EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 5 octobre 2016, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu une communication de M. André Gattolin, rapporteur spécial, sur l'Académie de France à Rome .
M. André Gattolin , rapporteur . - L'Académie de France à Rome, plus connue sous le nom de « Villa Médicis » fait certainement partie des opérateurs du ministère de la culture les plus connus du grand public. La notoriété de la Villa est à double tranchant et il arrive qu'elle soit touchée par des polémiques dont la presse se fait l'écho. De mon côté, j'ai pu constater que l'annonce de mes travaux sur ce sujet a suscité des questions un peu inquiètes sur les motifs de ce choix.
Je souhaite d'emblée indiquer que mes travaux me conduisent à porter un jugement globalement positif sur la gestion actuelle de l'Académie de France et son fonctionnement, bien qu'il puisse être encore amélioré à travers quelques recommandations ; j'y reviendrai.
Le dernier rapport sénatorial portant sur l'Académie de France à Rome avait été établi par Yann Gaillard au nom de la commission des finances en 2001. Quinze ans plus tard, j'ai pensé utile de mettre à jour ces travaux et de faire le point sur la gestion de cette institution qui occupe une place tout à fait singulière dans le paysage des opérateurs de la culture français.
La Villa Médicis est en effet originale à plusieurs titres.
Sa première spécificité, c'est la diversité de ses missions souvent synthétisées dans le triptyque « Colbert, Malraux, Patrimoine » : elle doit à la fois accueillir des artistes en résidence, c'est la mission « Colbert », organiser des manifestations culturelles, ou mission « Malraux » et protéger le patrimoine dont elle est dépositaire, ou mission « Patrimoine ».
Sa deuxième singularité, c'est bien sûr sa localisation au coeur de Rome, à des centaines de kilomètres de la frontière française et de Paris. Elle s'explique par l'histoire de l'institution, créée en 1666 par Colbert dans le but de doter la France d'artistes et d'oeuvres qui n'auraient rien à envier à ceux de l'Italie, alors la référence en la matière. L'Académie de France à Rome fait d'ailleurs partie des premières grandes institutions culturelles françaises et sa création s'inscrit dans le contexte de l'émergence de véritables politiques culturelles : on connaît bien Colbert en tant que superintendant des finances, moins comme instigateur des premières institutions visant à participer au rayonnement et au prestige de la France à travers la culture.
Sa troisième particularité, c'est un décalage entre les attentes voire les fantasmes que l'institution suscite et les moyens qui sont réellement mis à sa disposition : la subvention pour charge de service public allouée par l'État s'élève à 4,6 millions d'euros en 2016, soit un montant du même ordre de grandeur que d'autres résidences similaires mais relativement modeste au regard des « poids lourds » du ministère de la culture.
La notoriété de l'Académie de France à Rome est cependant partielle : si le nom de « Villa Médicis » est bien identifié, en revanche restent largement inconnus du grand public le nom des pensionnaires accueillis, la nature de leurs travaux artistiques, et même plus largement la définition des missions accomplies par l'Académie.
C'est pourquoi je voudrais maintenant brosser un rapide tableau du fonctionnement actuel de la Villa et de son budget.
L'Académie de France à Rome est un établissement public administratif sous tutelle du ministère de la culture au fonctionnement classique. L'établissement est dirigé par une personnalité dont la nomination relève du Président de la République. Un conseil d'administration comprenant douze membres se réunit au moins deux fois par an à Paris ou à Rome.
Pour 2016, l'établissement dispose d'un budget annuel d'environ 8 millions d'euros.
L'Académie de France à Rome est principalement financée par des fonds publics, à travers une subvention et une dotation en fonds propres du ministère de la culture pour un total de 6 millions d'euros. Les ressources propres s'élèvent à plus de deux millions d'euros en 2015. Celles-ci proviennent des activités de billetterie, d'hébergement et de location évènementielle, ainsi que du mécénat.
Au total, 46 emplois équivalent temps plein sont affectés à la Villa, dont la grande majorité est constituée de contractuels de droit italien - ces postes de droit italien peuvent bien sûr être occupés par des personnes de nationalité française.
