D. LE FLÉAU DE LA MAUVAISE GOUVERNANCE

La mauvaise gouvernance et la corruption sont toujours évoquées parmi les causes de mal-développement mais parfois de manière quelque peu formelle.

Pourtant, l'effondrement du Mali en 2012-2013 serait en grande partie dû à ces phénomènes. Inversement, la capacité à mettre en oeuvre l'accord d'Alger de 2015 et à poursuivre la décentralisation constituent un « test » du retour du Mali à une bonne gouvernance.

1. Mauvaise gouvernance et corruption : une réalité à ne pas relativiser, aux conséquences importantes

Le fait même que la majorité des pays du Sahel souffre d'un niveau élevé de corruption est largement reconnu. En revanche, l'importance conférée à ce phénomène complexe est très variable.

En effet, d'une part, il est parfois difficile d'évoquer ce sujet avec les interlocuteurs des pays partenaires. Dénoncée par Danièle Rousselier dans l'article précité qui évoque la « fiction de démocratie » du Mali d'Amadi Toumani Touré ou, devant vos rapporteurs, par Laurent Bigot, cette réticence à évoquer la mauvaise gouvernance et la corruption pourrait toutefois devenir un mauvais calcul alors que la société civile de certains États de la région monte en puissance et fait de la lutte contre ces phénomènes un de ses principaux combats.

D'autre part, les partenaires techniques et financiers des États du Sahel, s'ils font du renforcement de la gouvernance une de leurs priorités, minimisent parfois ces problèmes afin de pouvoir continuer à fournir, conformément à leur mission, des financements en prêts ou en dons. Encore une fois, le Mali est paradigmatique : considéré dans les années 1990 comme le bon élève de la démocratisation, de la décentralisation et du développement, il constituait pour la France et pour les bailleurs une « vitrine » de leur politique qu'il était difficile de remettre en question.

a) Au Mali : la responsabilité de la mauvaise gouvernance dans l'effondrement du pays

L'effondrement du Mali fait l'objet de deux grands types d'explications. Tandis que la première, plus commune, met l'accent sur les causes sécuritaires et en particulier sur le développement du terrorisme et des trafics, la seconde, tout en reconnaissant ces phénomènes, souligne davantage le rôle de la mauvaise gouvernance et de la corruption comme causes principales de la catastrophe .

Cette mauvaise gouvernance aurait rendu tout effort de développement du nord Mali illusoire. Le pouvoir malien, loin de chercher à renforcer le contrôle étatique du nord en y développant une administration efficace, en y faisant progresser la décentralisation et en mettant en place une armée loyale et bien formée, se serait appuyé sur certaines tribus touareg, en particulier les Imghad, vassales des Ifoghas, et sur des tribus arabes de Tombouctou et de Gao, pour administrer le nord du pays. Après la crise libyenne, cette stratégie s'est avérée perdante du fait du retour de Touaregs maliens des Ifoghas qui se sont engagés dans le MNLA et dans Ansar Dine.

Plus largement, la différence de gestion de la question touareg au Mali et au Niger a déjà été soulignée. Les Touaregs maliens ont été insuffisamment intégrés au sein de l'Etat et des pouvoirs, ce qui a favorisé leur révolte.

Enfin, outre la collusion de l'Etat avec certains groupes au détriment des autres, le comportement de l'armée malienne a également joué un rôle dans la dynamique qui a conduit une partie de la population à « lâcher » le gouvernement de Bamako au profit des groupes armés. Comme l'a affirmé Laurent Bigot lors de son audition « les djihadistes ont certes fait vivre un enfer aux populations du nord, mais c`était déjà l'enfer avant les djihadistes ». Selon certains interlocuteurs de vos rapporteurs, en 2012-2013, le MUJAO et Ansar Dine étaient ainsi mieux acceptés par la population que l'Etat malien ou les Touaregs. Lors de leur audition, l'amiral Gillier, directeur général de la coopération de sécurité et de défense, et Serge Michaïlof ont également souligné la déliquescence avancée de cette armée malienne où la position hiérarchique avait très peu à voir avec le mérite et les compétences.

