C. DES TENSIONS SUR LES RESSOURCES HUMAINES

L'exécution du contrat opérationnel au-delà de ses limites et les caractéristiques particulières des engagements ont pour conséquences des tensions sur les effectifs.

C'est le cas pour certaines spécialités rares.

Ainsi dans l'armée de l'air, le maintien de l'hétérogénéité de la flotte composée de deux types d'appareils (Mirage 2000 et Rafale), mais d'une quantité de modèles et de versions différentes, exige des quantités de personnels ultra-qualifiés pour le MCO.

Mais c'est plus particulièrement le cas pour l'armée de terre fortement mobilisée sur le théâtre national depuis la mise en place de l'opération Sentinelle et qui doit en outre consacrer des ressources à l'accueil, la formation et l'entraînement des nouvelles recrues issues de la suppression des réductions d'effectifs et des créations d'emplois supplémentaires. Cette tension liée à la situation sur le territoire national pèse également sur les autres armées, notamment en raison du renforcement de la sécurité de leurs enceintes, consommatrice d'effectifs.

Ces tensions peuvent également affecter le moral des militaires 136 ( * ) . Le fort absentéisme de la garnison crée des difficultés au sein des familles. Il est à noter qu'en 2015, de nombreux militaires ont fait plus de 200 jours loin de leur domicile, notamment du fait de Sentinelle, dont la moyenne de rotations est, pour la force opérationnelle terrestre (FOT), de 4 en un an, soit 24 semaines.

Ces tensions amènent à s'interroger sur la compatibilité des contrats opérationnels au titre de la « protection » et « au titre des « interventions » lorsqu'ils doivent être exécutés simultanément dans la durée et au-delà de leurs limites.

D. DES AJUSTEMENTS NÉCESSAIRES

1. Le comblement des « trous » capacitaires

Les programmes d'armement annoncés par la loi de programmation militaires et son actualisation sont, sauf dérapage, des coûts financés.

Pour les nouvelles acquisitions décidées en urgence ou en cours d'année via la procédure des urgences opérationnelles, le financement devrait intervenir en loi de finances rectificatives.

Pour autant, les lacunes capacitaires persistantes obligent les armées à des ajustements successifs qui ont des coûts, ceux du vieillissement et l'hétérogénéité des parcs plus coûteux à maintenir et à faire fonctionner et d'autant plus lorsque les forces armées sont sur-sollicitées.

2. La nécessaire revalorisation des ressources au profit de la MCO

Tout en maintenant la priorité aux opérations extérieures, il est nécessaire de revaloriser les ressources au profit de la maintenance des matériels en métropole afin d'améliorer leur disponibilité et de maintenir le niveau de préparation opérationnelle et d'entraînement des forces dont dépend la capacité opérationnelle en OPEX. La LPM 2014-2019 a fait de la remontée de l'activité des forces aux standards OTAN une priorité. Les crédits consacrés à l'entretien programmé des matériels s'établiront à un niveau moyen de 3,5 milliards d'euros courants par an sur la période, intégrant, dans le cadre de l'actualisation, un effort supplémentaire de 0,5 milliard d'euros, soit 0,125 milliards d'euros par an en moyenne. Il conviendrait d'accentuer ces efforts compte tenu du niveau d'engagement de nos forces. Cela suppose également un renforcement des équipes de maintenance tant en opérations qu'en métropole et l'anticipation de l'arrivée de nouveaux matériels plus sophistiqués dont la maintenance risque de s'avérer complexe. En outre, dans leur rapport sur les conséquences du rythme des OPEX sur le maintien en condition opérationnelle des matériels, les députés Alain Marty et Marie Récalde formulent un certain nombre de recommandations 138 ( * ) qui méritent une étude attentive.

Proposition : Renforcer les équipes de maintenance et améliorer les systèmes de liaison entre les personnels chargés du MCO qu'ils soient sur les théâtres d'opération ou en métropole et y associer les industriels.

