B. LES AMBIGUÏTÉS DE L' « APPROCHE GLOBALE »

L'insécurité qui règne depuis des années dans la région sahélienne du fait des soulèvements des groupes armés, des trafics et de la mauvaise gouvernance des États, constitue une entrave permanente au développement.

Or, la réciproque est également vraie : une sécurité durable ne peut être obtenue que par un développement plus avancé. Cette nécessité de transformer en profondeur la situation institutionnelle, économique et sociale des pays touchés par l'insécurité vaut à plus forte raison dans la période qui suit les conflits armés.

La nécessité d'une « approche globale » des crises a ainsi émergé à la suite d'une série de crises et de conflits où la communauté internationale est intervenue militairement et où elle a pu mesurer l'impérieuse nécessité d'ajouter à l'approche purement militaire une stratégie incluant tous les autres facteurs nécessaires à la stabilisation durable de l'Etat ou de la région concernée.

Bien qu'ils prennent aujourd'hui dûment en compte cette nécessité, les différents acteurs impliqués peinent toutefois à se coordonner, tandis que la question du financement des interventions à mener reste prégnante.

1. Une évidence : pas de sécurité sans une approche globale incluant le développement

Ce qu'il est désormais convenu d'appeler « approche globale » comporte un double aspect : premièrement, prévenir les conflits pour ne pas avoir à s'y impliquer militairement : prévenir un conflit est en effet bien moins coûteux à tous points de vue que d'intervenir militairement pour tenter de le résoudre. Ainsi, le coût de l'opération Serval en 2013 s'est élevé à environ 650 millions d'euros et le coût de Barkhane à environ 550 millions d'euros par an ! Il faut ajouter à ces sommes la participation aux opérations de maintien de la paix de l'ONU, soit à nouveau plus de 500 millions d'euros en 2016. Deuxièmement, transformer un succès militaire en succès politique . Les exemples de l'Afghanistan et de l'Irak montrent la difficulté de l'opération.

Mettre en oeuvre une « approche globale » implique ainsi de mieux prévenir les crises, par des actions de coopération structurelle militaire, de coopération civile et de développement. Le développement économique, la construction des structures de l'Etat, de l'administration, de la justice, sont en effet les plus sûrs moyens de prévenir les crises. Mais il s'agit aussi d'aller plus loin en analysant systématiquement, selon les concepts désormais mis en oeuvre par l'AFD, les « facteurs de crise » et les « facteurs de résilience » de chaque situation .

Il faut en outre mieux détecter les signaux avant-coureurs des crises et savoir aussi, dès les débuts de l'intervention militaire quand celle-ci s'avère inévitable, déployer, en coordination avec l'action militaire, des capacités civiles pour créer les conditions d'une stabilisation durable.

Le Livre blanc de 2008, puis celui de 2013, avaient déjà mis en avant cette nécessité d'une approche globale, qui avait conduit à l'adoption, en 2009, d'une stratégie interministérielle de gestion civilo-militaire de gestion des crises extérieures. La France puis l'Union européenne à sa suite ont aussi mis en place des stratégies intégrées pour le Sahel (respectivement en 2008 et en 2011), qui ont toutes les deux pour caractéristique d'inclure un large périmètre d'États dans leur réflexion et d'ambitionner de mener une approche transversale alliant développement, sécurité et gouvernance.

Dans leurs deux rapports de 2013 « Mali, comment gagner la paix ? » et « Sahel, pour une approche globale », nos collègues Jean-Pierre Chevènement et Gérard Larcher avaient montré que, si le concept d'approche globale semblait bien défini, il peinait toutefois à se traduire dans les faits et à s'organiser au plan opérationnel . Ils constataient notamment que « La coordination entre l'action des militaires, celle des diplomates et des coopérants est loin d'être une marque de fabrique française, là où d'autres cultures, notamment britanniques, savent impulser des démarches plus transversales ».

Où en est-on trois ans plus tard ?