La gestion des ressources humaines a pu, dans le passé, faire l'objet de critiques. Elle est désormais considérablement modernisée. Les rémunérations ont été harmonisées et une nouvelle version du cadre contractuel de référence a été élaborée. L'attribution de logements aux agents a également été rationalisée. Autrefois, existaient des « dynasties » d'agents qui se transmettaient au fil des générations les postes et les logements, de façon assez rocambolesque. Ce système a été assaini sous les deux mandats du précédent directeur, Éric de Chassey.
Ainsi, comme je l'indiquais en préambule, la gestion administrative et financière de la Villa paraît satisfaisante. La Cour des comptes a récemment procédé à la revue des comptes de la Villa et les conclusions des magistrats financiers rejoignent les miennes : aucune irrégularité notable n'a été constatée.
Certains problèmes subsistent cependant, comme l'absence de contrat d'objectif et de moyens, qui est un document important pour le pilotage de l'institution par sa tutelle. Il faudrait qu'un nouveau contrat d'objectif et de moyens soit conclu dans les meilleurs délais et j'espère que l'engagement pris d'établir un contrat le plus rapidement possible sera tenu.
Je voudrais également signaler un point de vigilance : l'ouverture toujours plus large de la Villa au public conduit à engager des frais de sécurité non négligeables qui, au vu du contexte, pourraient continuer d'augmenter. Comme Vincent Éblé et moi-même l'avions déjà indiqué lors de notre communication sur le fonds d'urgence pour le spectacle vivant, mis en place à la suite des attentats, le renforcement des mesures de sécurité pèse lourdement sur les opérateurs de la culture.
Je pense donc, dans le cas de la Villa, que l'État doit formaliser son engagement de prendre en charge les dépenses exceptionnelles indépendantes des décisions de la direction de l'établissement, occasionnées notamment par le renforcement des mesures de sécurité.
Pour assurer la soutenabilité du budget de la Villa, les ressources propres doivent faire l'objet de bilans stratégiques à intervalles réguliers et la situation de concurrence entre la Villa et son concessionnaire en matière de location d'espaces doit cesser. Je préconise également de mener à bien le projet de création d'une structure permettant de faciliter le mécénat des entreprises et de personnes privées en clarifiant l'orientation de la politique de mécénat de l'Académie.
Ces aspects de pure gestion budgétaire sont bien sûr importants. Je pourrai y revenir si vous le souhaitez.
Mais ils n'épuisent pas le sujet. Au fond, la question de l'existence même de la Villa Médicis sous sa forme actuelle doit être posée.
En effet, les motivations qui ont présidé à la création de l'Académie sont désormais obsolètes. Rome n'est plus l'épicentre de la création artistique. La copie de l'antique et l'encouragement d'un art national ne constituent plus des priorités de la politique culturelle.
Historiquement et symboliquement, c'est la mission « Colbert » qui a donné à la Villa sa raison d'être. Et c'est la mission « Colbert » dont la légitimité semble aujourd'hui la plus incertaine.
Nous devons donc nous demander s'il est encore utile aujourd'hui d'accueillir des artistes à Rome sur fonds publics, ou si la Villa devrait devenir un simple lieu de visite, voire un musée comme un autre.
La réponse ne saurait être simpliste.
La pérennité de l'histoire dans laquelle s'enracine la Villa, et le prestige dont elle jouit, en font une institution unique qui participe du rayonnement culturel de la France. Elle exerce d'ailleurs une force d'attraction réelle : en 2016, 601 candidatures ont été soumises pour seulement quatorze projets retenus.
En outre, l'Académie de France à Rome a cherché à adapter et à renouveler ses modes d'accueil, à travers les catégories d'hôtes en résidence et les lauréats, dont le mode de sélection et les bourses sont totalement différents de ceux des pensionnaires.
Des améliorations réelles ont également été apportées à l'accueil et au suivi des pensionnaires, ainsi qu'à leur l'intégration au sein d'une promotion et à leur connaissance du paysage culturel romain. L'idée selon laquelle les artistes sont totalement laissés à eux-mêmes doit être nuancée. Mon déplacement m'a permis de constater que les artistes rencontrés ne prenaient pas la Villa pour un simple lieu de passage, et encore moins de repos.
