N° 32
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017
Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 octobre 2016 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur l'enquête de la Cour des comptes relative à l' action de l' État en faveur de la compétitivité du transport aérien ,
Par M. Vincent CAPO-CANELLAS,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Eblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel . |
LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
Mesdames, Messieurs,
Les compagnies aériennes françaises sont confrontées depuis une quinzaine d'année à la montée en puissance de concurrents redoutables : les compagnies à bas coût ( Easy Jet , Ryan Air ) sur le segment du court et du moyen-courrier en France et en Europe et les compagnies du Golfe persique ( Ethiad , Quatar Airways, Emirates ) sur le long-courrier, en particulier à destination de l'Asie.
Sur les dix dernières années, le trafic de passagers transportés par les compagnies françaises au départ de la France n'a augmenté que de 0,9 % par an en moyenne contre 4,0 % par an pour les compagnies étrangères , si bien que la part du pavillon français est passée de 54,3 % en 2003 à 43,1 % en 2015, provoquant un affaiblissement sans précédent d'un secteur pourtant essentiel de notre économie .
Si ces pertes de parts de marché résultent largement de difficultés propres aux compagnies françaises, dont la structure de coût demeure défavorable par rapport à celles des compagnies européennes comparables, le rapport de novembre 2014 du groupe de travail présidé par notre collègue député Bruno Le Roux sur « la compétitivité du transport aérien français » a également mis en lumière les incohérences de l'action de l'État dans le domaine de l'aviation civile et formulé de nombreuses propositions destinées à redresser la situation.
Soucieuse d'approfondir le travail de réflexion entamé par ce groupe de travail et de pouvoir s'appuyer sur des données chiffrées et des analyses rigoureuses , la commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes de réaliser, en application de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances, une enquête sur l'action de l'État en faveur de la compétitivité du transport aérien français , en prenant en compte l'ensemble de ses fonctions : fiscalité, réglementation, régulation, prestations de service ou bien encore actionnariat.
L'enquête de la Cour des comptes analyse ainsi successivement, au long des trois chapitres qui la composent, les différentes modalités de l'action de l'État vis-à-vis du transport aérien .
Dans une brève première partie consacrée aux conditions de développement du secteur aérien , elle s'intéresse à la place qu'occupe le transport aérien en France par rapport aux autres modes de transport et aux difficultés posées par l'émergence des compagnies du Golfe persique .
Elle analyse dans un deuxième temps la façon dont l'État exerce quatre de ses missions de régulation du transport aérien : le contrôle de la navigation aérienne dans le cadre de la mise en place du « Ciel unique européen », la création récente d'une nouvelle autorité de régulation indépendante pour déterminer le niveau des redevances aéroportuaires , la maîtrise des dépenses de sûreté et les modalités d'attribution des créneaux horaires dans les aéroports.
Enfin, la Cour des comptes examine précisément la fiscalité qui pèse sur le transport aérien en France et aborde les enjeux relatifs à l'environnement et aux droits des passagers .
1. Intégrer le transport aérien dans une véritable politique d'intermodalité sur le territoire national, promouvoir une concurrence loyale au niveau international
Dans l'introduction de son enquête, la Cour des comptes rappelle le poids considérable du secteur aérien dans notre économie .
Selon une étude de l'organisation professionnelle Airport Council International Europe , le nombre d'emplois liés au secteur aérien en France représenterait 168 800 emplois directs , 113 100 emplois indirects et 147 500 emplois induits , auxquels il conviendrait d'ajouter plus de 700 000 emplois liés aux secteurs du tourisme, de la restauration ou bien encore de l'hôtellerie, qui dépendent directement de la bonne santé du transport aérien. Au total, c'est donc 1,1 million d'emplois et 4 % du PIB de la France qui seraient directement ou indirectement liés à ce secteur ou bénéficieraient de ses retombées .
