E. COMPTE-RENDU DE LA JOURNÉE DES ENTREPRISES AU SÉNAT (LE 31 MARS 2016)
Le jeudi 31 mars 2016, sous la présidence de Mme Élisabeth Lamure, présidente, la Délégation aux entreprises a organisé la Journée des entreprises. Elle a présenté ses initiatives en réponse aux rencontres effectuées sur le terrain avec les entrepreneurs.
Mme Élisabeth Lamure , présidente . - C'est avec une très grande joie que je vous accueille au Sénat, au nom de la Délégation aux entreprises, que j'ai l'honneur de présider. Je me réjouis vraiment de votre présence, malgré vos obligations professionnelles et les difficultés de transport. Vous venez des quatre coins de France, et représentez ici une trentaine de départements français. Certains ont même traversé la Manche et viennent du Royaume-Uni. Un grand merci à chacun et chacune d'entre vous.
Nous vivons ensemble une grande première : une journée des entreprises, au Sénat ! C'est un moment important, puisqu'il manifeste concrètement l'attention particulière que le Sénat porte aux entreprises. Son président, Gérard Larcher, a souhaité rapprocher le Sénat de l'entreprise. Dès sa réélection à la présidence du Sénat, il a donné cette impulsion, qui a conduit, fin 2014, à la création de la Délégation aux entreprises, qui rassemble 42 sénateurs désignés à la représentation proportionnelle des groupes politiques. Elle a pour mission d'informer le Sénat sur la situation des entreprises, de recenser les obstacles à leur développement et de proposer des mesures afin de favoriser l'esprit d'entreprise et de simplifier les normes applicables à l'activité économique, en vue d'encourager la croissance et l'emploi dans les territoires. Si cette délégation a vu le jour, ce n'est pas que les sénateurs soient aussi éloignés de l'entreprise que certains pourraient le croire. Nous avons réalisé une enquête interne : deux tiers des sénateurs ont une expérience en entreprise - c'est-à-dire exercent ou ont exercé une activité de créateur ou chef d'entreprise, cadre, salarié, profession libérale, indépendant ou exploitant agricole - ; et un sénateur sur cinq est ou a été chef d'entreprise. Ce n'est pas neutre ! Mais l'entreprise peut avoir le sentiment que le législateur ne prend pas en compte ses besoins et ne fait qu'alourdir les règles. Pour leur part, les sénateurs peuvent perdre de vue l'impact cumulé des lois sur les entreprises, même si chacune de ces lois répond sans doute à une demande sociale légitime. Ainsi, chacune des commissions du Sénat - celle des affaires économiques, celle du développement durable, celle des affaires sociales, celle des finances ou encore celle des lois - examine les textes de lois qui ressortent de son champ de compétences et s'emploie naturellement à enrichir ces textes par des amendements. Mais, il n'y avait nulle part, au Sénat, un regard transversal sur l'ensemble de ces lois, pour se préoccuper de savoir comment tout cela était vécu par les entreprises.
L'objectif de la Délégation sénatoriale aux entreprises est de combler cette lacune, de comprendre le point de vue des entreprises et de tisser avec elles des liens de confiance. Cela passe par une meilleure connaissance mutuelle, entre les sénateurs et les entreprises. Pour cela, nous allons à la rencontre des entrepreneurs dans les territoires, qui forment un trait d'union entre nous : vous, entrepreneurs, vous faites vivre les territoires, vous contribuez à leur équilibre économique et social ; nous, sénateurs, nous sommes élus de ces territoires, nous en sommes les porte-paroles dans la recherche de l'intérêt général. Le Sénat tout entier a précisément reçu de la Constitution la mission spécifique d'assurer la représentation des collectivités territoriales de la République.
Il est donc logique que ce soit sur les territoires qu'aient lieu nos rencontres. Notre délégation a ainsi commencé une sorte de tour de France, pour dialoguer avec les entreprises là où elles sont : elle s'est déjà rendue dans dix départements - la Vendée, la Drôme, le Rhône, l'Hérault, la Seine-et-Marne, le Pas-de-Calais, le Bas-Rhin, le Nord, Paris et la Saône-et-Loire. Elle s'est aussi rendue à Londres l'an dernier, à l'invitation d'un de ses membres, représentant les Français établis au Royaume-Uni. Nous avons rencontré un grand nombre d'entre vous lors de tous ces déplacements, soit à l'occasion des tables rondes que nous organisons à chaque fois, soit parce que vous avez bien voulu nous accueillir dans votre entreprise. Lors de nos échanges, nous veillons à vous écouter, sans débattre. Nous avons consigné ces échos recueillis sur le terrain dans des rapports, qui font partager à l'ensemble du Sénat, et même au-delà, votre ressenti, le plus fidèlement possible.
Il ne s'agit pas, pour notre délégation, de se faire l'écho auprès du Sénat des lobbies patronaux, ni de relayer les préoccupations des seules entreprises du CAC 40, qui ont souvent les moyens de se faire entendre au Parlement.
Depuis sa création, la délégation n'a jamais auditionné à Paris les grandes organisations patronales. Notre méthode, c'est de faire remonter les témoignages directs que nous entendons sur le terrain, puis de dégager, de manière pragmatique, des moyens utiles pour lever les verrous identifiés grâce à vous et qui freinent la croissance des entreprises. Nous voulons qu'ainsi, la loi élaborée ici soit plus efficace, qu'elle réponde mieux à vos besoins, là où vous êtes. Nous voulons accompagner le développement de vos entreprises, et contribuer ainsi à la constitution en France d'un tissu d'entreprises de taille intermédiaire (ETI), comparable à celui qui fait la force économique de notre voisin allemand.
Nous voulons en finir avec les lois qui, une fois adoptées, se révèlent inapplicables ou provoquent des effets qui n'étaient pas anticipés. C'est pourquoi nous nous sommes dotés d'une capacité d'étude de l'impact des dispositions des projets ou propositions de loi soumis au Sénat et qui concernent l'entreprise. Nous sommes en train d'examiner les dispositions du projet de loi de réforme du droit du travail et nous comptons étudier de manière approfondie l'impact de l'une ou l'autre de ses dispositions-phares, avant son adoption définitive. La réforme du droit du travail, c'est pour nous tous un enjeu de taille. Notre délégation compte bien peser sur l'examen de ce projet de loi au Sénat, en donnant de l'écho à vos témoignages.
Elle établira un rapport qui synthétisera ce qu'elle a entendu sur le terrain à ce sujet et fera des préconisations pour prendre en compte les attentes des entreprises, lors de l'examen du texte. Nous vous consulterons prochainement sur les points clés du texte El Khomri pour recueillir en direct vos réactions et vos suggestions. Co-construire ce texte ensemble, c'est le meilleur moyen de le rendre utile dans la lutte contre le chômage, qui doit absolument être notre objectif principal et partagé.
C'est vous qui créez des emplois, c'est vous qui êtes la source de richesse pour chacun de nos territoires, c'est vous qui risquez et qui innovez, et qui faites avancer la France dans l'économie mondiale. Vous pouvez en être fiers ! Ce qui est bon pour les entreprises est bon pour la France ! Le jour où chacun sera convaincu de cela, au-delà de toute posture idéologique, nous aurons fait un grand pas vers un progrès commun, au bénéfice de tous.
Jean Jaurès disait en 1890 que « le patronat a ses misères qui ne sont pas les mêmes que celles de l'ouvrier ». Plus de 125 ans plus tard, il serait temps de voir l'entreprise autrement, comme une aventure commune, où salariés et dirigeants sont embarqués ensemble et solidaires. Quand considérera-t-on que la réussite de cette aventure est l'affaire de tous, et qu'elle profite à tous ? J'aimerais que cette journée, qui vous est dédiée, y contribue. Nous vous recevons pour vous manifester notre gratitude envers l'action que vous menez au quotidien ; nous nous engageons à vos côtés pour gagner la bataille de l'emploi.
La première table ronde vous montrera la façon dont nos rencontres de terrain inspirent notre action au Sénat. Plusieurs dirigeants que nous avons rencontrés ces derniers mois présenteront quels sont les freins majeurs au développement de leur entreprise. Au nom de la délégation, je leur donnerai la réplique pour vous faire connaître quelles initiatives nous avons prises. Puis nous approfondirons nos échanges autour du thème de la simplification : la plupart d'entre vous nous avez fait sentir combien vous étouffiez sous le poids des normes réglementaires ; nombre d'entre vous n'arrivez plus à suivre le flux des nouvelles normes qui s'ajoutent ou qui modifient l'existant. Certains, même, nous ont déclaré avoir carrément renoncé, se mettant de fait hors-la-loi... Il nous a paru important de faire le point sur le choc de simplification annoncé le Président de la République en 2013, et sur la façon dont notre pays s'organise pour simplifier la vie des entreprises.
Lors du déjeuner, vous pourrez circuler librement pour nouer des contacts, puis nous profiterons du retour d'expérience de ceux d'entre vous qui sont partis faire du business outre-Manche. Vous assisterez ensuite à la séance de questions d'actualité au Gouvernement, qui a lieu chaque semaine au Sénat. Nous nous retrouverons ensuite pour une fin d'après-midi organisée avec le groupe AFNOR afin que, malgré les freins et difficultés identifiés ensemble, vous puissiez entrevoir que la réussite est possible. Plusieurs entreprises en attesteront ; leurs histoires pourront vous inspirer et vous aider à trouver vos propres clefs de réussite. Nous terminerons la journée par un moment festif, en présence du président du Sénat et du directeur général de l'AFNOR : Gérard Larcher remettra plusieurs prix à des entreprises sélectionnées par l'AFNOR pour leur performance durable et l'exemplarité de leur démarche managériale.
J'espère que chacun pourra trouver son compte dans ce riche programme, et vous souhaite une excellente et fructueuse journée.
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Chaque entrepreneur exposera les problèmes auxquels il est confronté. Vous aurez la parole, dans la salle, à la fin de chaque fin de thème pour vous exprimer et poser vos questions.
Monsieur Nicolas Aubé, vous êtes fondateur et président de Céleste, opérateur télécoms situé en Seine-et-Marne. Vous évoquerez les effets de seuils, puisque votre entreprise compte 49 salariés ; vous pourriez en recruter une dizaine de plus, mais vous restez à ce chiffre. Vous pouvez parler sans langue de bois....
M. Nicolas Aubé, fondateur et président de Céleste (Seine-et-Marne) . - Céleste est un fournisseur d'accès internet pour les entreprises, spécialiste de la fibre optique. Créée il y a 15 ans, l'entreprise connaît une croissance de 20 % par an. Nous investissons beaucoup, tout notre résultat et même plus. Nous arrivons à ce chiffre fatidique de 49 salariés ; cela fait quelques mois que nous n'arrivons pas à franchir ce seuil, et nous ne le ferons pas en 2016.
Franchir le seuil des 50 salariés a d'importantes conséquences, et d'abord, pour la représentation du personnel : nous comptons 4 délégués du personnel. Avec 50 salariés, nous devrions avoir environ 10 représentants du personnel, même si cela reste à confirmer avec la loi votée l'année dernière qui instaure la délégation unique du personnel - soit la possibilité de fusionner les délégués du personnel, le comité d'entreprise, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Nous devrions donc avoir 20 % de nos effectifs comme représentants du personnel. C'est comme si nous avions 12 millions de parlementaires pour représenter 60 millions de Français ! Cette proportion énorme n'est même pas demandée par les salariés, nous manquerons de candidats. Ce seraient des salariés protégés, ce qui serait lourd pour notre entreprise, d'autant que nous devrions faire 22 réunions annuelles avec les divers comités, même si la loi de 2015 devrait réduire leur nombre. Nous sommes deux associés, mais n'avons pas de directeur des ressources humaines. Nous devrions avoir un délégué syndical, et verser au comité d'entreprise 60 000 euros par an, qu'il ne pourrait pas reverser aux salariés. Nous devrions faire des démarches supplémentaires : une déclaration mensuelle des mouvements de main d'oeuvre, une négociation annuelle, et verser un tiers du résultat aux salariés comme participation. Depuis 10 ans, nous avons déjà mis en place un plan d'épargne d'entreprise et de l'actionnariat salarié - des bons de souscription de parts de créateur d'entreprise (BSPCE) pour les managers. Nous investissons 3 millions d'euros par an - l'intégralité de notre résultat et 2 millions d'euros empruntés. L'instauration de la participation représenterait une augmentation de salaire de 10 % pour tous les salariés. Quelle entreprise supporterait une telle augmentation ? Elle aurait le même impact pour nous que les 35 heures !
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Je pensais que vous hésitiez pour l'embauche de deux ou trois salariés, mais vous auriez besoin de 20 salariés, et vous ne les embauchez pas ! Vous ne pourrez pas passer de 50 à 100 salariés.
M. Nicolas Aubé, fondateur et président de Céleste (Seine-et-Marne) . - Nous avons besoin de ces embauches, mais nous nous retenons depuis un an, et nous n'embaucherons pas cette année.
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Vous souffrez aussi de l'insécurité juridique ?