2. Des acteurs qui ont pris la mesure de l'enjeu...
a) Un effort français pour établir une stratégie interministérielle régionale, qui a permis la mobilisation de la communauté internationale

Notre pays s'est engagé dès 2008 dans une stratégie interministérielle, sous l'égide du SGDSN . La stratégie saharo-sahélienne française couvre ainsi six pays (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) et est née en réponse à des défis identifiés dès 2006 : la crise touarègue au Mali, l'extension des opérations du groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) algérien vers le Sud du Sahara sous franchise AQMI et la question de l'absence de développement des pays du Sahel sur fond de défi démographique et climatique. Elle couvre le spectre de la sécurité, du développement et de la gouvernance, prévoit une action concertée avec les partenaires africains et multilatéraux et vise à aider les États sahéliens à exercer pleinement leur souveraineté, à soutenir l'émergence d'une réponse régionale structurée sur les plans sécuritaire et économique.

Les axes de la stratégie saharo-sahélienne de la France

- Renforcer les capacités publiques à lutter contre les menaces criminelles (trafics, terrorisme).

- Cibler les trafics et leur lien avec le terrorisme.

- Répondre aux frustrations qui alimentent la radicalisation violente.

- Encourager et faciliter les initiatives de coopération sécuritaire régionales.

- Améliorer les conditions de vie des populations et l'adaptation aux défis environnementaux.

La stratégie a évolué en 2014, compte-tenu des crises libyenne et malienne, vers une régionalisation de l'effort (substitution de Barkhane à Serval et Épervier et soutien au G5 Sahel) et vers une implication accrue des acteurs internationaux (Union européenne et États-Unis). Une nouvelle révision est en cours en 2016.

La crise malienne a certes manifesté les limites de la stratégie saharo-sahélienne puisqu'elle n'a pas permis de l'éviter. Néanmoins, cette approche globale a indéniablement obtenu certains résultats :

- la France a mobilisé ses partenaires sur l'ensemble des sujets et a réussi à faire émerger la région saharo-sahélienne en tant que telle, alors que les approches étaient jusqu'à présent très éclatées. Outre l'Union européenne (cf. ci-dessous), les Nations unies ont étendu le mandat du Représentant spécial du secrétaire général de l'ONU Afrique de l'Ouest au Sahel et se sont engagées à travers leurs agences, dont le PNUD. Celui-ci a également développé une stratégie Sahel. La Banque mondiale s'est investie à son tour ;

- le G5 Sahel est monté en puissance au début de 2014 et la coopération transfrontalière a été structurée de manière durable à la fin de 2015 avec la signature de la charte « G5 Sahel PMCT (partenariat militaire de coopération transfrontalière)» ;

- on peut estimer que la mobilisation à travers l'approche régionale a permis d'éviter une extension de la crise à la Mauritanie et au Niger, alors qu'il existait un risque évident de contagion.

b) Une gestion à la fois civile et militaire des crises

Dès 2007, le Royaume-Uni s'est doté d'une « Stabilisation unit » (SU), placée sous l'autorité du ministère de la défense, du Foreign Office et du Department for international development (DFID).

D'après le Livre blanc de 2008, la résolution des crises doit suivre « des stratégies réunissant l'ensemble des instruments diplomatiques, financiers, civils, culturels et militaires, aussi bien dans les phases de prévention et de gestion de crises proprement dites que dans les séquences de stabilisation et de reconstruction après un conflit ».

En France, une Stratégie interministérielle pour la gestion civilo-militaire des crises extérieures été adoptée en 2009. Le pilotage interministériel a été placé sous l'égide du ministère des Affaires étrangères avec un échelon de pilotage de haut niveau se réunissant plusieurs fois par an au Centre de crise (CDC) du quai d'Orsay et une structure opérationnelle modulaire, placée sous l'autorité du CDC depuis décembre 2013 afin de réunir les administrations concernées par la gestion de crise extérieure.

