EXAMEN EN COMMISSION

Au cours d'une réunion tenue le mardi 25 octobre 2016, sous la présidence de M. Richard Yung, vice-président, la commission a entendu la communication de M. Marc Laménie, rapporteur spécial de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » sur le contrôle budgétaire relatif à l'Institution nationale des Invalides (INI).

M. Marc Laménie , rapporteur spécial . - Le contrôle budgétaire sur l'Institution nationale des Invalides (INI) a été largement motivé par la situation d'incertitude, sinon de crise, que traverse cet établissement depuis quelque temps. L'INI, maison des combattants âgés, malades ou blessés au service de la patrie, est l'une de ces institutions qui, par son histoire et sa haute valeur symbolique, appartiennent au patrimoine de la Nation. Il faut aussi considérer l'utilité de ses missions, à savoir l'accueil des invalides les plus lourds et les prestations de ses services de soins, dispensés dans trois centres.

Le centre des pensionnaires accueille les invalides du monde combattant. La moyenne d'âge y est élevée mais, avec les OPEX et les attentats, elle tend, hélas, à baisser un peu. Le centre chirurgico-médical a une patientèle très diversifiée avec, désormais, une majorité de patients non militaires. Enfin, une unité appelée le Centre d'études et de recherche sur l'appareillage des handicapés (CERAH) réalise des travaux sur les appareillages et mène des travaux de recherche.

Les unités de soin de l'INI sont de plus en plus fréquentées par des civils malgré la priorité d'accès réservée au monde combattant. Cela témoigne de l'excellence acquise dans certaines spécialités médicales liées à l'invalidité, en particulier pour toutes les pathologies médullaires et la réadaptation consécutive à des traumatismes souvent très lourds.

Le régime juridique de L'INI, lui confère une authentique singularité et autonomie administrative. Celle-ci est un établissement public administratif sui generis : cela signifie non seulement qu'elle est dirigée par un conseil d'administration où sont représentées les parties prenantes, mais également qu'elle n'est pas un établissement de santé et qu'elle n'est pas soumise à l'ARS. Elle n'est pas non plus formellement intégrée au service de santé des armées. Enfin, un grand nombre des règles s'appliquant à l'INI sont de niveau législatif.

Bien qu'unique, l'INI n'est pas séparée de son environnement. Elle est acteur d'un grand nombre de réseaux. Outre l'ouverture de ses unités médicales au monde civil, elle contribue à la résilience de la Nation qui est l'une des missions naturelles des services de santé des armées. L'implication de l'INI dans la réponse apportée à la suite des tragiques événements qu'a connus notre pays l'a amplement démontré. Établissement hors norme, l'INI n'est pas un établissement hors sol.

Force est pourtant de constater que l'INI, sur fond de réorganisation générale de l'offre de soins, s'est trouvée confrontée à une période difficile, marquée par des incertitudes sur le périmètre de ses missions et par des déséquilibres financiers. Ceux-ci ont été moins le résultat de dépenses trop fortement croissantes que de l'inertie de ses grands financeurs. Le contexte d'ensemble n'a sans doute pas été pour rien dans l'entrée de l'INI dans une période de turbulences. Celle-ci s'est manifestée par l'absence de renouvellement du contrat d'objectifs et de performance depuis l'expiration du dernier, en date de 2014, et par la décision de suspendre la réalisation du schéma immobilier de l'INI, à la suite des observations négatives du contrôle budgétaire et comptable ministériel.

Quant au contexte, il a été marqué par la préparation, la discussion, puis l'adoption d'un nouveau texte sur la santé, ainsi que par la réorganisation du service de santé des armées dans le sens d'une réduction de ses capacités. L'emblématique Val-de-Grâce n'a pas survécu à cette dernière évolution, et on pouvait s'inquiéter pour les Invalides, une inquiétude d'autant plus prononcée que les équilibres financiers de l'INI s'étaient dégradés au cours de la période.

