B. UN NÉCESSAIRE SURSAUT VERS PLUS D'EUROPE
La gestion des flux migratoires est une question fondamentalement transnationale qui ne peut être traitée dans le seul cadre national. Elle appelle donc un approfondissement de l'intégration européenne et un renforcement de la politique étrangère européenne.
1. En matière de politique étrangère
La crise des réfugiés plaide incontestablement pour une politique extérieure plus active, en particulier dans les zones de crise , tant pour la prévention des conflits que pour leur résolution.
Il convient de promouvoir activement la recherche d'une solution politique en Syrie , à l'égard de laquelle l'erreur de diagnostic de l'Europe a eu des conséquences dramatiques.
Sur cette question, M. Gaëtan Gorce tient à exprimer sa position personnelle : On peut s'interroger sur la cohérence d'une politique qui, en alimentant le conflit et son impact sur les populations civiles, nourrit le flot de réfugiés qu'elle cherche par ailleurs, notamment à travers l'accord UE-Turquie, à tarir. Les modalités de l'intervention française en Irak comme en Syrie gagneraient à être réévaluées et diminuées au bénéfice d'un effort diplomatique renforcé pour aboutir à un cessez le feu durable et la négociation d'un accord de transition. Plus de réalisme à l'égard du régime syrien, aussi odieux soit-il, est la condition d'une évolution vers la fin des bombardements sans laquelle le départ massif de Syriens continuera. Ou bien l'Union, et la France, fait le choix de la paix et en tire les conséquences. Ou elle estime une telle révision de sa politique impossible et elle doit alors se montrer beaucoup plus déterminée à accueillir les victimes du conflit. |
En ce qui concerne la situation en Libye , qui est une préoccupation de premier ordre, l'UE et la France doivent continuer à soutenir le gouvernement d'entente nationale et poursuivre l'objectif de rendre possible un passage à la phase 2 b et 3 de l'opération Sophia, qui permettrait une lutte plus active contre les trafiquants, d'autant que nous avons adopté une résolution en ce sens. En effet, si l'élargissement récent de son mandat à la formation des garde-côtes libyens est un point positif, cette opération contribue indirectement, dans sa forme actuelle, à aider les passeurs .
2. Renforcer la protection des frontières extérieures de l'Europe
La crise a démontré la nécessité de renforcer l'implication de l'UE dans la protection de ses frontières extérieures .
a) Mettre en place le corps européen de garde-frontières
Un premier axe est de progresser dans l'européanisation de la gestion des frontières extérieures, comme y invitait déjà le programme de Stockholm (2010-2014).
En effet, la difficulté des Etats situés aux frontières extérieures de l'UE à résister seuls à la pression migratoire qui s'y exerce se traduit soit par l'absence de contrôle des flux de migrants, soit par le rétablissement de frontières intérieures qui mettent en péril l'espace Schengen.
C'est pour répondre à ce besoin qu'a été présenté le 15 décembre 2015 , dans le cadre d'un paquet de propositions législatives visant à renforcer la protection des frontières, dit « Paquet frontières », un projet de règlement relatif à la création d'un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes , tendant à renforcer les attributions et les pouvoirs de FRONTEX, à travers notamment l'attribution de moyens supplémentaires, la reconnaissance d'un droit d'intervention en cas de défaillance d'un Etat membre face à une forte pression migratoire mettant en danger l'espace Schengen et un rôle accru dans l'organisation des retours.