M. Nicolas Aubé, fondateur et président de Céleste (Seine-et-Marne) . - Oui, nous ne savons pas exactement combien de représentants du personnel nous devrions avoir. Les règles sur la participation datent de 1967 ; le général de Gaulle souhaitait faire participer les salariés au capital. Au départ, la participation concernait les entreprises de 100 salariés, sans charges sociales. Aujourd'hui, elle s'applique aux entreprises de plus de 50 salariés, avec 20 % de charges en plus, et ne peut prendre la forme du don d'actions. L'esprit de la loi de 1967 a été transformé en une obligation de plus, alors que le salaire est négocié avec chaque salarié lors de l'embauche ainsi qu'à chaque négociation annuelle. Cette obligation s'ajoute au salaire prévu.
Mme Élisabeth Lamure , présidente . - Les seuils sont l'un des premiers sujets évoqués lors de nos déplacements. En Vendée, un des entrepreneurs rencontrés dirigeait quatre entreprises de 49 salariés : le choc de la réalité ! Passer ce seuil lui imposerait 35 obligations, nous a-t-il confié. Nous avons fait réaliser par l'IFO, institut de recherche allemand, une étude comparative : autant la répartition du nombre d'entreprises selon le nombre de salariés est très régulière en Allemagne, autant elle chute en France avec le seuil de 50 salariés. La France compte 2,5 fois plus d'entreprises de 49 salariés que d'entreprises de 50 salariés. Soit l'entrepreneur crée une autre société, soit il renforce la mécanisation, soit il a recours à l'intérim pour ne pas franchir le seuil.
Nous avons déposé des amendements aux projets de loi Macron et Rebsamen pour doubler ces seuils, et notamment augmenter celui de 50 à 100 salariés, sans succès. Au cours du débat avait été proposé un gel des seuils durant trois ans, mais cette mesure a disparu dans la navette parlementaire, avec un retour à la case départ. Sans doute profiterons-nous du projet de loi El Khomri pour présenter de nouveau nos propositions.
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Avez-vous des réactions ou des questions sur ce sujet ?
M. Jean-Marc Barki, président-directeur-général de Sealock . - Je suis industriel dans le Pas-de-Calais. Merci d'avoir osé briser la glace et évoquer ce tabou. Il n'y a pas que le seuil des 50 salariés ; il existe aussi des seuils à 10 ou 20 salariés. Notre seule possibilité de s'en sortir, pour passer outre les dispositions imposées par la loi, c'est d'établir des procès-verbaux de carence, ce qui peut se faire dans les entreprises qui ont un bon climat social. En France, il y a trois millions de PME de moins de 250 salariés. En moyenne, elles ont 20 salariés et font 4 millions d'euros de chiffre d'affaires : on est très loin des entreprises de taille intermédiaire. Faisons passer le premier seuil de 0 à 50 et laissons les entreprises libres de fonctionner. C'est cela la réalité !
M. Emmanuel Arnaud, président de Guest To Guest . - Je dirige une entreprise de 25 salariés. Pourquoi ne pas établir le seuil sur des critères économiques - le chiffre d'affaires ou la marge brute - plutôt que sur le nombre de salariés, ce qui incite à ne pas embaucher ? Je ne connais aucun entrepreneur qui chercherait à réduire volontairement son chiffre d'affaires ou sa marge brute !
Mme Élisabeth Lamure , présidente . - C'est une bonne idée, mais ce critère de 50 salariés répond à l'impératif du dialogue social, auquel nous sommes très attachés en France.
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Dialogue ou monologue social ? Cela dépend des fois... Mme Hélène Rouquette, vous êtes fondatrice et présidente d'IDD Biotech, entreprise du Rhône développant des anticorps thérapeutiques innovants. Vous bénéficiez du crédit d'impôt recherche (CIR), et vous en étiez très satisfaite jusqu'au moment où vous avez subi des contrôles déconnectés de la réalité...
Mme Hélène Rouquette, fondatrice et présidente d'IDD Biotech . - Le CIR est un outil extrêmement précieux pour une PME de biotechnologie, afin de lever des fonds. Mais on doit faire face à plusieurs incertitudes.
Certaines difficultés, levées depuis en partie, sont liées à son aspect déclaratif et fiscal. Désormais, le guide du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche définit bien le dispositif et le cadre des domaines concernés par le CIR. Les incertitudes viennent surtout durant le contrôle fiscal. Sur les huit ans de mes deux entreprises, j'ai eu trois contrôles fiscaux, avec à chaque reprise un focus sur le CIR. L'interprétation de ce qui relève de la recherche est aléatoire. A priori, la recherche fondamentale et la recherche appliquée sont légitimes. Mais l'interprétation du développement industriel et des essais expérimentaux est très large... Dans un premier temps intervient l'inspecteur fiscal qui, après la validation du cadre déclaratif, se retranche derrière son incompétence sur l'objet de la recherche ou sur le domaine du médicament pour demander la nomination d'un expert du ministère de la recherche et de l'enseignement supérieur. Et là, c'est la bonne ou la mauvaise pioche, en fonction de la région...
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - C'est comme pour l'inspection du travail !
Mme Hélène Rouquette, fondatrice et présidente d'IDD Biotech . - Un expert peut être légitime dans son domaine de recherche fondamentale mais parfois il ne sait rien des projets collaboratifs, des relations entre les secteurs public et privé, des expérimentations... Ainsi, il peut estimer qu'un projet est légitime dans un domaine de recherche, mais que son périmètre ou les activités liées à ce projet de recherche ne relèvent pas du CIR.
Jusqu'à présent, la situation était bloquée : impossible de dialoguer avec l'expert. C'était très frustrant, alors que la mise en place des outils de contrôle prend plusieurs jours. L'expert se retranchait derrière son expertise tandis que l'administration fiscale se retranchait derrière le dire d'expert... Un dialogue de sourds !
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Quel était l'enjeu en cas de refus ?
Mme Hélène Rouquette, fondatrice et présidente d'IDD Biotech . - Mon entreprise de recherche en région lyonnaise, avec une masse salariale de 800 000 euros, sollicite un CIR de 500 000 euros. Ma société d'exploitation commerciale, à Paris, avec 800 000 euros de masse salariale, peut demander un CIR de 100 000 euros. À titre comparatif, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) pour mes deux entreprises représente 6 000 euros. L'enjeu du CIR est essentiel. Oui, il faut garantir une bonne utilisation de l'argent public, mais il est important qu'il y ait un dialogue.
J'ai été surprise de constater qu'à aucun moment, l'administration fiscale n'a montré d'intérêt pour l'impact économique des projets bénéficiant du CIR. Ce n'est pas compliqué de prêter attention au nombre de salariés, directement ou indirectement. Nous avons créé un outil industriel indépendant !
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - C'est l'obsession de l'administration fiscale : partir à la chasse aux effets d'aubaine, dans des proportions déraisonnables...
Mme Élisabeth Lamure , présidente . - Le CIR est un dispositif loué par toutes les entreprises, qui nous demandent de ne pas le supprimer, mais de limiter ses effets pervers : les contrôles fiscaux sont certes légitimes, mais ils arrivent parfois tardivement et ne permettent pas d'échanges avec l'administration.
Le projet de loi de finances rectificatif pour 2015 a voulu rectifier le tir en créant un comité consultatif sur le CIR et le crédit d'impôt innovation, qui intervient avant la fin du contrôle fiscal pour permettre un dialogue entre l'administration et le contribuable. Notre amendement, qui demandait qu'un représentant du monde économique soit présent dans ce comité, n'a pas été retenu. Y sont seulement présents les fonctionnaires des services fiscaux ou du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. C'est extrêmement dommage.
M. Bruno Amic, directeur d'Hommes et formations . - Je suis entrepreneur dans les Bouches-du-Rhône depuis 2001. Dans les PME, nous subissons des contrôles fiscaux tant professionnels que personnels. Les contrôleurs fiscaux ont des compétences uniquement territoriales : il faudrait non seulement les former en psychologie, mais aussi remplacer la compétence territoriale par une compétence sectorielle. Environ huit contrôleurs fiscaux contrôlent les alentours d'Aix-en-Provence et de Marseille, tandis qu'on compte dans cette salle près de 40 secteurs représentés, dont nous sommes tous les experts. Qui peut imaginer qu'un contrôleur fiscal puisse être compétent sur tous les secteurs ? C'est impossible ! Il est urgent que les contrôleurs aient une compétence sectorielle, en sus d'une formation au management, à la psychologie et au monde du travail.
M. Jean-Marc Barki, président-directeur-général de Sealock . - Lors de la précédente mandature, il avait été proposé que les PME bénéficient d'une avance non remboursable dès lors que le crédit d'impôt était accepté par les services fiscaux, afin de ne pas courir le risque d'avoir à rembourser les fonds lors d'un contrôle fiscal, alors même qu'ils ont déjà été investis ! C'est bien ce qui nous est arrivé. Quand une entreprise déclare plus de 10 000 euros au titre du CIR, en effet, elle devient une cible pour le fisc. Sur 550 000 euros, celui-ci nous en a réclamé 330 000. On a fait appel, sans succès. L'État a fait valoir son privilège, ce qui a failli nous couler. Heureusement nous avions la confiance de nos banques. Nous avons embauché un cabinet d'avocats fiscalistes. Il a fait un deuxième appel. Il a reçu la même réponse que lors du premier, à la virgule près... preuve que l'instruction est à charge.
Mme Hélène Rouquette, fondatrice et présidente d'IDD Biotech . - Pour l'anecdote, nous avions demandé une contre-expertise. Elle a été faite par le même expert...
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - On constate que tous les patrons ressentent une sorte d'hostilité de la part de la puissance publique, hostilité de nature presque philosophique...
Mme Élisabeth Lamure , présidente . - L'État doit changer d'état d'esprit. L'administration doit accompagner les entreprises.
M. Nicolas Aubé, fondateur et président de Céleste (Seine-et-Marne) . - Pour ma part, je n'ai pas senti d'hostilité de la part de l'État. On peut créer une entreprise en France et être aidé, notamment par la BPI. Ne nous mettons pas de barrières psychologiques.
M. Michel Canevet , sénateur . - Le CIR bénéficie à 21 000 entreprises. Il coûte 5,6 milliards d'euros. En 2014, il y a eu 1 300 rappels fiscaux, pour un montant de 200 millions d'euros. L'administration fiscale ne fait pas la chasse aux entreprises en la matière. Il est vrai que les grandes entreprises sont davantage contrôlées que les autres, mais les principaux bénéficiaires sont les petites entreprises. Le problème est que l'on ne compte que 680 experts. C'est insuffisant.
Mme Nicole Bricq , sénatrice . - Le CIR est une dépense fiscale qui coûte 6 milliards à l'État. Il est normal de faire des contrôles. Toute niche fiscale crée des effets d'aubaine. Je voudrais attirer l'attention des entreprises sur le rescrit fiscal qui n'est pas assez utilisé. Il permet de se mettre d'accord avec l'administration fiscale sur une situation et l'interprétation des règles afférentes.
M. Bruno Amic, directeur d'Hommes et formations . - L'engagement de l'administration fiscale, c'est bien. Mais les élus devraient aussi s'engager sur une certaine stabilité, notamment fiscale, par exemple pour le régime du mandataire en matière de services à la personne : TVA, réduction horaire, etc. Le régime ne cesse d'évoluer !
M. François Laurent, directeur général de Covestro France (Hauts-de-Seine) . - Je salue l'initiative ambitieuse et pragmatique de la Délégation aux entreprises. Je suis heureux de constater la part d'entrepreneurs parmi les sénateurs ; c'est un facteur d'espoir.
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Ils y sont plus nombreux qu'à l'Assemblée nationale !
M. François Laurent, directeur général de Covestro France (Hauts-de-Seine) . - Covestro était anciennement Bayer MaterialScience. La division est devenue une société indépendante en 2015. Bayer en est l'actionnaire principal. L'apprentissage est un enjeu de société crucial lorsque le taux de chômage des jeunes atteint des taux accablants en France, à la différence de l'Allemagne, où il n'est que de 6 ou 7 %. Depuis 2012, malgré les déclarations de principe, l'apprentissage est en perte de vitesse. La Cour des comptes a aussi regretté l'échec du contrat de génération. Les causes sont multiples. D'abord, l'apprentissage est trop souvent centré sur l'obtention d'un diplôme qui ne correspond pas toujours aux besoins des entreprises. Ensuite il souffre d'une mauvaise image. Peu de relais d'opinions s'en font l'écho. Ensuite, le dispositif souffre de rigidités. En Allemagne, il est possible de quitter le système scolaire à 16 ans pour rejoindre une entreprise en apprentissage. Le président de Bayer, d'ailleurs, a commencé à 16 ans en apprentissage. En France, un apprenti peut difficilement revenir dans un parcours scolaire « noble », alors qu'en Allemagne, il peut revenir passer le baccalauréat à 19 ans. L'apprentissage y est une voie d'intégration. Les entreprises cherchent à conserver en leur sein les salariés qu'elles ont formés. Les grandes entreprises, d'ailleurs, prennent plus d'apprentis qu'elles n'en ont besoin, car ceux-ci peuvent ensuite aller travailler chez des sous-traitants.
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Que faire ?
M. François Laurent, directeur général de Covestro France (Hauts-de-Seine) . - Il faudrait travailler sur l'image, mais c'est un combat de longue haleine ! En Allemagne, l'Éducation nationale publie un fascicule de 50 pages, en allemand et en anglais, à l'attention des familles pour vanter l'apprentissage.