Incapable de lutter contre les djihadistes en 2012-2013, cette armée était crainte par une population qu'il est désormais très difficile de convaincre qu'elle est redevenue exemplaire. À cet égard, les quelques phrases inscrites sur des affiches à l'intérieur des locaux de la mission EUTM, dans lesquels vos rapporteurs se sont rendus lors de leur déplacement à Bamako, ne dessinent-elles pas en creux les caractéristiques de l'armée d'avant 2014 : « le soldat malien, maître de sa force, respectueux de son adversaire, soucieux d'épargner les populations »...

Au total, comme l'affirment Boubou Cissé, économiste à la Banque mondiale, Joseph Brunet-Jailly, économiste et Gilles Holder, anthropologue entendu par vos rapporteurs, la crise est largement due au fait que « l'Etat s'est montré si obstinément prédateur que la population ne le supportait plus, et ceci aussi bien au Sud qu'au Nord 9 ( * ) ».

b) Une soif de justice qui alimente mouvements citoyens et mouvements confessionnels
(1) Une soif de justice

Les personnes entendues par votre rapporteur ayant des contacts réguliers avec la société civile des pays du Sahel ont souligné l'exaspération d'une partie croissante de la population, en particulier parmi la jeunesse qui constitue la grande majorité de celle-ci, devant la mauvaise gouvernance et plus largement, l'arbitraire et l'injustice qui caractérisent l'action de certaines autorités dans les pays du Sahel.

En outre, la représentation politique est accaparée par les générations précédentes de sorte que la jeunesse a le sentiment de ne pas pouvoir exprimer ses besoins en la matière : « la participation au système politique formel ne constitue plus pour eux un moyen d'exprimer leurs besoins, leurs aspirations, leurs revendications 10 ( * ) ». Durant les quatre législatures qui se sont succédées entre 1992 et le putsch de 2012, la part de députés maliens de moins de 40 ans n'a cessé de baisser, passant de 21 % à 10 % entre la première et la dernière législature, alors même que la proportion des jeunes dans la population augmentait 11 ( * ) .

Ainsi, la justice et la lutte contre l'impunité constitueraient la première demande des populations , avant l'éducation ou la prospérité économique. L'absence de mécanismes permettant de trancher les différends et d'obtenir satisfaction face aux abus de l'administration ou de l'armée a ainsi eu des conséquences très graves puisque l'application de la charia par les groupes djihadistes a pu être ressentie comme la réintroduction d'une forme de justice que l'Etat n'assurait plus.

De même, selon une étude de l'AFD, « le désir le plus clairement exprimé par les jeunes nigériens est celui (...) d'une gestion plus transparente (...) par l'État, notamment pour éliminer les facteurs dits «subjectifs». Ces facteurs sont par exemple les relations familiales, le favoritisme (le réseau PAC «Parents, Amis, Connaissance») ainsi que la corruption ».

Enfin, la lutte contre l'impunité passe également par une amélioration de la prise en compte des droits des femmes au sein des processus de justice et de réconciliation, celles-ci étant très nombreuses à être victimes de violences sexuelles lors des conflits.

(2) Les mouvements citoyens montent en puissance

Une partie de cette aspiration à la justice se traduit par la montée en puissance des divers mouvements citoyens , à des degrés cependant très divers selon les pays. Depuis 2010, à la faveur, notamment, du développement des réseaux sociaux et d'une urbanisation qui efface progressivement les appartenances traditionnelles, l'Afrique francophone a vu apparaître nombre de ces mouvements : « Ça suffit comme ça » au Gabon, « Y'en a marre » au Sénégal, le « Balai Citoyen » au Burkina Faso, Filimbi (sifflet en Swahili) et Lucha (Lutte pour le changement) en République démocratique du Congo, et « SOFAS » (du nom des anciens guerriers de Samory Touré, grand résistant à la colonisation de l'Afrique de l'ouest) au Mali.

Ces mouvements s'inspirent en partie des printemps arabes et leurs revendications concernent principalement la cherté de la vie, l'amélioration des conditions de vie et les enjeux de la gouvernance. Ils ont fortement contribué aux manifestations de rue qui ont provoqué le départ d'Abdoulaye Wade au Sénégal en 2012 et la chute du gouvernement de Blaise Compaoré au Burkina Faso en 2015.

