III. DES RÉSULTATS MITIGÉS DANS LES TERRITOIRES

Que retenir de cet enchaînement de réformes conduites cette dernière décennie, et dont vos rapporteurs ont rappelé les principales étapes et les principaux défauts ?

Quels pourraient être, du point de vue des collectivités territoriales, les éléments pouvant susciter l'intérêt ou, à l'inverse, l'inquiétude ?

C'est à cet exercice d'évaluation de politique publique, nécessairement lacunaire, nécessairement insatisfaisant, que vos rapporteurs se sont livrés.

Les réformes des services déconcentrés ont entraîné un renforcement continu de l'autorité du préfet de région, le resserrement des directions départementales et régionales, et la clarification des priorités d'action de l'État.

Ces évolutions ont eu pour corollaires un dépérissement relatif des échelons départementaux et infra-départementaux, la fragilisation globale des effectifs déconcentrés, et une priorité donnée par l'État à sa mission de contrôle sur sa fonction de conseil.

A. LES ÉVOLUTIONS...

1. Un renforcement continu de l'autorité du préfet de région

Vos rapporteurs constatent que les réformes engagées ont renforcé l'autorité du préfet de région.

Garant de l'action de l'État et responsable de l'exécution des politiques publiques dans la région, ce dernier a tout d'abord reçu autorité sur le préfet de département, à travers un pouvoir d'instruction et le droit d'évocation de tout ou partie d'une compétence à des fins de coordination régionale, avec le décret n° 2010-146 du 16 février 2010 modifiant le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004.

Plus récemment, le préfet de région est devenu, par une circulaire du 4 décembre 2013, le responsable unique des budgets opérationnels de programme (RBOP) gérés par les services placés sous son autorité, ce qui a conforté son rôle de pilotage dans la gestion des crédits.

Quelques novations, parfois plus formelles que substantielles, ont également été introduites par le décret n° 2015-510 du 7 mai 2015 portant charte de la déconcentration.

Ce décret a fait de la circonscription régionale l'échelon de « la conduite d'actions de modernisation des services déconcentrés dans les domaines de la simplification de leur activité administrative et de l'amélioration de leurs relations avec les usagers » et de « la définition du cadre stratégique de la politique immobilière des services déconcentrés de l'État » (article 5).

Il y est précisé que le préfet de région peut être désigné délégué territorial des établissements publics de l'État, ou à défaut peut convier les responsables territoriaux de ces établissements aux instances de collégialité et émettre un avis sur leur désignation et leur évaluation. Le préfet de région dispose également de la faculté de proposer des mutualisations nécessaires à un meilleur fonctionnement des services déconcentrés, ainsi que des dérogations aux dispositions règlementaires relatives à l'organisation des services déconcentrés, et à la répartition des missions entre ces services, afin notamment de tenir compte des spécificités locales (articles 13, 15 et 16).

Cette même charte a créé la Conférence nationale de l'administration territoriale de l'État (CNAT) , qui réunit les préfets de région et les secrétaires généraux des ministères sous l'égide du Secrétaire général du Gouvernement, afin de veiller notamment à la bonne articulation des relations entre les administrations centrales et les services déconcentrés (articles 17 et 18).

Enfin, une circulaire du 29 septembre 2015 a réorganisé les secrétariats généraux aux affaires régionales (SGAR) autour de deux pôles : le premier est chargé de l'animation régionale des politiques publiques et de la coordination interministérielle, et le second des actions de modernisation et de mutualisation notamment.

Au total, placés à la tête de régions plus grandes et bénéficiant de pouvoirs renforcés à l'égard des préfets de département, des directions régionales et des opérateurs de l'État, les préfets de région ont vu leur autorité renforcée , ce qui sembler aller dans le sens de la plus grande unicité de l'administration déconcentrée, souhaitée par les collectivités territoriales.

2. Le resserrement des directions départementales et régionales

Outre l'affirmation de l'échelon régional et du préfet de région, vos rapporteurs observent que les réformes mises en place ont conduit au resserrement des directions départementales et régionales.

La Réate a ramené les services régionaux à 8, et les services départementaux à 2 ou 3, tandis que, depuis la MAP, les services régionaux sont passés de 144 à 63, et que certaines directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) et directions départementales de la cohésion sociale (DDCS) ont été fusionnées.