Mme Élisabeth Lamure , présidente . - Triste règle de trois : on compte trois fois moins d'apprentis en France qu'en Allemagne, ils coûtent trois fois plus cher, et le taux de chômage des jeunes est trois fois plus élevé ! En octobre dernier, nous avions organisé une table ronde sur l'apprentissage, qui a réuni tous les acteurs concernés. Nous avons poursuivi le travail cet hiver par de nombreuses auditions. Peu après, j'ai déposé, avec M. Michel Forissier, une proposition de loi pour favoriser le développement de l'apprentissage comme voie de réussite. Elle met l'accent sur l'insertion plutôt que sur le diplôme, demande l'engagement de toutes les parties prenantes dans un pacte définissant des objectifs nationaux à déclinaison régionale, renforce la capacité de pilotage des régions, prévoit que les programmes sont élaborés conjointement par l'État et les branches professionnelles, affirme le principe de la liberté de création de centre de formation des apprentis (CFA), rétablit des classes de préparation à l'apprentissage en quatrième et en troisième, autorise le travail de nuit des apprentis dans certaines conditions, simplifie les modalités de rupture du contrat d'apprentissage, etc. La loi sur la réforme du droit du travail est muette sur l'apprentissage. J'espère que notre proposition de loi sera inscrite bientôt à l'ordre du jour.
M. Charles Colvez, président de l'entreprise Duperrier . - J'ai été président d'un CFA. Le problème en France se situe au niveau du collège : un bon élève doit rester dans l'enseignement général ! En Allemagne il n'y a pas compétition entre l'enseignement général et apprentissage : c'est l'Éducation nationale qui s'occupe des deux.
M. Gérard Huot, président honoraire de la CCI de l'Essonne, membre du Conseil de simplification pour les entreprises . - On emploie volontiers des apprentis quand l'activité est là. Moins quand l'activité baisse...
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Mais le but de l'apprentissage n'est pas de fournir une main d'oeuvre bon marché.
M. Gérard Huot, président honoraire de la CCI de l'Essonne, membre du Conseil de simplification pour les entreprises . - Je veux dire qu'il est plus difficile de former les apprentis quand l'activité baisse. En France, l'apprentissage est considéré comme une voie de garage. Les formations ne sont pas en adéquation avec les besoins des entreprises. Je suis membre, comme Mme Nicole Bricq, du Conseil de simplification pour les entreprises. À notre initiative, les apprentis peuvent désormais travailler en hauteur, sans autorisation préalable de l'Inspection du travail ; de même une déclaration suffit pour le travail sur des machines dangereuses, sous réserve évidemment de précautions de sécurité.
M. Serge Dassault , sénateur . - On a supprimé le certificat d'études et tous les enfants vont au collège. Certains s'y ennuient. On pousse tout le monde à passer le bac. Mais le bac ne donne pas un emploi. Il est inutile si l'on ne poursuit pas des études supérieures. Or tout le monde n'est pas fait pour ça ! Résultat, 150 000 jeunes sortent sans diplôme du système scolaire, et nombre d'entre eux errent dans leur quartier. Il est temps de supprimer le collège unique et de rétablir le certificat d'études !
M. Hervé Lamorlette, directeur général d'EBM Thermique SAS (Bas-Rhin) . - Je suis directeur général de la filière française d'un groupe suisse. À vous écouter, je me sens moins seul ! Je connais bien le problème des seuils. Mon actionnaire suisse refuse de passer au-delà des 50 salariés ! Je ne lui dirai pas que nous avons été victimes des grèves dans les transports ce matin. Voilà aussi qui nuit à l'image de la France et à l'investissement des entreprises étrangères. De même, j'exagère à peine en disant que j'ai un contrôleur fiscal à demeure dans mon entreprise...
Lorsque la société s'est créée, nous avons monté un projet de valorisation du biométhane dans une petite station d'épuration. Le projet était très modeste : 200 kW, soit la puissance d'un moteur de voiture ! Il a fallu obtenir une autorisation au titre des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), faire une enquête publique, une étude risque, etc. Cela a duré un an. Il a fallu aussi obtenir une autorisation de raccordement à un réseau public d'électricité pour revendre l'électricité, faire une demande de proposition technique et financière, obtenir une convention d'exploitation auprès d'ERDF, une convention de raccordement, un contrat CARD, un certificat ouvrant droit à une obligation d'achat, une autorisation de rattachement, un contrat d'achat d'électricité, faire un dossier de déclaration auprès d'un service qui a changé, puis obtenir la validation d'un plan de comptage pour deux compteurs... Les agents d'EDF ont eu pitié et m'ont aidé à ce moment-là !
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Une administration bienveillante !
M. Hervé Lamorlette, directeur général d'EBM Thermique SAS (Bas-Rhin) . - Chaque demande représentait un nouveau dossier. Il a fallu un an et demi pour un investissement de 250 000 euros !
Un mot ensuite sur le décret Montebourg, texte attrape-tout, pris à la hâte après le rachat d'Alstom par General Electric, pour protéger les intérêts stratégiques français. Ce texte est certainement clair pour ceux qui l'ont écrit, mais non pour le profane ! Ses dispositions sont très floues. On ne sait pas si nous y sommes soumis. Faut-il une autorisation pour acheter des panneaux photovoltaïques en France ? Pour tout investissement, il est nécessaire d'interroger le ministre. Pourquoi ne pas préciser la rédaction, qui est trop large en visant toutes les filières énergétiques, ou alors fixer un seuil en-deçà duquel un investissement étranger ne requiert pas d'autorisation ministérielle ? Cela serait plus clair pour les éventuels investisseurs, qui risquent d'investir ailleurs.
Mme Élisabeth Lamure , présidente . - Malheureusement, votre exemple n'est pas une caricature. Nous croulons en France sous les normes. Nous avons rédigé deux textes, signés par une majorité des membres de la Délégation. Dans une proposition de résolution, nous invitons le Gouvernement à simplifier certaines dispositions réglementaires, et à supprimer notamment l'autorisation d'autorisation préalable pour les projets d'investissements étrangers de faible montant. Dans une proposition de loi constitutionnelle ensuite, nous proposons d'écarter la surtransposition de normes européennes et prévoyons l'application du principe britannique du « one in, one out » (pas de norme législative nouvelle sans suppression d'une norme ancienne de charge équivalente). Nous espérons l'inscription à l'ordre du jour de ces textes dans les prochains mois.
Mme Nicole Bricq , sénatrice . - Je partage vos propos sur la nécessaire simplification et je représente le Sénat au sein du Conseil pour la simplification. Je tiens à préciser toutefois que la définition des secteurs stratégiques ne date pas du décret Montebourg, mais a été définie à l'époque du gouvernement Balladur, lorsque plusieurs grands groupes français étaient sous la menace d'une OPA hostile. Il n'en demeure pas moins que le décret pourrait être clarifié.
J'attire aussi l'attention sur les procédures en matière d'urbanisme, notamment industriel ou commercial, qui durent, en France, des années, bien plus que chez nos voisins. Cela nuit à l'attractivité de notre pays.
La Délégation aux entreprises a ensuite organisé une table ronde sur la simplification pour les entreprises.
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Nous allons maintenant creuser ensemble cette question de la simplification. Le Président de la République et le Premier ministre semblent avoir donné une impulsion claire. Monsieur Huot, vous siégez au Conseil de simplification ? Où en sommes-nous ?
M. Gérard Huot, président honoraire de la CCI de l'Essonne, membre du Conseil de simplification pour les entreprises . - Le Premier ministre avait demandé, en 2014, au député Thierry Mandon de rédiger un rapport sur la simplification de l'environnement réglementaire et fiscal des entreprises. C'est dans ce cadre que j'ai été consulté. M. Jean-Luc Warsmann, lors de la précédente mandature, avait également fait des propositions. Le Président de la République s'est engagé. Depuis sa création en janvier 2014, le Conseil de la simplification, est co-présidé par un parlementaire (Thierry Mandon, puis Laurent Grandguillaume) et un chef d'entreprise (Guillaume Poitrinal puis Françoise Holder). La moitié de ses membres vient de l'entreprise, l'autre est constituée de personnalités issues de l'administration. Nous avons créé des ateliers traitant des moments clefs de la vie des entreprises et déjà formulé plus de 200 propositions ; seules 53 % ont été mises en oeuvre à ce jour, à cause des lourdeurs administratives...
Mme Lamure a évoqué le « one in, one out ». En fait, les Anglais sont déjà passés « au one in, two out » ! Notre première mesure était de poser le principe selon lequel une nouvelle norme ne devait s'accompagner d'aucune charge nouvelle. C'est très difficile à faire accepter ; l'administration ne veut pas que l'on mette le nez dans ses affaires. Nous avons aussi voulu créer un « comité d'impact entreprises », à l'image des comités similaires qui existent en Allemagne ou en Angleterre, où des chefs d'entreprise accompagnés d'experts évaluent le coût des normes. Ce fut un tollé dans les ministères, si bien qu'a finalement été créé un « atelier impact entreprises » qui ne peut faire connaître ses remarques directement au public et se borne à faire remonter ses remarques à l'administration...
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Un « tollé » de qui ?
M. Gérard Huot, président honoraire de la CCI de l'Essonne, membre du Conseil de simplification pour les entreprises . - Plusieurs ministres sont montés au créneau, craignant un ralentissement de leur action, alors même que l'on ne note aucun retard en Allemagne et en Angleterre, où a été mise sur pied une évaluation préalable des normes sur le modèle du « Standard cost model » .
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - En somme, il ne faudrait pas ralentir l'usine à fabriquer des lois !
M. Gérard Huot, président honoraire de la CCI de l'Essonne, membre du Conseil de simplification pour les entreprises . - Oui, alors qu'il faudrait plutôt commencer par vider le stock de normes. Toutefois, il y a aussi eu des avancées : le rescrit fiscal, le principe selon lequel silence vaut accord, la non-rétroactivité des textes fiscaux, etc. Enfin, je voudrais citer l'exemple d'un grand patron issu de l'apprentissage : M. Jean-François Dehecq, ancien patron de Sanofi.
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Merci. Monsieur Arnaud, vous considérez que l'herbe n'est pas plus verte ailleurs ?
M. Emmanuel Arnaud, président de Guest to Guest, membre du groupe de travail «Innover & Collaborer » du Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP) placé sous l'autorité du Premier Ministre . - Absolument. Merci tout d'abord pour l'organisation de cette journée. Toutefois, autant je suis heureux que cet évènement ait lieu, autant je me demande ce qui se passe le reste de l'année. Ma femme m'a dit qu'elle ressentait la même chose le 8 mars... Plus sérieusement, en tant qu'entrepreneur du web , je dois souligner que les créateurs de start-up sont bien aidés en France. Cessons de croire que tout est meilleur ailleurs. La Silicon valley est une exception. Toutefois, même si la volonté de simplifier est là, je suis inquiet. Notre capacité à produire de la complexité est beaucoup plus forte que notre capacité à simplifier.
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Les structures sur la simplification sont déjà très complexes : Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP), chargé de simplifier le stock de normes, secrétariat général du gouvernement qui traite les normes nouvelles, Conseil de simplification pour les entreprises, etc.
M. Emmanuel Arnaud, président de Guest To Guest . - En effet, il y a des blocages à tous les niveaux : ministères, Urssaf, experts, etc. Chaque niveau peut créer de la complexité. Celle-ci pèse plus sur les petites entreprises que sur les grandes qui ont les moyens financiers de la gérer. Il serait bon de faciliter les échanges entre les décideurs et les représentants des petites entreprises et leurs réseaux, comme le Réseau entreprendre, auquel j'appartiens. Au sein du SGMAP, il y a des échanges. Mais le numérique, qui offre des possibilités d'échanges asynchrones, pourrait faciliter la remontée des remarques et des suggestions du terrain. Ensuite, il faut que le processus de décision politique se modernise pour incarner lui-même la simplification. J'invite tous les parlementaires à venir dans ma start-up pour se familiariser avec des processus de décision beaucoup plus souples et incarner la simplification. J'ai déjà accueilli des représentants de grandes entreprises.
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Êtes-vous satisfait de la qualité des travaux au sein du SGMAP ?
M. Emmanuel Arnaud, président de Guest To Guest . - Oui. Nos interlocuteurs au sein de l'instance sont très motivés, et font venir les représentants idoines de Bercy, de la Banque publique d'investissement et d'autres organismes ; mais ils manquent de soutien. Et ils ne sont pas assez nombreux. Les amendements sur les seuils, sur le CIR ont été retoqués, comme l'a rappelé Mme Lamure. Il n'y a pas de lobby assez puissant pour défendre la simplification. Beaucoup d'acteurs ont intérêt à la complexité. Les pratiques de ceux qui prônent la simplification doivent aussi être simples...
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Monsieur Fabrice Ivara, vous avez signé une tribune remarquée dans les Échos intitulée « Dix propositions pour simplifier la vie des entreprises ». Quelles sont les plus urgentes ?
M. Fabrice Ivara, cofondateur de l'agence d'e-reputation Reputation Squad . - Cette tribune n'exprimait que le ressenti d'un entrepreneur qui emploie une cinquantaine de salariés. En commençant par ce qui fonctionne, je dois reconnaitre que la fluidité du parcours de création d'entreprise en France n'a rien à envier à nos voisins allemands ou anglais. Pour l'apprentissage, c'est tout autre chose : je dois payer 1 550 euros bruts pour un apprenti diplômé d'une école de commerce de niveau moyen et présent les deux tiers du temps. En surplus, nous devons verser un complément pour la formation. Il est hors de question pour un entrepreneur de payer, en équivalent temps plein, plus de 2 000 euros pour un apprenti !
