D. COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 17 MARS 2016, SUITE AU DÉPLACEMENT EN SAÔNE-ET-LOIRE LE 7 MARS 2016

Mme Élisabeth Lamure, présidente . - Mes chers collègues, nous allons commencer par le compte-rendu de notre récent déplacement en Saône-et-Loire, un département très industriel. Avant de donner la parole à notre Jérôme Durain qui nous y a accueillis, je vous propose de regarder la vidéo retraçant notre déplacement, élaborée par la direction de la communication du Sénat et accessible sur le site internet du Sénat.

[Diffusion de la vidéo]

Cela donne une idée vivante de ce qu'a été notre déplacement.

M. Jérôme Durain . - Je voudrais d'abord vous remercier, Madame la Présidente, d'avoir retenu la Saône-et-Loire pour ce déplacement de la Délégation et remercier tous ceux qui ont contribué à la bonne réussite de cette journée dont le programme était dense et qui s'est bien déroulée. Lundi 7 mars, une dizaine de sénateurs de notre délégation se sont donc rendus en Saône-et-Loire. J'ai eu ainsi l'honneur de recevoir avec vous, Madame la Présidente, Guillaume Arnell, Henri Cabanel, Michel Canevet, Jacky Deromedi, Eric Jeansannetas, Patricia Morhet-Richaud et Claude Nougein. Nos collègues Marie Mercier et Jean-Paul Emorine, qui n'appartiennent pas à notre délégation mais sont sénateurs de ce même département, nous ont également rejoints.

La Saône-et-Loire est marquée par une longue tradition agricole ; elle appartient aussi à la région la plus industrielle de France. Ce département a une longue tradition en extraction minière et en métallurgie, notamment, avec Schneider ou Creusot Loire. De grandes entreprises comme Arcelor, Areva ou Alstom font perdurer ces savoir-faire locaux dans le département... Et un tissu de PME s'est développé tout autour. La Saône-et-Loire est aussi un carrefour européen majeur. 40 % du trafic routier européen transite par ce département. Le commerce, les transports et les services y font vivre d'ailleurs 52,5 % des entreprises.

Le territoire regroupe également différents pôles de compétitivité et clusters. Le premier d'entre eux est le Pôle Nucléaire de Bourgogne (PNB), seul pôle de compétitivité français dédié au nucléaire civil. Fondé en 2005, il regroupe 200 acteurs de la filière, des PME aux grands groupes. D'autres pôles, comme Mecateam Cluster (spécialisé dans les métiers du rail), Vitagora (industrie agroalimentaire) ou GA2B (Bâtiment) témoignent de l'importance du département dans tous ces secteurs.

Nous avons commencé notre journée par la visite de l'entreprise FrancÉole au Creusot. FrancÉole est contrôlée par le groupe Pélican. Elle est le seul fabricant français de mâts d'éolienne en acier. Sur 500 mâts installés par an en France, 150 le sont par FrancÉole. Durant cette rencontre, nous avons évoqué les difficultés que rencontre l'entreprise. En 2015, l'Allemagne a installé 47 % des éoliennes en Europe, la Pologne 9,9 % et la France 8,4 %. C'est assez faible. Depuis 15 ans, en Europe, c'est pourtant la puissance éolienne qui a été le plus installée, tandis que la puissance énergétique produite par le nucléaire, le charbon et le fuel a reculé. Aujourd'hui, sont implantées en France 5 000 éoliennes, qui produisent 10 gigawatts ; on en compte deux fois plus en Espagne et quatre fois plus en Allemagne. Les freins sont nombreux dans notre pays : les critères d'implantation des éoliennes sont conditionnés à l'absence d'installations météorologiques, de défense, de navigation aérienne, de radars divers, ou de monuments historiques. Durant la visite, on a attiré notre attention sur l'amendement voté au Sénat en février dernier, au projet de loi « Liberté de création, architecture et patrimoine », qui met en place une zone d'exclusion de 10 kilomètres autour des monuments historiques ; cumulées, ces zones représenteraient 21 fois la superficie de la France ! Cela empêche tout développement ultérieur de l'éolien. C'est un sujet sur lequel il nous faudra être très attentif lorsque le texte reviendra en deuxième lecture au Sénat.