3. Des augmentations d'effectifs

L'actualisation de la loi de programmation intervenue en 2015 a limité la réduction nette d'effectifs prévue initialement et autorisé des recrutements en 2016 (+2 300). La progression des crédits à partir de 2016 devait en assurer le financement.

A l'issue du Conseil de défense du 6 avril 2016, le Président de la République a annoncé l'arrêt des déflations d'effectifs, la création de 800 postes au bénéfice des unités opérationnelles et de la cyberdéfense sur trois années à partir de 2017, ainsi que le fonctionnement et l'équipement associés à ces effectifs supplémentaires.

Cette décision va dans le bon sens, comme les mesures destinées à améliorer la condition des militaires ou concernant les réserves annoncées le même jour 139 ( * ) .

Elle devrait permettre aux forces armées, pour peu que l'on diminue leur implication sur des opérations qui s'apparentent davantage à celles de la police ou de la gendarmerie sur le territoire national, et que la réforme attendue des réserves 140 ( * ) permette de prendre en charge une partie de ces missions, de retrouver des marges pour la préparation opérationnelle. Mais ce rétablissement sera lent et progressif car l'accueil de nouveaux militaires d'active ou de réserve rend nécessaire la mise en place d'un cycle de formation initial qui mobilise une partie des forces susceptibles d'être déployées ou de s'entraîner. Elle suppose également des infrastructures d'hébergement et d'entraînement, et des équipements.

Reste que les annonces faites, estimées à 3 milliards d'euros, n'ont pas fait l'objet d'une nouvelle actualisation de la LPM par voie législative et ce n'est qu'à la publication du projet de loi de finances pour 2017 que la réalité de cet effort pourra, au moins pour cet exercice, être apprécié.

Cette situation laisse ouverts tous les arbitrages budgétaires qui pourraient soit atténuer la portée de ces décisions, soit en solliciter un portage de leur financement par des économies à réaliser sur la mission défense, et donc inévitablement sur les programmes d'équipement.

Votre commission sera particulièrement vigilante sur le respect de ces engagements.

Avec des opérations intérieures et extérieures au-delà des limites des contrats opérationnels qui ont des conséquences importantes en termes de régénération du capital humain et matériel des armées, une sous-estimation des dépenses nouvelles annoncées en loi de finances initiale ou des arbitrages défavorables en exécution auraient des conséquences redoutables.

Il importe de sécuriser les crédits de la défense, dès 2017, pour permettre le financement intégral des mesures nouvelles et rendre ainsi possible cette remontée en puissance.

Proposition : Il importe que la loi de finances initiale pour 2017 prenne en compte les décisions relatives aux effectifs et aux équipements annoncés cette année et amorce ainsi la remontée en puissance.


* 136 Dans son 10 ème rapport 137 publié en mai 2016, le Haut Comité d'évaluation de la condition militaire notait que « Les missions extérieures n'ont pas cessé et, dans bien des cas, les effets des opérations extérieures et des opérations intérieures se cumulent, d'où des absences de la garnison prolongées ou répétées de façon systématique, des hiatus dans le cycle opérationnel (préparation opérationnelle-opération-récupération) et, au bout du compte et dans la durée, un risque d'usure des personnels et du potentiel, des difficultés à régénérer ou renouveler des compétences et capacités collectives. À cet égard, l'observation même réduite au seul angle de la condition militaire, seul point de vue que le HCECM puisse s'autoriser, sert de révélateur des contraintes extrêmement fortes qui pèsent sur notre outil de défense et des risques d'usure qui peuvent en résulter ».

* 138 Assemblée nationale n° 3323 décembre 2015 p. 85 et suiv.

* 139 Création d'une indemnité d'absence cumulée (IAC) destinée à compenser financièrement les sujétions, notamment les surcroîts d'absences de la garnison liée à l'accumulation de sujétions opérationnelles

* 140 Un groupe de travail de la commission, co-présidé par M. Jean-Marie Bockel et Mme Gisèle Jourda, a été chargé d'examiner cette question.

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