Quant au CDD, il me semble complètement inutile. Les entreprises ne sont pas des monstres ! On pourrait s'accorder avec un salarié sur un CDI pour six mois ou un an - et sans faire un rapport à la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) - et lui verser une indemnité à son départ. Cela fonctionne très bien dans certains pays.
Sujet peu abordé, l'immobilier est un véritable enfer pour une start-up qui, en atteignant cinq ou six salariés, doit quitter son incubateur. Entre les frais d'agence et les garanties diverses, ce sont quinze mois de loyer qu'il faut débourser. C'est presque impossible.
Le seuil de création d'une délégation du personnel au-delà de vingt salariés est aussi un frein au développement pour des sociétés comme les nôtres, où la moyenne d'âge est très basse. C'est un système d'un autre âge ; il faudrait porter le seuil à deux cents.
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Les pistes de simplification évoquées par les autres intervenants vont-elles dans le bon sens ?
M. Emmanuel Ivara, cofondateur de l'agence d'e-reputation Reputation Squad . - Oui, mais nous ne voyons rien arriver... Le ratio des charges sociales sur les salaires est de 42 %, comme il y a quinze ans. Nous embauchons des bac + 7 pour gérer la paperasse administrative, et même eux ont du mal ! Tout le monde souhaite évoluer vers un système proche de ceux de l'Allemagne ou de l'Angleterre ; au moins, nous ne croyons plus être les meilleurs... Mais rien ne se passe.
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Je me tourne maintenant vers ceux qui ont mis en oeuvre cette simplification, pour qu'ils nous fassent part de leur retour d'expérience : Jean-François Rime, vous présidez le comité directeur de l'Union suisse des arts et métiers.
M. Jean-François Rime, président du comité directeur de l'Union suisse des arts et métiers . - Merci pour votre invitation. Moi-même ancien industriel, j'ai trois fils dirigeants d'entreprise. Notre gouvernement a engagé un effort de simplification voici quelques années avec la création du Forum PME, un groupement d'industriels co-présidé par un représentant du Département d'économie et par moi-même qui se réunit quatre à six fois par an pour discuter des avant-projets ou projets de loi soumis au Parlement. Notre fonctionnement bicaméral diffère du vôtre, si bien qu'une loi qui n'est pas votée en termes identiques dans les deux chambres est abandonnée, à l'exception du budget. Mais la charge administrative augmente encore. Les entreprises se plaignent moins des lois elles-mêmes que des ordonnances d'exécution, qui alourdissent cette charge administrative : ainsi de la loi sur les produits alimentaires, avec ses ordonnances de trois mille pages. L'administration fait valoir que c'est nécessaire pour reprendre en partie les réglementations de l'Union européenne, tout particulièrement pour les entreprises de l'alimentaire qui exportent dans l'Union.
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Les 80 pages du code du travail suisse cachent-elles les mêmes complexités ?
M. Jean-François Rime, président du comité directeur de l'Union suisse des arts et métiers . - Notre code du travail a conservé une certaine mesure. Nos relations avec les centrales syndicales, que je rencontre régulièrement, sont plutôt bonnes. De manière générale, les négociations se déroulent au niveau de contrats collectifs de branche, qui prennent force obligatoire s'ils réunissent plus de 50 % des entreprises et 50 % des salariés syndiqués.
L'un de nos sénateurs, Jean-René Fournier, demande la création d'un organisme pour analyser l'impact des nouvelles lois. Nous avons aussi demandé un droit de regard du Parlement sur les ordonnances. Nous voudrions enfin introduire un système de compensation des nouvelles charges analogue à celui du Royaume-Uni, le « one in, one out » devenu « one in, two out » .
M. Serge Dassault , sénateur . - Les syndicats et les étudiants qui manifestent aujourd'hui contre la loi El Khomri n'ont rien compris : ils croient que l'on n'embauche que pour mieux licencier, alors que les entreprises cherchent avant tout à se développer ! La flexibilité est indispensable : sans avoir la possibilité de licencier, elles n'embaucheront pas. Les États-Unis - qui comptent 5 % de chômeurs - ont des contrats de projet, où l'on embauche pour une tâche précise, de manière limitée dans le temps.
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Les questions de la flexibilité et de la complexité se rejoignent-elles ?
M. Gérard Huot, président honoraire de la CCI de l'Essonne, membre du Conseil de simplification pour les entreprises . - Pas tout à fait. Le Conseil de la simplification s'attaque avant tout aux lourdeurs et complexités administratives, alors que la réflexion sur la flexibilité aborde les questions de seuils et d'encadrement des licenciements.
M. Jean-François Rime, président du comité directeur de l'Union suisse des arts et métiers . - L'embauche et le licenciement bénéficient en effet, en Suisse, d'une certaine flexibilité, même si je ne suis pas favorable à une absence totale de règles. Il est significatif qu'en Suisse alémanique, les prudhommes aient beaucoup moins d'affaires à traiter qu'à Genève ou Neuchâtel, où travaillent de nombreux transfrontaliers...
Je suis cependant choqué lorsque des entreprises cotées en Bourse décident, pour des raisons de rentabilité, de licencier plusieurs milliers de personnes, comme le Crédit suisse dernièrement. Dans ma petite ville, où tout le monde se connaît, les patrons de PME ne licencient que lorsqu'ils y sont obligés.
M. Olivier Cadic , sénateur . - Sénateur représentant les Français hors de France, j'ai établi mon entreprise au Royaume-Uni voici vingt ans. Les bonnes intentions se heurtent parfois à la réalité de terrain : on a étendu la durée de validité de la carte d'identité de dix à quinze ans, mais comme cela n'apparaît pas sur les cartes en cours de validité, les problèmes se sont multipliés à l'étranger...
Le travail de simplification prend l'allure d'un bêtisier de l'administration. Lorsque mon entreprise était encore installée en France, je disais au fonctionnaire chargé de m'assister qu'il m'aidait avec mon argent... La simplification devient elle-même compliquée. Au lieu de réduire à une ou deux le nombre d'aides aux entreprises, on a créé un logiciel sur lequel les entreprises, en fonction de leur localisation géographique, pourront calculer le montant auquel elles ont droit... Combien de temps ce logiciel sera-t-il à jour ?
Vous l'avez dit, pour certains lobbies, la complexité est un business . Sénateur entrepreneur, je parle la même langue que vous ; mais la politique est plus complexe que les affaires. Après avoir rencontré les entrepreneurs dans toute la France, nous avons souhaité les faire venir au Sénat. Vous demandez à être compris ; je souhaiterais de mon côté que les entrepreneurs comprennent le monde de la politique. Ainsi, nous avancerons tous ensemble.
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Ce ne serait pas le premier logiciel mis en échec par les complexités de l'administration !
M. Gérard Huot, président honoraire de la CCI de l'Essonne, membre du Conseil de simplification pour les entreprises . - Le déploiement de ce logiciel, « Aide publique simplifiée », a été bloqué ; nous sommes en train le retravailler. Il faut signaler que les conseils départementaux ne clarifient pas toujours leurs systèmes d'aides...
M. Emmanuel Arnaud, président de Guest To Guest . - Faute de pouvoir simplifier le fond, on simplifie l'interface. C'est déjà un progrès, mais c'est aussi une déception.
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Le médecin soigne-t-il réellement, ou se contente-t-il de calmer la douleur ?
M. Alain Gargani, Président de la CGPME des Bouches du Rhône . - Je suis entrepreneur et président de la CGPME des Bouches-du-Rhône depuis trois ans. Tous les jours, nous essayons de faire bouger les lignes. Nous avons fait venir des parlementaires pour passer une journée à la place d'un chef d'entreprise. Un sénateur sur cinq a été entrepreneur ; mais y a-t-il une véritable volonté politique ? La loi El Khomri comporte des mesures de bon sens comme le plafonnement des indemnités de licenciement, la clarification des règles du licenciement économique. Ce matin, je n'ai entendu que des propos de bon sens, mais sans volonté politique, nous n'y arriverons pas.
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Les PME sont les grandes perdantes de la dernière mouture du projet de loi. Le problème n'est-il pas l'absence de maîtrise du jeu politique par les petits entrepreneurs, face aux syndicats ou même au Mouvement des Entreprises de France (Medef) ?
M. Alain Gargani, Président de la CGPME des Bouches du Rhône . - Tout le monde est perdant... Indéniablement, les entrepreneurs ont un temps de retard sur les syndicalistes. Ce n'est pas leur métier. Cela ne nous empêche pas de nous exprimer, mais nous ne sommes pas entendus. Les TPE-PME représentent plus de quinze millions d'emplois, les grands groupes seulement quatre millions. Essayons d'insuffler l'énergie nécessaire à nos sénateurs.
M. Jean-Claude Luche , sénateur . - Je suis, moi aussi, un sénateur passé par l'entreprise. Je préside également le conseil départemental de l'Aveyron, qui emploie 1 700 agents. Le Premier ministre a décidé la revalorisation du point d'indice des fonctionnaires après avoir passé, nous dit-il, cinq heures de négociation avec les syndicats. Les dirigeants de collectivités n'ont pas été conviés... La mesure coûte 579 000 euros à mon département, soit un point de fiscalité. Ceux qui défilent aujourd'hui dans la rue, avec le coût que cela représente pour la collectivité, ont été mobilisés par les syndicats. Nos jeunes se laissent entraîner par méconnaissance... La ministre du travail voulait bien faire, mais une nouvelle occasion de répondre à vos préoccupations, vous qui générez du PIB et de la croissance, a été manquée. Ce sont les collectivités et les entreprises qui en pâtissent, et le chômage qui progresse.
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - Et ceux qui défilent ne sont pas les plus touchés par la réforme...
M. Karim El Boudali, fondateur, directeur associé de Collectibus . - Un chef d'entreprise a vocation à créer de la valeur ajoutée, pas à faire de l'administratif. Or nous y passons beaucoup de temps. Les jeunes, monsieur Dassault, sont plus sages que vous ne le pensez. Ils manifestent parce qu'ils ne rêvent plus. Nous nous heurtons aux arcanes des institutions - Sénat, Assemblée nationale, conseils départementaux. Et parfois à un défaut de formation : les fonctionnaires auxquels nous avons affaire sont rarement au fait et peuvent être mutés d'un service à l'autre, ils ne nous comprennent pas et nous perdons un temps précieux qui devrait être consacré au chiffre d'affaires et à la recherche de clients.
Inutile de chercher à copier les Allemands ou les Anglais : les mentalités sont différentes, l'exemple des transfrontaliers en Suisse le montre. Mieux nous serons armés, mieux l'on nous aidera. Je ne crois pas, comme un autre intervenant, qu'il soit facile de créer une entreprise en France. Petites ou grandes sociétés, nous avons tous les mêmes difficultés. Avec toutes ces complexités, on est en train de tuer notre marché.
M. Jean-Marc Barki, président-directeur-général de Sealock . - En France, le financement des syndicats est disproportionné au regard de leur poids réel. Un grand nombre de PME n'ont pas besoin de représentation syndicale : ce n'est pas une question de mauvaise volonté. Le système est-il plus souple en Suisse ?
M. Jean-François Rime, président du comité directeur de l'Union suisse des arts et métiers . - Le taux de syndicalisation est bas en Suisse. C'est dans la construction qu'il est le plus élevé. Le cadre de nos relations sociales est plus proche du modèle allemand : les syndicats sont largement représentés au Parlement et nous avons des contacts réguliers avec eux, en particulier depuis la crise du franc fort. Les syndicats veulent avant tout éviter les baisses de salaires et garantir l'emploi, ce qui est normal. En revanche, leur revendication d'une protection supplémentaire pour les plus de 50 ans me paraît contre-productive et dangereuse.
M. Fabrice Beillevaire, directeur de la Fromagerie Beillevaire UK Ldt . - Après avoir fait mes classes au sein de la PME familiale, dans l'Ouest de la France, je suis parti en Angleterre où j'ai beaucoup appris. On parle de simplification, mais on oublie le mot « essayer ». Les lois ne sont pas appuyées sur des expérimentations. Nous connaissons tous la méthode projet : quand on veut tester un produit, on l'essaie dans un département ou une région, avant de lancer le développement. Pourquoi ne pas baser nos lois sur des faits ?
M. Emmanuel Lechypre, journaliste à BFM Business . - La simplification figure dans tous les programmes politiques. Est-ce une volonté durable, qui survivra au gouvernement actuel ?
M. Gérard Huot, président honoraire de la CCI de l'Essonne, membre du Conseil de simplification pour les entreprises . - L'engagement de la majorité précédente a déjà été conforté par le Président de la République. Je ne peux faire de prédiction, mais l'attente est telle que nous ne pouvons la décevoir.
M. Emmanuel Arnaud, président de Guest To Guest . - J'imagine mal un candidat élu sur un programme de complexification et d'alourdissement des charges !
L'instabilité et l'insécurité sont des facteurs de complexité. Les prudhommes s'apparentent à une loterie ; les entreprises ne savent pas ce qu'il adviendra du crédit impôt recherche. Même dans un objectif d'allègement, les changements réguliers de réglementation aggravent la complexité. Quant à l'expérimentation, j'y suis personnellement tout à fait favorable.
