CHAPITRE II - LA MISE EN oeUVRE PROGRESSIVE DE LA LOI SUR LE RENSEIGNEMENT

I. UNE LOI LARGEMENT INSPIRÉE DES TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE AU RENSEIGNEMENT

A. LA REPRISE PAR LA LOI DU 24 JUILLET 2015 DE L'ESSENTIEL DES PRÉCONISATIONS FORMULÉES EN 2014

La loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement s'est inspirée de plusieurs travaux, en particulier du rapport de la délégation pour l'année 2014 8 ( * ) . Un grand nombre des propositions de la délégation ont inspiré le projet de loi initial ; d'autres ont été insérées au cours des débats au Parlement.

1. Le choix d'un cadre d'action des agents, pour des finalités précisées

Le choix d'un cadre d'activité a été justifié par les trois avancées essentielles qu'il permet : consacrer les libertés individuelles , légitimer l'action des service s et protéger les agents des services spécialisés , pour lesquels cette dernière avancée était particulièrement nécessaire.

La loi relative au renseignement précitée a ainsi prévu la possibilité de mettre en oeuvre des techniques de renseignement au titre de plusieurs finalités, précisées à l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure 9 ( * ) .

Les finalités des actions pouvant justifier l'autorisation et la mise en oeuvre sur le territoire national des techniques de renseignement (art. L. 811-3)

1° L'indépendance nationale, l'intégrité du territoire et la défense nationale

2° Les intérêts majeurs de la politique étrangère, l'exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d'ingérence étrangère ;

3° Les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ;

4° La prévention du terrorisme ;

5° La prévention :

a) des atteintes à la forme républicaine des institutions ;

b) des actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous en application de l'article L. 212-1 ;

c) des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ;

6° La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ;

7° La prévention de la prolifération des armes de destruction massive.

L'article L. 811-2 du code de la sécurité intérieure précise quant à lui le cadre général d'action des agents en France et à l'étranger.

A l'étranger, outre qu'un chapitre précise le cadre d'action applicable - la proposition de loi relative à la surveillance internationale a permis d'adopter ces dispositions initialement introduites par la loi du 24 juillet 2015 mais censurées par le Conseil constitutionnel 10 ( * ) pour incompétence négative - les agents agissant à l'étranger sont désormais protégés, en application notamment de l'article L. 862-1 du code de la sécurité intérieure, qui impose au procureur de la République territorialement compétent ayant connaissance de faits commis hors du territoire national, par un agent des services pouvant constituer des infractions pénales, d'en informer préalablement le ministre dont l'agent relève avant tout acte de poursuite.

Par ailleurs, l'anonymat des agents a été également conforté en dispensant de publication les délégations de signature accordées.

2. Le renforcement des garanties des citoyens

La délégation avait souligné la nécessité de renforcer les garanties des citoyens , en particulier, en imposant que le recueil des données de connexion, prévu par l'article L. 246-1 du code de la sécurité intérieure s'effectue dans le respect de l'article 226-15 du code pénal qui protège le secret des correspondances 11 ( * ) .

La loi relative au renseignement du 24 juillet 2015 a pris en compte cette proposition, en l'étendant à l'ensemble des techniques de renseignement mises en oeuvre par le chapitre 1 er du livre VIII, relatif au recueil des données techniques de connexion.

Cette extension se justifie par le fait que toutes ces techniques mobilisent des données de connexion. La protection de l'article 226-15 permet donc de garantir que la collecte des données de connexion ne doit pas permettre d'accéder aux contenus.

La mise en place d'une procédure de contrôle de légalité et de proportionnalité de l'action des services par la nouvelle autorité administrative indépendante 12 ( * ) s'est quant à elle effectuée selon des modalités dans l'esprit des orientations proposées par la délégation. En effet, en application de l'article L. 841-1 du même code, toute personne souhaitant vérifier qu'aucune technique n'a été mise en oeuvre à son égard peut, après avoir saisi la CNCTR d'une demande en ce sens 13 ( * ) , saisir le Conseil d'État. Enfin, le président ou au moins trois membres de la commission peuvent également le saisir, si leur avis n'a pas été suivi par le Premier ministre.

3. L'attribution de techniques nouvelles, pour certaines inspirées des techniques applicables en police judiciaire

La délégation avait également préconisé de transposer en police administrative un certain nombre de techniques spéciales de police judiciaire 14 ( * ) . Cette proposition a été également largement suivie.