En ce qui concerne la place du transport aérien dans la politique des transports en France, la Cour des comptes rappelle la position qu'elle avait exprimée en 2008 1 ( * ) en faveur d'une plus grande cohérence dans le maillage des aéroports sur le territoire . Elle souligne l'importance de garantir une meilleure accessibilité des aéroports en prenant l'exemple du Charles-de-Gaulle-Express , projet indispensable au renforcement de l'attractivité de notre pays qui paraît désormais lancé sur de bons rails.
Elle insiste également, à raison, sur la nécessité de mieux articuler développement de la grande vitesse ferroviaire et transport aérien , afin de favoriser les synergies et d'éviter les situations de concurrence entre ces deux modes de transport .
Au niveau international, la Cour des comptes relève combien l'exclusion du transport aérien du champ de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et le caractère peu opérant du règlement européen de 2004 2 ( * ) concernant la protection contre les subventions et les pratiques tarifaires déloyales de la part de pays tiers, rendent difficile la lutte contre la concurrence déloyale pratiquée par les compagnies du Golfe .
Plus que jamais, les négociations par la Commission européenne d'accords globaux comprenant des clauses de concurrence loyale avec les États du Golfe persique, mais également avec ceux de l'Association des nations du Sud-Est asiatique (ASEAN) ou la Turquie, doivent être appuyées par notre pays .
À plus long terme, ainsi que le préconise le récent rapport de notre commission des affaires européennes intitulé « Concurrence dans le transport aérien : l'indispensable transparence » 3 ( * ) , il sera souhaitable de promouvoir une intégration du transport aérien dans les compétences de l'OMC , afin de bénéficier d'un cadre multilatéral solide et d'organes de règlement des différends à même de trancher les litiges entre les États.
2. Rattraper le retard pris par la France dans ses programmes d'investissement en faveur de la modernisation du contrôle de la navigation aérienne
Le contrôle de la navigation aérienne constitue l'une des principales missions de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) . Il est financé par trois redevances dont s'acquittent les compagnies aériennes : la redevance de route au-dessus du territoire métropolitain, la redevance océanique en outre-mer et la redevance pour services terminaux au départ et à l'arrivée des aéroports au-delà d'un certain seuil d'activité.
Depuis plusieurs années, cette mission connaît des évolutions profondes, notamment sous l'impulsion de l'Union européenne, qui porte le projet de « Ciel unique européen » et son volet technologique « SESAR » (Single European Sky ATM Research) , qui ont pour ambition d'améliorer la sécurité et la ponctualité des vols qui circulent dans l'espace aérien européen tout en réduisant leur impact sur l'environnement et en diminuant le coût du contrôle de la navigation aérienne pour les compagnies .
Dans son enquête, la Cour des comptes déplore que la France ait pris du retard dans ses programmes d'investissements relatifs au Ciel unique , constat qu'elle avait déjà formulé dans un référé adressé au Premier ministre le 20 janvier 2015.
Conséquence de ce retard, la Cour des comptes regrette que la DGAC ne respecte pas les objectifs de réduction des coûts et des redevances demandés par la Commission européenne . Elle relève ainsi que, sur la période 2014-2019, la France prévoit une baisse de - 1,1 % par an en valeur réelle de ses coûts de navigation alors que l'objectif qui lui était fixé par la Commission était de - 3,3 % par an , soit un dépassement des dépenses de 30 millions d'euros par an par rapport à l'objectif européen.
Lors de son audition, Patrick Gandil, directeur général de l'aviation civile, a reconnu le retard pris dans les programmes d'investissement , retard qui s'explique selon lui par l'impact de la crise économique du transport aérien survenu en 2009 , dont l'effet a été très négatif sur les recettes du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » . S'attachant à ne pas augmenter le tarif de ses redevances pour ne pas pénaliser les compagnies aériennes françaises, la DGAC a préféré réduire pour un temps le montant de ses investissements de modernisation , qui ont atteint un niveau plancher de 150 millions d'euros par an sur la période 2009-2011 .
Il a en revanche fait valoir que le niveau des investissements de modernisation était désormais de 250 millions d'euros par an , en ligne avec les prévisions initiales, et que plusieurs nouveaux systèmes avaient fait l'objet de premiers déploiements en 2015 et en 2016 .