La mobilisation ponctuelle des jeunes dans l'espace public à travers ces mouvements citoyens a lieu sur un fonds permanent d'échanges et de contestations à travers des médias comme les radios, de rencontre autour de la musique (dans plusieurs pays, des rappeurs jouent ainsi un rôle important dans les mouvements citoyens) et dans des lieux de sociabilité informelle.

S'ils sont le plus souvent soucieux de légitimité juridique et défenseurs de la Constitution contre les pratiques des autorités politiques non conformes à celle-ci, les mouvements citoyens partagent néanmoins avec certains mouvements religieux une forme de « radicalité » en ce sens qu'ils contestent la légitimité de dirigeants politiques élus et peuvent chercher à les renverser.

Par ailleurs, les femmes ont également investi les organisations de la société civile afin de contourner l'exclusion de l'espace politique dont, à l'instar des jeunes, elles font l'objet.

(3) Les mouvements confessionnels sont également très présents

Les auditions menées par vos rapporteurs témoignent de la difficulté que rencontrent les autorités publiques et les partenaires techniques et financiers de l'aide au développement à appréhender les mouvements religieux actuels au Sahel .

Ainsi, l'évocation de la « wahhabisation » des musulmans sahéliens, en particulier au Mali et au Niger, sous l'influence d'idées et de financements en provenance du Golfe, constitue un passage obligé de l'analyse des menaces pesant sur le Sahel, menaces qui se sont concrétisées lors de la prise de contrôle de la rébellion par les islamistes au Mali en 2013.

Selon cette analyse, cette mutation de l'Islam en Afrique de l'Ouest serait récente et se serait produite malgré et contre l'Islam traditionnel soufi, réputé pour sa tolérance, teinté d'animisme et que l'on disait naguère rempart infranchissable contre les versions rigoristes et fondamentalistes de l'Islam.

Or, il semblerait que cette analyse se méprenne sur la profondeur de l'ancrage de l' « islamisme » dans les sociétés sahéliennes. Selon Gilles Holder, chercheur au CNRS et à l'IRD entendu par vos rapporteurs, sans même évoquer les mouvements djihadistes du 19 ème siècle qui ont parfois abouti à la création d'États théocratiques en Afrique de l'Ouest, l'influence rigoriste est si ancienne qu'il est désormais erroné de considérer le salafisme comme un élément « importé » au Sahel et en particulier au Mali 12 ( * ) .

En outre, les mouvements religieux et les prêcheurs charismatiques ont contribué à créer au Mali un espace public de discussion sur la pauvreté, le développement et la justice pendant que l'Etat perdait toute crédibilité dans ces domaines. Ces mouvements religieux constituent une partie très importante de la société civile, active dans beaucoup de domaines, y compris le développement. Parfois financés par des intérêts du Golfe arabo-persique, ils peuvent paradoxalement conforter le sous-développement en remettant en cause les politiques d'émancipation féminine, dont dépend en grande partie la possibilité d'une diminution de la natalité.

Or, les acteurs de la politique étrangère ou de l'aide au développement ne prennent pas véritablement en compte les mouvements confessionnels , que ce soit pour analyser leur action ou pour engager des coopérations dans certains domaines. Dès lors, ces mouvements restent en marge de l'action des bailleurs alors qu'ils peuvent être des acteurs importants (comme lorsque l'imam Dicko a mobilisé une immense foule contre le nouveau code de la famille au Mali).

En revanche, il convient de noter que le plan d'action régional du Conseil européen en faveur du Sahel pour la période 2015-2020, qui fixe un cadre général aux fins de la mise en oeuvre de la stratégie de l'Union européenne (UE) pour la sécurité et le développement dans la région du Sahel, marque un début de prise en compte de cette réalité en recommandant de « soutenir les institutions et les organisations promouvant un islam modéré et pacifique, ainsi que les organisations islamiques de la société civile oeuvrant en faveur de la paix ».