En effet, la loi relative au renseignement transpose et modernise en police administrative les techniques utilisables en police judiciaire dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée , comme la possibilité de sonoriser un lieu privé, la captation de données informatiques ou l'intrusion domiciliaire.

En effet, jusqu'à la loi du 24 juillet 2015, les services de renseignement ne disposaient que des interceptions de sécurité , du recueil des données de connexion et, depuis le 1 er janvier 2015, de la possibilité de géolocaliser un terminal « sur sollicitation du réseau et transmis en temps réel par les opérateurs 15 ( * ) » .

Certaines techniques désormais autorisées dans le cadre de la police administrative n'existent pas en police judiciaire, en raison de leur objectif purement préventif, comme le dispositif technique de l'article L. 851-2, permettant de recueillir en temps réel sur les réseaux des documents ou des données relatives à des personnes préalablement identifiées comme présentant une menace, ou la possibilité d'imposer la mise en place sur les réseaux d'un dispositif technique permettant de détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste (L. 851-3).

4. Le maintien de la centralisation des éléments collectés

La centralisation des données collectées , qui est le choix qui a été historiquement fait dans le cadre du contrôle exercé par la CNCIS, est un élément déterminant du contrôle.

Cette centralisation est assurée par un service rattaché au Premier ministre, le Groupement interministériel de contrôle (GIC).

Toutefois, si cette fonction était assurée pour les quelques techniques de renseignement permises par la loi du 10 juillet 1991, les nouvelles techniques de renseignement autorisées, en particulier les instruments portables, ***, posent une difficulté.

Le rôle du GIC est donc essentiel pour définir un système permettant à la CNCTR d'accéder d'une manière simple à l'ensemble des données collectées.

***la centralisation des données est un élément stratégique, en permettant d'éviter les doublons mais en permettant surtout de rendre le contrôle de la CNCTR effectif .

5. Le choix d'une structure aux moyens et aux pouvoirs adaptés aux nouveaux enjeux du contrôle

Dans son rapport pour l'année 2014, la délégation avait préconisé la création d'une autorité administrative indépendante (AAI) remplaçant la CNCIS, en la dotant de moyens « considérablement accrus » 16 ( * ) , en accroissant le nombre de ses membres 17 ( * ) et en supprimant les parlementaires membres 18 ( * ) ainsi que la personnalité qualifiée instituée par l'article 20 de la loi de programmation militaire du 18 décembre 2013 19 ( * ) .

Si la majeure partie de ces propositions a été prise en compte par la loi sur le renseignement, les parlementaires ont été maintenus dans la nouvelle AAI créée, leur nombre étant même porté de deux à quatre.

Toutefois, le collège a été complété par une personnalité qualifiée nommée sur proposition de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP).

En effet, certaines techniques de renseignement nouvelles nécessiteront de la part de la CNCTR une expertise technique approfondie pour exercer un contrôle effectif, en particulier sur le dispositif de suivi en temps réel de personnes préalablement identifiées comme présentant une menace terroriste (article L. 851-2) ou le dispositif technique permettant de détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste (article L. 851-3).

6. L'extension des pouvoirs de contrôle de la DPR

Conséquence du renforcement des pouvoirs des services de renseignement, les prérogatives de contrôle de la délégation ont été accrues ( voir infra p. 89 et suiv. ).


* 8 Délégation parlementaire au renseignement, Rapport d'activité 2014, contrôler les services de renseignement - An I, n° 2482 (Assemblée nationale) et 201 (Sénat) et du rapport d'information de MM. Urvoas et Verchère précité.

* 9 En conformité avec la proposition n° 4 du chapitre IV du rapport précité.

* 10 Décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015 : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2015/2015-713-dc/decision-n-2015-713-dc-du-23-juillet-2015.144138.html

* 11 Proposition n° 14 du chapitre IV.

* 12 Propositions n° 21 et 22 du chapitre IV.

* 13 La saisine de la CNCTR est un recours administratif préalable obligatoire.

* 14 Proposition n° 16 du chapitre IV.

* 15 Article L. 246-3 du code de la sécurité intérieure

* 16 Proposition n° 9.

* 17 Proposition n° 10.

* 18 Proposition n° 11.

* 19 Proposition n° 15.

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