Il a également estimé que les objectifs de réduction des coûts et des redevances fixés par l'Union européenne étaient irréalistes et a indiqué que la France, avec le soutien de nombreux autres États membres dont l'Allemagne, poursuivait les négociations avec la Commission afin de faire valoir ses vues .
Il a enfin souligné que le contrôle de la navigation aérienne français était l'un des moins chers des grands pays européens et que le protocole social signé avec les personnels de la DGAC en juin 2016 prévoyait, en échange de contreparties sociales, des efforts de productivité significatifs destinés en particulier à faire face aux périodes de pointes , dans un contexte de hausse générale du trafic aérien en France.
Afin de lui permettre de mieux appréhender les enjeux opérationnels et financiers de ce sujet , qui mobilise l'essentiel des crédits d'investissement du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens », la commission des finances a chargé votre rapporteur spécial de réaliser au premier semestre 2017 un contrôle sur la modernisation du contrôle de la navigation aérienne .
3. Assurer une régulation indépendante et efficace des redevances aéroportuaires et de l'allocation des créneaux horaires
L'usage des infrastructures aéroportuaires par les compagnies aériennes donne lieu au versement de redevances - d'atterrissage, de stationnement et par passager - aux gestionnaires d'aéroports.
Les aéroports étant en position de « quasi-monopole géographique » , pour reprendre la formule de la Cour des comptes, l'évolution de ces redevances fait l'objet d'une régulation par l'État , le cas échéant dans le cadre d'un contrat pluriannuel de régulation économique (CRE) , comme c'est le cas pour les aéroports gérés par le groupe Aéroports de Paris, ainsi que pour les aéroports de Lyon-Saint-Exupéry et de Toulouse-Blagnac. Mais, dans la mesure où l'État est également actionnaire du groupe ADP et de certains aéroports régionaux , il apparaît essentiel que l'impartialité de ses décisions ne puisse faire l'objet de soupçons .
Or, ces dernières années, la conclusion de ces contrats et, de façon plus générale, l'évolution des redevances aéroportuaires , a fait l'objet de vives contestations de la part des compagnies aériennes , qui ont présenté des recours devant la justice administrative dénonçant le manque d'indépendance de la Direction du transport aérien de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) en tant qu'autorité chargée de réguler leur évolution.
Le Conseil d'État leur ayant donné raison 4 ( * ) , l'État a mis en place par un décret du 23 juin 2016 5 ( * ) une nouvelle autorité de supervision indépendante (ASI) , placée auprès du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), dont la composition a été annoncée le 10 juillet 2016.
S'il est encore trop tôt pour se prononcer sur l'efficacité de ce nouveau dispositif , votre rapporteur spécial, à l'instar de la Cour des comptes, forme le voeu qu'il puisse rapidement apporter toutes les garanties d'impartialité réclamées par le droit européen et permette enfin d'apaiser les tensions entre compagnies aériennes et gestionnaires d'aéroports sur le sujet délicat des redevances , afin que la filière puisse unir ses forces au lieu d'entretenir des divisions intestines qui nuisent à son image.
En ce qui concerne l'attribution des créneaux horaires sur les aéroports les plus fréquentés, la Cour des comptes émet des réserves sur le dispositif actuel , coordonné par une association regroupant les compagnies et les aéroports concernés, la COHOR .
Elle préconise de réaliser des études sur l'impact de ce système d'allocation des créneaux sur leur utilisation par les compagnies et de le réviser , le cas échéant, afin d'améliorer son efficacité . Elle attire également l'attention de la commission des finances sur l'absence de renouvellement du principal dirigeant de la COHOR depuis 1996 et considère qu'une telle fonction devrait faire l'objet de mandats limités dans le temps .
Votre rapporteur spécial considère que ces propositions de la Cour des comptes visant à moderniser le fonctionnement de cet acteur méconnu mais néanmoins stratégique du transport aérien qu'est la COHOR méritent un approfondissement .
