II. UN DISCOURS QUI SE NUANCE, UNE RÉALITÉ QUI INTERROGE
Vos rapporteurs retiennent de leurs échanges avec les représentants de l'État une volonté affichée de réformer différemment les services déconcentrés.
Tout d'abord, les objectifs poursuivis sont annoncés comme plus qualitatifs que quantitatifs , l'accent étant mis sur la priorisation des missions plutôt que sur la réduction des effectifs.
Plus encore, la méthode est présentée comme davantage participative , les agents de l'État et, dans une moindre mesure, les collectivités territoriales devant être associés autant que possible.
Si ces intentions sont louables, les associations d'élus locaux et les syndicats auditionnés par vos rapporteurs estiment qu'elles sont néanmoins contredites par les faits : l'objectif de modération budgétaire reste prégnant, et l'association des acteurs de terrain insuffisante.
A. UN OBJECTIF PRÉGNANT DE MODÉRATION BUDGÉTAIRE
1. Le discours des représentants de l'État
Selon les représentants de l'État auditionnés par vos rapporteurs, les réformes en cours des services déconcentrés poursuivraient un objectif quelque peu différent des précédentes.
Schématiquement, à une logique essentiellement quantitative et centrée sur la baisse des effectifs, promue par la Réate, aurait succédé une logique davantage qualitative et destinée à prioriser les missions , dans le cadre de la MAP.
Au cours de son audition par vos rapporteurs, Denis Robin, secrétaire général du ministère de l'Intérieur, a ainsi indiqué que la réorganisation de l'administration territoriale de l'État a connu deux phases distinctes, dont il a pointé les similitudes et les différences.
Le secrétaire général a tout d'abord rappelé que « la première phase, la Revue générale des politiques publiques (RGPP), débute en 2008, avec une pression budgétaire importante sur l'ensemble de l'administration de l'État, et notamment sur les réseaux territoriaux. À titre d'exemple, de 2009 à 2015, le réseau des préfectures et des sous-préfectures a perdu plus de 3200 emplois. »
Il a poursuivi ainsi : « La deuxième phase s'amorce avec la revue des missions, qui a elle aussi un objectif d'efficience des services de l'État ; cependant, elle n'est plus conduite selon une logique quantitative, mais plutôt qualitative. Lors de la revue des missions, on a demandé à chaque ministère de regarder, parmi les missions exercées par ses réseaux territoriaux, celles qui pouvaient être supprimées, transférées ou regroupées, ou exercées autrement. Il n'y a eu quasiment aucune réforme relevant de la première catégorie, c'est-à-dire d'un abandon pur et simple de missions. »
C'est cette même logique de priorisation des missions qui aurait présidé au Plan préfectures nouvelle génération, le ministère de l'Intérieur ayant souhaité mettre un terme à « la logique du rabot », consistant à contraindre, d'année en année, les moyens du réseau préfectoral pour identifier et renforcer des missions jugées prioritaires.
Les propos tenus à vos rapporteurs par Stanislas Bourron, directeur des ressources humaines du ministère de l'Intérieur, en attestent : « Après des années pendant lesquelles il a fallu « rendre » des postes, le ministère de l'Intérieur s'est demandé s'il était encore tenable, pour assurer des missions vitales et d'avenir qui sont demandées par nos partenaires locaux, de continuer la logique du rabot. La réponse a été négative. Il fallait trouver une solution différente, en s'interrogeant sur les missions menées. C'est la logique du Plan préfectures nouvelle génération. »
2. Les retours d'expérience des acteurs de terrain
Vos rapporteurs ont pris connaissance, avec un certain intérêt, de la tentative de priorisation des missions engagées par l'État, et notamment par le ministère de l'Intérieur.
Ils estiment qu'il est encore trop tôt pour apprécier l'incidence concrète de ces orientations sur nos territoires.
Cependant, ils relèvent que la plupart des associations d'élus locaux et des syndicats auditionnés par eux ne partagent pas le point de vue des représentants de l'État : pour les acteurs de terrain, la modération budgétaire demeure l'aiguillon des réformes.
a) Le point de vue des associations d'élus locaux
Il ressort de la table ronde à laquelle vos rapporteurs ont convié les principales associations d'élus locaux que les services déconcentrés, de plus en plus contraints matériellement par les réformes, peinent à exercer leurs missions auprès des collectivités territoriales, et tendent à transférer leurs responsabilités vers ces dernières.