M. Jean-Vincent Placé, secrétaire d'État à la réforme de l'État et à la simplification . - Je suis d'autant plus heureux d'être parmi vous que vous savez combien la maison Sénat m'est chère.
Portons un regard pragmatique sur la simplification. Faisons preuve de bon sens et d'efficacité, au-delà des clivages politiques. Mes prédécesseurs, François Baroin et Valérie Pécresse comme Marylise Lebranchu, Thierry Mandon et Clotilde Valter, avaient les mêmes préoccupations. La plupart des pays européens ont désormais un ministre chargé de la simplification. Face à la mondialisation, ce n'est pas seulement une nécessité budgétaire. Nous nous sommes emparés de ce thème autrefois peu familier à la gauche. La montée des pays émergents, dont certains sont déjà émergés, nous oblige à adopter une vision stratégique. D'où le choc de simplification voulu par le Président en mars 2013.
Je vous le dit sans ambages, je ne compte pas réinventer ma fonction. C'est vous qui connaissez les blocages, les difficultés. Le Conseil de simplification, qui réunit quatorze chefs d'entreprise et plusieurs parlementaires, produit de très nombreuses propositions qui, tous les six mois, sont mises en oeuvre après une annonce du Président ou du Premier ministre. C'est un travail complexe qui nécessite des arbitrages à haut niveau politique ; or nous nous heurtons parfois à des pesanteurs, des habitudes dans certaines administrations... C'est le tonneau des Danaïdes. Mon travail consiste à inciter les ministres à faciliter, à leur niveau, la vie des entreprises.
Nous avons présenté, au total, environ 420 mesures de simplification dont 70 % ont été mises en oeuvre. L'un de mes objectifs consiste à supprimer le stock restant. Une fois la mesure validée en réunion interministérielle puis annoncée, elle est rendue effective par la loi, par ordonnance ou par décret, parfois après un long délai.
Ce travail n'est peut-être pas assez visible, mais nous avons fait beaucoup : le rescrit roulant, la clarification des règles de propriété intellectuelle, l'allègement des normes fiscales et comptables, les marchés publics simplifiés, la non-rétroactivité fiscale, le développement, très attendu, du rescrit de branche, le titre emploi service entreprise (Tese) en sont quelques exemples. Il convient de traiter les PME, PMI et TPE de manière plus différenciée. Nous introduisons des éléments de simplification dans chaque texte en discussion.
Nous avons aussi simplifié les règles de qualification professionnelle, adopté la déclaration sociale nominative et assoupli la procédure d'emploi des apprentis en matière de travaux dangereux. Nous souhaitions aligner les horaires des apprentis sur ceux des employés, mais la mesure n'a pas abouti. Les normes de construction ont fait l'objet d'un travail important de Guillaume Poitrinal, premier co-président du Conseil de simplification. En matière de réglementation thermique, de parkings, les efforts ont été nombreux. Construire un local de vélo est désormais plus simple. L'extension de petites surfaces ne nécessite plus une étude thermique complexe et coûteuse.
L'effort doit aussi venir des parlementaires qui ont tendance à multiplier les amendements, alourdissant ainsi les textes.
Nous poursuivons, avec le Conseil national d'évaluation des normes, la réflexion sur la diminution des normes appliquées aux collectivités territoriales.
Le Président et le Premier ministre sont directement impliqués dans ce travail. À l'étranger, Matteo Renzi en a fait une priorité absolue. Avant la fin de l'année, la fusion des régions, la transformation numérique, la dématérialisation des procédures de neuf formalités administratives sur dix auront été menées à bien. Le portail unique de l'administration en ligne, France Connect, sera simplifié et participatif. On pourra désormais recevoir ses documents d'identité à domicile au terme d'une procédure dématérialisée. Plutôt que le coup de rabot général, nous avons choisi la déconcentration, à travers le numérique et la proximité. Les maisons de services au public, implantées dans les territoires ruraux et les banlieues populaires, seront très utiles aux entreprises. Un État plus efficace, proche, rapide, innovant : voilà ce que nous proposons.
Nous poursuivons la promotion des idées innovantes avec le médiateur des entreprises, Pierre Pelouzet. Le crédit impôt recherche sera maintenu, avec peut-être un traitement différencié des PME et PMI.
Il a toujours été difficile de réformer à l'approche des échéances électorales ; nous avons choisi de continuer le travail. Au mois de juin, les trois ans du choc de simplification seront l'occasion d'un retour sur expérience et d'une auto-évaluation. Nous voulons savoir si vous percevez la réalité de notre action. Nous avons mis au point une méthode fondée sur la remontée du terrain, et une mise en place effective aussi vite que possible. Quelle que soit la prochaine majorité, nous espérons qu'elle perdurera.
L'économie sociale et solidaire représente 10 % de nos emplois : elle ne sera pas laissée de côté. Les start-up , en particulier celles du numérique, feront l'objet de plusieurs mesures du projet de loi El Khomri. Enfin, l'économie verte est un sujet majeur. Il faut sept ans pour construire une éolienne, contre trois ans en Allemagne. J'ai missionné sur ce dossier le député Denis Baupin qui rejoindra le Conseil de la simplification pour les entreprises. Soucieux d'entendre les acteurs, je vais rencontrer Jean-Louis Bal, président du syndicat des énergies renouvelables, qui me fera part de ses idées.
Je veux vous être utile, vous aider à gagner de l'argent et à créer des emplois. Nous nous tournons vers les acteurs et tentons d'adopter ainsi la méthode de participation mise en oeuvre au sein du groupe Dassault : un tiers des bénéfices pour le patron, un tiers pour les salariés et un tiers pour l'investissement. C'est aussi ce que je vous souhaite pour cette année.
Puis, la Délégation aux entreprises a organisé un déjeuner d'échanges entre entrepreneurs français, installés au Royaume-Uni ou implantés sur le territoire national.
M. Olivier Cadic , sénateur des Français de l'étranger . - Comme vous le savez sans doute, la délégation aux entreprises parcourt la France pour comprendre les préoccupations et les difficultés des entreprises et tenter de faire évoluer la législation. Nous nous sommes également rendus à Londres en avril dernier pour rencontrer les entreprises francophones installées de l'autre côté de la Manche.
Je suis moi-même entrepreneur depuis plus de vingt ans. J'ai développé mon entreprise et je l'ai revendue. J'ai par la suite réinvesti cet argent dans d'autres projets ; aujourd'hui, Lucky Luke en anglais, c'est moi. Lors de notre visite à Londres, nous avons été accueillis par Arnaud Vaissié, que je qualifierais de Richard Branson français, et à qui je laisse la parole.
M. Arnaud Vaissié, président directeur général d'International SOS . - Bonjour à tous. Lorsque je suis parti en Grande-Bretagne, le pays connaissait les mêmes difficultés que nous aujourd'hui ; c'était un pays bloqué.
À la suite de Margaret Thatcher, Tony Blair, Gordon Brown ou David Cameron, ont mis l'entreprise au coeur du système, comme le dit le think tank le Cercle d'Outre-Manche.
Il faut changer la relation entre l'administration et le privé. Il faut aussi faire en sorte que les syndicats s'intéressent à l'entreprise et non plus seulement aux salariés, et diminuer la dépense publique. Il y a ainsi en Grande-Bretagne, trois fois plus d'entreprises, par rapport à la France, qui valent plus de 100 millions de dollars dans le domaine de la technologie. Il n'y a donc aucune fatalité ; la France peut repasser devant la Grande-Bretagne d'ici cinq ans.
M. David Blanc, associé chez Vestrawealth et président de l'UFE Corporate GB . - J'ai traversé la Manche en 1994, à l'âge de 24 ans, comme des dizaines de milliers de jeunes ont pu le faire. Il n'est d'ailleurs pas anodin qu'il y ait 400 000 Français à Londres. Pour éviter cette fuite, il faut aider les jeunes Français en France qui se lancent dans l'aventure de l'entrepreneuriat. Comme nous l'avons identifié au sein de la section britannique de l'Union des Français de l'étranger, dont Olivier Cadic fut président, la réussite au Royaume-Uni tient à la règle des 3F : facilité (de création de l'entreprise), flexibilité (des contrats), fiscalité (entre 0 et 10 %). Concernant ce dernier point, l'administration britannique est pragmatique, et il existe un véritable dialogue avec les organismes fiscaux d'outre-manche, qui aident les entreprises.
M. Fabien Suant, avocat, directeur de CBC Legal . - Je suis arrivé à 20 ans en Angleterre, sans avoir l'envie d'entreprendre. Ce n'est qu'à la suite d'opportunités et de facilités que je me suis lancé dans l'aventure. L'entreprise est une prise de risques et attend un soutien des autorités administratives mais également des citoyens. En tant qu'entrepreneurs, nous n'avons pas peur de prendre des risques, nous en sommes même assez heureux. Nous sommes heureux de venir au travail, et nous devons faire en sorte que ce sentiment soit partagé.
M. Olivier Cadic , sénateur . - Un soutien plus important de la part de l'administration serait effectivement le bienvenu. Aujourd'hui, nous avons plutôt, en France, le sentiment d'avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête lorsqu'arrivent les contrôles fiscaux. Les entreprises ont toujours une certaine crainte lorsqu'il s'agit d'entrer en rapport avec l'administration, tant à cause de cette épée de Damoclès, que du fait du manque de visibilité à long terme du à un environnement incertain.
Mme Patricia Connell, directeur général de France in London . - Je suis arrivée en 1980, à 20 ans, à Bristol en Angleterre. J'ai eu l'impression d'arriver dans un pays du Tiers-Monde, où l'hygiène et la qualité des restaurants étaient déplorables. Depuis, un changement impressionnant a eu lieu. France in London est ma cinquième société. Elle existe depuis 18 ans et n'emploie que des jeunes Français qui ont fait de grandes écoles. Les horaires au sein de l'entreprise sont assez fluides et flexibles ; il arrive parfois que l'on ne prenne pas de pause déjeuner car notre travail en décide autrement. Il est très facile de créer une société sans apport, en 2 jours. Mais surtout, lorsque l'on appelle les impôts, on peut véritablement leur demander des conseils sans qu'il y ait derrière une suspicion de leur part.
M. Fabrice Beillevaire, directeur de la Fromagerie Beillevaire UK Ldt . - En 2010 a eu lieu le début de l'aventure en Angleterre. Notre boutique fût un échec ; elle n'était pas adaptée au marché local. Nous nous sommes alors remis en cause et dirigés vers un développement autour des hôtels de luxe. Paradoxalement, l'échec est bien vu en Angleterre, il fait partie du processus d'apprentissage.
Mais d'autres différences existent avec la France. Nous avons construit un bâtiment en France, et acheté une vieille fabrique en Angleterre. En France, nous n'avons toujours pas le numéro d'agrément, bien que le bâtiment soit neuf et que nous ayons reçu une visite de l'administration sanitaire. En Angleterre, nous avions assez peu de moyens suite à notre échec, mais l'administration nous a accompagnés de manière régulière pour la constitution et l'avancement de notre dossier et en nous fournissant périodiquement des rapports. La question de nos maigres finances n'a pas été un obstacle et nous avons reçu l'agrément un an plus tard, alors même que c'était un bâtiment ancien. Cependant, il ne faut pas désespérer, la France dispose de grands atouts pour faire face aux défis qui se présentent.
M. Arnaud Vaissié, président directeur général d'International SOS . - Le système d'accompagnement des entreprises britanniques devrait d'ailleurs leur permettre de réussir mieux qu'elles ne le font actuellement. Je dirais qu'il y a finalement assez peu d'écarts entre la France et la Grande Bretagne. Ce qui fait la différence est qu'en France, il y a un fort intérêt pour le produit. En Angleterre, l'intérêt est porté à la transaction elle-même. Le lien entre le salarié et l'entreprise est également moins fort. D'autres défauts pèsent sur la Grande-Bretagne ; il pleut, la vie y est plus chère, et le système de santé, trop centralisé, ne fonctionne pas.
M. Olivier Cadic , sénateur . - Merci à tous pour vos témoignages. Il ne s'agit pas aujourd'hui de dire que « c'est mieux en Angleterre », il s'agit de montrer les différences qui peuvent exister entre nos deux pays. Et de ne pas oublier que la Grande-Bretagne est notre meilleur client.
Après que les entrepreneurs ont assisté en tribune à une séance de question d'actualité au Gouvernement dans l'hémicycle du Sénat, la Délégation aux entreprises a organisé une table ronde sur les facteurs du succès, selon plusieurs entreprises performantes, en partenariat avec le groupe AFNOR, distributeur en France du modèle EFQM ( European Foundation for Quality Management ).
Animation : M. David Ascher, directeur des publications Actu-Environnement.com et Environnement & Technique, modérateur.
M. David Ascher, modérateur . - Notre table ronde est consacrée au modèle EFQM ( European Foundation for Quality Management ), un outil de management, utilisé par plus de 30 000 organisations en Europe pour améliorer leurs performances. Selon ses concepteurs, il s'agit d'un outil d'excellence, qui encourage les organisations à devenir des structures agiles, mieux adaptées aux rigueurs du contexte économique mondial actuel. Monsieur Jean-Luc Grisot, vous êtes un chocolatier à succès. Cette méthode vous a-t-elle aidé ?