Enfin, on peut noter que les femmes sont très investies au Sahel dans le dialogue interreligieux et dans la lutte contre l'intolérance religieuse . Il convient de conforter ces initiatives et de plaider auprès des autorités politiques pour un soutien accru à ces efforts.

2. Le Mali a désormais besoin d'une gouvernance efficace pour sortir durablement de la crise politique et sociale
a) La décentralisation, un impératif qui tarde à se concrétiser
(1) Une décentralisation déjà ancienne, autrefois donnée en exemple

La décentralisation est l'un des sujets qui a été le plus souvent évoqué lors du déplacement du groupe de travail au Mali, tant dans les entretiens avec les ministres maliens qu'avec les représentants des bailleurs. En effet, la décentralisation apparaît à beaucoup d'entre eux comme la clef de voûte, à la fois du développement du pays et de la réussite du processus de paix.

La décentralisation a déjà une longue histoire au Mali. Les principales réformes ont été menées dans les années 90.

La décentralisation des années 90 au Mali

Déjà évoquée dans les années 60, la décentralisation s'est imposée lors de la naissance de la Troisième République à la suite d'une insurrection populaire et d'un coup d'État militaire le 26 mars 1991, sous la forme d'une gestion décentralisée des ressources du pays. Il existe dès le début une ambiguïté sur la signification de cette décentralisation, tantôt plutôt conception politique qui reconnaît comme « collectivités » les tribus nomades, les villages et les fractions nomades, tantôt vision plus administrative et technique qui met l'accent sur la mise en place d'institutions (commune, cercle, région) considérées comme des démembrements de l'État.

C'est plutôt la seconde version qui l'emporte à partir de 1994. Dès lors, le cadre juridique est créé, le découpage territorial est mené à bien et les institutions des collectivités territoriales sont installées à partir des élections de 1999. Outre la définition des attributions respectives des différentes collectivités territoriales, des textes réglementaires prévoient le transfert de certaines compétences dans les domaines de l'éducation, de la santé et de l'hydraulique. La provisoire Mission de décentralisation est remplacée par la DNCT (Direction nationale des collectivités locales), l'ANICT (Agence nationale d'investissements des collectivités territoriales) et la MAT (Mission d'aménagement du territoire) ; un document cadre de politique nationale de décentralisation (2005-2014) est élaboré.

Les premières élections locales ont eu lieu en 1999 et ont abouti à la constitution de 8 assemblées régionales et du district de Bamako, de 49 assemblées de cercles et de 703 communes (dont 684 nouvellement créées).

(2) Un processus inachevé

De nombreuses questions restent en suspens avant la crise de 2012-2013 13 ( * ) :

- les limites de la tutelle ne sont pas clairement fixées et on ignore donc le degré d'autonomie des différentes institutions locales entre elles et par rapport à l'Etat ;

- il existe de nombreux blocages du processus de transfert de compétences et de ressources de l'État aux collectivités, le transfert des responsabilités n'étant effectif que pour la santé, l'éducation et l'hydraulique. Même pour ces secteurs, le transfert des ressources n'a commencé qu'en 2010 et seulement pour l'éducation ;

- il reste d'autres secteurs importants pour les citoyens, comme le foncier, pour lesquels aucun transfert n'a encore eu lieu alors que les conflits y deviennent de plus en plus nombreux et violents ;

- le rôle des collectivités territoriales dans le processus de création de richesses au niveau local (et donc dans le développement local) n'est pas clairement défini ;

- la démocratie à la base n'est pas promue car le contrôle par les communautés de base (dans les villages, quartiers, fractions, etc.) n'est pas organisé. On y a substitué la tutelle des services de l'État, et la corruption qui s'étend dans ces services rend le contrôle inefficace.

En outre, après la crise de 2012-2013, la question de la décentralisation interfère désormais avec celle de la mise en oeuvre de l'accord d'Alger qui prévoit la mise en place négociée d'autorités intérimaires . Après de très longues négociations, il a récemment été décidé que la mise en place des autorités intérimaires et conjointement le redéploiement de l'administration d'Etat interviendrait du 15 juillet au 15 août 2016. Ensuite aura lieu le redéploiement des services techniques de l'éducation, de la santé, de l'énergie, de l'eau et de la justice.

