B. UN CLIMAT DE DÉFIANCE ACCENTUÉ PAR LES RÉFORMES SUCCESSIVES DES SERVICES DE L'ÉTAT DANS LES TERRITOIRES
Le Sénat est très soucieux de l'impact de la réforme de l'État territorial sur les collectivités. Votre délégation s'est saisie directement du sujet en missionnant nos collègues Eric Doligé et Marie-Françoise Pérol-Dumont, dans le cadre du rapport « L'évolution des missions des services de l'État aux collectivités locales ».
De même, votre délégation suit attentivement les travaux de la « mission de contrôle et de suivi de la mise en oeuvre des lois de réforme territoriale » de la commission des Lois du Sénat.
Sans attendre les conclusions de ces travaux, il est ressorti des auditions menées par votre délégation que les collectivités n'ont pas été suffisamment associées aux réformes territoriales successives. L'ADF, par exemple, regrettait : « La réduction, souvent brutale, de la présence des services publics assurés par l'État : gendarmerie, services fiscaux ou sociaux, aménagement du territoire, suppression des ATESAT, réduction des personnels dans les sous-préfectures », estimant que « Cette situation n'est pas de nature à rassurer les départements ».
1. La réforme des services déconcentrés dans le cadre de la revue des missions de l'État
Les services de l'État ont constitué pendant des décennies un réseau essentiel pour nombre de collectivités. Mais ce réseau se trouve aujourd'hui affaibli par les réformes successives de l'administration. Comment assurer un dialogue franc, basé sur la confiance et l'estime, quand les réformes se traduisent par moins de personnels, moins d'équipes, moins d'horaires d'ouverture ? Au cours de son audition, l'AMF analysait ainsi la situation : « L'enjeu des relations entre les services de l'État et les collectivités territoriales réside dans la présence ou non de l'État dans les territoires. Or la RGPP et la revue des missions conduisent trop souvent à une diminution de la présence de l'État ».
Votre délégation regrette elle aussi l'affaiblissement de l'État territorial et donc du dialogue informel et quotidien avec les élus locaux qu'il permettait.
Dès 2010, les services de l'État ont initié leur reconfiguration, sous l'effet de la réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATE) issue de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Cette vaste réforme, sans doute l'une des plus importantes des vingt dernières années, a été mal vécue par les élus locaux. La réorganisation des services des directions interministérielles sur les territoires s'est accompagnée d'une nouvelle organisation départementale de l'État, à l'issue de laquelle le préfet de département s'est retrouvé fragilisé . En effet, la RGPP a favorisé le préfet de région 25 ( * ) , pourtant plus éloigné géographiquement et, de facto , moins au fait de la complexité de certaines problématiques de terrain. En clair, le référentiel de l'action de l'État au niveau local est passé du département à la région 26 ( * ) , et cette évolution n'a évidemment pas été sans conséquences pour les communes rurales.
Votre délégation a conscience de la nécessité d'adapter les structures territoriales de l'État, mais elle estime que la réorganisation de l'administration territoriale ne doit pas remettre en cause le fonctionnement des services déconcentrés. Or, sur le terrain, les élus locaux ont surtout constaté que la RéATE avait encouragé le resserrement des services déconcentrés 27 ( * ) . Les élus estiment souvent « avoir été lâchés », et rappellent leur « besoin d'État », au moment où son ingénierie territoriale disparait progressivement. Ainsi, Vanik Berberian, président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), regrettait : « Nos territoires ruraux ont payé un lourd tribut dans le cadre des réformes territoriales successives qui ont réorganisé les services de l'État, alors que, contrairement à une idée reçue, la population dans ces territoires ne diminue pas ».
Votre délégation juge indispensable, dans la reconfiguration actuelle des services de l'État territorial, que celui-ci continue à jouer un rôle d'accompagnateur, d'animateur, de coordonnateur et de régulateur. C'est pourquoi elle est particulièrement attentive à la Revue des missions de l'État dévoilée lors du Conseil des ministres le 22 juillet 2015.
