B. CRISE MIGRATOIRE ET LUTTE CONTRE LE TERRORISME : UNE LARGE CONVERGENCE DE VUE ENTRE LES DEUX COMMISSIONS
La délégation de la commission des affaires européennes du Sénat et la commission des questions de l'Union européenne du Bundesrat ont procédé à un échange de vues sur l'actualité européenne, insistant principalement sur les réponses à la crise migratoire et la lutte contre le terrorisme. À l'issue de cette réunion deux déclarations communes ont été adoptées.
1. Le défi migratoire
La déclaration commune sur la crise des migrants rappelle la dimension européenne du défi et insiste sur la nécessité de mettre en place une répartition équitable des réfugiés au sein de l'Union européenne, via notamment des programmes de réinstallation. Il s'agit pour l'Union européenne d'affirmer ses valeurs, en dépassant sa dimension purement économique.
La défense du droit d'asile fait partie des priorités, celle-ci devant néanmoins être exigeante afin de juguler toute dérive et contrôler ainsi les migrations d'essence économique. La défense du droit d'asile passe par un renforcement de la protection des frontières extérieures, seul à même de préserver l'acquis du système de Schengen.
Elle va également de pair avec une intensification de la coopération avec les pays tiers, à l'image de la Turquie. L'aide au développement classique doit être combinée avec des mesures à court terme destinées à renforcer les moyens des organisations internationales, à l'instar du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) ou le Programme alimentaire mondial. Les régions en crise doivent également faire l'objet d'un soutien particulier, avec une aide ciblée pour les camps de réfugiés.
Toute réponse à la crise des migrants passe également par le renforcement de la coopération euro-méditerranéenne, qui constitue un des pans de la politique de voisinage de l'Union européenne. Il s'agit d'utiliser les dispositifs existants pour parvenir à une meilleure maîtrise des flux migratoires.
2. La réponse européenne à la lutte contre le terrorisme
Les attentats en France du 13 novembre 2015, d'une violence sans précédent, ont rendu encore plus indispensable le renforcement de la coopération européenne en matière de lutte contre le terrorisme. Les attentats du 13 novembre 2015 ont conduit la France à demander l'activation de l'article 42, paragraphe 7, du traité sur l'Union européenne relatif à la « clause d'assistance mutuelle », pour la première fois depuis sa création. L'Allemagne a décidé de son côté de participer militairement, aux côtés de la France, à la lutte contre « Daech ».
Le Sénat français a adopté une résolution européenne en avril 2015 qui couvrait les différents domaines dans lesquels l'Union européenne pouvait apporter une réelle plus-value et demandé la mise en place d'une législation antiterroriste européenne sous la forme d'un pacte pour la sécurité intérieure 2 ( * ) . L'adoption de ce texte avait été précédée par l'organisation le 30 mars 2015 d'une réunion interparlementaire au Sénat avec plusieurs parlements nationaux - dont le Bundesrat - sur ce sujet. Elle avait abouti à une déclaration commune appelant à une action énergique au niveau européen pour combattre le terrorisme 3 ( * ) . Quelques mois plus tard, le bilan des réalisations apparaît maigre. Le registre européen des données des dossiers passagers des transports aériens (PNR) n'a ainsi pu être adopté que fin 2015, après huit ans de débats.
Plusieurs pistes devaient être approfondies : la clause de défense mutuelle, la protection des frontières extérieures, la lutte contre les trafics d'armes, le contrôle coordonné et systématique aux frontières, la lutte contre la radicalisation via internet. L'Europe doit se doter des moyens nécessaires pour combattre les menaces extérieures qui pèsent sur elle. Il est urgent de sortir l'Europe de la défense du domaine du concept pour la faire entrer dans celui de l'opérationnel. Il s'agit aussi de défendre les valeurs communes de l'Union européenne. La déclaration commune insiste sur le rôle des parlements nationaux dans l'élaboration d'une réponse européenne au terrorisme, celui-ci constituant une menace pour la démocratie.
Il convient, à ce titre, de définir une stratégie qui pourrait être la « stratégie européenne de sécurité » annoncée lors du sommet européen de juin 2015 et dont la définition a été confiée à la Haute représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Federica Mogherini, en collaboration avec les États membres. Cette stratégie pourrait inclure une « normalisation » des relations de l'Europe avec la Russie.