En revanche, il considère que porter de 250 000 à 400 000 le nombre de créneaux de vols annuels de l'aéroport Paris-Orly , ainsi que le suggère la Cour des comptes, risquerait , ainsi que l'a souligné le directeur général de l'aviation civile lors de son audition, de créer des tensions très vives avec les riverains et de nuire à l'acceptabilité d'une plateforme qui fait déjà l'objet de nombreuses contestations. S'il comprend l'intérêt économique d'une telle hypothèse à très long terme, il estime que sa faisabilité environnementale et politique n'est en rien assurée . En outre, votre rapporteur spécial rappelle qu'il existe encore une forte capacité en nombre de mouvements à l'aéroport Paris-Charles-de-Gaulle .
4. Maîtriser les dépenses de sûreté aéroportuaire et dégager des ressources nouvelles sans pénaliser les compagnies aériennes, dans un contexte de menace terroriste élevée
La sûreté et la sécurité des aéroports sont financés par la taxe d'aéroport , assise sur les billets d'avion, recouvrée par la DGAC et reversée aux aéroports pour rembourser les dépenses engagées.
Selon un mécanisme analogue à celui de la taxe de solidarité (voir infra ), la taxe d'aéroport, incluse dans le prix des billets d'avion, tend aujourd'hui à trop pénaliser les compagnies aériennes françaises , qui ne parviennent pas à en répercuter l'intégralité sur les passagers du transport aérien .
En outre, ses recettes actuelles ne parviennent pas à assurer la totalité du financement des dépenses de sûreté et de sécurité des aéroports , dans un contexte de hausse du trafic et de menace terroriste aigüe .
Se pose en particulier le problème des nouveaux investissements nécessaires pour le passage au standard 3 pour la recherche d'explosifs dans les bagages de soute (EDS 3) , qui représente un coût de 600 millions d'euros pour le groupe Aéroports de Paris et de 100 millions d'euros pour les grands aéroports régionaux et qui n'est pas financé à ce jour, ainsi que s'en était inquiété en octobre 2016 votre rapporteur spécial dans son rapport « Pour une sûreté de l'aviation civile efficace et efficiente » 6 ( * ) .
S'appuyant sur « L'étude de parangonnage sur le coût et le financement de la sûreté aéroportuaire » 7 ( * ) réalisée en 2014 par le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), la Cour des comptes insiste à juste titre sur la nécessité de contrôler l'efficience des dépenses de sûreté au-delà du simple contrôle de leur éligibilité au remboursement par l'État , en évaluant a priori la pertinence des dépenses entrant dans ce cadre.
S'il partage pleinement cette orientation, votre rapporteur spécial considère qu'elle ne saurait être suffisante pour répondre au double défi de la sécurité des passagers du transport aérien et de la compétitivité des compagnies aériennes , qui n'apparaissent pas en mesure de supporter de nouvelles hausses de la taxe d'aéroport.
C'est pourquoi il estime, ainsi qu'il l'avait préconisé dans son rapport susmentionné, qu'il pourrait être envisagé, à l'issue d'études de faisabilité approfondie , de faire participer les magasins situés dans les aéroports au financement de la sûreté aéroportuaire .
L'activité des magasins d'aéroports bénéfice en effet directement des dépenses de sûreté aéroportuaire , condition sine qua non d'un trafic important dans les aéroports français.
5. Mettre en place une fiscalité plus favorable aux compagnies aériennes
En matière de fiscalité du transport aérien, le rapport de la Cour des comptes permet d'écarter certaines pistes avancées par les acteurs du secteur mais également de valider la pertinence de certaines mesures évoquées ces dernières années pour améliorer la compétitivité du transport aérien.
a) Une réforme du régime de la taxe de l'aviation civile qui doit intégralement bénéficier à l'amélioration de la compétitivité du transport aérien
Conformément aux préconisations du rapport Le Roux, le régime de la taxe de l'aviation civile , qui sert à financer les activités de la DGAC qui ne sont pas couvertes par les redevances de la navigation aérienne, a été profondément modifié par l'article 92 de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2015, dans le but d'améliorer l'attractivité des plateformes aéroportuaires parisiennes .