Les progrès accomplis butent cependant sur les questions sensibles du statut et des bourses des pensionnaires. La nécessité d'un changement à ce sujet fait consensus mais sa mise en oeuvre tarde à se concrétiser. Pourtant, l'iniquité et l'opacité du calcul des bourses contribuent à alimenter le fantasme sans véritable fondement d'une gabegie généralisée.
En outre, la Villa souffre d'un déficit d'image auprès du public français et, dans certaines disciplines, auprès du monde de l'art. Les travaux des pensionnaires restent mal connus, malgré des initiatives récentes pour les mettre en valeur.
Je pense donc que l'accueil d'artistes en résidence ne pourra être pérennisé que s'il est profondément rénové et que les échanges avec le public continuent de se développer.
C'est pourquoi je propose d'abord de réformer les bourses, le statut des pensionnaires et les moyens mis à leur disposition.
Aujourd'hui, le mode de calcul des bourses est aligné sur les indemnités perçues par les agents publics à l'étranger. Les bourses peuvent ainsi être plus élevées si le pensionnaire a une famille vivant avec lui ou s'il est en position de détachement de la fonction publique.
Dans les dernières années, le montant moyen annuel de la bourse par pensionnaire a fortement augmenté, passant d'environ 56 000 euros par an en 2005 à près de 73 000 euros en 2014. C'est une hausse de plus de 30 % en neuf ans ! Elle ne découle pas d'un dérapage dans la gestion des crédits de l'Académie, mais du changement de profil des pensionnaires : outre le fait qu'ils sont plus nombreux, ils sont également plus âgés et ont donc davantage tendance à bénéficier des avantages familiaux. Les fonctionnaires en situation de détachement conduisent aussi à alourdir la charge budgétaire.
Le mode actuel de calcul des bourses pose des difficultés de prévision budgétaire : il est impossible à l'administration de la Villa de connaître avec exactitude le montant des bourses des pensionnaires avant leur sélection. Les pensionnaires sont évidemment choisis sur des critères artistiques et académiques, et leur situation familiale ne doit pas devenir un motif de sélection ou de rejet, mais aujourd'hui les conséquences budgétaires liées à l'accueil d'un pensionnaire marié et père de deux enfants sont réelles.
La situation actuelle est aussi inéquitable. En effet, les règles de calcul des bourses conduisent à des différences de traitement injustifiées entre les pensionnaires. Certains touchent beaucoup plus que la bourse « standard » de 3 300 euros, mais d'autres beaucoup moins ! C'est en particulier le cas d'un binôme d'artistes en pension à Villa, dont on m'a indiqué qu'ils se partageaient une seule et même bourse. Cela aboutit à des différences de traitement entre le pensionnaire le plus favorisé et le pensionnaire le moins favorisé qui vont quasiment du simple au triple.
La bourse est accordée au pensionnaire au titre de son activité à la Villa. Il me semble que ni son grade dans la fonction publique, ni sa situation familiale ne doivent être prises en compte pour fixer le montant de la bourse.
Je préconise donc de cesser de calculer les bourses par référence au droit de la fonction publique.
En outre, il me semble que les bourses doivent être attribuées individuellement à chaque pensionnaire, et ce quel que soit le nombre de personnes que compte l'unité de création. Cela implique que le concours soit organisé sur la double base de « projets » et d'un nombre limitatif de pensionnaires. Cette évolution sera facilitée par l'absence d'un nombre fixé de catégories disciplinaires à pourvoir, comme c'était le cas en 2016.
Le montant des bourses pose un autre problème : comme il est relativement élevé, il est attendu des pensionnaires qu'ils financent eux-mêmes les moyens techniques dont ils peuvent avoir besoin pour mener leurs travaux. Mais les besoins des pensionnaires en ce domaine ne sont évidemment pas tous identiques : par exemple, un écrivain n'a besoin que d'un bureau et d'un ordinateur, tandis qu'un chorégraphe peut avoir besoin d'un plateau.
Il me semble donc nécessaire de dégager une enveloppe budgétaire dédiée au financement des moyens techniques dont peuvent avoir besoin les artistes et les chercheurs dans leur travail. L'octroi des fonds ainsi rassemblés, sur demande des pensionnaires, serait du ressort du directeur, qui devrait rendre compte de ses décisions devant le conseil d'administration.
