B. LA CONCURRENCE INSTRUMENTALISE L'INDUSTRIE
1. L'affrontement Airbus - Boeing ne perd pas de hauteur
Livraisons annuelles d'appareils (1989 - 2010) : Airbus dépasse Boeing depuis 2003
Source : « Airbus - Boeing delivery comparison 2010 » par Thefroyo
Les courbes ci-dessus illustrent la montée en puissance progressive d'Airbus entre 1990 et 2010. Depuis cette date, les deux avionneurs sont au coude à coude pour les commandes d'avions, ainsi que pour les livraisons. Signe des temps, tous deux ont ouvert des sites en Chine pour faciliter leur entrée sur un marché que les analystes s'accordent à présenter comme l'eldorado aérien du XXIe siècle. Il est vrai que la concurrence entre ces deux constructeurs mondiaux de premier plan se déplace toujours plus vers le marché chinois, où Boeing tient la corde pour l'année 2015, après y avoir fait globalement jeu égal avec Airbus au cours des 30 dernières années.
La Chine restera-t-elle un pays de cocagne pour les avionneurs ? Globalement, la flotte chinoise devrait presque tripler au cours des vingt prochaines années, avec 7 200 avions à l'horizon 2034, contre 2 600 aujourd'hui. À court et moyen termes, tous les espoirs sont donc permis, mais la volonté affirmée par les pouvoirs publics chinois de faire émerger une industrie aéronautique nationale devrait se traduire par la disparition progressive de ce débouché. L'Empire du Milieu adapte à l'aéronautique la stratégie qui lui a si bien réussi dans l'' automobile ou la construction ferroviaire : conditionner progressivement l'ouverture de son marché à l'implantation industrielle, en coopération avec son champion local. Aviation Industry Corporation of China vient de présenter son concurrent des A320 et B737 : le Comac C919.
Raison de plus pour examiner l'état de la concurrence entre les deux grands noms de l'industrie aéronautique mondiale actuelle.
Après des livraisons et des commandes record, Boeing se devait de présenter des résultats financiers du même acabit pour 2013. Malgré un début d'année marqué par la suspension des vols du 787, ce groupe a réalisé en 2013 le plus important chiffre d'affaires (86,62 milliards de dollars) et les plus gros bénéfices de son histoire : le résultat d'exploitation atteint 6,56 milliards de dollars, soit une marge brute de 7,6 % ; le résultat net a bondi de 18 %, pour s'établir à 4,58 milliards de dollars. C'est la branche « aviation commerciale » (BCA) qui creuse l'écart avec Airbus. L'avionneur a non seulement livré plus d'appareils que son rival européen, mais il a aussi atteint et même dépassé les 10 % de marge, qu'Airbus espère atteindre en 2015. Avec un résultat d'exploitation de 5,8 milliards de dollars, en hausse de 23 %, pour un chiffre d'affaires de 53 milliards, Boeing Aviation Commerciale affichait 10,9 % de marge... contre 2,9 % pour Airbus en 2012.
L'exercice 2013 d'Airbus Group s'est soldé par un chiffre d'affaires de 60,5 milliards d'euros, pour un résultat d'exploitation de 3,5 milliards.
L'écart de rentabilité entre ces géants de la construction aéronautique s'est atténué en 2014, principalement grâce à de meilleurs résultats d'Airbus.
Source : Les échos
2. L'Airbus A380, réussite ou échec industriel selon le bon vouloir du Golfe
Source : Cité des Sciences et de l'Industrie
Avec l'A380, Airbus a parié sur le modèle traditionnel des hubs reliés entre eux par des super jumbos, la destination finale étant desservie par des court ou moyen-courriers.
En 2000, Airbus annonçait qu'il allait produire 1 200 avions A380 en vingt ans. Cet appareil (525 places en trois classes) présente des coûts d'exploitation par siège comparables à ceux de l'innovant 787-9 (280 places en trois classes) et de 30 % inférieurs au 777-300ER (365 places en trois classes). Il reste que les coûts d'acquisition sont plus élevés et qu'il faut remplir le très gros porteur pour le rentabiliser (cf. graphique ci-dessus). Actuellement, Emirates est la seule compagnie à centrer sa stratégie long courrier sur ce très gros porteur (dont elle a jusqu'à présent acquis la moitié de la production) : l'A380 représente 28 % de sa flotte et 28 % de ses commandes. Le deuxième client du super jumbo - Singapore Airlines - lui réserve 17 % de sa flotte et 5 % des commandes.
Autant dire que les clients ont largement les cartes en main dans les négociations, et que les compagnies du Golfe n'ont pas besoin d'élever le ton pour faire entendre leur voix.
La proposition formulée en mars 2015 par la société Airbus d'ajouter 19 places - toutes en classe business , pour améliorer la rentabilité de l'appareil - fait suite aux demandes formulées par le président d' Emirates , M. Tim Clark. Celui-ci avait évoqué un allongement de l'avion.
Et une rumeur insistante, relayée au cours d'une interview au Sunday Times par le PDG d'Airbus, M. Fabrice Brégier, veut qu'un A380 neo soit commercialisé à l'horizon de 2020-2025 pour concurrencer la version allongée du Boeing 777, qui devrait être disponible dans cinq à dix ans. Le conseil d'administration devrait se prononcer au plus tôt fin 2015. Faut-il préciser qu' Emirates fait figure de client naturel ? 6 ( * )
En ajoutant le déblocage des Rafales à l'exportation, comment imaginer que le soutien décisif à certains programmes industriels situés dans des États membres de l'Union européenne puisse ne pas renforcer la main de compagnies à la recherche permanente de nouveaux clients à transporter, donc de nouvelles autorisations de vol ?
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La partie continentale de l'Union européenne est aujourd'hui dépourvue de grande compagnie aérienne prospère. Les seuls prestataires de services aériens tout à la fois de grande taille, basés dans un État membre et financièrement solides ont aussi une quatrième caractéristique en commun : tous trois sont basés dans les îles britanniques. Question de culture nationale adaptée à un environnement économique concurrentiel ?
À l'échelle de la planète, l'évolution la plus marquante est l'émergence dans le Golfe de hubs dominants qui tendent à vassaliser les hubs historiques d'Europe, d'Amérique du Nord, d'Asie, voire d'Afrique de l'Ouest.
Les deux seules grandes compagnies du continent qui aient conservé leur autonomie - Air France et Lufthansa - semblent éprouver quelques difficultés dans l'adaptation à un environnement bouleversé.
Cela s'explique aisément : l'aéronautique européenne (d'hier) est morte.
Mais ce constat n'empêche pas de lancer immédiatement un cri d'espoir : vive l'aéronautique européenne (de demain) !
En effet, un nouveau décollage reste possible.
* 6 Le projet semble toutefois repoussé à des jours meilleurs après le bilan décevant du Dubaï Air Show qui s'est déroulé du 8 au 12 novembre 2015.