En vertu de cet article, les compagnies aériennes ont été exonérées du paiement de la TAC à 50 % pour les passagers en correspondance à compter du 1 er avril 2015 puis cette exonération a été portée à 100 % à compter du 1 er janvier 2016 . Afin de compenser la perte de recette subie par le BACEA en raison de cette mesure, la quotité de TAC qui lui était affectée est passée de 80,91 % à 85,92 % au 1 er avril 2015 puis à 93,67 % au 1 er janvier 2016 .
Le régime de la TAC a de nouveau été modifié par l'article 42 de la loi n° 2015-1786 de finances rectificative pour 2015, qui a supprimé la quotité de TAC revenant au budget général de l'État (soit 6,33 %) à compter du 1 er janvier 2016 . Depuis cette date, l'intégralité du produit de la TAC est donc affectée au BACEA , ce qui représente une enveloppe de 26 millions d'euros supplémentaires .
Cette mesure, à l'adoption de laquelle votre rapporteur spécial avait contribué, avait un objet très clair : augmenter les recettes du BACEA via la TAC en échange d'une baisse à due concurrence des redevances de navigation aérienne afin d'alléger les coûts des compagnies aériennes .
Or, la Cour des comptes préconisait dans son rapport que les 26 millions d'euros en jeu soient affectés au désendettement du budget annexe , mesure de saine gestion mais qui n'aurait eu aucun effet sur la compétitivité des compagnies et aurait été manifestement contraire à la volonté du législateur .
Alors que le Gouvernement avait dans un premier temps adopté ce point de vue, il s'est par la suite engagé devant l'Assemblée nationale, lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2016, à prévoir par arrêté une diminution (« dé-péréquation ») de la redevance pour services terminaux de la circulation aérienne (RSTCA) à Paris-Charles-de-Gaulle et à Paris-Orly .
Cette mesure, qui est entrée en vigueur au 1 er janvier 2017 8 ( * ) , a permis de baisser la tarification pour les aéroports parisiens de 21,4 % 9 ( * ) tout en maintenant inchangé le tarif de cette redevance pour les autres aéroports . Selon la DGAC, une telle mesure devrait représenter un bénéfice annuel de 14 millions d'euros pour les compagnies françaises .
b) La taxe de solidarité, pour être mieux acceptée par les compagnies aériennes, doit voir ses excédents bénéficier au secteur du transport aérien et non être reversés au budget général de l'État
En ce qui concerne la taxe de solidarité , prélevée sur les billets d'avion au départ et à l'arrivée de la France pour financer le fonds de solidarité pour le développement (FSD) 10 ( * ) , et vivement critiquée par les compagnies aériennes françaises, la Cour des comptes se montre très sévère puisqu'elle évoque « un prélèvement défavorable à la compétitivité du transport aérien ».
A l'appui de son raisonnement, elle écrit que « force est de constater que ce mécanisme de solidarité, sans lien avec le domaine aérien , a perdu de son idéal , que l'exemple de la France n'est pas suivi et conduit à pénaliser le trafic aérien français » et en conclut « qu'il conviendrait dès lors de se réinterroger sur ses objectifs et sa pertinence ».
De fait, selon les dirigeants d'Air France, la compagnie tricolore a prélevé 63 millions d'euros de taxe de solidarité en 2015, soit près du tiers de la recette globale , qui s'est élevée à 220 millions d'euros en 2015.
Un tel constat devrait sans doute conduire les pouvoirs publics à étudier un élargissement de l'assiette de cette taxe , qui pèse pour l'heure uniquement sur les compagnies aériennes. Ainsi que l'a proposé le président-directeur général d'Air France pendant son audition, il pourrait par exemple être envisagé de taxer les TGV empruntant des lignes européennes (Thalys, Eurostar, etc.), qui transportent environ 20 millions de passagers par an .