Après cette visite de l'usine FrancÉole, nous nous sommes rendus à Chalon sur Saône pour participer à une table ronde avec une quinzaine d'entrepreneurs représentatifs de l'économie départementale. Plusieurs thématiques ont été évoquées, dans la droite ligne d'ailleurs de ce qui nous avions pu entendre lors de nos déplacements précédents.

D'abord, la complexité administrative : le terme « trop » revient régulièrement. Trop de normes à respecter, trop de déclarations à faire, trop de paperasse, une feuille de paie trop longue (deux pages en France contre six lignes au Luxembourg), une portabilité des mutuelles incompréhensible, trop d'obligations (ainsi, le versement obligé d'un chèque santé, même pour un vendangeur qui ne travaille qu'une semaine - nous avons une production viticole de premier plan dans le département)... Certaines entreprises jugent le système de paie ou celui des prélèvements tellement complexes qu'elles n'ont d'autres alternatives que de les faire sous-traiter. Dans des secteurs comme la métallurgie, les conventions collectives sont territorialisées: si bien que les ouvriers et techniciens d'une entreprise ayant deux sites de productions qui exercent la même activité, mais dans deux départements bourguignons distincts, sont couverts par des conventions collectives différentes. C'est le cas pour FrancÉole qui a un site à Dijon et un site au Creusot. C'est encore une source de complexité. Le compte pénibilité est jugé « inextricable », une « hérésie impossible à mettre en place » selon plusieurs entreprises. Certains employés devront porter des capteurs pour savoir ce qu'ils respirent toute la journée, notamment vis-à-vis des poussières de bois. D'autant qu'en matière de poussières, les normes européennes sont cinq fois plus basses que celles que la France veut imposer, selon la FFB. La complexité en matière fiscale est telle qu'elle entraîne à chaque fois un redressement, sans qu'il y ait forcément une mauvaise volonté de la part de l'entreprise.

L'instabilité normative et les lois « tous les 15 jours » sont coûteuses pour les entreprises. Les entrepreneurs déplorent qu'« on en rajoute sans en enlever ». En matière de simplification, des efforts de communication restent donc à faire. Les entrepreneurs s'inquiètent de la stabilité des aides : l'un d'eux qui a bénéficié du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et joué le jeu en embauchant des salariés à temps plein, sous contrats à durée indéterminée (CDI), se demande quelle sera la pérennité de ce crédit d'impôt... De même, la réglementation sociale est en perpétuelle évolution, ce qui occasionne des contentieux involontaires.

La complexité a été particulièrement illustrée par les entreprises du bâtiment : dans ce secteur, plus de 4 000 normes sont à respecter (RGE pour l'environnement, RT2012 pour la réglementation thermique,...). Les bâtiments à énergie positive -« BEPOS »- ajoutent leur lot de normes, qui renchérissent la construction de 15 à 20 % alors que, semble-t-il, il serait quatre fois plus efficace d'investir dans la rénovation des bâtiments les moins performants.

Les autorisations sont vues comme un frein au développement de l'activité économique. Il faut ainsi cinq ans pour obtenir l'autorisation d'installer ou d'agrandir une grande surface. En 2008, une circulaire a ouvert une brèche de six mois en rendant possible l'agrandissement pour une surface de moins de 1 000 m² supplémentaires sans autorisation : plus de 5 millions de m² ont été construits pendant ce semestre ! Aujourd'hui, la loi Pinel superpose le contrôle des commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) et celui des élus : le permis de construire ne peut être délivré que si la CDAC, ou la CNAC -commission nationale qui est l'instance de recours des CDAC-, a elle aussi émis un avis favorable sur l'implantation commerciale.