La création d'un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes Ce corps européen de garde-frontières et de garde-côtes regroupera une Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes , constituée à partir de FRONTEX, et les autorités nationales de contrôle des frontières. L'Agence européenne des frontières disposera d'un droit de tirage sur une réserve d'au moins 1 500 experts nationaux, déployables dans un délai très court (3 jours à 5 jours ouvrés), correspondant à 2% du personnel des Etats membres employés à la surveillance des frontières nationales et sur une réserve d'équipements techniques que les Etats membres auraient l'obligation de lui fournir. Grâce à un renforcement de son budget, l'Agence pourra acquérir en outre ses propres matériels et doubler son personnel pour atteindre 1 000 agents d'ici 2020. Un centre de suivi et d'analyse de risques sera établi au sein de l'Agence pour surveiller les flux de migrants entrant dans l'UE et à l'intérieur de l'UE. Des officiers de liaison de l'Agence seraient déployés dans les Etats membres présentant des frontières à risque. Les évaluations de vulnérabilité des capacités opérationnelles et techniques des Etats et les recommandations qui en découleront auront un caractère obligatoire pour les Etats membres auxquels elles s'adresseront. Ces derniers devront s'y conformer dans un délai fixé par l'agence. L'Agence se verrait reconnaître un droit d'intervention à la suite d'un acte d'exécution de la Commission en cas de défaillance avérée d'un Etat membre ou s'il subit une pression migratoire disproportionnée . Les Etats membres pourront solliciter des opérations conjointes, des interventions rapides à leurs frontières extérieures et le déploiement d'équipes de garde-frontières et de garde-côtes. En cas de pression migratoire très forte mettant en danger l'espace Schengen et d`insuffisance des mesures prises par l'Etat membre, la Commission pourrait adopter un acte d'exécution décidant de la nécessité d'une action urgente. Dans ce cas, l'Agence européenne des frontières déploierait des équipes de garde-frontières et de garde-côtes sur le terrain. L'Agence pourra aussi en voyer des officiers de liaison dans des pays tiers sources d'immigration e t de lancer, avec ceux-ci, des opérations conjointes, y compris sur leur territoire. Un rôle plus important lui sera par ailleurs reconnu pour la mise en oeuvre des retours des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Un Bureau européen des retours sera créé au sein de l'Agence européenne des frontières afin de permettre le déploiement d'équipes d'intervention européennes pour les retours, composées d'escortes, d'observateurs et de spécialistes des questions de retours. Un document de voyage européen standard destiné au retour contribuera à mieux faire accepter les rapatriés par les pays tiers. L'agence pourra organiser des opérations conjointes de retour avec un seul Etat membre, alors qu'elle ne peut le faire jusqu'à présent qu'avec un minimum de deux Etats membres, et procéder à des retours à la frontière, en coopération avec les pays tiers. Enfin, l'Agence intégrera la criminalité transfrontière et le terrorisme dans son analyse des risques et coopérerait à la prévention du terrorisme avec d'autres agences de l'Union et des organisations internationales, dans le respect des droits fondamentaux. |
Le texte du projet de règlement devant être définitivement adopté d'ici l'automne, il conviendra de le mettre en oeuvre dans les meilleurs délais .
L'un des défis à court terme sera, pour la nouvelle agence FRONTEX, de procéder aux recrutements (plus de 200 agents en un an) rendus nécessaires par son changement de dimension.
La mise en oeuvre de cette réforme imposera aussi aux Etats membres d'adapter leur organisation. Lors de son audition, le directeur central de la police aux frontières a ainsi souligné que l'augmentation significative du nombre d'experts à projeter dans le cadre européen rendait nécessaire une nouvelle modélisation de la police aux frontières .
b) Renforcer les contrôles aux frontières extérieures
Les enjeux de sécurité intérieure, liés notamment à la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, imposent de renforcer les contrôles aux frontières extérieures de l'UE.
Ce renforcement apparaît comme un pré-requis en vue de permettre le rétablissement de la libre-circulation à l'intérieur de l'espace Schengen et de préserver l'un des acquis de la construction européenne.
Pour mémoire, selon les chiffres donnés par le directeur central de la police aux frontières lors de son audition le 15 juin 2016, depuis le rétablissement, juste après les attentats du 13 novembre, des contrôles aux frontières intérieures, 22 000 mesures de non-admission ont été prononcées, 40 millions de passages ont été contrôlés , les fichiers de police ont été interrogés plus de 20 millions de fois et 28 000 fiches ont été détectées. Ces chiffres prouvent l'importance des flux circulant sur le territoire européen et l'intérêt de renforcer les contrôles aux frontières.