Si ce calendrier est respecté, il s'agira d'une avancée importante. Les groupes signataires du nord en font en effet une condition de l'application du volet sécuritaire de l'accord et de la mise en oeuvre du processus de DDR (désarmement, désengagement, réintégration dans l'armée). Les élections locales auront lieu ultérieurement.

Des autorités intérimaires à chaque niveau de collectivité

Les Autorités intérimaires seront mises en place, en principe à l'automne 2016, dans les collectivités territoriales des cinq régions du nord du Mali : Tombouctou, Gao, Kidal, Taoudénit et Ménaka.

Au niveau de la Région, l'Autorité intérimaire comprendra autant de membres que le conseil régional qu'elle remplace, désignés de façon consensuelle par le Gouvernement, la Plateforme et la Coordination parmi les agents des services déconcentrés de l'Etat, la société civile et les conseillers sortants.

Au niveau du cercle, le processus sera identique.

Enfin, au niveau de la commune, l'organe délibérant fonctionnel de la commune sera transformé en autorité intérimaire dans l'intégralité de sa composition initiale.

(3) Un révélateur des ambiguïtés de l'aide au développement

La décentralisation au Mali est un processus indispensable dans la mesure où sa réussite conditionne en partie la paix sociale et la stabilisation du pays, en particulier au nord.

Elle permet de donner une solution politique à des revendications locales et à faire exister des territoires de développement. L'exclusion de certains territoires et de certains groupes sociaux au sein de ces territoires est en effet un facteur de radicalisation.

La décentralisation est également l'un des domaines où le Mali peut bénéficier des nombreuses actions de coopération décentralisée entre collectivités locales françaises et collectivités locales maliennes, qui existent depuis de nombreuses années et qui, plus généralement, constituent un atout indéniable dans notre relation aux pays de la région sahélienne.

Or, malgré des progrès récents, la décentralisation fait toujours l'objet de débats existentiels entre les acteurs locaux, y compris sur son bien-fondé, ce qui semble parfois étonnant compte tenu du fait qu'elle a débuté il y a plus de 20 ans.

Ces débats révèlent en particulier les divergences de vue entre les différents bailleurs , qui arrivent chacun au Mali avec leur propre vision de la décentralisation, plus ou moins calquée sur celle qui prévaut dans leur pays d'origine. Lors d'un entretien à l'ambassade de France à Bamako, vos rapporteurs ont ainsi assisté à une discussion entre plusieurs ambassadeurs dans laquelle certains prônaient un modèle « à la française » tandis que d'autres, représentant des pays fédéralistes, considéraient qu'un modèle accordant encore bien davantage d'autonomie était tout à fait souhaitable au Mali !

Comme dans d'autres domaines de l'aide, on observe ainsi une situation où les bailleurs prétendent conseiller et influencer un Etat sans avoir eux-mêmes une vision claire et partagée de l'objectif à atteindre.

Enfin, un autre débat essentiel porte sur la compétence des acteurs locaux et révèle le caractère interdépendant des différents secteurs du développement et la nécessité d'un effort conjoint dans tous ces secteurs. En effet, certains estiment que la gestion locale est encore moins performante que la gestion centralisée du fait d'une incompétence notoire des responsables locaux. Ils souhaiteraient ainsi subordonner la décentralisation à l'amélioration du niveau des élites locales.

Toutefois, dans la mesure où le développement et notamment l'amélioration de l'éducation et de la formation professionnelle est lui-même lié à une meilleure gouvernance, dont la décentralisation constitue un facteur clé, il ne peut sans doute y avoir d'autre réponse qu'un effort conjoint dans l'ensemble de ces secteurs.