Deuxième sujet qui est à nouveau ressorti : la rigidité du droit du travail. Plusieurs entreprises ont expliqué pourquoi elles n'embauchaient pas. D'abord, elles peinent à « se séparer d'un salarié incompétent » - je cite -. C'est un vrai frein à l'embauche, et cela diminue la performance de l'entreprise. Ensuite, la longueur des procédures de licenciement (10 mois chez FrancÉole) ne profite à personne, pas plus à l'entreprise qu'au salarié dont elle se sépare. Et les risques accompagnant la procédure de licenciement sont nombreux, quel que soit le motif de licenciement. Enfin, les indemnités de rupture peuvent être très élevées et génèrent parfois beaucoup d'incompréhensions. De ce fait, le bâtiment se tourne de plus en plus vers l'intérim (- 16 % de CDI, + 19 % d'intérim dans le bâtiment) ou sous-traite une partie du travail à des auto-entrepreneurs. Cela permet de limiter les frais en cas de rupture.

Plusieurs dénoncent aussi la rigidité des règles en matière de durée du travail ; ainsi, FrancÉole aurait besoin de plus de flexibilité pour recourir au travail temporaire et pour les horaires journaliers et hebdomadaires de travail. Les 35 h sont jugées « catastrophiques » dans le domaine du transport routier ; car chaque chauffeur est assigné à un camion, et le fait de ne pouvoir moduler les heures de travail bloque les camions, face à la concurrence toujours plus forte des pays de l'Est.

Troisième point évoqué dans les discussions, les dysfonctionnements du dialogue social dans les PME: la loi donne la possibilité de négocier de plus en plus au niveau de l'entreprise, mais encore faut-il des délégués syndicaux, formés et représentatifs... Aux dernières élections, FrancÉole qui compte près de 200 salariés n'a pas eu de représentation syndicale.

Quatrième point qui a ressurgi, le poids des charges et de la fiscalité : le salarié coûte à l'entreprise presque le double de ce qu'il touche en salaire net. Cela disqualifie une entreprise comme FrancÉole par rapport à ses concurrents européens (Espagne, Italie, Pologne...). La lourdeur de la fiscalité locale est aussi dénoncée : l'une des entreprises a indiqué que la somme de la cotisation foncière des entreprises (CFE), la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et la taxe foncière représente 1,7 % de son chiffre d'affaires. Ceux qui doivent aussi s'acquitter de taxes parafiscales au profit du « comité de coordination des centres de recherche en mécanique » (COREM) ne comprennent pas pourquoi. Les coups de pouce de l'État sont insuffisants : le suramortissement est intéressant mais il n'est possible que sur un an, pour des projets qui sont pluriannuels ; pour un autre, le CICE ne sert qu'à payer la TASCOM (taxe sur les surfaces commerciales). Globalement, les entreprises ne demandent pas plus d'aides mais un prélèvement moindre à la source.

Cinquième point évoqué, le défaut de formation initiale : les entreprises sont obligées de prendre en charge ses insuffisances. Le recours à l'apprentissage est jugé trop contraignant du fait des tâches interdites à l'apprenti, de l'instabilité des aides, de la rigidité de l'inspection du travail et de la médecine du travail... 1 700 apprentis sont formés dans le département : la Chambre de commerce souhaite améliorer ce chiffre, car 80 % des jeunes apprentis ont un emploi, six mois après.

D'autres sujets que nous avons déjà entendu évoquer sont revenus : la question des délais de paiements, les PME jouant le rôle d'amortisseur entre les fournisseurs et les clients, c'est-à-dire entre des entreprises qui veulent être payées alors que les clients paient le plus tard possible ; le dumping et la nécessité de lutter contre les offres anormalement basses, lors des appels d'offre notamment... Cette préoccupation était particulièrement vive chez le représentant du secteur du bâtiment.

Je relèverais aussi quelques points que nous n'avions pas encore vu ressortir.