Cette structure chargée du pilotage, de la mobilisation et de la coordination interministérielle pour planifier l'engagement civil français en phase post-crise est devenue la « mission pour la stabilisation » (MS) placée en 2014 au sein du Centre de crise. Composée de neuf agents fournis par les différents ministères concernés, en lien avec les ambassades, les organisations internationales, les ONG, etc., elle intervient pour recréer les conditions d'un état de droit, rétablir la justice, aider aux processus électoraux, etc.

La France a ainsi mis en place une gestion intégrée des crises qui va de l'amont, avec l'action du Centre de crise du quai d'Orsay et du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) de l'état-major des armées, à l'aval avec l'intervention de la MS. En revanche, il n'y a pas de crédits spécifiques pour cette gestion des crises, ce qui oblige à glaner des financements au coup par coup.

c) L'Union européenne soutient l'approche globale

La stratégie française a permis de mobiliser l'Union européenne qui a à son tour élaboré en 2011 une stratégie Sahel, mobilisé les reliquats du 10 ème FED (1,5 milliard d'euros ont été alloués au titre de cet instrument au Mali, à la Mauritanie et au Niger pour soutenir des actions figurant dans la stratégie) et le 11 ème FED (2,47 milliards d'euros pour le Sahel).

En outre, trois missions de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) au Sahel ont contribué à la mise en oeuvre de l'approche globale européenne : les missions civiles EUCAP SAHEL Niger et Mali 27 ( * ) , qui fournissent des conseils et une formation pour soutenir les autorités nationales et les forces de sécurité intérieures des pays dans leurs capacités de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, ainsi que la mission EUTM Mali, mission militaire s'appuyant sur les effectifs militaires de 23 États membres (environ 550 militaires), qui entraîne l'armée malienne et apporte une expertise dans le domaine de la réforme des forces armées.

Par ailleurs, l'Instrument de stabilité a été largement mobilisé pour le Sahel.

L'utilisation de l'Instrument de stabilité et de l'instrument contribuant à la stabilité et à la paix en faveur du Sahel

L'instrument de stabilité, ainsi que son successeur, l'instrument contribuant à la stabilité et à la paix, ont été largement utilisés dans toute la région du Sahel, que ce soit au titre de leur volet « réaction aux crises à court terme » ou de leur volet à long terme.

Dans le domaine de la sécurité, les activités ont notamment consisté à aider les services civils chargés de faire respecter la loi et les services de justice à rétablir la sécurité et à assurer la protection des civils (Mali), à apporter un soutien en matière de sécurité au niveau local, y compris pour la création de services de police municipale (Niger) et à appuyer le renforcement des capacités de gestion des frontières (Mauritanie, Niger-Nigeria).

Un soutien a également été apporté à des initiatives de lutte contre le terrorisme et contre la radicalisation, à la création du Collège sahélien de sécurité (actuellement composé de représentants du Mali, de Mauritanie et du Niger) approuvée par le G5 du Sahel, à la promotion de la tolérance, du dialogue et de la liberté d'expression, du dialogue interconfessionnel et intraconfessionnel, ainsi qu'à la fourniture d'une assistance éducative aux écoles coraniques (Mali, Nigeria, Niger), à la lutte contre l'extrémisme violent par la création de débouchés socioéconomiques, notamment pour les jeunes (Tchad, Niger, Nigeria).

Les programmes de désarmement, de démobilisation et de réintégration favorisant la réintégration sociale et économique des anciens combattants/soldats ont également bénéficié d'un soutien (Nigeria, Tchad). Suite à l'évaluation en matière d'alerte précoce réalisée en 2013, une analyse des publications sur la lutte contre l'extrémisme violent a été commandée et un expert a conseillé plusieurs délégations dans la région sur la manière de traiter la lutte contre l'extrémisme violent dans leur contexte particulier.

Source : conclusions du Conseil sur le plan d'action régional en faveur du Sahel pour la période 2015-2020, 20 avril 2015.

Enfin, la nomination d'un représentant spécial de l'UE (RSUE) en 2013 a contribué à une approche plus proactive de l'UE à l'égard de la région.