Le soutien de la décentralisation par l'AFD

L'AFD finance actuellement le projet PADER qui a pour objectif d'accompagner le renforcement du processus de décentralisation et plus particulièrement la régionalisation et la mise en oeuvre de la politique de développement économique régional dans les régions de Ségou et Tombouctou. Il met ainsi l'accent sur le développement des filières agricoles et pastorales, moteurs de l'économie locale des territoires ruraux concernés. Le montant de ce projet est de 33 millions d'euros.

b) Une mise en oeuvre de l'accord de paix d'Alger qui doit s'accélérer
(1) Un début prometteur

La signature de l'accord pour la paix et pour la réconciliation au Mali le 15 mai et le 20 juin 2015 constitue la principale réussite du nouveau Président malien. L'accord de Ouagadougou de juin 2013, signé avec les mouvements armés pour permettre la tenue des élections présidentielles, en faisait en effet la priorité politique pour le président élu. Après plusieurs cycles de négociations à Alger, appuyés par une médiation internationale avec l'Algérie comme chef de file, un accord a été trouvé, faisant l'unanimité au sein de la classe politique et parmi les partenaires du Mali. Dans l'opinion publique malienne, l'accord a également été accueilli comme une source d'espoir pour une paix définitive.

La visite du président Keïta en France en octobre 2015 et la conférence internationale pour la relance économique et le développement du Mali du 22 octobre au siège de l'OCDE ont permis au président malien de faire valoir le retour du Mali sur la scène internationale et la perspectives de retombées économiques.

(2) Une mise en oeuvre trop lente

Plusieurs difficultés sont cependant rapidement apparues. En avril 2014, le FMI avait relevé des irrégularités et des surfacturations concernant des contrats passés de gré à gré : l'acquisition d'un Boeing présidentiel pour un montant de 26 millions d'euros ; la signature de contrats de défense pour un montant de 105 millions d'euros. Ces fraudes ont conduit à la suspension de l'aide budgétaire au Mali des partenaires internationaux (France, Union européenne, Banque mondiale, etc.). Un accord a toutefois été trouvé entre le FMI et le Mali après des régularisations et le limogeage de trois ministres cités dans ces affaires, permettant ainsi une reprise de l'aide budgétaire.

Par ailleurs, malgré un accueil initialement favorable, l'opinion publique malienne peine à être convaincue par l'accord de paix : l'idée que les gens du Nord sont l'ennemi est toujours ancrée dans les esprits et le rôle de la MINUSMA n'est pas compris (accusation de partialité envers les mouvements armés et d'inefficacité en matière de protection des populations). En outre, les populations du nord et les mouvements armés estiment que la mise en oeuvre de l'accord de paix, notamment l'installation des autorités intérimaires, ne progresse pas suffisamment vite. En particulier, le processus de nomination des autorités intérimaires est très en retard.

(3) Une lutte contre la corruption qui doit s'intensifier

La lutte contre la corruption a été érigée en priorité (2014 été l'année de la lutte contre la corruption pour le président). Toutefois, les résultats concrets se font attendre pour les populations. Une loi portant prévention et répression de l'enrichissement illicite a été votée en mai 2014 mais ne connaît pas encore de véritable application. Les rapports du Vérificateur général du Mali pour 2013-2014 ont été rendus publics en mai 2015 et font état de plusieurs centaines de millions d'euros d'irrégularités financières au sein de l'administration malienne.

Enfin, la réforme du secteur de la justice progresse peu et les magistrats suscitent souvent la défiance des citoyens.


* 9 Au Mali, des islamistes largement soutenus, Le monde, 25 octobre 2012.

* 10 PNUD, 2006

* 11 Le pouvoir décisionnel de la jeunesse au Mali, la représentation élitaire en question/ Le renouveau des élites politiques au Mali, Centre d'Études Politiques d'Europe Latine (CEPEL), Université de Montpellier, document de travail.Savane, L. (2015), cité par Notes Techniques n°15, AFD, mars 2016.

* 12 « L'implantation des premiers Wahhabites au Mali, en particulier à Bamako, date du milieu des années 40. Ce sont des retours de quelques étudiants pèlerins qui étaient au Caire à l'université al-Azhar en particulier et puis qui sont passés à Médine et à la Mecque, et qui reviennent avec la doctrine de la Wahabia qui se définit comme apolitique. » Gilles Holder, RFI, 25 novembre 2015.

* 13 Cf. La décentralisation au Mali, le transfert de compétence en difficulté, Cheibane Coulibaly, décembre 2010.

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