La refonte des bourses ne revient donc pas à appliquer une logique strictement comptable dans la perspective de faire des économies « de bouts de chandelles », mais a pour objectif d'améliorer la répartition des moyens entre les pensionnaires et de mettre un terme aux iniquités qui existent aujourd'hui.
Cette réforme des bourses devrait s'accompagner de la définition d'un statut des pensionnaires qui, depuis trois siècles et demi, n'existe toujours pas ! C'est une situation qui complexifie les démarches des pensionnaires, particulièrement lorsqu'ils sont originaires de pays situés hors de l'espace Schengen. L'absence de statut reflète aussi l'absence de réelle définition d'un séjour à la Villa. La définition d'un statut permettrait de supprimer certains problèmes pratiques mais aussi de clarifier la nature des travaux que les pensionnaires sont invités à mener.
La définition d'un statut et la réforme des bourses ne suffiront pas à rénover le séjour à l'Académie.
Je préconise également que la direction intensifie encore ses efforts pour organiser des rencontres entre les pensionnaires, informelles mais aussi formelles. Par exemple, il pourrait être intéressant d'organiser des ateliers de travail réunissant une partie ou la totalité de la promotion sur des thématiques définies par les pensionnaires dans les premières semaines de leur séjour, voire en amont.
Je considère d'ailleurs qu'il faudrait réaffirmer l'obligation de francophonie des pensionnaires afin d'assurer le partage d'une langue commune entre tous les résidents de la Villa.
Je propose également d'accueillir des artistes et des chercheurs italiens à la Villa. C'est une pratique très courante dans les autres résidences françaises d'artistes et de chercheurs à l'étranger, qui permettra de renforcer les liens entre les artistes ou les chercheurs accueillis et l'Italie.
Enfin, après le statut, les bourses et les conditions d'accueil, je crois qu'il est essentiel de mieux faire connaître les travaux des pensionnaires.
Je préconise donc de recréer un « Prix de Rome ». Ce Prix pourrait être attribué, sur décision d'un jury international d'artistes et de critiques d'art, à un ou plusieurs pensionnaires ou anciens pensionnaires artistes dans le cas où les travaux menés durant le séjour ont permis d'amorcer la création d'une oeuvre originale. Ce prix permettrait d'inciter les pensionnaires à mettre leur séjour à profit et de mettre en valeur l'Académie de France à Rome et de ses pensionnaires dans le monde de l'art. Il arrive que la biographie d'artistes connus et passés par la Villa Médicis, en particulier d'écrivains, ne comporte aucune mention de leur qualité d'ancien pensionnaire de l'Académie de France à Rome ! Sans doute le terme de « pensionnaire » n'est pas le plus valorisant qui soit...
La présence en ligne de la Villa Médicis devrait également permettre de renouveler les modes d'échanges entre les pensionnaires et le public, en créant par exemple un espace interactif en ligne pouvant constituer le support d'expositions virtuelles.
Il faudra également faire le bilan de la première édition du festival « Viva Villa ! ». Ce festival est une initiative conjointe des trois résidences françaises d'artistes en Italie, en Espagne et au Japon. Il s'agit d'exposer en France les travaux des pensionnaires de ces trois « villas » situées à l'étranger, sous le nom « Viva Villa ! » : outre la Villa Médicis, existent aussi la Casa Velasquez et la Villa Kujoyama qui ne relèvent pas de la tutelle du ministère de la culture. L'édition zéro a débuté il y a quelques semaines à peine. La valorisation des travaux des pensionnaires, et à travers eux des institutions qui leur permettent de créer, me semble aller dans le bon sens.
Dans le cas où ce festival serait pérennisé, il faudrait envisager les modalités selon lesquelles il pourrait être itinérant, afin que les travaux des pensionnaires soient présentés dans différentes régions et non seulement à Paris.
Il faut aussi mieux documenter le passage des pensionnaires dans la perspective de recherches futures. Je pense donc que l'établissement doit réfléchir avec chaque pensionnaire, dès le début du séjour, à la nature des archives qui pourront être collectées et qui dépendront bien sûr de la discipline et du mode de travail de chaque pensionnaire.