La contribution, en particulier financière, de l'Union européenne à la stabilisation du Sahel est significative et compense partiellement un soutien plus « discret » des États membres.

Par ailleurs, la stratégie de l'UE a suscité une bonne adhésion des pays partenaires, une convergence dans la perception des menaces ainsi, semble-t-il, qu'un renforcement de la coopération de l'Algérie. En outre, en tant que projet phare du SEAE, la stratégie pour le Sahel bénéficie d'une forte attention politique et administrative.

Plus généralement, selon une étude 28 ( * ) , la stratégie pour le Sahel « applique une approche en matière de sécurité fondée sur le développement, au lieu d'appliquer une approche en matière de développement fondée sur la sécurité ».

d) La prise en compte de l'approche globale par l'AFD et par Expertise France

À la suite de la multiplication des situations de fragilité et des terrains de crise dans le champ d'intervention de l'agence, l'AFD a été sollicitée par ses tutelles et les acteurs du dispositif français pour renforcer son action dans les zones de crise . Ce tournant stratégique s'inscrit dans un mouvement de fonds plus général où les bailleurs cherchent à adapter leurs dispositifs d'intervention au sein des États fragiles : c'est le cas de la Banque mondiale (dans un rapport de 2011), du Royaume-Uni (dans ses priorités sur les États fragiles réaffirmées dans la nouvelle stratégie de l'aide britannique de novembre 2015) ou encore de l'Allemagne (stratégie orientée vers les actions contre les fragilités dès 2011, un tournant accentué en 2015 à la suite de la crise des réfugiés).

L'adaptation de l'organisation et des procédures de l'AFD dans le cadre de l'approche globale

Dans son organisation interne, dans le but d'opérationnaliser son approche, l'agence a rattaché en 2014 sa Cellule crises et conflits à la direction exécutive des opérations (au lieu de celle des études de la recherche et des savoirs) au sein du département des appuis transversaux. Elle l'a chargée, en la renforçant, de l'appui stratégique et opérationnel au département technique et géographique ainsi qu'à ses agences locales dans les contextes de fragilité, de crise et de catastrophe.

L'agence a accentué la prise en compte préventive des vulnérabilités dans ses documents de cadrage d'activité (stratégies sectorielles et régionales et cadres d'intervention pays) par une analyse des fragilités et facteurs de résilience et une analyse par scénarios afin d'anticiper davantage les risques et les opportunités. Le cadre d'intervention transversal 2013-2015 sur l'action de l'AFD dans les contextes fragiles affirme ainsi 4 principes clés d'intervention : ne pas nuire ; privilégiez les opérations à « double dividende » (actions de développement et réduction des fragilités) ; une meilleure articulation entre les opérations d'urgence, de transition et de développement ; le renforcement des partenariats avec la communauté des bailleurs et au sein de l' « équipe France » .

De manière opérationnelle, l'AFD s'est dotée d'une nouvelle gamme d'instruments financiers pour répondre aux enjeux de réactivité et de diversification des partenaires dans les zones de fragilité (appels à projets de sortie de crise, outil d'intervention de faibles montants, fonds d'étude, flexibilité dans les projets). L'agence s'est également investie dans des thématiques nouvelles telles que les réfugiés, l'emploi des jeunes, les villes en crise, les ruptures sociales dans la jeunesse au Sahel et les risques de radicalisation .

Traduction opérationnelle de ces principes, l'AFD s'est engagée dans plusieurs zones de crise et a soutenu plusieurs initiatives :

- l'appui aux collectivités au Liban et en Jordanie qui accueillent les réfugiés syriens afin de prévenir les tensions avec les communautés hôtes ;

- au Sahel, l'AFD finance des projets de développement rural permettant de réduire les tensions. La Banque mondiale (cofinancements, échanges stratégiques) et la Commission européenne (délégation de fonds) souhaitent travailler avec l'AFD pour répliquer ces projets et les étendre ;

- la République centrafricaine a servi de laboratoire à cette nouvelle approche. L'agence est restée très engagée pendant la crise. Elle finance par exemple des projets à haute intensité de main d'oeuvre, couplés à de la formation professionnelle, pour fournir des alternatives aux jeunes tentés de rejoindre les groupes armés.