A minima , votre rapporteur spécial considère, à l'instar de la Cour des comptes, qu'il est anormal que le surplus résultant depuis 2015 de l'écrêtement de la taxe de solidarité 11 ( * ) , soit environ 10 millions d'euros , soit reversé au budget général , alors, comme l'écrit la Cour des comptes, « que les acteurs du secteur qui contestent l'existence même de cette taxe, se plaignent de ne pas avoir d'information sur l'utilisation qui en est faite ».
À l'initiative de nos collègues députés, l'article 65 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 a prévu que le surplus de taxe de solidarité serait désormais affecté au budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » .
S'il aurait été préférable d'ajuster les recettes de la taxe de solidarité aux besoins du fonds de solidarité pour le développement en diminuant ses taux , ainsi que l'avait proposé notre rapporteur général pendant la discussion de cet article au Sénat, la solution retenue par les députés a tout au moins permis que le surplus d'une taxe très contestée par les compagnies aériennes puisse désormais bénéficier au secteur aérien au lieu d'être reversé au budget général.
c) Alors que les effets du CICE sur la compétitivité des compagnies aériennes sont encore mal évalués, le renforcement de la lutte contre le dumping social paraît devoir être privilégié au détriment de la mise en place d'exonérations de cotisations sociales du personnel navigant long courrier
À l'instar d'autres secteurs exposés à la concurrence internationale, le transport aérien français est pénalisé par rapport à ses concurrents par le coût du travail dans notre pays .
Les compagnies aériennes plaident ainsi depuis plusieurs années pour un allègement des cotisations sociales du personnel navigant long-courrier , sur le modèle du régime « shipping » qui soutient l'emploi dans le secteur de la navigation maritime.
Néanmoins, selon la Cour des comptes, un tel dispositif ne manquerait pas d'être considéré comme une « aide d'État » par la Commission européenne et susciterait immanquablement des réclamations de la part d'autres secteurs économiques également exposés à la concurrence internationale.
Sur ce point, la difficile lutte contre le « dumping social » au sein de l'Union européenne paraît devoir être privilégiée et votre rapporteur spécial souscrit entièrement à la proposition de la Cour des comptes d'organiser un contrôle des conditions d'emploi des personnels navigants des compagnies aériennes afin de prévenir et de sanctionner les pratiques déloyales , dont abusent certaines compagnies à bas coût.
Par ailleurs, la Cour des comptes estime a priori que les compagnies aériennes, en raison d'un niveau de rémunération brut moyen aux alentours de trois fois le SMIC , ne bénéficient que modestement de la mise en place du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) 12 ( * ) . Manquant de recul, elle préconise d'inscrire au programme du comité de suivi du CICE l'évaluation ex post de l'impact de ce dispositif sur la compétitivité des transporteurs aériens.
d) La fiscalité environnementale plutôt favorable dont bénéficie le transport aérien doit être préservée
La Cour des comptes rappelle dans son rapport que le transport aérien bénéficie actuellement d'un régime plutôt favorable en matière de fiscalité environnementale , puisque il est exonéré , en vertu de la convention de Chicago 13 ( * ) , de toute taxe sur le kérosène et est exempté , en France, de taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE) .
Face aux interrogations que soulèvent parfois ces exonérations, la Cour des comptes relève très justement que leur remise en cause « pourrait aggraver les écarts de compétitivité , avec des possibilités de report de trafic et de stratégies d'éviction, et donc fragiliser la compétitivité du hub de Paris , qui serait privé d'une partie de son alimentation au profit de ses concurrents européens ».
Afin de réduire l'impact du transport aérien sur l'environnement , il convient donc plutôt de poursuivre les efforts de modernisation du secteur (optimisation des trajectoires, moteurs plus économes en énergie, etc.) et de continuer les négociations sur la limitation des émissions de dioxyde de carbone de l'aviation civile dans le cadre de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI).