Je pense enfin que le projet de « Villa Médicis 2.0 » sur le site de la tour Utrillo à Clichy-Montfermeil doit conserver un lien avec la Villa Médicis proprement dite. À ce titre, je préconise de prévoir dans les statuts du nouveau centre artistique l'obligation d'organiser chaque année une exposition des oeuvres d'un ancien pensionnaire de l'Académie de France à Rome. La réciproque pourra bien sûr être envisagée dès lors que le nouveau centre aura réellement engagé une activité d'accueil d'artistes en résidence.
L'ensemble de ces recommandations vise à garantir un accueil de qualité aux pensionnaires tout en poursuivant la rationalisation de l'organisation de la Villa et l'enrichissement de sa coopération avec les « maisons soeurs » que sont les autres résidences françaises d'artistes à l'étranger, les autres institutions culturelles françaises à Rome et le projet de Clichy-Montfermeil.
Il ne s'agit pas de croire naïvement qu'un renouveau de l'établissement pourrait trouver son unique source dans des réformes administratives.
Mais le pari doit être fait que les artistes et les chercheurs que la Villa accueille, s'ils sont placés dans de bonnes conditions, sauront lui redonner un nouveau souffle.
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Notre rapporteur spécial nous a présenté quelques vérités budgétaires sur la Villa Médicis mais a également tracé des perspectives pour le futur. On peut s'interroger sur le rayonnement de cet établissement, car Rome n'est plus forcément le centre du monde.
Pouvez-vous nous en dire plus sur les perspectives de partenariats avec d'autres institutions ? Il y a de nombreux musées en province ou d'autres institutions culturelles à l'étranger qui pourraient collaborer avec la Villa Médicis et participer à son rayonnement. D'autre part, pouvez-vous nous préciser à combien s'élèvent les recettes propres et notamment combien rapportent les locations ? Enfin, qui est responsable des travaux menés à la Villa ? L'ambassade de France en Italie ? La fondation des pieux établissements de la France à Rome et à Lorette, qui gère les différentes églises françaises de Rome, telle Saint-Louis-des-Français ?
M. Marc Laménie . - Le budget de la Villa Médicis demeure limité mais pouvez-vous nous éclairer sur sa gouvernance et sur la propriété de ce patrimoine considérable ? À combien s'élèvent les recettes propres ? Et, étant donné le contexte budgétaire, cet établissement réalise-t-il lui aussi des efforts sur ses dépenses de fonctionnement ?
M. Roger Karoutchi . - M'étant rendu plusieurs fois à la Villa Médicis, je comprends l'admiration et la fascination qu'elle a éveillé chez notre rapporteur spécial, mais je suis beaucoup plus réservé que lui. À l'occasion d'une mission de contrôle, j'ai pu constater que notre représentation diplomatique et culturelle à Rome est magnifique : le palais Farnèse ou la Villa Bonaparte sont des lieux extraordinaires.
La Villa Médicis est également un lieu admirable, mais le fonctionnement et le rôle de l'institution me laissent sceptique. À l'époque de Colbert il y avait une école française de Rome, une école de peinture de Rome, une école de sculpture de Rome... Aujourd'hui, est-il forcément intéressant pour la création française d'envoyer des artistes à Rome ? Je n'en suis pas convaincu. Il est, certes, très difficile d'obtenir une bourse de pensionnaire de la Villa Médicis, mais beaucoup de ceux qui y séjournent ne font l'objet d'aucun suivi : l'administration ne définit pas d'objectif personnalisé et ne procède à aucun contrôle de ce qu'ils réalisent.
Je voudrais d'ailleurs rappeler que beaucoup d'artistes s'étaient interrogés sur la mission réelle de cet établissement lors de la nomination de Muriel Mayette-Holtz en tant que directrice : ses anciennes fonctions d'administratrice générale de la Comédie française n'avaient aucun rapport avec les disciplines accueillies à la Villa Médicis, ce qui prouve qu'il s'agit peut-être plus d'un établissement honorifique, très agréable au demeurant, mais sans véritable objectif créatif. Et je ne m'étends pas sur l'épisode des pensionnaires qui ont gravi la statue antique de la Déesse Rome, qui a beaucoup choqué en Italie et nui à l'image de la Villa.