Tout d'abord, les problématiques spécifiques des coopératives, dont plusieurs étaient représentées à la table ronde : les coopératives se sentent trop souvent considérées, à tort, comme ayant une relation commerciale avec leurs coopérateurs. À ce titre, les pouvoirs publics veulent leur imposer des obligations de transparence, de délais de paiement... Cela illustre, pour les coopératives, le fait que leur fonctionnement est méconnu des pouvoirs publics. Certaines coopératives ont aussi déploré le fait qu'elles n'aient pas accès au CICE ou au suramortissement, alors qu'elles sont le prolongement de l'activité agricole. Pour autant, elles ne demandent pas à être assimilées à une société, sinon le coopérateur serait taxé à deux étapes sur ses revenus.

Ensuite, des intervenants ont déploré que des organismes publics ne remplissent pas leur rôle.

Ainsi, la Banque Publique d'Investissement (BPI) est contestée pour son rôle en haut de bilan. La BPI pratique des taux très élevés, jusqu'à 12 voire 15 %, pour ses financements en capital développement, sous la forme d'obligations convertibles. Certains ont qualifié ces taux d'« usuraires ». En outre, une petite entreprise a déploré ne pas pouvoir bénéficier de toutes les aides de la BPI : en effet, parce qu'elle est détenue majoritairement par des fonds d'investissements, elle n'entre pas dans la définition des PME par la BPI, alors qu'elle est une société industrielle qui a autant besoin de soutien que les sociétés appartenant à des groupes ou que celles détenues par des actionnaires institutionnels. Enfin, certains déplorent que la BPI refuse de financer le CICE 2015 avant d'avoir les comptes 2015 certifiés, alors qu'elle a déjà en main la liasse et les déclarations sociales.

De même, l'Office National des Forêts a été critiqué pour sa gestion du parc naturel français. En effet, selon une entreprise, le quart des grumes françaises est exporté sans valeur ajoutée, alors que les scieries françaises sont touchées par un manque de matière première, dû à l'instauration de quotas et au protectionnisme de pays comme la Chine, les États-Unis ou le Canada... La France et l'Europe devraient mieux protéger leurs forêts et la filière sylvicole.

S'agissant de la Coface, plusieurs dénoncent cette « boite noire », avec des délais de réponse très longs pour le préfinancement de l'export, délais qui restent aussi longs pour une seconde commande avec le même client ! Il faudrait donc améliorer l'accompagnement à l'export des entreprises françaises, particulièrement celles choisies par des clients étrangers.

Enfin, concernant la Banque de France, le préfet a indiqué que la notation des entreprises par la Banque de France pouvait avoir des inconvénients, en disqualifiant certaines d'entre elles qui survivaient pourtant plusieurs années, avec ce plomb dans l'aile.

Je veux aussi signaler les points positifs qui ont été évoqués : le rôle bénéfique que jouent les clusters, qui facilitent la coopération interentreprises sur un territoire donné ; l'accompagnement du Conseil régional ; et le souci manifesté par le préfet de Saône-et-Loire d'appliquer les circulaires du Premier Ministre qui encouragent à une interprétation facilitatrice des normes.

Après cette table ronde très riche, nous nous sommes rendus l'après-midi sur le site d'Areva à Saint Marcel. Cette usine, la plus étendue du groupe, est spécialisée depuis 40 ans dans la fabrication de composants lourds des centrales nucléaires.

Le groupe Areva a été créé en 2001 en réunissant Cogema, Framatome et CEA Industrie. Nous connaissons tous ici la situation difficile que connaît ce groupe aujourd'hui, je ne reviendrai pas dessus, car ce n'était pas l'objet de notre visite.