L'objet du présent rapport n'est pas de dresser le bilan de ces réorganisations successives. Cet exercice a d'ailleurs déjà été réalisé de façon précise, et parfois critique, par de nombreux travaux , tels que le rapport de Jean-Marc Rebière et Jean-Pierre Weiss sur la stratégie d'organisation à cinq ans de l'administration territoriale de l'État, publié en 2013 2 ( * ) , celui de la Cour des comptes sur l'organisation territoriale de l'État, paru la même année, 3 ( * ) ou celui plus récent de la commission des Lois, dans le cadre de la Mission de contrôle et de suivi de la mise en oeuvre des lois de réforme territoriale 4 ( * ) .

Cependant, vos rapporteurs retiennent de l'audition de Werner Gagneron , inspecteur général de l'administration et président du comité de pilotage pour la coordination de l'intervention des inspections générales dans les directions départementales interministérielles (DDI), l'intérêt de certains rapprochements entre services déconcentrés : « S'il y a une réussite de la Réate, c'est le resserrement autour du préfet des services déconcentrés de l'État. Ce mouvement est absolument net et, de surcroît, perçu de manière très positive par l'ensemble des acteurs. »

À titre d'illustration, selon Werner Gagneron, la création des DDI, en rapprochant différents services, a pu contribuer à internaliser les contradictions de l'administration et à renforcer la cohérence de la position de l'État à l'égard des collectivités . Très concrètement, dans les directions départementales des territoires (DDT), les orientations des services de l'agriculture, sensibles à la préservation des espaces agricoles, et des services de l'équipement, plus prompts à favoriser les opérations d'aménagement, ont pu être mieux articulées.

3. La clarification des priorités d'action de l'État

Enfin , vos rapporteurs soulignent que les réformes conduites ont amené l'État à clarifier ses priorités d'action.

Dans le but de rationaliser les documents stratégiques, et de favoriser une meilleure articulation entre eux, une circulaire du 28 octobre 2014 a limité ces outils à trois :

- les directives nationales d'orientation (DNO) , qui fournissent un cadre cohérent et clairement hiérarchisé de priorités pour un domaine déterminé ;

- les stratégies de l'État en région , qui déclinent une stratégie triennale de l'action de l'État adaptée au territoire ;

- et les documents de priorités départementales , qui en constituent la traduction annuelle opérationnelle.

Témoin de l'affirmation des DNO, l'article 9 de la charte de la déconcentration de 2015 dispose que « les ministres élaborent sur une base pluriannuelle les priorités d'action des services déconcentrés qui sont formalisées dans des directives nationales d'orientation. Le Premier ministre veille à la cohérence globale de ces priorités. »

Lors de son audition par vos rapporteurs, Patrick Lavaure, inspecteur général de la jeunesse et des sports et membre du comité de pilotage précité, est revenu sur l'essor et l'intérêt des DNO : « Même si elle existait avant 2010, la notion même de directive nationale d'orientation a vraiment pris corps en 2010 et surtout en 2012, au moment du lancement de la modernisation de l'action publique (MAP), où l'on a revisité les modes de fonctionnement de l'administration territoriale. Depuis lors, on observe une prise de responsabilité des préfets de région sur la définition de la stratégie de l'État en région, même si les directeurs régionaux doivent également répondre aux commandes des ministres. »


* 2 Le rapport de Jean-Marc Rebière et Jean-Pierre Weiss sur la stratégie d'organisation à cinq ans de l'administration territoriale de l'État (2013), a dressé un bilan contrasté des restructurations de directions imputables à la Réate, qui a conduit selon ce rapport à la « création ex nihilo de structures administratives sans construction préalable de projet commun, alors même qu'elles allaient jusqu'à regrouper des entités aux missions à faibles recoupements » (p. 15).

* 3 Le rapport thématique de la Cour des comptes consacré à l'organisation territoriale de l'État de 2013 a identifié les directions dont les restructurations se sont effectuées dans de bonnes conditions, et celles qui ont soulevé plus de difficultés. Selon ce rapport, les Directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), les Directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF), et les Directions départementales des territoires (DDT) reposent désormais sur une « assise solide », au contraire des Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), ou des Directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) (p. 126 à 128).

* 4 Le rapport d'information n° 730 (2015-2016) de Mathieu Darnaud, René Vandierendonck, Pierre-Yves Collombat et Michel Mercier, qui constitue le deuxième rapport d'étape de la Mission de contrôle et de suivi de la mise en oeuvre des lois de réforme territoriale, a évoqué les difficultés posées par la réorganisation des directions régionales : « Les différents déplacements de la mission ont permis de mettre en avant un certain nombre de difficultés dans la mise en place de cette organisation, liées au manque de cohérence induit par le fonctionnement en multi-sites. S'agissant de la gestion des ressources humaines et de la mise à disposition de moyens informatiques adaptés, le bilan est pour le moment mitigé. » (p. 40).

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