Au-delà des équilibres financiers, il faut donc également se demander si l'on ne pourrait pas atteindre cet objectif de soutien à la création autrement qu'à travers la Villa Médicis.
M. Michel Canevet . - Notre rapporteur spécial estime-t-il que l'enveloppe de fonctionnement de huit millions d'euros est suffisante ? Des pistes sont-elles envisagées pour augmenter le nombre d'entrées ? Le chiffre de 37 000 me semble bas par rapport au potentiel, surtout dans une ville comme Rome qui accueille de nombreux visiteurs. Il faut donner une meilleure visibilité à la Villa Médicis, auprès du public mais aussi auprès des mécènes, qui doivent prendre le relais pour maintenir le prestige de cette institution, dans un contexte où les fonds publics sont de plus en plus rares.
J'ai été frappé par le système de bourses et les montants très différents que touchent les pensionnaires en fonction de leur situation. On évoque un montant moyen de 3 300 euros et finalement certaines attributions peuvent dépasser 6 000 euros par pensionnaire. Il y a là un vrai problème et je soutiens votre proposition de remettre à plat le mode de calcul des bourses.
M. Éric Doligé . - Les pensionnaires reçoivent des bourses d'un certain montant et, parmi eux, certains réussissent ensuite très bien sur le marché de l'art... Y a-t-il des moyens pour obtenir un retour sur investissement ?
M. Alain Houpert . - Notre rapporteur spécial nous a fait voyager : tous les chemins mènent à Rome...
Je ne suis pas convaincu que le rétablissement du prix de Rome soit une bonne idée. D'autres pays, comme les États-Unis, s'en sont emparés et le ressusciter entraînerait sans doute une certaine confusion.
Je rejoins les propos de Roger Karoutchi et Éric Doligé sur la qualité des pensionnaires. Colbert doit se retourner dans sa tombe ! L'épisode de l'escalade de la statue, placée dans le parc par Philippe de Médicis, est en effet malheureux. La Villa est une vitrine de la France, il faut donc faire attention à la qualité des boursiers.
Je pense également qu'il devrait y avoir un retour sur investissement. Les pensionnaires ont reçu beaucoup, qu'ils donnent également un peu de leur personne. J'ai rencontré le peintre Yan Pei-Ming, originaire de Dijon, qui a séjourné à la Villa Médicis et dont les oeuvres valent aujourd'hui, au minimum, un million d'euros. Les finances de la Villa Médicis se porteraient mieux s'il avait donné une oeuvre.
M. Antoine Lefèvre . - La Villa Médicis a connu une année compliquée sur le plan budgétaire : des investissements ont été nécessaires en matière de sécurité et les recettes n'ont pas été très bonnes, la mauvaise météo n'ayant pas arrangé les choses. Je crois savoir que la direction de la Villa envisage de développer le merchandising . Avez-vous des informations sur ce sujet ? Bien que je ne pense pas que vendre des confitures ou autres spécialités locales suffira à faire face aux dépenses...
M. Claude Raynal . - Il faut s'interroger sur le sens de la mission de la Villa Médicis : ce n'est pas parce qu'une institution est ancienne qu'elle reste utile. L'opportunité pour la France de conserver des résidences d'artistes certes prestigieuses, mais dont le fonctionnement n'est pas satisfaisant, peut se poser.
Au-delà des aspects budgétaires et financiers développés, quel regard porter sur la qualité des oeuvres artistiques réalisées ? Quels sont les résultats obtenus dans cette résidence au regard du nombre d'artistes qui y ont séjournés ? En quoi cela a-t-il servi les pensionnaires et amélioré l'offre culturelle française ?
Aux États-Unis, le financement de la Villa Médicis serait probablement assuré par des fonds privés issus des anciens pensionnaires regroupés au sein d'une fondation. En France, nous recourrons systématiquement aux moyens budgétaires de l'État. Comment développer cette culture de la fondation, concrétisation de la reconnaissance des artistes passés par cette résidence ?