Areva est le premier employeur de Saône-et-Loire, avec environ 2 000 salariés. 1 000 d'entre eux travaillent sur le site de Saint-Marcel, qui dispose de 40 000 mètres carrés d'atelier et d'une capacité de levage de 1 000 tonnes débouchant sur un bassin relié à la Saône, ce qui facilite le transport et l'export des composants. Au cours de notre visite, nous avons suivi la fabrication de générateurs de vapeur. Nous avons pu mesurer l'exigence du processus de production en termes de qualité et de sûreté : 1 h de contrôle est requise pour 3 h de fabrication en moyenne. Le site a à son actif la livraison de plusieurs centaines de composants nucléaires qui équipent une centaine de réacteurs dans 11 pays.

Après cette visite, nous nous sommes rendus sur le site d'Amazon à Sevrey. Il s'agit d'un entrepôt immense, dont la superficie dépasse 40 000 m 2 et équivaudrait à huit terrains de football. Il héberge 5 millions de produits, correspondant à 1 million de références. L'organisation de l'entrepôt vise à optimiser l'occupation de l'espace et à minimiser le temps de trajet de l'employé chargé de « picker » donc de rassembler les divers articles commandés par un client en vue de leur expédition. Le directeur du site nous a expliqué que ce n'était pas la commande du client qui déclenchait l'approvisionnement de l'entrepôt : en traitant les données en ligne, Amazon parvient à anticiper sur les commandes et à s'approvisionner en amont. C'est ce qui permet à Amazon de livrer en 24 h la plupart des commandes. Le directeur a soulevé deux freins au développement de l'activité du site, qui connaît pourtant une croissance de 25 % par an et qui va se spécialiser, au sein d'Amazon, dans la distribution des chaussures et vêtements pour toute l'Europe du Sud : d'abord, l'impossibilité d'y travailler en continu. En effet, les clients passent généralement commande de chez eux entre 19 et 23 h, alors que le site n'a pas le droit de fonctionner entre 21 h et 6 h. Si bien que certaines commandes passées en France sont traitées par des entrepôts étrangers qui n'ont pas les mêmes contraintes réglementaires : Amazon compte 4 sites en France, 10 au Royaume-Uni et 11 en Allemagne, ce qui représente 3 000 salariés permanents en France contre 10 000 chez les pays voisins. Pour un site comme celui d'Amazon à Sevrey, la concurrence vient, de fait, d'Amazon UK ou Allemagne : le directeur du site nous a ainsi fait valoir que les sites français pourraient créer plus d'emplois sur notre territoire si la règlementation y permettait le travail continu.

Deuxième facteur d'inquiétude pour Amazon, et globalement pour l'avenir du e-commerce : les contraintes de construction en hauteur, qui sont beaucoup plus fortes en France et rendent les constructions moins rapides en France que dans les pays voisins, alors que les exigences de sécurité sont les mêmes. C'est un sujet récurrent, sur lequel se penche aujourd'hui le groupe de travail créé au Sénat en début d'année pour simplifier les règles en matière de construction.

Avant de conclure ce propos, je dois avouer que j'ai trouvé cette visite à la fois passionnante et inquiétante. Je ne suis pas certain que l'avenir de notre commerce passe uniquement par Amazon. C'est néanmoins utile de connaître ce nouveau système de distribution.

Je vous remercie pour votre attention.

Mme Élisabeth Lamure, présidente . - Merci pour ce compte-rendu et pour l'organisation de la journée sur place. Les visites et la table-ronde étaient intéressantes, comme chaque fois, et nous avons retrouvé des sujets récurrents, mais pas seulement. On découvre à chaque déplacement des éléments nouveaux, comme le fait que les conventions collectives ne soient pas les mêmes entre deux départements. Personnellement, j'ai également trouvé la visite chez Amazon intéressante mais assez effrayante en termes de nouvelle économie. Au vu du nombre important de références proposées -plusieurs millions d'articles sont traités-, l'on est en droit de s'interroger : que vont devenir nos commerces, qu'ils soient petits ou grands ? Assouplir le recours au travail de nuit, comme le souhaiterait Amazon, demande à ce titre une vraie réflexion, d'ordre économique mais aussi social.