Par ailleurs, Expertise France, la nouvelle agence française d'expertise internationale créée en janvier 2015, outre son appui à la MINUSMA, joue également un rôle important dans la mise en oeuvre de l'approche globale, à travers le portage de projets régionaux axés sur la stabilisation des États en crise et sur la sécurité, ainsi que dans le domaine crucial du renforcement des institutions régaliennes et des capacités stratégiques des États du Sahel.

Ainsi, l'agence d'expertise porte un projet de soutien à la stabilisation et à la sécurisation des espaces frontaliers de la zone du Liptako Gourma en coordination avec les autres opérateurs français et partenaires européens et en lien avec le G5 Sahel. Ce projet se développerait autour de trois axes d'intervention : développement, renforcement de la coopération transfrontalière et appui à la gouvernance transfrontalière. La question aurifère et minière étant centrale dans cette région, ce projet s'attacherait en particulier à la sécurisation et à la création de pôles de développement autour des sites miniers.

Enfin, Expertise France s'implique dans la mise en oeuvre du Fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne en faveur de la stabilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et du phénomène des personnes déplacées en Afrique (FFU).

Les interventions d'Expertise France dans le cadre du Fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne en faveur de la stabilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et du phénomène des personnes déplacées en Afrique (FFU).

Au Mali, Expertise France met en oeuvre le Programme d'appui au renforcement de la sécurité dans les régions de Mopti et de Gao et à la gestion des zones frontalières (PARSEC) dans le cadre d'une délégation de crédits de l'UE, en partenariat avec d'autres États membres, au premier rang desquels l'Allemagne. Ce programme de 29 millions d'euros répond à une commande de la Commission européenne et s'inscrit dans le cadre des activités des missions européennes EUTM Mali et EUCAP Sahel. Il s'articule autour de deux objectifs principaux : l'amélioration de la sécurité des populations et du contrôle du territoire et le renforcement de la gestion des espaces frontaliers, y compris la gestion des flux et des personnes et la coopération transfrontalière. De manière transversale, l'amélioration de la redevabilité externe de l'Etat et l'instauration d'un dialogue entre la société civile et les services déconcentrés de l'Etat feront l'objet d'une attention particulière.

L'agence pourrait soumettre 7 projets au prochain comité du volet Sahel/ Lac Tchad (septembre 2016), d'un montant supérieur à 180 millions d'euros :

- Burkina Faso : Programme d'appui à l'emploi dans les zones frontalières et périphériques (5 millions d'euros).

- Mauritanie : projet de prévention de la radicalisation violente (6 millions d'euros), programme d'amélioration de l'employabilité des diplômés du supérieur (6,7 millions d'euros), projet d'appui à la lutte contre les trafics transfrontaliers (20 millions d'euros).

- Projet régional d'appui au développement socio-économique et de renforcement de la résilience des populations dans l'espace CEDEAO (millions d'euros).

- Projet régional sur la thématique des migrations , centré sur les thématiques de la lutte contre la traite des êtres humains, de la protection des migrants et de la réinsertion des migrants de retour (50 millions d'euros), avec la coopération espagnole (AECID) et l'OIM.

- Projet pilote de soutien à la stabilisation et à la sécurisation des espaces frontaliers de la zone du Liptako Gourma (cf. ci-dessus).

3. ...mais qui ont toujours du mal à se coordonner
a) Une coordination encore perfectible

Si la complexité de l'exercice est évidente s'agissant d'un processus impliquant par définition un grand nombre d'intervenants, il n'en reste pas moins que des errements subsistent malgré huit années de mise en oeuvre du concept d'approche globale. Si tous les instruments ont été mis en place, leur fonctionnement conjoint reste perfectible.