M. Jean-Claude Requier . - Cet excellent rapport s'intéresse à une belle maison dont on ne parle, en général, qu'au moment de la nomination de son directeur ! Celle-ci ne pourrait-elle être confiée à une autre autorité que le Président de la République ? La définition d'un profil de poste ne serait-elle pas un préalable nécessaire au recrutement d'une personnalité compétente ?
M. André Gattolin , rapporteur . - Je connais la Villa Médicis depuis les années 1980 et je peux vous assurer que les choses ont considérablement évolué depuis cette époque : autrefois, les artistes hébergés n'avaient que peu d'échanges entre eux, certains ne développaient pas leur culture italienne, n'avançaient pas vraiment sur leurs projets et sortaient déprimés, sans manquer d'écrire, à leur retour, des ouvrages négatifs sur leur séjour au sein de l'institution.
Au contraire, la promotion que j'ai eu l'occasion de rencontrer cette année avait instauré un véritable dialogue entre artistes et une certaine dynamique. La plupart d'entre eux semblaient intéressés par la viabilité économique de leurs projets et le développement du marché culturel.
Compte tenu du fait que l'essentiel d'entre eux travaillent sur des projets au long cours, il n'est pas aisé de procéder à une évaluation immédiate de leur passage à la Villa Médicis.
Effectivement, Jean-Claude Requier, il ne semble pas indispensable que le Président de la République soit compétent pour la nomination du directeur de cette institution qui ne représente qu'un budget de 8 millions d'euros, dont 2 millions d'euros de ressources propres.
L'entretien du patrimoine de l'établissement engendre d'importantes dépenses, à hauteur de plus de 600 000 euros par an. À la fois propriété de l'État français et constituant un patrimoine italien - contrairement au Palais Farnèse qui est concédé par l'Italie à l'État français pour un euro symbolique, en échange d'un système similaire pour l'ambassade d'Italie en France -, la Villa Médicis est confrontée, pour toute opération d'investissement, à une importante complexité administrative puisque les travaux doivent à la fois respecter les règles nationales italiennes et françaises. Ceci a toutefois pour avantage qu'il ne peut pas y être fait n'importe quoi !
L'établissement doit, en tout état de cause, faire face à des dépenses d'investissement incompressibles. Il n'est donc pas certain que restreindre les activités de la Villa Médicis, par exemple en la transformant en simple musée, soit réellement source d'économies, compte tenu des charges lourdes induites par le bâtiment, ses dépendances et son domaine. Par exemple, l'établissement doit actuellement faire face à une maladie frappant les chênes verts qui pourrait avoir de lourdes conséquences budgétaires, quel que soit le nombre de pensionnaires accueillis !
En réponse à Roger Karoutchi, effectivement il n'existe pas de réel contrôle de la production des artistes hébergés, même si ceux-ci doivent désormais s'engager sur un projet.
Selon la nature de leurs travaux, certains artistes, susceptibles de devenir célèbres par la suite, peuvent également laisser une ou plusieurs oeuvres. Je ne sais pas si cela a été le cas de Yan Pei-Ming, par exemple, qui, désormais mondialement reconnu, expose actuellement à la Villa Médicis. Or, plus l'artiste est connu, plus le montant des primes d'assurance sur les oeuvres est élevé. Je crois savoir que Yan Pei-Ming s'est arrangé pour prendre en charge certains coûts afférents au transport et à l'assurance des oeuvres. C'est une forme de « retour sur investissement », d'autant plus que cette belle exposition a permis la vente d'un très grand nombre d'entrées. Je préconise en outre que soit systématisée la collecte d'archives à l'issue de leur séjour. En revanche, exiger d'un artiste qu'il cède une oeuvre à l'issue de son séjour me semble excessif et sans doute impossible à mettre en oeuvre dans la pratique : quid d'un écrivain dont le roman sera terminé quelques années plus tard ?
En outre, il n'est pas aisé d'anticiper, à la sortie de la Villa Médicis, le succès à venir d'un artiste, compte tenu de la complexité du marché de l'art, surtout que les disciplines n'ont pas toute la même valeur marchande. Par exemple, bien que l'école de gravure française soit reconnue, il n'existe plus beaucoup de graveurs et le marché est extrêmement réduit. Faut-il pour autant cesser de soutenir cette discipline en raison d'un « retour sur investissement » trop faible ? Je ne le pense pas.