Certaines associations s'inquiètent de la diminution des moyens des services déconcentrés , qui pénalise au premier chef leur fonction de conseil.
À titre d'exemple, Rachelle Paillard, membre du comité directeur de l'Association des maires de France (AMF) a indiqué que « l'État n'a plus les moyens d'exercer son rôle de conseil quand des réformes régulières et incessantes conduisent à un transfert de responsabilités vers les élus locaux ».
Dans le même ordre d'idées, Loïc Cauret, président délégué de l'Assemblée des communautés de France (AdCF) a affirmé que « l'État cherche à diminuer ses moyens sur les territoires et à réduire sa fonction de conseil, qui a quasiment disparu. »
Dans ce contexte, plusieurs associations se sont montrées préoccupées par les reports de charge.
C'est notamment le cas de Villes de France qui, dans une contribution écrite adressée à vos rapporteurs, a relevé : « Il existe clairement un report de charge administrative dans un bon nombre de domaines, surtout en matière d'urbanisme et de développement durable. »
De son côté, Alexandre Touzet, vice-président de l'Assemblée des départements de France (ADF), a rappelé que les départements se substituent de plus en plus à l'État, notamment dans les prestations d'ingénierie territoriale délivrées au profit du bloc communal : « Nous ne sommes pas en première ligne, comme les communes et les intercommunalités, mais la loi nous impose de mettre en place des mesures compensatoires en direction du bloc communal. Cet effet redistributif a un impact sur nous : nous devons prendre à notre charge la mission d'ingénierie territoriale, alors que la situation des départements est difficile. »
b) Le point de vue des syndicats
Comme les associations d'élus locaux, les syndicats auditionnés par vos rapporteurs ont rappelé la finalité budgétaire qui guide les réformes des services déconcentrés.
L'analyse délivrée à vos rapporteurs par Guillemette Favreau, secrétaire fédérale à la Fédération Interco-CFDT, est révélatrice : « S'agissant du sens des réformes qui se sont empilées, la seule aune qui a été valorisée a été celle des restrictions budgétaires. Cela explique probablement pourquoi les suppressions annuelles d'effectifs ont été la seule traduction visible de ces réformes pour les agents. L'objectif de la Modernisation de l'action publique (MAP) devait être de changer le curseur. Il s'agissait d'une nouvelle démarche, censée rompre avec la seule restriction budgétaire. Or ce sont les mêmes experts que nous avons face à nous. La démarche est rigoureusement la même, excepté qu'elle s'entoure de précautions de langage, rappelant l'attachement au dialogue social. »
Dans le même esprit, Didier Lassauzay, conseiller confédéral à la CGT, a indiqué que « la réforme [a] notamment pour objectif la réduction de la dépense publique, avec des conséquences sur les services et les collectivités », et Paul Alfonso, secrétaire général de l'UNSA Intérieur ATS, a précisé : « Nous sommes uniquement dans une logique de réduction d'effectifs, avec des transferts vers les collectivités territoriales, ce qui pénalise de fait le contribuable local. »
Quant à la Fédération générale des fonctionnaires Force Ouvrière, elle a indiqué, dans une réponse écrite adressée à vos rapporteurs, qu'« une fois de plus, seul le prisme budgétaire a compté. »
c) Le point de vue des élus locaux consultés
À l'instar des associations d'élus locaux et des syndicats, les élus locaux qui ont participé à la consultation ont délivré un point de vue critique sur les réformes successives des services déconcentrés.
Ainsi, les répondants ont jugé non pertinents la Réate, à hauteur de 58,8%, la réforme des services déconcentrés régionaux, dans 61,1% des cas, et le Plan préfectures nouvelle génération, pour 60,8% d'entre eux. Ils considèrent ces deux premières réformes inefficaces, dans des proportions respectives de 70,3% et 69,6%.
Par ailleurs, 77,7% des répondants indiquent craindre un report de charge administrative ou financière vers leurs communes ou établissements , du fait des réformes en cours des services déconcentrés.