En ce qui concerne la taxe sur les nuisances sonores aériennes (TNSA), qui a pour but d'inciter les compagnies aériennes à diminuer le nombre de leurs mouvements (meilleur emport moyen, meilleur taux de remplissage des appareils) et à moderniser leur flotte (en achetant des aéronefs moins bruyants) tout en dégageant des recettes à même de financer l'insonorisation des logements situés à proximité des aéroports dont le trafic est le plus important 14 ( * ) , votre rapporteur spécial partage les interrogations de la Cour des comptes sur la pertinence de son plafonnement 15 ( * ) , en particulier lorsque le plafond est fixé à un niveau très bas, ce qui a conduit en 2016 au reversement d'un excédent au budget général.
Une telle situation peut en effet susciter des critiques , dans la mesure où un récent rapport du Commissariat général à l'environnement et au développement durable (CGEDD) 16 ( * ) a montré que quelque 80 000 logements restent à insonoriser en France , dont 69 000 à proximité des aéroports parisiens , pour lesquels les délais de traitement des demandes d'aide à l'insonorisation se sont fortement dégradés ces dernières années.
Depuis lors, le vote par le Parlement de l'article 69 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 a permis de résoudre cette difficulté , puisqu'il a relevé de 47 millions d'euros à 55 millions d'euros le plafonnement de la TNSA , dont les recettes devraient atteindre 48,6 millions d'euros en 2016 . Elles devraient ainsi en 2017 être consacrées dans leur intégralité à l'insonorisation de logements .
* 1 Cour des comptes, Rapport public thématique : Les aéroports français face aux mutations du transport aérien, juillet 2008.
* 2 Règlement (CE) n° 868/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant la protection contre les subventions et les pratiques tarifaires déloyales causant un préjudice aux transporteurs aériens communautaires dans le cadre de la fourniture de services de transport aérien de la part de pays non membres de la Communauté européenne.
* 3 Rapport d'information n° 180 (2015-2016), de MM. Jean Bizet, Éric Bocquet, Claude Kern et Simon Sutour, fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 19 novembre 2015.
* 4 Décision du Conseil d'État n° 379574 du 29 avril 2015.
* 5 Décret n° 2016-825 du 23 juin 2016.
* 6 Rapport d'information n° 31 (2016-2017) de M. Vincent Capo-Canellas, fait au nom de la commission des finances, déposé le 12 octobre 2016.
* 7 Étude de parangonnage sur le coût et le financement de la sûreté aéroportuaire, Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), octobre 2014.
* 8 Arrêté du 27 janvier 2017 fixant les taux unitaires des redevances de navigation aérienne et la liste des aérodromes assujettis à la RSTCA-M et à la RSTCA-OM par zone tarifaire terminale à compter du 1er janvier 2017.
* 9 Le taux unitaire de la redevance pour services terminaux de la circulation aérienne métropole (RSTCA-M) pour les aéroports de Paris-Charles-de-Gaulle et de Paris-Orly est passé de 226,19 euros en 2016 à 177,69 euros en 2017 tandis que celui des autres aéroports est passé de 226,19 euros en 2016 à 222,28 euros en 2017.
* 10 Le FSD peut financer, depuis 2013, sept organismes internationaux et est alimenté, outre la taxe de solidarité, par une fraction de la taxe sur les transactions financières (TTF). Les deux principaux bénéficiaires de ce fonds sont aujourd'hui la facilité internationale d'achat de médicaments (UnitAid) et le fonds national de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
* 11 L'article 46 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 instaure un plafonnement de la contribution de solidarité à 210 millions d'euros par an, qui correspond à l'objectif affiché par les pouvoirs publics lors de sa création.
* 12 La Cour estime à 50 millions d'euros par an environ le bénéficie du CICE pour Air France.
* 13 Convention de Chicago relative à l'aviation civile signée le 7 décembre 1944.
* 14 Selon le principe du « pollueur-payeur ».
* 15 Plafonnement prévu par l'article 46 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, qui a introduit le principe d'un plafonnement des taxes affectées.
* 16 Étude pour une optimisation de l'insonorisation des locaux au voisinage des aéroports, Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), mai 2014.