Initiée par le secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP) dès la fin 2014 avec pour objectif affiché le recentrage des missions fondamentales de l'État dans les territoires, elle est, d'après les élus locaux, davantage abordée sous l'angle budgétaire et comptable que sous l'angle de la pertinence et de l'efficacité. Votre délégation reconnait que si le SGMAP a bien lancé un processus de consultation associant les collectivités territoriales, celles-ci n'ont pas eu d'autre choix que d'accepter les orientations retenues. Lors de son audition, François Deluga indiquait : « Au niveau national, l'AMF a été largement consultée au sujet de la revue des missions de l'État, défendant à plusieurs reprises le fait que celle-ci ne devait pas s'accompagner d'un désengagement de l'État sur le territoire. L'AMF sera vigilante pour que cela ne soit pas le cas ».
Les élus locaux se disent aussi préoccupés par les conséquences du déploiement du plan « Préfectures Nouvelle Génération ». C'est d'ailleurs l'objet du rapport actuellement conduit par nos collègues Eric Doligé et Marie-Françoise Pérol-Dumont, qui devraient rendre leurs conclusions avant la fin 2016. À ce propos, l'ADF indiquait à votre délégation « Lorsque l'État prépare dans le plus grand secret puis annonce la décision de fermer tel ou tel service déconcentré, les collectivités sont en droit de s'inquiéter et de s'en émouvoir. En ce qui concerne la réforme administrative qui consiste à imaginer la sous-préfecture du XXI e siècle, les départements souhaitent être associés et connaître l'impact des 3 500 réductions de postes prévues ainsi que le périmètre exact des nouvelles missions de ces sous-préfectures ».
Dans ce contexte, votre délégation prend donc bonne note de la concertation sur cette réforme lancée par le ministère de l'Intérieur .
Elle relève enfin que la réorganisation actuelle des services régionaux de l'État dans le cadre de la nouvelle cartographie issue de la fusion des régions reprend les conclusions de la revue des missions de l'État.
2. La réorganisation des services régionaux de l'État dans le cadre de la fusion des régions fait craindre un affaiblissement du dialogue de proximité
Depuis le 1 er janvier 2016, la France ne possède plus que 13 régions métropolitaines. La réforme des régions, présentée comme l'une des plus importantes du quinquennat, n'a pourtant fait l'objet que d'une très faible association des élus locaux . Votre délégation estime que le Gouvernement aurait pu davantage associer les régions à une réforme d'une ampleur telle qu'elle a également modifié leurs périmètres . Sur ce point, elle est rejointe par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, instance 28 ( * ) du Conseil de l'Europe qui a reproché à la France, dans une recommandation 29 ( * ) adoptée le 22 mars dernier, lors de sa 30 e session, de « ne pas avoir organisé de véritable consultation des régions avant le vote de la loi de réforme territoriale, qui modifiait leurs frontières territoriales ». L'instance du Conseil de l'Europe pointe le fait que « les régions n'ont pas été consultées préalablement de manière effective » avant le vote de la loi.
Votre délégation souscrit pleinement à ce constat et soutient l'initiative du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux invitant les autorités françaises à « revoir le processus de consultation des représentants directs des collectivités locales et régionales pour toutes les décisions les concernant ».
Dans le cadre de cette réforme territoriale, l'État a également souhaité adapter son organisation déconcentrée . Nombre d'élus locaux jugent que cette réforme des services de l'État a été conduite à la hussarde. Certes, l'État a pris soin de rappeler son objectif d'équilibre territorial , m ais beaucoup d'élus y voient toujours un renforcement des territoires les plus puissants à travers une reconcentration programmée de la galaxie des services de l'État autour des nouvelles capitales régionales. L'implantation des services de l'État constitue donc encore un sujet d'inquiétude pour les élus, qui craignent un « effet aspirateur » des nouvelles capitales sur d'autres acteurs locaux : associations ou opérateurs économiques, par exemple.
Votre délégation a souhaité que les élus locaux obtiennent des garanties contre ce risque de concentration dans les nouveaux chefs-lieux, où les services régionaux seront agrégés. En cela, la circulaire du 18 février 2015, adressée par le Premier ministre aux préfets de région, demandant « d'élaborer des diagnostics territoriaux » afin « d'identifier les modalités d'accompagnement du changement à mettre en place » va dans le bon sens, car les élus souhaitent effectivement « être accompagnés » dans la mise en oeuvre progressive de cette réforme.