M. Jean-Luc Grisot, directeur général de Valrhona . - Absolument. Je tiens tout d'abord à remercier Madame Lamure de nous accueillir en ces lieux. La délégation aux entreprises était déjà venue visiter nos locaux à Tain-l'Hermitage. Depuis 15 ans nous avons adopté le modèle d'auto-évaluation généralisé de l'EFQM. Nos collaborateurs sont heureux, tout comme nos clients et nos actionnaires, car les résultats sont là. L'EFQM n'est pas un simple business plan uniquement destiné à gagner des parts de marchés, mais une manière de placer l'humain au coeur de l'entreprise, de donner du sens à son action. Les entreprises utilisant ce modèle ont de meilleurs résultats que les autres. On a commencé il y a 15 ans à nous auto-évaluer pour progresser. Puis on a eu recours à des consultants. Nous nous évaluons sans cesse. Chaque année, nous fixons une priorité et procédons à une enquête, sur la base de questionnaires que nous adressons à nos collaborateurs, à nos clients, à tous nos partenaires, comme peut en témoigner Gilbert Bouchet, sénateur de notre département. Dès qu'un problème est identifié, nous travaillons ensemble à l'améliorer avec des plans d'action, dans un cercle d'amélioration continue.
M. David Ascher, modérateur . - Vous procédez par sondages ?
M. Jean-Luc Grisot, directeur général de Valrhona . - Il s'agit plutôt d'une auto-évaluation exhaustive des parties prenantes. On décline ensuite un plan d'action grâce aux réponses des questionnaires. Les résultats sont là et le chiffre d'affaires a été multiplié par quatre en 15 ans sans demander d'aides à personne. Si toutes les entreprises utilisaient ce modèle, on compterait en France davantage d'entreprises de taille intermédiaire (ETI). De même, nous figurons depuis six ans au palmarès Great place to work, où nous sommes classés 12 e .
M. David Ascher, modérateur . - Weave est un cabinet de conseil stratégique en passe de devenir une ETI.
M. Didier Rousseau, président de Weave . - Weave est un cabinet de conseil ; on considère qu'il fait partie des « licornes » françaises. L'entreprise a presque la taille d'une ETI. Nous avons voulu créer une entreprise innovante, libérée, agile, sans cadre. L'évolution a été rapide. L'équipe est passée de deux personnes à 250 collaborateurs. Il a fallu développer un management résilient. L'EFQM est une méthode intéressante grâce à son mode d'évaluation à 360 degrés. Nous avons pu nous faire évaluer par des tiers. Les résultats ont été bons tout de suite car la démarche était inhérente à notre projet. Mais nous avions besoin d'un regard tiers. Beaucoup d'entreprises oublient la culture de l'exploration au détriment de la culture d'exploitation. Or il importe sans cesse d'étudier les évolutions de son univers concurrentiel, d'anticiper les tendances de demain, les nouveaux entrants même si ceux-ci viennent d'autres univers - voyez Booking et Airbnb pour Accor par exemple. Notre métier est d'accompagner nos clients en la matière. Mais pour ce faire il nous fallait une construction résiliente et une culture d'exploitation résiliente. L'EFQM permettait de nous évaluer à cet égard. De plus, après discussion avec les experts d'EFQM, nous avons compris que nous devions mieux incarner l'innovation. C'est pourquoi nous avons décidé d'ouvrir une plateforme à San Francisco, haut lieu de l'innovation, où nous envoyons pendant plusieurs mois nos consultants pour se former.
M. David Ascher, modérateur . - Qu'appelez-vous une entreprise libérée ?
M. Didier Rousseau, président de Weave . - Mieux vaut courir dans le désordre que marcher dans l'ordre ! C'est une entreprise qui n'est pas bureaucratique, où les gens ont le pouvoir. Nous n'avons ainsi pas de direction des ressources humaines. Pour compenser, nous avons besoin d'un référentiel et d'un cadre partagés.
M. Jean-Luc Grisot, directeur général de Valrhona . - Valrhona aussi est une entreprise libérée, c'est-à-dire une entreprise qui permet aux individus d'exprimer leur personnalité dans l'entreprise, quel que soit le poste, d'agir, comme on le dit, avec la tête, le coeur, les « tripes » !
M. David Ascher, modérateur . - Les nuances semblent minces entre vous !
M. Jean-Luc Grisot, directeur général de Valrhona . - La différence est qu'à mon avis la présence d'une direction des ressources humaines est importante, ainsi que la hiérarchie. Les managers ont un rôle important, ce qui ne signifie pas qu'ils se limitent à donner des ordres top-down .
M. Didier Rousseau, président de Weave . - Chez nous, les managers sont avant tout des capteurs tenaces du sensible. Pour être efficaces, ils doivent disposer de la plénitude de leurs attributions. Je le vois dans les ETI et les grands groupes : l'enjeu est de remettre de la vitesse dans la chaine de décision. L'entreprise libérée responsabilise l'ensemble des collaborateurs. Weave n'a pas de salariés mais des personnes qui vivent une expérience au sein de l'entreprise et s'y enrichissent. Pour faire travailler ensemble des designers, des data-miners, des consultants, il faut une intelligence collective, un cadre partagé. Le modèle EFQM y contribue grâce à une sémantique commune, des enquêtes à 360 degrés, tout en laissant une grande liberté à chacun.
M. Philippe Bernand, président du directoire de l'aéroport de Lyon Saint-Exupe'ry . - Mon entreprise évolue dans un cadre très régulé, comme chacun le sait. Notre défi était de faire progresser l'entreprise en libérant les énergies. Pour cela il fallait conduire nos experts à travailler ensemble, à prendre en compte les conséquences de leurs décisions sur les autres divisions, sur les clients, sur l'environnement, etc. L'EFQM est apparu comme un vecteur de changement et le personnel a adhéré. Ma fille qui a étudié aux États-Unis me dit que la principale différence est que là-bas, à l'école, l'accent est mis sur ce que les élèves font de bien, alors qu'en France on met l'accent sur ce qu'ils ne font pas bien. L'EFQM participe de la même démarche. Il faut d'abord s'appuyer sur les talents qui existent au sein de l'entreprise. Mieux vaut en effet courir de travers, que ne pas bouger. Ce faisant, peu à peu on progresse et on avance.
M. David Ascher, modérateur . - Existe-t-il un club des entreprises utilisant l'EFQM ? Comment échanger-vous les bonnes pratiques ?
M. Jean-Luc Grisot, directeur général de Valrhona . - Il y a beaucoup d'échanges entre entreprises. Les évaluateurs sont d'ailleurs souvent des entrepreneurs, même s'ils peuvent exercer dans d'autres secteurs d'activité. Le benchmark est au coeur de l'EFQM.
M. Philippe Bernand, président du directoire de l'aéroport de Lyon Saint-Exupe'ry . - On ne perd jamais son temps à voir ce qui se passe ailleurs. Lorsque nous avons installé un centre de commandement opérationnel, nous sommes allés voir comment avaient fait d'autres aéroports, mais aussi la RATP, Vinci, les entreprises de la Défense, etc.
M. Patrick Meillaud, directeur économique de Robert Bosch, Usine de Rodez . - La philosophie de l'EFQM est share what works. L'échange des bonnes pratiques est fondamental. On gagne toujours à aller voir ce qui se passe dans d'autres structures, même celles qui exercent dans des environnements différents.
M. David Ascher, modérateur . - Dans une entreprise, les profils, les compétences, les niveaux de qualification, les responsabilités sont variées. Comment faire pour que chacun adhère à la démarche ?
M. Philippe Bernand, président du directoire de l'aéroport de Lyon Saint-Exupe'ry . - Toutes nos décisions résultent d'une double démarche à la fois top-down et bottom-up . De la sorte chaque collaborateur s'approprie le sens des décisions car il a participé à leur élaboration. Résultat, aux aéroports de Lyon, 80 % des collaborateurs se déclarent heureux.
M. David Ascher, modérateur . - Vos collaborateurs restent-ils plus longtemps que la moyenne dans vos entreprises ?
M. Patrick Meillaud, directeur économique de Robert Bosch, Usine de Rodez . - Chez nous, les collaborateurs sont tellement bien que nous devons insister pour les convaincre d'accepter des mobilités ! Il est vrai que nous sommes installés à Rodez, dans une région avec un enracinement local très fort. Le taux de fierté et de satisfaction s'établit à 89 % !
M. David Ascher, modérateur . - L'excellence de Bosch à Rodez est reconnue. Vous recevrez bientôt une récompense à ce sujet. Comment l'expliquez-vous ?
M. Patrick Meillaud, directeur économique de Robert Bosch, Usine de Rodez . - Notre site est avant tout une usine de production. Le bureau d'études est très réduit. Nous n'avons pas de commerciaux, ni de marketing. Nous sommes tributaires des décisions du groupe. Le secteur automobile est très concurrentiel, surtout en Europe de l'Ouest. C'est pourquoi nous devons trouver des solutions pour être attractifs. Le modèle EFQM ne fournit aucune solution directement mais nous incite à travailler ensemble, avec tous les collaborateurs, pour en trouver, définir en commun des lignes directrices, des axes d'action, travailler selon une logique de cause à effet pour identifier ce qui a fonctionné, ce qui peut être amélioré. Nous fabriquons un moteur diesel de haute technologie. 60 millions ont été investis sur le site l'an dernier. C'est important. Mais les bons ingénieurs ne suffisent pas à faire travailler ensemble les salariés. L'EFQM est une aide indispensable, au même titre que dans un cabinet de conseil, constitué de consultants experts en nouvelles technologies, comme Weave ! Même dans notre usine, le travail des ressources humaines a considérablement évolué, au-delà des aspects juridiques, de la définition du temps de travail ou des contrats de travail.
M. David Ascher, modérateur . - Votre univers est plus normé que celui du consulting.
M. Patrick Meillaud, directeur économique de Robert Bosch, Usine de Rodez . - Sans doute. Il est vrai qu'il faut tenir compte de l'avis des représentants du personnel, ou des collectivités car nous sommes le premier employeur privé de la région. Toutefois tout un volet, auparavant assuré par la DRH, a été transféré aux managers comme la gestion de la motivation ou des conflits. Notre directeur des ressources humaines aime mesurer la qualité du climat social au nombre des questions lors des réunions des institutions représentatives du personnel. La DRH peut faire remonter des questions, des inquiétudes, mais laisse aux managers le soin d'agir.
M. David Ascher, modérateur. - M. Christian Etchebest, vous êtes le chef cuisinier de quatre restaurants et encadrez 50 personnes. Quel est votre regard sur l'EFQM, vous qui êtes le seul à ne pas l'appliquer, dans un secteur d'excellence ?
M. Christian Etchebest, chef cuisinier. - Je ne connaissais pas ce modèle, mais lorsque j'ai vu le descriptif, il m'a semblé que je l'avais développé naturellement. Mon histoire est différente : j'ai arrêté l'école très jeune, mais je me suis donné des objectifs élevés et les moyens de les atteindre. Je me suis installé il y a 18 ans, mais j'ai attendu neuf ans pour ouvrir mon deuxième restaurant ; à 28 ans, j'ai réfléchi aux moyens de développer mon entreprise. Mon rôle est de transmettre la valeur travail, pour moi très importante. C'est grâce au travail et à la rigueur que je pouvais sortir du lot. L'excellence sans travail ni rigueur est impossible. Dans ce monde qui va si vite, mes entreprises sont familiales : 50 salariés dans quatre structures. C'est plus facile pour moi de manager 50 salariés grâce à cette proximité.
M. David Ascher, modérateur. - Vous avez voulu remettre de l'humain dans la structure ?
M. Christian Etchebest, chef cuisinier. - L'humain sera au coeur de l'entreprise de demain. Si chaque salarié est content et fier, il aura de l'ambition pour lui et pour l'entreprise. Dans ce métier manuel, nous avons des rapports directs... Le développement de mon entreprise passera par l'humain. Dans l'hôtellerie-restauration, j'ai pour modèle la maison Ricard : à chaque fois que vous les rencontrez, ils ont le logo sur eux, ils sont fiers de la culture de leur entreprise. Je veux que mes salariés soient fiers de travailler pour la Cantine du Troquet, alors qu'il existe 26 000 restaurants à Paris ; nous remplissons nos salles !
M. David Ascher, modérateur. - M. Grisot, est-ce la même chose dans votre secteur ?
M. Jean-Luc Grisot, directeur général de Valrhona. - M. Etchebest est quelqu'un de valeur car c'est un client Valrhona depuis 18 ans! Tout ce qu'il dit est intéressant et fondé sur le bon sens ; c'est cela l'EFQM : une clef de succès pour réussir demain, l'amour du métier et de ses clients, le fait de vouloir garder ses collaborateurs... Je suis particulièrement satisfait qu'on présente ces salariés qui travaillent 24 heures sur 24.
Au palmarès Great Place to Work des entreprises de plus de 500 personnes, on compte deux entreprises de l'ancienne économie sur vingt. C'est important, comme l'indique M. Meillaud, d'avoir ce niveau d'engagement avec de nombreux cols bleus. C'est beaucoup plus facile d'obtenir l'adhésion de cols blancs que d'ouvriers qui font le job au quotidien. Je salue particulièrement cette performance.