Vos rapporteurs relèvent par exemple que :

- la DCSD a décidé de lancer au début de 2014 un projet conjoint sécurité/développement dans la région des trois frontières du Mali, Niger et Burkina Faso (région du Liptako-Gourma) et n'est pas parvenu à associer l'AFD, qui considère (non sans arguments), d'une part, que la sécurité n'entre pas dans son mandat et, d'autre part, qu'elle est plus qualifiée que la DCSD pour lancer des projets de développement ;

- le ministère des affaires étrangères et du développement international a récemment confié des missions très proches à la Cellule « crises et conflits » de l'AFD et à la mission pour la stabilisation du Centre de crise et de soutien . Les deux organismes pourront en effet déployer des interventions dans le domaine de la gouvernance, pourtant transféré à l'AFD. Le principe de répartition des actions (outre le fait que l'AFD n'intervient pas dans le domaine de sa sécurité) se fonde sur les montants engagés et sur la rapidité de mise en oeuvre. La Mission pour la stabilisation interviendra ainsi pour des projets inférieurs à 150 000 euros et qui doivent être mis en place en quelques semaines, avec des objectifs politiques de très court terme, par exemple la consolidation de la paie des fonctionnaires après une grave crise, l'AFD pour les projets plus importants. L'efficacité de cette répartition devra être testée dans la durée ;

- au niveau stratégique et de planification, de l'avis de plusieurs praticiens entendus par vos rapporteurs, le SGDSN, du fait de son positionnement, n'a pas une autorité suffisante face au ministère des affaires étrangères et au ministère de la défense pour imposer un véritable échange d'informations et ainsi coordonner la planification des interventions au Sahel.

Il résulte de ces difficultés de coordination que les acteurs de l'approche globale se coordonnent parfois « par le bas » en passant entre eux des accords « locaux » qui permettent finalement d'obtenir la coordination voulue, mais de manière sans doute moins rapide et plus imparfaite que ne le permettrait une coordination plus efficace en amont, par exemple par le biais du SGDSN.

À titre d'exemple, la Cellule crises et conflits de l'AFD a développé de son propre chef ses relations au sein du dispositif français de prévention et de gestion des crises. Elle a ainsi noué des relations avec la Mission de stabilisation et la Mission de l'action humanitaire du Centre de crises et de soutien (avec un protocole signé fin 2015) et s'est rapprochée de la DCSD. Depuis 2014, l'agence a également noué des relations avec des services du ministère de la défense : échanges d'informations, analyse et formation avec la DGRIS, l'INSERM, l'IHEDN, le CHEM ; planification des opérations militaires avec le CPCO et le CIAE ; appuis sécuritaires aux missions de l'AFD sur le terrain. En outre, un accord-cadre va être signé avec le CEMA, identifiant la nature des collaborations possibles et la juste distance à entretenir entre les forces militaires et les acteurs du développement. L'AFD a également noué des relations plus intenses avec les acteurs humanitaires.

Enfin, le ministère des affaires étrangères a mis en place sa propre structure de coordination au moment de la crise malienne, une « task force » interministérielle temporaire qui a coordonné les acteurs pendant le conflit. Il existe aussi actuellement une « task » force consacrée à la crise due aux agissements de Boko Haram autour du lac Tchad.

b) Projets à impact rapide ou projets de développement ?

Aux difficultés de stratégie et de coordination des acteurs s'ajoute une difficulté conceptuelle à définir ce que sont des projets post-crises combinant impact de développement et impact d'amélioration de la sécurité.

Par exemple, les « quick impact project (QIP)» ou projets à impact rapide sont avant tout des projets visant à l'acceptation de la force par la population, accompagnant ou succédant immédiatement à une intervention armée. Ils n'ont pas d'objectif de développement à long terme et doivent par définition être identifiés comme provenant de la même source que l'intervention militaire. Ils doivent être mis en place en quelques semaines et mis en oeuvre au maximum en quelques mois.