M. Jérôme Durain . - Je relève à ce propos que, si le principe de nos déplacements est d'écouter les entreprises qui nous font part de leurs doléances, une journée comme celle du 7 mars n'est pas sans contradiction interne. Lorsque le représentant de la Fédération Française du Bâtiment déclare qu'il faut apprendre à payer le juste prix et non recourir à des offres anormalement basses, la visite chez Amazon qui fonctionne à mes yeux sur le modèle inverse pose des questions sur le modèle de société que nous souhaitons avoir. Il y a sans doute un juste milieu entre ces revendications.

M. Claude Nougein . - Merci pour l'organisation de cette journée très intéressante. J'ai découvert un département beaucoup plus industriel que je ne l'imaginais, au sein d'une région que je pensais surtout rurale et viticole. Durant la table ronde, même s'ils nous ont fait part de leurs difficultés, les entreprises m'ont semblé plutôt optimistes. Nous étions loin du désespoir que nous pouvons rencontrer dans d'autres régions françaises. D'ailleurs, Amazon et Areva ne sont pas véritablement en prise avec les difficultés des PME. Nous avions un échantillon représentatif assez large, mais peut-être à l'avenir faudra-t-il l'élargir davantage au secteur tertiaire et éviter de trop se concentrer sur le secteur industriel. En effet, le secteur tertiaire prend une part importante dans l'économie française en termes d'emplois et d'activités. Il y a malheureusement de moins en moins d'usines en France.

Concernant Amazon, il y a donc 10 sites en Grande-Bretagne, 10 en Allemagne et 4 en France. Les débats franco-français sur les CDAC ou CNAC, où l'on passe des journées en commission pour ouvrir un magasin de 400 m² dans une commune, sont en décalage avec les pratiques des consommateurs qui achètent via Amazon sans se soucier de l'emploi local.

De la même façon, se pose la question de la fiscalité : pour les PME, le taux de l'impôt sur les sociétés est en France de 33 % et, même, de 38 % pour les ETI, le taux le plus fort d'Europe. Amazon, comme beaucoup de sociétés internationales, répartit son bénéfice entre ses différents pays d'implantation, comme elle le souhaite. A-t-on intérêt à développer des sociétés comme celles-ci sur notre sol national ?

On peut également se poser la question du travail du dimanche. Le consommateur qui, le dimanche, est devant son ordinateur pour faire ses achats, ne se pose pas la question : il fait ses achats quand il le souhaite. Nous restons focalisés sur de vieilles lunes : contrôle des surfaces de vente, contrôle des horaires du soir et du dimanche... Tout cela vole en éclat avec cette nouvelle distribution hors norme. Ce nouveau type de vente, qui renouvelle la vente par correspondance - le terme n'est pas moderne-, reste encore une niche. Mais à terme, avec notamment l'entrée récente d'Amazon sur le marché de la distribution alimentaire, tout cela risque de voler en éclat.

Les participants nous ont fait part de contraintes, et même s'ils en ont signalé de nouvelles, nous en connaissions la plupart. Si nous avions les mêmes règles d'économie de marché que le Royaume-Uni ou l'Allemagne, nous serions les champions du monde.

Mme Élisabeth Lamure, présidente . - Dans tous nos déplacements, nous n'avons effectivement pas rencontré le désespoir. Nous avons rencontré des entreprises qui se portaient plus ou moins bien. Elles ont exprimé des demandes, mais les témoignages d'entrepreneurs au bord de l'asphyxie étaient rares.

M. Jérôme Durain . - En réponse à Claude Nougein, j'indique que, si nous avons rencontré plus d'entreprises industrielles, c'est que mon département a une longue tradition industrielle. Nous avons rencontré plusieurs grands groupes, comme Areva ou Amazon, et visité le site de FrancÉole dont la dimension est saisissante. Mais nous avons la chance d'avoir aussi un tissu industriel de PME assez dense. Ces petites entreprises, elles, sont vraiment inquiètes, car elles sont enclavées et rencontrent des difficultés pour recruter de la main d'oeuvre. Ces entreprises risquent de mettre la clé sous la porte, faute de salariés, dans des territoires ruraux qui ne sont pas toujours très attractifs.