M. Patrick Meillaud, directeur économique de Robert Bosch, Usine de Rodez. - L'immense majorité des personnes qui travaillent ne sont pas des entrepreneurs mais des salariés des entrepreneurs. Il faut trouver des moyens pour que la motivation perdure, alors que parfois ils travaillent quarante ans à la chaine....
M. Christian Etchebest, chef cuisinier. - Ils doivent comprendre qu'ils ont une place importante dans l'entreprise. Sans nos salariés, nous ne sommes rien du tout ! Il faut les remettre au coeur de l'entreprise ; j'y crois dur comme fer.
M. David Ascher, modérateur. - M. Meillaud, un des principes de la méthode EFQM est de prendre en compte l'ensemble des parties prenantes. Vous avez 1 600 salariés ; n'est-ce pas trop lourd à gérer ?
M. Patrick Meillaud, directeur économique de Robert Bosch, Usine de Rodez. - Notre motivation va bien au-delà des opérateurs. EFQM est une aide mais attention à ne pas faire peur à nos collaborateurs avec des mots compliqués. Trouvons le moyen de concrétiser les choses. In fine , il faut clarifier les lignes directrices, donner du sens au travail, afin que la personne comprenne quelle est sa place et comment fonctionne l'organisation. Je dois donc trouver des relais pour atteindre les 1 600 personnes et m'investir pour toucher tout le monde.
Même si nous avons plutôt un fonctionnement standardisé du travail, nous avons travaillé sur la responsabilisation des collaborateurs, en réduisant le nombre de signatures, en élevant les seuils de validation, et en donnant à chacun la possibilité d'influencer son travail : nous réunissons des groupes de pairs, avec un animateur - et non chef - , travaillant ensemble sur un sujet pendant un temps dédié, et nous nous astreignons à valoriser ce travail qui est source d'amélioration. Chacun peut être le moteur de l'amélioration.
M. David Ascher, modérateur. - Avez-vous évalué le nombre de personnes qui travaillent, dans votre entreprise, selon le modèle EFQM ? Cela concerne-t-il plutôt le service qualité ou le service hygiène, sécurité et environnement ?
M. Patrick Meillaud, directeur économique de Robert Bosch, Usine de Rodez. - Certains sont plus impliqués dans l'animation ou le questionnement, mais tout le monde est concerné par la démarche. L'essentiel est de ramener du concret, de réfléchir à nos méthodes et de résoudre les problèmes.
M. David Ascher, modérateur. - Qui répond aux questionnaires ?
M. Jean-Luc Grisot, directeur général de Valrhona. - C'est 100 % des salariés, dans une démarche d'amélioration continue... Notre travail est de créer les conditions pour rendre les salariés davantage acteurs de leur métier.
M. David Ascher, modérateur. - À la place d'un chef d'entreprise, quelles équipes mettriez-vous en place pour appliquer le modèle EFQM ?
M. Jean-Luc Grisot, directeur général de Valrhona. - Il faut quitter l'habit de chef d'entreprise et faire preuve d'humilité, faire davantage confiance aux collaborateurs et à l'organisation. N'ayez pas une démarche descendante, sinon vous porterez le risque d'échec.
M. Didier Rousseau, président de Weave. - Nous travaillons en communauté, en co-construisant des modèles spécifiques. Nous avons gagné un contrat important sur le big data des entreprises pour le ministère de l'économie, grâce à un pool avec Polytechnique, l'École de guerre et l'Ifop, afin d'apporter des réponses via un prototype et non un classique diaporama de diapositives. Plus qu'une seule personne en charge de l'EFQM, il faut des gens et des communautés qui l'incarnent. L'économie du partage génère d'autres types de fonctionnement : nous ne ferons plus jamais d'offre seuls. Ces communautés ont dû transférer l'ensemble des éléments de l'EFQM à chaque personne.
L'innovation est un point important de l'EFQM. Désormais, certains développeurs ont des coachs , extérieurs à l'entreprise, qui gèrent leur carrière et négocient leur employabilité. Maintient-on l'employabilité du salarié ? Cela passe par le positionnement. Or l'innovation de l'EFQM est un élément d'efficience pour l'entreprise : le 360 degrés, intéressant, nous interroge sur des notions fondamentales. Le monde a vraiment bougé, dans tous les secteurs d'activité. Désormais, vous êtes attendus comme un gladiateur dans chacune de vos actions. Dans l'agroalimentaire, nous travaillons dans le B to C , avec des start-up d'agriéconomie bouleversant le modèle coopératif français.
M. David Ascher, modérateur. - Le modèle EFQM, qui fidélise ses collaborateurs, est-il plus intéressant que l'intéressement financier ? L'a-t-il remplacé, est-il complémentaire ?
M. Philippe Bernand, président du directoire de l'aéroport de Lyon Saint-Exupe'ry. - La récompense des collaborateurs méritants par l'argent était le seul modèle jusqu'ici. Il a atteint son terme. Dans de nombreux cas, le modèle EFQM donnera aux salariés l'envie de rester mais surtout de grandir, d'augmenter leur valeur personnelle et donc leur contribution à l'entreprise grâce au modèle EFQM. À quoi cela sert-il de fidéliser ses collaborateurs s'ils n'apportent aucune valeur à l'entreprise ? On leur fait découvrir des choses nouvelles, on leur permet de s'exprimer, de partager leurs nouvelles idées et d'innover. Ils sont capables de le faire, de gravir des marches, certes de gagner en employabilité, mais surtout de progresser. C'est un excellent moteur.
M. David Ascher, modérateur. - M. Etchebest, innovez-vous en cuisine ?
M. Christian Etchebest, chef cuisinier. - C'est un métier reposant sur l'échange. Mes sous-chefs ont des expériences professionnelles qu'ils ont acquises ailleurs. Nous faisons ensemble les essais, sinon personne ne voudrait rester. La transmission est importante dans ce métier. On m'a beaucoup transmis, et à 47 ans, mon rôle est de transmettre. Je ne vais pas enfermer les gens chez moi ! Ils travaillent deux ans pour moi, ensuite je leur trouve un autre employeur, parfois un chef avec une ou deux étoiles Michelin, selon leur niveau... Et lorsque mes bras droits peuvent grimper, je m'associe avec eux pour monter une affaire et les aider.
M. Pierre Casoli, fondateur d'Emball'iso. - Je dirige une structure dans la production, qui doit respecter de nombreuses normes. Le modèle EFQM se marie-t-il bien avec ces normes ?
M. Patrick Meillaud, directeur économique de Robert Bosch, Usine de Rodez. - EFQM n'est pas une norme : il ne dit pas quoi faire, mais incite à se poser des questions et à trouver les réponses dans chaque situation. Motiver les salariés par le salaire n'a pas la même réponse selon le contexte. C'est peut-être l'outil à activer pour des data specialists avec un coach, qui ont de fortes attentes, et qui hésitent à rester un an de plus. Dans l'industrie, cela marche différemment : on ne donnera pas d'augmentations de salaires suffisantes pour sécuriser nos collaborateurs. Nous devons trouver d'autres voies.
M. David Ascher, modérateur. - Êtes-vous certifié Iso 9 000 ou Iso 14 000 ?
M. Jean-Luc Grisot, directeur général de Valrhona. - Bien sûr : nous respectons de nombreuses normes : Iso 9 000, Iso 14 000, Iso 18 000... Elles font progresser l'entreprise. EFQM est davantage sur les objectifs stratégiques et la remise en cause du sens de l'entreprise.
M. David Ascher, modérateur. - C'est donc un modèle complémentaire et non opposé aux normes ?
M. Jean-Luc Grisot, directeur général de Valrhona. - Tout à fait.
M. Philippe Bernand, président du directoire de l'aéroport de Lyon Saint-Exupe'ry. - Sur le coût d'EFQM, c'est aussi une question de priorités. Nous avons fait le choix de l'EFQM - en temps et en argent - , et renoncé à nous faire certifier Iso 14 000 ; nous l'assumons, sans pour autant dénigrer la certification Iso 14 000.
M. David Ascher, modérateur. - En tant que spécialiste de l'environnement, renoncer à Iso 14 000 m'interpelle. Prenez-vous en compte l'environnement ?
M. Philippe Bernand, président du directoire de l'aéroport de Lyon Saint-Exupe'ry. - Un aéroport ne peut imaginer se développer sans maitriser ses impacts environnementaux, et Lyon est en avance dessus. C'est juste un choix entre toutes les certifications possibles.
M. Patrick Meillaud, directeur économique de Robert Bosch, Usine de Rodez. - Je note une différence fondamentale entre les deux systèmes : alors que l'auditeur cherche les écarts à la norme ou les manques, pour le modèle EFQM, c'est l'inverse ; il identifie les bonnes pratiques. À vous de lui montrer ce que vous faites, vos objectifs, la manière dont vous résolvez les problèmes...
M. Didier Rousseau, président de Weave. - Il faut de la croissance économique. Nous avons un métier uniquement de services et de prestations intellectuelles. Nos grands donneurs d'ordres nous demandent de respecter des normes, car sinon cela les dégrade dans leur propre notation et impacte leurs taux d'emprunt - même s'ils sont faibles actuellement. Quelle serait la meilleure norme ? Pour beaucoup de nos donneurs d'ordre, c'est naturellement l'EFQM car ils sont intégrés dans notre système d'analyse et de mesure de notre efficacité.
M. Bruno Lebreton, producteur et négociant en vin au domaine de la Jasse. - Mon domaine de Montpellier est évalué selon l'Iso 26 000, ce qui est important car nous sommes régulièrement interrogés sur l'utilisation des pesticides ou le coût de la consommation d'alcool pour la Sécurité sociale. J'ai choisi cette norme car j'exporte quasiment toute ma production et c'était une norme internationale. Quelle différence de reconnaissance internationale et d'efficience faites-vous entre Iso 26 000 et l'EFQM ?
M. Jean-Luc Grisot, directeur général de Valrhona. - Nous réalisons 60 % de notre chiffre d'affaires à l'international. Nous ne recherchons pas tant à être reconnu internationalement qu'à nous remettre en cause régulièrement. Notre principal concurrent, une compagnie internationale belgo-américano- suisse que vous connaissez tous, 130 fois plus grande que nous, fabrique du chocolat. Nous sommes dans une autre philosophie : nous faisons du sourcing responsable, travaillons avec nos approvisionneurs, considérons nos salariés différemment, et aimons nos clients. Chaque année, nous emmenons un groupe de clients et de collaborateurs dans nos plantations, pour leur montrer notre action sur le terrain. Au bout de trois jours, ils nous félicitent pour ces démarches mais surtout pour l'engagement humain et la confiance dans nos collaborateurs, au-delà du produit. L'EFQM permet de mettre en avant ces sujets davantage que les normes. Par ailleurs, nous sommes certifiés pour beaucoup de normes Iso, ce sont des moyens de progresser et de s'autoévaluer.
M. Patrick Meillaud, directeur économique de Robert Bosch, Usine de Rodez. - Iso 26 000 n'est pas une norme au sens où beaucoup l'entendent, elle n'est pas restrictive. C'est une liste de pratiques des entreprises dans le domaine du développement durable. À Rodez, le développement durable fait partie de l'ADN de Bosch, entreprise qui porte une énorme responsabilité comme premier employeur privé, avec un nombre important de fournisseurs et d'emplois induits. Cette norme aide à interroger les pratiques, en disant ce qu'il est possible de faire. C'est un peu plus difficile de trouver des personnes pour venir contrôler ce que vous faites en bien avec l'Iso 26 000. AFNOR le fait, je crois.
M. Jean-Luc Grisot, directeur général de Valrhona. - La norme internationale pour le développement durable, et notamment pour les Anglo-Saxons, est davantage B Corp ( Benefit Corporation ) qu'Iso 26 000.
M. David Ascher, modérateur. - Selon un cabinet spécialisé en EFQM, le taux d'absentéisme atteint 3,70 % dans les entreprises ayant cinq étoiles à l'EFQM, contre une moyenne française de 4,26 % ; le turn over 3,68 % dans ces entreprises, contre 13,70 % en moyenne française. Selon une enquête du groupe La Poste, le taux de satisfaction des collaborateurs s'élève à 72 % pour les entreprises cinq étoiles, contre 67 % en moyenne française. L'impact de l'EFQM est donc important.
M. Patrick Meillaud, directeur économique de Robert Bosch, Usine de Rodez. - Grâce à l'EFQM, les collaborateurs sont impliqués et trouvent du sens. Les représentants du personnel et les syndicats font partie de la vie de l'entreprise. Nous sommes dans un groupe allemand, avec une culture de coopération avec les représentants du personnel. En France, les difficultés ne viennent pas de l'existence des syndicats, mais de leur multiplicité : ils se font concurrence, multipliant les promesses démagogiques et recherchant l'électeur sur le terrain. Pour nous, c'est toujours difficile de présenter à nos dirigeants en Allemagne un accord social et de voir le lendemain une grève menée par un autre syndicat...
M. Jean-Luc Grisot, directeur général de Valrhona. - Vous avez invité cinq secteurs différents et qui se portent bien. Cela incite toutes les entreprises, pour retrouver de la croissance, à prendre du temps et à s'engager : nous réussissons mieux que les autres, avec plus d'engagement de nos collaborateurs et un turn over plus faible. C'est la chance de la France : nous avons un modèle qui nous aide à réussir. Ce serait facile de travailler ensemble pour battre l'Allemagne et l'Italie, sans quémander d'aides gouvernementales. Pourquoi attendre le Crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), qui ne fait que compenser d'autres taxes ? Aux politiques de réduire les charges, pour atteindre un taux de prélèvements obligatoires de 46 % comme l'Allemagne, et à nous de nous développer pour combattre tout en cherchant dans nos entreprises les solutions qui nous conviennent.
