveloppe budgétaire », c'est-à-dire un dispositif mis en place lorsque les crédits n'ont pas déjà été utilisés pour des formes d'hébergement plus classiques.
Il convient toutefois de relever que, dans les régions concernées, le plan de réduction des nuitées hôtelières a contribué au développement de l'intermédiation locative et que les moyens pour y parvenir ont été considérablement renforcés au cours des dernières années.
2. La situation particulière depuis 2015 et les conséquences de la crise migratoire
La pression migratoire qui s'exerce sur l'Europe et plus spécifiquement sur le territoire français depuis 2015 a accentué cette gestion de l'hébergement dans l'urgence .
La mise en place du plan « Migrants » en 2015 et la création prévue de 13 050 places en trois ans (3 050 places d'hébergement d'urgence, 5 000 places de logement adapté et 5 000 places en centres d'accueil et d'orientation), dont 8 000 en 2015 et 4 050 en 2016 ont notamment conduit les services déconcentrés à déployer d'importants efforts.
Cette situation s'est encore accentuée avec les nombreuses évacuations de campements illicites parisiens et de la « jungle » de Calais.
Pour la seule région Île-de-France, la dépense engendrée par la gestion des migrants représenterait ainsi 86 millions d'euros sur un budget qui devrait atteindre 746,5 millions d'euros à la fin de l'année , selon les prévisions de la Drihl.
Les services déconcentrés déploient, à l'heure actuelle, une importante énergie à ouvrir des places dans le cadre de la gestion de cette crise migratoire, comme votre rapporteur spécial a pu le constater, évidemment en Île-de-France mais aussi dans les autres départements qui accueillent notamment des centres d'accueil et d'orientation.
* 7 Cf. le C du II de la seconde partie du présent rapport.