Quant au suivi des pensionnaires, il a été renforcé : les artistes doivent désormais suivre des cours d'italien et ont des rencontres individuelles régulières avec l'équipe de direction de la Villa Médicis.
Michel Canevet, a priori le budget alloué à la Villa Médicis semble suffisant et s'avère plutôt bien géré. L'établissement pourrait, à terme, rencontrer des difficultés pour couvrir les dépenses liées à la sécurité mais il bénéficie pour le moment - et il convient de le saluer - de l'assistance des forces de police et de l'armée italiennes pour assurer sa garde continue, compte tenu de la menace terroriste.
Il est certain que, plus la Villa Médicis développe ses activités auprès du public, plus les dépenses d'entretien et de sécurité augmentent. Le nombre de visites a ainsi atteint 37 000 visiteurs en 2015 contre 20 000 en 2014, correspondant à un quasiment doublement en un an.
Je propose de créer une structure autonome qui se consacrerait au mécénat, pour le développer notamment auprès des entreprises françaises, alors que les mécènes sont actuellement plutôt des entreprises italiennes, mais aussi des particuliers. Il convient donc de faire connaître l'activité de la Villa Médicis, par exemple au travers du festival « Viva Villa ! ».
Certains d'entre vous ont évoqué la qualité des pensionnaires. Je n'ai pas de remarque particulière concernant le choix des artistes, sélectionnés par un jury indépendant. Afin que leur séjour leur soit profitable, ainsi qu'à l'institution, il me paraît surtout indispensable d'assurer la diffusion de leurs oeuvres.
Je suis un peu préoccupé concernant le projet de Clichy-Montfermeil, dont je crains qu'il ne permette pas sous sa forme actuelle de créer des synergies réelles avec la Villa Médicis de Rome. Pour moi ce lieu doit également accueillir les artistes de la Villa Médicis ou leurs oeuvres.
On peut contester, comme l'a fait Claude Raynal, le coût de cette politique de prestige, mais je constate qu'il y a de plus en plus d'initiatives privées ou publiques qui reprennent cette logique et nous constaterons dans le prochain budget que se développent des projets de résidences d'artistes dans des lycées ou des collèges : des artistes, qui souvent ont reçu des aides de l'État d'une façon ou d'une autre, suivront une classe. C'est une idée excellente, qui permet aux artistes de restituer une partie de ce qu'ils ont reçu de la collectivité publique et de s'inscrire dans une démarche de transmission. Il faudrait lier cela à la Villa Médicis : peut-être que ces artistes devraient être prioritaires pour partir à Rome. Je crois qu'un outil de prestige tel que la Villa Médicis peut aider au développement d'une politique publique cohérente. Aujourd'hui, on a l'outil de prestige sans la politique publique derrière : il nous faut les deux.
L'État français est bien propriétaire de la Villa Médicis, mais elle fait partie du patrimoine culturel de Rome : l'État italien a donc, en quelque sorte, un « droit de regard » sur les travaux.
Les ressources propres de la Villa s'élèvent à deux millions d'euros. Je souligne que le développement des locations évènementielles peut conduire à des dégradations. Lors du mariage d'une grande famille princière, des dégradations importantes ont été constatées. Mais on ne peut installer des agents de sécurité partout lors d'un mariage en grande pompe ! Les risques de dégradation ne sont donc pas uniquement liés aux artistes.
L'inscription de la mission « Patrimoine » dans les statuts en 2012 visait en partie à établir un véritable inventaire de la Villa. Des plâtres de très grande valeur ont en effet été volés en 2012 et tous les responsables n'ont pas été retrouvés.
Pour finir, le statut français de fondation ne semble pas adapté à la Villa Médicis. Certes, l'Académie américaine est financée par une fondation, mais leur système est très différent. Je tiens à vous rappeler qu'aux États-Unis, il n'y a pas de ministère de la culture mais, en matière d'action culturelle, autant d'argent public est dépensé par habitant qu'en France !
La commission a donné acte de sa communication à M. André Gattolin, rapporteur spécial et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.