M. Didier Rousseau, président de Weave. - Dans mon entreprise, la moyenne d'âge est de 30 ans. L'EFQM n'est qu'un outil, les chefs d'entreprise doivent avoir une vision de leur entreprise qu'ils mesureront ensuite avec l'EFQM. L'EFQM n'aidera pas à devenir plus performant. La croissance se fonde sur un positionnement, une envie de gagner et de croître... Notre travail est de donner aux collaborateurs cette capacité d'évolution : elle passe par la croissance et la capacité à ouvrir de nouveaux chemins.
Nous serions déjà satisfaits d'un turn over de trois ans, car nous sommes en compétition avec des start-up . Notre niveau d'employabilité et notre positionnement sont de nature à conserver plus ou moins longtemps nos salariés. Mais nos clients achètent une marque qui justifiera que même si nous intégrons de nouvelles personnes, nous conservons un même niveau de services. C'est la vision incarnée qui permettra de l'atteindre, et l'EFQM encadre cette vision.
M. David Ascher, modérateur. - Faut-il une certaine pérennité de la direction pour réussir l'EFQM ?
M. Jean-Luc Grisot, directeur général de Valrhona. - Cela peut aider, mais l'EFQM est l'affaire de tous.
M. Patrick Meillaud, directeur économique de Robert Bosch, Usine de Rodez. - Bosch a une vraie culture d'entreprise, qui augmente la fidélité de ses salariés : il n'est pas difficile de substituer des managers dans le groupe car ils retrouvent rapidement leurs repères. La stabilité peut aider mais elle n'est pas un prérequis. Un apport de sang neuf et de nouvelles idées est aussi bénéfique. Notre moyenne d'âge et l'ancienneté dans l'entreprise sont parfois élevées et un frein au changement ; nous travaillons beaucoup sur ce sujet.
Avant Rodez, je travaillais en Chine, avec de nombreux jeunes sans expérience. Ils compensaient cela par une absence d'appréhension à tester des choses. Comme le disait Mark Twain, « ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait. » C'est un équilibre à trouver.
L'EFQM incite aussi à prendre en compte les attentes de toutes les parties prenantes, améliorer les points les plus faibles et à s'appuyer sur ses forces. Oui, la France a des défauts, mais aussi des forces. Le Royaume-Uni est surtout orienté sur les transactions et non sur les produits ; notre force, ce sont les compétences techniques, un niveau de qualité produit quasi irréprochable, qui doit être mis en avant - sans être arrogant. N'ayons pas peur de valoriser nos atouts !
M. Didier Rousseau, président de Weave. - La langue française nous donne une très bonne analyse de la sémantique. Les Américains viennent chez nous pour savoir comment mettre en place des modèles sémantiques. Nous avons aussi des atouts dans le secteur des jeux vidéo pour mixer graphisme et littérature. La France a de nombreux talents, mais peut-être est-ce parce que je rencontre de nombreuses start-up que j'y suis sensible...
Comment passer de la start-up à l'entreprise de taille intermédiaire ? Ce niveau manque dans notre système industriel ; nos start-up sont régulièrement absorbées par d'autres entreprises, notamment internationales, qui récupèrent l'innovation.
M. David Ascher, modérateur. - La France a de nombreuses qualités et compétences ne demandant qu'à être catalysées et développées par le modèle EFQM. N'hésitez pas à contacter le groupe AFNOR pour en savoir plus.
Enfin, la Délégation aux entreprises a entendu les interventions de MM. Gérard Larcher, Président du Sénat et Olivier Peyrat, Directeur général du groupe AFNOR, à l'occasion de la remise des prix EFQM, avant de clôturer cette journée par un cocktail.
M. Gérard Larcher, Président du Sénat. - Madame la Présidente de la délégation aux entreprises, chère Élisabeth Lamure, Mes chers collègues Sénateurs, Monsieur le Directeur général du groupe AFNOR, cher Olivier Peyrat, Mesdames et Messieurs les chefs d'entreprise et représentants des entreprises, Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de vous accueillir en cette fin d'après-midi dans ces salons de la Présidence du Sénat, pour clore cette journée des entreprises en remettant des diplômes reconnaissant la qualité managériale et la performance de 17 entreprises.
Je tiens à remercier Élisabeth Lamure, la présidente de notre délégation aux entreprises, d'avoir organisé cette journée, qui permet de poursuivre les échanges que vous avez pu avoir avec les sénateurs lorsqu'ils sont venus sur vos territoires.
En vous accueillant ce soir, je veux vous redire l'importance que les sénateurs accordent aux entreprises et à leur développement. Je veux à cet égard saluer l'action qu'Élisabeth Lamure a menée avec ses collègues depuis seize mois pour relayer au Sénat les préoccupations des entrepreneurs, leurs attentes et, parfois, leur impatience.
Je peux aussi porter témoignage que c'est l'approche de nos commissions.
Nous avons entendu de nombreux chefs d'entreprise exprimer leur impatience de voir le carcan normatif se desserrer afin de pouvoir travailler de manière libre et responsable ! Élisabeth Lamure l'exprimait cet après-midi.
Vous nous avez interpellés au travers d'une phrase très simple, mais très forte : « faites-nous confiance ! ».
Par ces propos, c'est la manière même dont est conçue l'action publique que vous, chefs d'entreprise, avez amené la délégation à interroger.
En effet, la confiance n'est pas un slogan ! Elle ne se décrète pas mais elle se construit. Et je suis convaincu qu'elle doit être la matrice de notre action publique en faveur des entreprises, car elle est la clé de la croissance. Sans confiance, nous ne parviendrons pas à atteindre le niveau de croissance auquel nous pouvons prétendre !
Au fond, vous partagez cette revendication avec les élus locaux, avec les maires, qui nous demandent eux-aussi de leur faire confiance, de simplifier et de stabiliser les règles et leurs compétences, afin qu'eux-mêmes puissent investir.
C'est donc tout à fait naturellement que le Sénat a engagé des travaux d'écoute des acteurs et de simplification des normes applicables tant aux entreprises qu'aux collectivités territoriales, qui vont se poursuivre dans les prochains mois.
Ce ne sont pas deux univers qui s'opposent, bien au contraire. Une étude récente commandée par la délégation aux entreprises a d'ailleurs analysé les pratiques des collectivités territoriales pour accueillir et soutenir le développement des entreprises de taille intermédiaire.
Là encore, bien plus que le montant des aides financières qui peuvent être accordées, c'est un besoin de simplification et de personnalisation qui ressort de cette étude.
Donc un besoin d'une plus grande confiance et d'une relation plus qualitative, plus réactive, pour permettre une meilleure compétitivité globale de notre économie.
Renforcer la compétitivité de notre économie, c'est un axe majeur des travaux du Sénat, texte après texte. L'an dernier, la compétitivité a ainsi été au coeur de nos préoccupations lorsque nous avons examiné le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. Puis nous nous sommes mobilisés lors de l'examen projet de loi dit « Macron ».
Nous avons également préparé de nombreuses propositions de loi, dont l'une spécialement consacrée à la compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire, qui traversent aujourd'hui de profondes difficultés dans les secteurs de l'élevage.
Dans les prochaines semaines, nous retrouverons cet enjeu lors de l'examen du projet de loi « travail ». L'avant-projet de loi contenait des propositions intéressantes. Le projet définitif a été très largement allégé de sa substance utile. Mais notre responsabilité, au Sénat, sera d'essayer de lui redonner un peu de perspectives en dépassant les postures.
Le temps presse car, mois après mois, nous n'assistons pas à l'inversion tant promise de la courbe du chômage, mais bel et bien à sa croissance.
Pendant que nous ne réformons pas, les autres pays de l'Union européenne, eux, avancent. Et ils obtiennent des résultats. Les exemples allemands et italiens sont là.
Il y a donc urgence à agir et j'espère que l'examen de ce projet de loi permettra un dialogue constructif entre le Sénat et le gouvernement. De notre côté, nous y sommes prêts !
Mais l'amélioration de la compétitivité de l'économie passe aussi par l'organisation propre des entreprises et par un mode de gestion des ressources humaines adapté.
C'est d'ailleurs cet objectif qui avait conduit à la création, il y a 28 ans, de la Fondation européenne pour le management par la qualité. Elle a permis le développement du modèle EFQM qui va nous conduire, dans quelques instants, à distinguer certains chefs d'entreprise.
Une étude conduite par la banque d'investissement Oddo a mis en évidence le lien entre qualité du management et performance boursière. De nombreux articles ont également été publiés pour alimenter les réflexions sur le management par la qualité et la performance.
Mais rien ne vaut les exemples concrets, en fonction des expériences et des profils des entreprises. C'est donc très volontiers que j'accueille la remise des diplômes EFQM dans ces salons de Boffrand, aux côtés d'Élisabeth Lamure.
Ce modèle d'évaluation permet à la fois de se comparer à d'autres entreprises et de prendre en compte les spécificités propres à chacune. Il a le mérite de souligner la place centrale des collaborateurs et du management dans la réussite de l'entreprise.
Il nous rappelle ainsi que l'entreprise est d'abord une aventure humaine, avec ses forces et ses faiblesses : elle peut produire d'excellents résultats si le chef d'entreprise suit un cap clair qu'il sait partager à ses équipes et à ses clients.
Assurément, ces fondamentaux peuvent aussi servir la conduite de l'action publique !
Je suis donc certain que les exemples et les échanges que nous aurons ce soir nous seront très profitables, à vous les chefs d'entreprise, mais aussi à nous les responsables publics.
Ensemble, visons l'excellence pour la France !
Je vous remercie.
M. Olivier Peyrat, Directeur général du groupe AFNOR . - Je vous remercie, Monsieur le Président, de nous accueillir au Sénat pour la remise des prix EFQM, « European Foundation for Quality Management », dont AFNOR est l'interlocuteur en France. Il est exceptionnel qu'une des plus hautes personnalités de l'État ainsi que des sénateurs témoignent de leur préoccupation et intérêt pour ce qui fait la performance des organisations, privées pour l'essentiel, mais également publiques.
Vous appelez de vos voeux, Monsieur le Président, une simplification du cadre administratif et normatif applicable aux entreprises. Nous partageons cette préoccupation. Car, si notre spécialité à l'AFNOR, ce sont les normes, il s'agit de normes volontaires. Ce sont, par exemple, les formats MP3 et JPEG ou le chargeur universel de téléphonie qui offrent à leurs usagers des dispositifs facilement interopérables.
Le nombre de normes que nous gérons -environ 30 000- ne grossit pas. En effet, nous en supprimons régulièrement sans état d'âme. Ainsi, tous les cinq ans, nous organisons une sorte de grande « votation », comme diraient nos amis suisses, pour décider du sort à réserver à ces normes. Ce sont les entreprises et les citoyens du monde entier qui se prononcent.
Par ailleurs, nous sommes régulièrement en contact avec M. Alain Lambert, ancien sénateur de l'Orne, qui préside le Conseil national d'évaluation des normes. Privilégier les normes volontaires, plutôt que les normes obligatoires, qui, contrairement aux premières, ne sont pas susceptibles d'adaptation ou d'ajustement, nous paraît relever d'une démarche gagnant-gagnant à encourager.
L'AFNOR est au service de tous ceux qui -comme le Sénat- sont à l'écoute du territoire et de ses acteurs ; nous pensons avoir un rôle à jouer. Les résultats suivants en témoignent d'ailleurs puisque, selon une étude du BIPE, les entreprises qui s'impliquent dans les travaux de normalisation ou qui achètent des normes pour les utiliser connaissent une croissance de chiffre d'affaires annuel de 20 % et de 19 % à l'export. Au total, ce sont 15 milliards d'euros de chiffre d'affaires supplémentaire directement attribuable aux normes volontaires chaque année. Il faudrait établir la comparaison avec les normes réglementaires et en tirer les conclusions qui s'imposent.
Nous sommes ici réunis autour d'organisations, d'entreprises qui n'ont pas attendu que croissance et performance tombent du ciel. Elles se sont mobilisées, ont analysé leur écosystème, pris en compte les besoins de toutes les parties prenantes à leur activité et défini les moyens de les satisfaire. Elles ont trouvé des solutions pour se dépasser alors même que leurs résultats étaient déjà bons ; elles se sont améliorées grâce au parangonnage. C'est tout l'intérêt de l'outil EFQM, qui existe depuis plusieurs décennies. Il est compatible avec les normes internationales et permet de donner confiance en matière de qualité, d'environnement, de sécurité, de management et de responsabilité sociétale. L'EFQM présente comme intérêt de donner une trajectoire de gouvernance.
Je tiens à remercier plusieurs des personnes qui, chacune à leur manière, ont contribué et contribuent encore à faire connaître et à expliquer ce modèle : Xavier Quérat-Hément, Marc Bazinet, Robert Dapère, Patrick Iribarne, Stéphane Verdoux... Cette remise de prix est une très belle occasion d'honorer les démarches gagnantes et de faire en sorte que toutes les entreprises puissent s'engager sur cette voie. C'est presque une démarche politique.