Au contraire, les projets de développement ont une phase d'évaluation préalable et d'instruction de plusieurs mois et peuvent être mis en oeuvre sur plusieurs années. Ils ne doivent pas avoir de lien avec la force militaire, afin de ne pas faire de l'organisme de développement qui les met en oeuvre une cible pour les éventuels groupes hostiles encore actifs après la crise et de préserver son « capital » d'opinions positives au sein de la population.

Or, l'approche globale post-conflits suppose justement de mettre en place de véritables projets de développement , ayant un impact réel et durable en termes de développement, mais ayant aussi des effets très rapides pour que la population et les parties à un règlement récent de la crise puissent immédiatement recueillir les dividendes de la paix. Il ne s'agit pas seulement de soutien à la gouvernance mais aussi d'infrastructures de santé ou économiques présentant une utilité évidente pour la population. Par ailleurs, dans les situations de crise, la situation sécuritaire dégradée peut rendre nécessaire une protection des acteurs du développement par les militaires.

De tels projets de développement à impact rapide commencent à se mettre en place non sans difficultés , tant ils supposent une révision des pratiques ordinaires des différents acteurs civils et militaires.

En effet, d'un côté les acteurs du développement doivent se mobiliser très rapidement, estimer les besoins réels de la population, raccourcir leurs procédures d'instruction et identifier les relais de mise en oeuvre pertinents.

De l'autre, l'armée est éventuellement sollicitée pour aider à identifier les besoins, voire pour protéger des travaux ou contrôler leur exécution. Les militaires peuvent exprimer des réticences compréhensibles dans la mesure où ils s'éloignent alors de leur coeur de métier sans en avoir nécessairement les moyens .

Malgré ces obstacles, au Mali, l'action conjointe de l'ambassadeur de France, de Barkhane puis de l'AFD et des autorités maliennes a abouti au lancement d'un tel projet de développement à impact rapide, prévoyant la mise en place d'infrastructures à destinations des populations du nord.

Le projet sécurité et développement dans le Nord du Mali - SDNM 1

Ce projet, signé le 6 juillet 2015, est subventionné pour 1 million d'euros dont 750 000 euros de l'AFD et 250 000 euros de l'Agence nationale d'investissement des collectivités territoriales du Mali (ANICT) qui assure la maîtrise d'ouvrage. Le conseil régional de Kidal, les communes de la région de Kidal (les projets font l'objet d'une délibération des conseils municipaux) et leurs représentants sont également associés.

Il vise à mettre en place des infrastructures à mise en oeuvre et impact rapide d'ici la fin du premier semestre 2016, soit une durée totale du projet d'un an, ce qui est très court pour un projet de développement.

Le projet s'est appuyé sur les populations locales et leurs leaders, consultés et associés à l'identification et à la pré-sélection des projets. Un comité composé de l'ANICT, de l'AFD et du Conseil régional de Kidal examine la faisabilité technique et l'opportunité des projets portés par les communes.

Le projet met à contribution les acteurs locaux : bureaux d'étude et entreprises de travaux recrutés localement, main d'oeuvre locale pour des travaux à haute intensité de main d'oeuvre.

En outre, Barkhane effectue une veille sécuritaire et, quand cela est possible et compatible avec les opérations qu'elle mène, un contrôle de la réalisation des travaux.

Le projet comprend deux phases. La première, réalisée à la fin de 2015, a consisté en l'électrification des communes d'Aguelhok et d'Anefis (groupe électrogène et réseau), la construction d'un barrage filtrant à Tessalit, d'un centre de santé communautaire à Djouhane dans la commune de Kidal et la réhabilitation de celui d'Essouk.

La deuxième phase, en cours de réalisation, prévoit la réhabilitation de centres de santé communautaires à Timthaghène, Abeibara, Aliou/Kidal et Anefis, la construction d'ouvrages hydrauliques à Inafaghot/Tinessako, Intadeyni/Kidal, Tintersene/Kidal, de la piste de Dekundekun à Essouk et de centres d'accueil à Adielhoc et Tessalit.