La dégradation de la situation financière de l'INI se résume en deux chiffres, ceux de la croissance de ses dépenses courantes et de ses recettes de fonctionnement au cours de la période 2010-2015. Les premières ont augmenté de 8,5 % et les secondes de 5 %. La croissance des dépenses de l'INI peut être jugée diversement. Elle est certes dynamique dans un contexte où l'on souhaite réaliser des économies budgétaires. En même temps, elle respecte l'objectif national d'augmentation des dépenses d'assurance maladie (Ondam), qui est la norme de dépenses pertinente, et n'aboutit pas à un alourdissement en termes d'euros constants. Cette évolution doit cependant être appréciée en fonction d'un certain nombre de paramètres qui auraient pu peser davantage sur la dynamique des dépenses. Celles-ci sont à 75 % des dépenses de personnel. Or l'INI a réduit légèrement ses effectifs au cours de la période. Par ailleurs, la transposition du protocole « Bachelot » a été très tardive, si bien que des facteurs d'alourdissement des charges de personnel n'ont pas encore joué pleinement.

Enfin, des externalisations se sont produites dans un contexte où le plan de charges de l'INI semble avoir été réduit. De leur côté, les dépenses de fonctionnement, prenant sans doute parfois le relais des dépenses directes de personnel, ont augmenté significativement, dans des conditions parfois difficiles à comprendre. Ainsi en est-il pour les dépenses de restauration.

En toute hypothèse, et là réside l'essentiel de la responsabilité de la dégradation de la situation financière de l'INI, les ressources de l'établissement n'ont pas suivi. Celui-ci a mis en place différentes actions pour donner de l'élan à ses ressources propres, mais celles-ci ne couvrent que le quart de ses recettes et sont freinées dans leur dynamique par des contraintes diverses.

L'essentiel du financement du fonctionnement courant de l'INI repose sur deux dotations ministérielles, celle du ministère de la santé et la subvention pour charges de service public versée par le ministère de la défense. Or l'inertie de ce financement dual ne peut être approuvée. Le financement apporté par le ministère de la défense est demeuré stable ces dernières années, sous la barre des 12 millions d'euros. Il en est de même de la dotation annuelle de financement versée par le ministère de la santé. Celle-ci obéit à un calcul règlementaire. Elle doit suivre les coûts exposés par l'INI dans son activité de soins. Or elle n'a pas été revalorisée comme il l'aurait fallu, le ministère de la santé motivant le gel de la dotation par l'insuffisante participation de l'INI au système d'offre de soins piloté par l'ARS d'Île-de-France. Cette position contrevient aux dispositions règlementaires.

L'ambition du ministère de la santé est apparemment, de faire prévaloir son mécanisme général de financement à l'activité en lieu et place de celui qui prévoit de fixer la dotation du ministère selon les coûts de l'INI. De plus, la très grande majorité des coûts des services de soin de l'INI sont liés à une activité en faveur du monde non combattant, ce qui justifie un accompagnement financier à due proportion. Mais la subvention pour charges de service public provenant du ministère de la défense est restée gelée dans un contexte de progression des dépenses de l'établissement. Bref, une sorte de jeu de rôles s'est imposée au terme de laquelle chacun des financeurs a tenté de rejeter sur l'autre la charge du financement de l'INI.

Dans ces conditions, l'établissement a pris l'habitude, dénoncée par le contrôle budgétaire, d'inscrire à son budget prévisionnel une recette liée à l'intervention du ministère de la santé déconnectée de la pratique suivie par lui et lui semblant correspondre à sa créance. Il en est résulté une forme d'insincérité des budgets primitifs de l'établissement et, in fine , un enchaînement insoutenable. La section de fonctionnement de l'INI s'est révélée couramment déficitaire, obligeant à ponctionner un fonds de roulement qui avait été constitué pour financer les besoins de trésorerie, mais aussi, et surtout, les investissements de l'INI. Celui-ci a fondu, passant de plus de 25 millions d'euros en 2010 à quelque 16 millions d'euros désormais. Certes, il est amplement suffisant pour couvrir les besoins de trésorerie de 1'INI, mais il a été dilapidé à des fins étrangères au motif de sa constitution. Les investissements ont été ralentis par rapport aux besoins, et la situation financière de l'INI a entraîné un gel de l'important programme de modernisation qui est nécessaire.