Il y a également une vraie dynamique liée au volontarisme des territoires. Le Creusot est devenu la tête de gondole de l'industrie française. Chaque président de la République passe au Creusot pour ses usines, ses forges et son acier en fusion, ses grosses pièces... Ce n'est pas un hasard : cela repose aussi sur des politiques publiques. Les entrepreneurs auraient pu faire remarquer qu'ils avaient bénéficié d'aides publiques. Il aurait ainsi été intéressant que FrancÉole nous dise ce que son installation sur ce site devait à la largeur des routes dimensionnées pour le transport de ses pièces, qu'on évoque aussi les efforts de formation qui ont été faits à l'initiative des élus locaux pour répondre aux besoins des entreprises, assurer une vraie continuité dans les métiers et permettre des contrôles non-destructifs dans une entreprise comme Areva, où il y a une heure de contrôle pour trois heures de fabrication. L'industrialisation de notre département est donc aussi portée par les pouvoirs publics.

Concernant Areva, il y a du souci à se faire. La filière nucléaire est portée uniquement par la puissance publique. Pour que ce soit rentable, il faut une production en série, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Si Areva dépose le bilan, c'est tout le département qui risque d'en subir les conséquences.

Mme Annick Billon . - Je regrette de n'avoir pas pu assister au déplacement, mais la vidéo nous a permis de nous rendre compte de l'ambiance de cette journée. On oppose trop souvent le développement économique à la protection de l'environnement et du patrimoine, si bien que l'on déploie les normes comme un « parapluie » dans notre pays, et nous constatons le frein qu'elles représentent pour l'éolien, ou en matière d'urbanisme... Même si notre pays détient les technologies d'avenir, par exemple dans l'économie bleue, l'excès de contraintes empêche leur développement. On ne pourra pas continuer d'innover dans ces conditions !

J'ai relevé également la problématique bancaire. Lors d'une réunion entre agriculteurs et parlementaires la semaine dernière, nous nous sommes aperçus que les banques ne jouaient pas leur rôle ; d'ailleurs, les banques qui suivent le moins les agriculteurs sont les banques dont c'est la mission première, ce qui est extraordinaire. Les banques doivent faciliter la vie des entreprises.

Pour rebondir sur les propos de Claude Nougein, je pense que l'e-commerce révolutionne déjà les méthodes de vente et l'aménagement de nos territoires. Un site Amazon sans rien autour, c'est un peu l'agriculture à l'américaine, avec des animaux au milieu de nulle part ! Les grandes surfaces adaptent leurs méthodes de commercialisation mais les centres-villes historiques sont menacés par le e-commerce.

Mme Élisabeth Lamure, présidente . - En tant que législateur, nous ajoutons des couches successives de protection. C'est ce que nous faisait remarquer FrancÉole avec la protection des monuments historiques. Je ne suis pas sûre que l'on se rende bien compte, lorsque l'on vote des textes, de leur impact sur l'économie.

M. Michel Forissier . - La Saône-et-Loire est un département exemplaire dans le développement économique : l'aide est donnée au démarrage, ce n'est pas une mise sous perfusion, comme on a pu le faire dans le monde agricole. Ce qui manque en France, c'est l'organisation des filières pour permettre au fabricant de garder la marge, sans qu'elle soit absorbée par les intermédiaires, qu'il s'agisse des grandes surfaces ou des acteurs du e-commerce... Il faut donc se méfier du tertiaire : l'enjeu premier pour la France, c'est l'industrialisation. Notre pays ne peut pas ressembler au Liban, pays de banques, d'intermédiaires et d'import-export. J'ai participé à l'organisation de filières dans le secteur des pompes funèbres en France face à des entreprises américaines. Les PME en se regroupant et en s'organisant ont pu gagner la bataille.