Le projet SDNM 2, d'une ampleur bien supérieure, est en cours d'instruction et devrait recevoir un financement de 5 millions d'euros de l'AFD, 13 millions d'euros du Fonds fiduciaire d'urgence européen, 1 million d'euros du Mali. Il concernera les régions de Taoudenni, Kidal, Ménaka, Gao et Mopti. Il vise à la construction de réseaux électriques et de groupes électrogènes, d'ouvrages hydrauliques (forages, puits maraîchers et pastoraux, barrages filtrants, infrastructures de transport (réhabilitation de pistes), infrastructures sociales (construction et réhabilitation d'écoles primaires et de centres de santé communautaires), d'infrastructures collectives productives (marchés, parcs à bétail). La maîtrise d'ouvrage sera nationale (ministère de la décentralisation et de la réforme de l'Etat), les opérateurs des bureaux d'études et des ONG déjà actifs dans les zones du projet.

4. Comment financer la sécurité et le régalien ?

La question du financement des institutions régaliennes des États en post-crise reste entière. L'exemple de l'Afghanistan a montré que des financements considérables étaient nécessaires pour renforcer les institutions régaliennes et de sécurité d'un Etat : armée, police, gendarmerie, justice, voire douanes. Or, l'aide militaire n'est pas éligible à l'aide publique au développement. En outre, en ce qui concerne la France, la police n'entre pas dans le mandat de l'AFD (ce secteur est donc exclu du transfert de la gouvernance par le MAEDI à l'agence).

Outre les dons de matériels militaires dans le cadre de la coopération bilatérale avec les pays du Sahel, l'Union européenne est le seul acteur à intervenir, dans le cadre de la PSDC, par le biais de ses missions de formation et de conseil. Toutefois, les pays du Sahel ne sont pas tant intéressés par ce type de services que par des capacités matérielles supplémentaires, notamment dans le domaine des équipements de surveillance et de mobilité, afin de pouvoir couvrir avec plus d'efficacité les espaces saharo-sahéliens. Par ailleurs, la MINUSMA ne peut rembourser que des équipements déjà acquis, alors que les États du Sahel ont de grandes difficultés à financer leur acquisition sans rogner sur d'autres dépenses essentielles.

Dans ce contexte, votre commission a déjà plusieurs fois souligné à quel point l'attrition des moyens de notre coopération sécuritaire structurelle (menée par la DCSD) et l'absence de crédits spécifiques de coopération opérationnelle (mis en oeuvre par l'état-major des armées), pourtant au coeur des besoin aujourd'hui au Sahel, sont regrettables.

Ceci est d'autant plus dommageable qu'avec le transfert des compétences en matière de gouvernance, l'AFD va pouvoir consacrer davantage de financements à la gouvernance que ne le faisait le ministère des affaires étrangères et du développement international à travers les crédits du FSP (fonds de solidarité prioritaire), eux-mêmes en diminution drastique depuis plusieurs années. Il y aura dès lors un déséquilibre flagrant entre, d'un côté des actions de renforcement des administration, y compris en matière de justice, qui pourront bénéficier de la « force de frappe » de l'AFD, et de l'autre des actions de coopération en matière de sécurité et de défense dépourvues de moyens.


* 27 Le 5 octobre 2015, le Conseil a porté de 9,8 à 18,4 millions d'euros le budget de l'EUCAP Sahel Niger pour la période du 16 juillet 2015 au 15 juillet 2016. Le 6 juin 2016, le Conseil a augmenté le budget de l'EUCAP Sahel Mali de 4 925 000 d'euros, faisant ainsi passer le budget total de la mission pour 2016 à 19 millions d'euros. Les coûts communs de l'EUTM Mali (chaque pays rémunérant ses formateurs) sont de 12,3 millions d'euros pour ses 15 premiers mois à compter du 18 février 2013 puis 33,4 millions d'euros pour sa prolongation pendant 24 mois à compter de mai 2014.

* 28 López Lucia, E., «The EU Foreign Policy after Lisbon: the case of the European Strategy for Security and Development in the Sahel», intervention à Milan les 13-14 février 2012.

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