Une première mesure, pour laquelle le « paquet frontières » en cours d'adoption prévoit une révision ciblée du code frontières Schengen (article 7§2) est de soumettre l'ensemble des ressortissants de l'UE (et non plus seulement, comme jusqu'alors, les seuls ressortissants de pays tiers) à des contrôles approfondis lors du franchissement des frontières. Ces contrôles consisteront en des vérifications systématiques dans les bases de données telles que le système d'information Schengen (SIS ), la base de données d'Interpol sur les documents de voyage perdus ou volés (SLTD) ou les systèmes d'information nationaux pertinents.
Il est également prévu d'autoriser la vérification des identifiants biométriques dans les passeports des citoyens de l'UE en cas de doute quant à l'authenticité ou à la légitimité de sa détention.
La protection des frontières de l' UE impose aussi de renforcer le contrôle des entrées (et sorties) légales sur le territoire européen , dans la mesure où celles-ci peuvent, par le biais de l'expiration des autorisations de séjour, contribuer à l'immigration irrégulière (phénomène des « overstayers »). C'est ce à quoi tend le paquet de mesures dit « Frontières intelligentes » (« smart borders »), en particulier le projet de règlement établissant un système d'entrée/sortie (EES), dont une version révisée a été présentée le 6 avril dernier.
Le système EES permettra un suivi en temps réel de la validité des autorisations de séjour de ressortissants de pays tiers dans l'UE , préviendra la falsification de ces documents et facilitera l'identification des personnes dont l'autorisation de séjour est expirée.
Le système d'entrée/sortie (EES) Le système d'entrée/sortie doit remplacer le système actuel d'apposition manuelle de cachets sur les passeports, qui prend du temps, ne fournit pas de données fiables sur le franchissement des frontières (ils peuvent être illisibles ou contrefaits), ne permet pas de détecter les personnes dépassant la durée de séjour maximale autorisée et n'est pas utile pour résoudre les cas de perte ou de destruction de documents de voyage. Il doit ainsi permettre une gestion efficace des séjours autorisés pour une courte durée, une automatisation accrue des contrôles aux frontières et une meilleure détection de la fraude documentaire et de la fraude à l'identité . Le système d'entrée/sortie (EES) s'appliquera à tous les ressortissants de pays tiers admis pour un séjour de courte durée dans l'espace Schengen , soit 90 jours maximum sur une période de 180 jours. Seuls les membres de la famille de citoyens européens ou de ressortissants de pays tiers bénéficiant de la libre circulation qui ne disposent pas de carte de résidence seront soumis à l'EES. Il conservera des données alphanumériques (tels le nom, le type de document de voyage, les dates et lieux d'entrée et de sortie) et biométriques (une combinaison de quatre empreintes digitales et l'image faciale). Le projet de règlement prévoit que les autorités répressives des États membres et Europol auront accès au système sous réserve du respect de conditions strictes. Pour les personnes ayant dépassé le délai de 90 jours, une alerte basée sur l'EES pourra être créé dans le système VIS. Le système enregistrera aussi les refus d'entrée. En février 2013, la Commission européenne avait présenté une première proposition qui avait été critiquée en raison du coût de l'opération et des dangers qu'elle comporte en termes de restriction des droits fondamentaux. Dans un avis du 19 juillet 2013, le Contrôleur Européen de la Protection des Données avait considéré que le système Entrée/Sortie dans l'UE fondé sur des données biométriques proposé par la Commission était "coûteux, insuffisamment justifié et intrusif". La proposition de règlement révisé porte sur un système simplifié, le projet de règlement relatif à un programme européen d'enregistrement des voyageurs (RTP) étant retiré. De même l'interopérabilité entre le système EES et le système VIS, lequel est devenu depuis lors opérationnel, est un nouvel élément. Critiqué sur la somme de 1,1 milliard d'euros que devait coûter la première proposition, la Commission européenne évalue le coût de la mise en oeuvre du nouveau projet aux alentours de 480 millions d'euros. Concernant les critiques sur la rétention des données, le nouveau projet réduit « significativement » le nombre de données conservées, de 36 à 26. Au lieu de dix empreintes digitales, la nouvelle proposition prévoit le relevé