Si l'on ajoute à ces éléments, la délivrance d'une certification par la Haute Autorité de santé assortie de réserves et dont le renouvellement, apparemment très incertain, a été différé pour des raisons qui ne sont pas toutes compréhensibles, force est de constater qu'il était grand temps que l'INI se donne les moyens de sortir d'une forme d'impasse.

C'est heureusement ce qui semble sur le point de se produire. Aujourd'hui même, le conseil d'administration de l'INI doit examiner le nouveau projet d'établissement ayant donné lieu à une élaboration concertée assez longue mais, finalement, très utile puisqu'une forme de consensus semble prévaloir. Un nouveau projet de santé a été approuvé par le même conseil d'administration courant juin. Il a été décidé de fermer le bloc opératoire qui fonctionnait trop peu et présentait des risques. Cela a été le point difficile. On peut le comprendre dans la mesure où il procède surtout à des actes de chirurgie en lien avec des atteintes médullaires. Cependant, il semble que ceux-ci puissent être réalisés dans de bonnes conditions dans des établissements d'Île-de-France. C'est une condition impérative, comme de veiller à la perfection absolue des transports des quelques pensionnaires qui peuvent être concernés par ce type d'opérations. Le projet médical, détaillé dans le rapport, semble équilibré autour du concept de « parcours du blessé » dans une interrelation avec les autres unités du service de santé des armées, avec, pour l'INI, l'exploitation de ses avantages comparatifs dans les soins de réadaptation. S'ajoutera la prise en charge des traumatismes psychiques dont le nombre est hélas assez croissant.

Dans ces conditions, le programme d'investissement pourra enfin être réalisé. Il n'est pas négligeable, puisqu'il représente 50 millions d'euros. Il serait financé à hauteur de 10 à 15 millions d'euros par le fonds de roulement, le reste étant pris en charge par dotation du ministère de la défense. Ce projet d'ensemble appelle quelques observations. On peut s'interroger sur la participation exclusive des budgets militaires au financement du projet dans la mesure où la patientèle de l'INI est principalement civile. Ce choix est sans doute un élément parmi d'autres des équilibres existants entre le ministère de la défense et celui de la santé qui a apparemment sanctuarisé la poursuite de sa contribution au coût de fonctionnement de l'INI. C'est, à mes yeux, bien le moins. Par ailleurs, il faudra parvenir à un équilibre de la section de fonctionnement pour que tout cela soit viable. Il est bien entendu souhaitable que la dotation de financement versée par le ministère de la santé reflète mieux les coûts qu'elle est appelée à financer. Mais il faudra aussi tirer la conséquence logique d'un reformatage de l'INI et de sa plus grande intégration au système de santé de droit commun. L'INI est constamment accusée de disposer d'un personnel pléthorique. La visite de l'établissement que j'ai faite confirme que, pour ce qui est des soins et de l'accompagnement des pensionnaires, cette accusation est injuste. Il reste que la fermeture du bloc opératoire et la redéfinition des capacités de l'INI doivent avoir des effets sur le volume du personnel. Une quarantaine d'emplois seraient supprimés. Il est sans doute possible d'aller un peu au-delà en mobilisant certaines réserves de productivité dans les services de support qui peuvent être mieux mutualisés, en réduisant un absentéisme qui, pour être inférieur au taux constaté dans les établissements hospitaliers (14 %), reste, avec 9 %, trop élevé, et en baissant certaines charges de fonctionnement.

Enfin, l'INI devra sans doute optimiser certaines de ses activités, en ouvrant davantage son centre de pensionnaires, en valorisant plus ses recherches dans le domaine de l'appareillage et en recourant aux procédés numériques pour gérer ses patients et pensionnaires.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . Votre rapport démontre que l'INI a eu des difficultés à évoluer, mais peut-on garder en activité un bloc opératoire ne réalisant qu'une centaine d'opérations par an avec des moyens de réanimation insuffisants ? En revanche, l'INI dispose d'un réel savoir-faire, notamment lorsqu'elle accueille les victimes d'attentats qui, parfois, doivent suivre une rééducation très lourde.

La commission a donné acte au rapporteur spécial de sa communication sur l'Institution nationale des Invalides et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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