Au-delà de la réponse opérationnelle, les délégations ont rappelé la question des conditions d'intégration dans les sociétés européennes de jeunes pourtant nés et éduqués dans celles-ci mais contre lesquelles ils ont pris les armes. La déclaration commune rappelle ainsi la nécessité d'une stratégie éducative globale contre la radicalisation et le développement d'un réseau européen en la matière.
3. Une poursuite de la coopération entre les deux commissions en 2016
Trois sujets feront l'objet de travaux communs, au cours d'une réunion qui pourrait se tenir à Paris au premier semestre 2016 :
- le Traité de libre-échange entre l'Union européenne et les États-Unis (TTIP) ;
- la politique européenne de l'énergie ;
- le marché unique du numérique.
La question de l'accès aux documents devrait ainsi être abordée en ce qui concerne le TTIP. Il s'agit de demander plus de transparence sur les documents relatifs aux négociations par l'Union européenne avec ses partenaires américains. Les parlementaires américains disposent aujourd'hui d'un accès direct à ces documents, ce qui n'est pas le cas des élus européens.
La réflexion sur la transparence va de pair avec celle sur le « tribunal de règlement des différends » et la protection des normes, notamment sanitaires, de chacun des États membres. Il convient d'éviter de sanctionner les économies qui contribuent à l'économie équitable. Ces débats seront sans doute éclairés par la décision attendue de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) à propos de la possibilité d'une procédure « mixte » (avec association des parlements nationaux) de ratification du TTIP. L'ensemble de ces questions ont soulevé un débat en Allemagne, la popularité du dispositif n'étant pas non plus acquise en France. Les deux commissions ont relevé que pour la première fois les citoyens des deux pays se sont préoccupés de la politique commerciale européenne, avec cependant un certain sentiment d'impuissance. Il importe en tout cas que les deux commissions se tiennent mutuellement informées de l'avancement des discussions notamment au niveau de la COSAC.
En ce qui concerne la politique de l'énergie, l'action de l'Union européenne doit être guidée par deux principes : renforcer l'interconnexion pour ne pas laisser à la périphérie certains États membres et garantir une certaine autonomie aux États membres dans le choix de leur mix énergétique. L'Union de l'énergie doit, dans ces conditions, concourir à l'atteinte d'objectifs globaux visant la baisse des coûts, la sécurité de l'approvisionnement, l'efficience énergétique et la lutte contre le changement climatique.
S'agissant du marché unique du numérique, l'Union européenne doit prendre en compte l'ensemble des transformations qu'implique ce secteur pour nos sociétés. La mise en place de ce marché doit être corrélée à un certain nombre de principes et de droits qui doivent mieux protéger nos citoyens. Il en va ainsi de la protection des données personnelles mais aussi de la cybersécurité ou encore de la protection d'un droit d'auteur adapté. Il s'agit d'une nécessité démocratique, afin d'obtenir l'adhésion des citoyens et la confiance des entreprises dans l'économie numérique. La Commission européenne est aujourd'hui favorable à la mise en place d'une véritable politique européenne industrielle pour le numérique et il convient d'appuyer cette ambition. L'Union européenne doit créer les conditions qui permettront de faire émerger de grands acteurs européens de l'économie numérique pour concurrencer les grands acteurs américains ; ceux-là même dont on peut déplorer le comportement tant en ce qui concerne l'usage des données personnelles que l'optimisation fiscale. Il existe une démarche commune franco-allemande sur ces questions avec notamment la conférence ministérielle du 27 octobre dernier qui s'est tenue à Paris pour accélérer la transformation numérique de l'économie. Elle doit aujourd'hui être étayée.
Le texte des deux déclarations communes figure en annexe. |
* 2 Résolution européenne n°88 (2014-2015) relative à la lutte contre le terrorisme et tendant à l'adoption d'un Acte pour la sécurité intérieure de l'Union européenne .
* 3 Déclaration conjointe sur la lutte contre le terrorisme du 30 mars 2015 des présidents et représentants des commissions des affaires européennes du Bundesrat de la République fédérale d'Allemagne, des Cortès du Royaume d'Espagne, du Sénat de la République française et de la Saeima de la République de Lettonie, du Parlement du Royaume du Danemark .