de quatre empreintes digitales et de l'image faciale comme identifiants biométriques, ce qui permet de conserver la somme de données à un niveau raisonnable tout en accélérant les contrôles aux frontières et en permettant un usage plus large des 'systèmes en libre-service' aux points de franchissement des frontières. En effet, à l'avenir, les systèmes de libre-service et portails électroniques pourront être accessibles aux ressortissants de pays tiers et permettre ainsi le traitement automatisé de certaines étapes de la procédure de contrôle ainsi que la création de programmes nationaux d'enregistrement des voyageurs par les États membres désireux de les mettre en oeuvre. Les données seront conservées cinq ans et non plus 181 jours comme dans le projet initial, afin de garantir la bonne information des gardes-frontières. Source : Commission européenne |
Parmi les autres pistes à promouvoir , vos rapporteurs mettent l'accent sur la nécessité de :
- assurer l'interopérabilité des différentes bases de données (SIS, VIS, EURODAC, SLTD et bientôt EES) ;
- faire en sorte que l'ensemble des Etats membres renseignent systématiquement ces bases de données et enrichissent leur contenu (par exemple en versant dans le SIS les fiches S, les décisions de retour et les interdictions d'entrée sur le territoire) ;
- autoriser FRONTEX à accéder directement aux systèmes d'information européens (SIS, VIS, Eurodac notamment) : actuellement, en effet, l'agence européenne n'y accède que via les bases de données des Etats membres, ce qui pose des problèmes pratiques (langue...) et ne garantit pas son autonomie. Or la seule avancée prévue par le projet de règlement sur l'agence européenne de garde-frontières est que l'Etat hôte sera désormais tenu de permettre l'accès de l'agence FRONTEX à ces bases, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent. Il est urgent d'aller plus loin que cette demi-mesure .
- renforcer le contrôle des documents d'identité lors du franchissement des frontières extérieures , compte tenu du nombre important de faux documents en circulation.
3. Réformer le système d'asile européen
La récente crise a montré que le système de Dublin , qui fait théoriquement peser la charge du traitement des demandes d'asile sur les pays de première entrée, est dépassé, faute de fonctionner. Le programme de relocalisations d'urgence constitue une dérogation temporaire à ce système puisqu'il expire en principe en septembre 2017. Il convient donc de réfléchir à la mise en place d'un nouveau système permettant un meilleur partage des demandes d'asile entre les Etats membres .
La Commission européenne a formulé récemment des propositions en ce sens, articulées autour de deux options :
- la première maintient le principe que les Etats de première entrée sont responsables des demandes d'asile - censé les inciter à un meilleur contrôle de leurs frontières - tout en prévoyant un correctif applicable en cas de forte pression migratoire s'apparentant au dispositif actuel de relocalisations ;
- la seconde option porte sur un mécanisme permanent de répartition des demandes d'asile qui prendrait en compte la taille, le PIB et la capacité d'absorption des différents Etats membres.
Dans le contexte actuel de divisions entre Etats membres, avivé encore tout récemment par l'annonce du Premier ministre hongrois qu'un référendum sur la question serait organisé dans son pays à l'automne, la deuxième option a peu de chances d'aboutir.
Il serait au moins raisonnable de s'accorder sur la première qui permettrait de disposer d'un cadre juridique applicable en cas de crise , plutôt que de devoir prendre dans l'urgence des décisions difficiles comme ce fut le cas à l'été 2015.
À terme, il faudrait aller vers un système d'asile commun, dans lequel le Bureau européen d'appui à l'asile (EASO ) serait chargé du traitement des demandes d'asile. En attendant, une montée en puissance de l'EASO, supposant un renforcement de ses moyens, est souhaitable pour promouvoir une harmonisation du droit d'asile en Europe.
La proposition de la Commission européenne de substituer des règlements aux directives en matière de droit d'asile en vue de réduire les écarts de régimes applicables entre les Etats membres nous semble aller dans le bon sens.
Enfin, toujours dans l'optique de réduire les écarts de pratique, il faudrait aboutir rapidement à une liste commune de pays d'origine sûrs, un projet de règlement en ce sens ayant été présenté en septembre 2015.