Interrogé par votre délégation sur ce point, le préfet Jean-Luc Névache, coordonnateur national de la réforme des services déconcentrés de l'État, a répondu que la réforme des services était « effectivement encore en cours actuellement » et qu'elle se faisait bien « dans le cadre de la fusion des régions ». Il a précisé que « tout au long de l'année 2015, un travail régulier de concertation a été mené : au niveau local grâce à des réunions mensuelles avec les directeurs de services régionaux, et au niveau national avec l'Association des régions de France (ARF) ». Selon lui : « Le dialogue avec les élus locaux a bien eu lieu et il a même conduit à une modification des arbitrages gouvernementaux sur la localisation des sites des directions régionales. L'État a bien entendu le message des élus locaux qui le tiennent comme comptable de l'aménagement du territoire. C'est pourquoi l'État a fait le choix, pour ses services régionaux, d'une spécialisation fonctionnelle sur plusieurs sites plutôt qu'une spécialisation géographique ».
Votre délégation se félicite que le Gouvernement ait entendu les demandes cohérentes des élus locaux et opté pour des directions régionales « multi-sites » plutôt que des directions régionales « mono-sites ».
La réorganisation des services de l'État au niveau régional a également un impact direct sur la qualité du dialogue avec les collectivités. Comme le reconnaissait l'ADF lors de son audition : « La concertation locale avec l'État s'incarnait de façon privilégiée dans les départements à travers la figure du préfet. Il y a du pragmatisme à ce niveau car l'État est au plus près des réalités de terrain et les choses se passent mieux ». Mais la régionalisation des administrations a eu des conséquences néfastes sur le dialogue de proximité . Notre collègue Benoît Huré indiquait : « Il y a eu un affaiblissement du corps préfectoral et des préfets de département. En matière sanitaire, par exemple, les choses fonctionnaient mieux avec les Directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) qu'avec les Agences régionales de santé (ARS) ». Selon lui, « La régionalisation de l'administration de l'État a entraîné une perte de lisibilité et une perte d'efficacité de l'action publique de proximité ».
Votre délégation craint que la structuration de l'État au niveau régional continue d'affaiblir le réseau des préfets et des sous-préfets au profit des grandes directions d'administration réorganisées au niveau des régions.
Là encore, Jean-Luc Névache, préfet coordonnateur national de la réforme des services déconcentrés de l'État, n'a pas éludé ce point devant votre délégation, parlant d'un « vrai sujet de gouvernance » , et identifiant « le besoin d'un renforcement du niveau départemental ». Selon lui, « Le niveau régional doit se repositionner sur l'expertise, et laisser le niveau départemental se charger de la mise en oeuvre ». Cela doit conduire à « redonner du poids aux préfets, sous-préfets et aux directions départementales ». Il a fait observer que « depuis 2010 la baisse des effectifs dans les services déconcentrés a été supportée pour deux tiers par les services départementaux et pour un tiers par les services régionaux ». C'est pourquoi, ajoutait-il, « depuis 2015, le ratio a été inversé et, dans le cadre de la fusion des régions, l'objectif est de faire supporter les efforts au niveau régional afin d'éviter les doublons ».
S'agissant enfin du calendrier, il a confirmé que « la réforme régionale serait sûrement définitivement mise en place avant la fin de l'été, car les élus comme les agents ont besoin de stabilité et de lisibilité ».
Votre délégation ne peut que souscrire à un tel voeu .
* 25 Le décret du 16 février 2010 réaffirme l'autorité du préfet de région les services déconcentrés, avec notamment la responsabilité de la gestion interministérielle des moyens de l'État.
* 26 Le modèle de la nouvelle administration territoriale d'État a été fixé par le décret relatif aux préfets et aux services territoriaux du 16 février 2010. Celui-ci attribue à l'échelon régional le pilotage de l'action administrative d'État, tandis que l'échelon départemental est en charge de sa mise en oeuvre.
* 27 Les 35 directions, services et délégations antérieurement stratifiés dans les régions et les départements ont fait l'objet de fusions et de regroupements, les services régionaux -outre les rectorats- n'étant plus que 7, et les directions départementales 2.
* 28 Assemblée qui réunit 648 élus (conseillers régionaux et municipaux, maires et présidents de région) qui représentent plus de 200 000 collectivités des 47 États membres du Conseil de l'Europe.
* 29 L'adoption de cette recommandation fait suite à la première visite de contrôle effectuée sur « l'état de la démocratie locale en France », après que la France a ratifié en 2007 la Charte européenne de l'autonomie locale, traité international contraignant garantissant les droits des collectivités et de leurs élus.