J'ai créé ma première entreprise le 1 er mai 1968, c'est symbolique. J'ai connu des difficultés, comme tous les chefs d'entreprise, y compris sans doute la présidente de notre délégation. C'est ce tissu de PME qui fait vivre notre pays et il faut y faire attention dans nos politiques publiques. Dans notre pays, le plus complexe n'est pas de créer une entreprise, mais plutôt de trouver du financement en capital-risque quand le recours au secteur bancaire n'est pas possible. Il ne faut pas tout attendre de l'État, sauf en ce qui concerne les domaines régaliens : c'est aux filières de s'organiser.

M. Jean-Pierre Vial . - Il est vrai que les chefs d'entreprise ne manifestent pas de signes de désespoir. Ces chefs d'entreprises qui se battent font la force de notre économie.

On voit également que ce qui fait la richesse d'un tissu d'entreprises, notamment pour les plus petites d'entre elles, c'est de pouvoir s'appuyer sur un réseau d'entreprises. La mise en place des nouvelles régions est à cet égard fondamentale. Il faut veiller à ce que les filières soient bien accompagnées, surtout dans les secteurs qui risquent d'être fortement ébranlés.

Je ne voudrais pas rentrer dans une énumération à la Prévert mais les choses qui ont été soulevées sont tout de même des constantes : les prix bas, les marchés publics, la formation sont des fondamentaux lourds. À la commission des lois hier, nous avons examiné l'ordonnance concernant les marchés publics. Les nouvelles règles sont susceptibles de durcir l'accès des petites entreprises aux marchés publics. En 15 ans, notre pays a perdu 10 points de PIB en matière industrielle : nous étions à égalité avec l'Allemagne, nous avons aujourd'hui la moitié de l'industrie allemande. Notre délégation aurait intérêt à apporter sa contribution lorsque sont examinés de tels textes comme cette ordonnance : l'enjeu est juridique mais aussi économique.

Mme Élisabeth Lamure, présidente . - Concernant les normes et la surtransposition, je rappelle qu'une proposition de loi constitutionnelle a été signée par nombre d'entre nous et qu'elle comporte deux dispositions : la suppression d'une norme législative pour toute une norme créée, et la fin de la surtransposition des règles communautaires. Je ne sais pas quand cette proposition de loi sera à l'ordre du jour.

M. Jean-Pierre Vial . - J'ai été rapporteur pour la Commission des lois pour une proposition équivalente mais concernant les collectivités territoriales. La rigueur de l'analyse juridique fait que le texte sorti de la Commission ne correspond plus vraiment à l'intention des auteurs. J'ai souligné qu'il serait bon de trouver une solution efficace pour la proposition de loi constitutionnelle déposée par la délégation.

Mme Élisabeth Lamure, présidente . - Effectivement, l'efficacité est une priorité de notre action.

M. Éric Jeansannetas . - Pour revenir sur le déplacement, je souhaitais également remercier Jérôme Durain pour la qualité de l'organisation et des visites. Le Creusois que je suis a découvert en Saône-et-Loire un tissu industriel fortement développé, avec des gens passionnés par leur production. Durant cette journée, une entreprise de bois cédée de père en fils a évoqué les difficultés qu'elle rencontrait pour la transmission de l'affaire : c'est un sujet qui mériterait étude. J'ai, pour ma part, ressenti une certaine désespérance dans le secteur du bâtiment, les commandes publiques comme privées n'étant pas au rendez-vous.

M. Michel Forissier . - Dans la ligne de ce que vient de dire Jean-Pierre Vial, je pense qu'en France, nous avons tendance à trop vouloir réglementer, à trop vouloir codifier comme dans le reste des pays latins. Dans le cadre des marchés publics, si je pouvais acheter comme j'achetais comme chef d'entreprise, je gagnerais 15 % sur les achats de ma commune. Il serait intéressant que la négociation dans les marchés publics soit introduite le plus en amont possible, avant que soient éliminés les candidats qui pourraient participer à cette négociation. Cela favoriserait aussi les circuits courts.

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