CHAPITRE II - L'URBANISME

Caroline CAYEUX

Sénateur de l'Oise

I. PROPOS INTRODUCTIF

L'urbanisme est un levier d'action déterminant pour favoriser, dans nos villes, la prise en compte globale des enjeux climatiques.

Les zones urbaines sont, de loin, les principaux lieux d'émission de gaz à effet de serre, avec 70% des rejets mondiaux 1 ( * ) . Concentrant sur un même espace un grand nombre d'habitants, d'activités et d'infrastructures, elles présentent de surcroît une relative vulnérabilité face aux évènements climatiques extrêmes, tels que les risques de canicule, d'inondation ou d'incendie. Dans ces circonstances, les collectivités territoriales françaises, quels que soient leur taille et leur échelon, se mobilisent pour faire valoir les enjeux énergétiques et environnementaux dans les choix urbanistiques qu'elles opèrent ou accompagnent, afin de contribuer à la lutte contre le changement climatique et de s'adapter localement à ses effets.

Cette dynamique locale en faveur d'un modèle urbanistique durable est de nature à permettre l'émergence de territoires plus sobres en termes de consommation d'énergie et d'émissions de gaz à effet de serre, et plus résilients face aux aléas climatiques.

Elle est portée par nos collectivités à travers deux séries d'actions.

En premier lieu, les collectivités inscrivent dans leurs documents de planification des orientations stratégiques par lesquelles elles redéfinissent, à l'horizon de dix à vingt ans, la conception et l'organisation des villes au regard du changement climatique.

En privilégiant la densification des zones déjà urbanisées et la reconversion des friches industrielles et commerciales plutôt que l'ouverture de nouveaux secteurs à l'urbanisation, les collectivités maîtrisent l'étalement urbain. De la sorte, elles préservent les espaces naturels et agricoles, limitent les besoins de déplacement et préviennent les difficultés liées à l'isolation thermique - parfois plus complexe - des habitations isolées.

En outre, en implantant des logements à proximité de transports collectifs ou alternatifs et en veillant à ce que soient présentes dans chaque quartier les différentes fonctions urbaines - habitat, travail, accès aux commerces, aux services et aux loisirs -, les collectivités favorisent des modes de déplacement sobres. Les mobilités douces et les transports en commun trouvent, dans ce cadre urbain, un milieu propice à leur usage.

Ce sont non seulement des villes plus sobres, mais également des villes plus résilientes, que les collectivités promeuvent. La planification urbaine permet ainsi d'éclairer les choix urbanistiques à la lumière des risques naturels.

De manière générale, une ville compacte, mixte sur le plan de ses fonctions et de sa population, bien desservie par des transports collectifs ou alternatifs, et conçue autour de la gestion préventive des risques, est favorable au développement durable et à la solidarité territoriale.

En second lieu, les collectivités poursuivent dans leurs opérations d'aménagement des objectifs de qualité énergétique et environnementale, grâce auxquels elles permettent l'essor de quartiers moins émissifs.

Les projets de renouvellement et de développement urbains sont ainsi l'occasion d'améliorer la performance énergétique du bâti, de promouvoir les transports en commun et les mobilités douces, de développer les énergies renouvelables et de renforcer la place de la nature en ville.

Ces opérations d'aménagement améliorent le cadre de vie ainsi que l'attractivité économique dans les quartiers - souvent défavorisés - où elles sont conduites ; elles réduisent dans le même temps les émissions, les pollutions et les nuisances. Elles sont l'aboutissement concret d'une conception durable de l'urbanisme, où les enjeux environnementaux, économiques et sociaux sont pensés de manière interdépendante.

C'est donc par une implication à double niveau que les collectivités mettent l'urbanisme au service de la lutte contre le changement climatique : avec l'urbanisme stratégique, les collectivités repensent les villes dans leurs documents de planification ; avec l'urbanisme opérationnel, elles renouvellent les quartiers par des opérations d'aménagement.

Parce qu'ils détiennent l'essentiel des compétences en matière d'urbanisme, les communes et leurs établissements sont à l'évidence les plus impliqués dans cet effort. Cependant, les conseils départementaux et régionaux interviennent auprès du bloc communal, en lui offrant notamment un cadre stratégique ou des solutions d'ingénierie.

Comme l'a constaté votre rapporteur lors des auditions du ministère en charge de l'Écologie, de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et de la Fédération nationale des agences d'urbanisme (FNAU), un certain nombre de leviers et d'échelons sont donc mobilisés localement dans la promotion d'un modèle urbanistique durable.

En témoignent plusieurs initiatives locales dont votre rapporteur a rencontré les porteurs de projet.

À l'occasion d'un déplacement de terrain dans la ville d'Issy-les-Moulineaux, le 8 octobre dernier, votre rapporteur a visité le Fort d'Issy, un éco-quartier dont la construction a été initiée en 2009 et qui concentre plusieurs solutions innovantes en faveur du développement durable : un cadre bâti performant, un réseau de chaleur géothermique et une collecte pneumatique des déchets, notamment.

Parce que des projets novateurs s'implantent également dans des quartiers en difficulté, votre rapporteur s'est aussi intéressé au cas de la ville de Reims. Cette collectivité a entrepris un programme de renouvellement urbain intégrant des objectifs énergétiques et environnementaux dans le quartier de Croix Rouge, en 2008, ce qui a conduit à l'attribution du label EcoQuartier au secteur de Pays de France en 2014.

Votre rapporteur a également étudié l'initiative portée par les villes de Grenoble, Fontanil-Cornillon, Saint-Egrève et Saint-Martin-le-Vinoux, d'une part, et le Syndicat mixte des transports en commun de l'agglomération grenobloise, d'autre part, qui ont rapproché leurs orientations respectives en matière d'urbanisme et de transport, en concluant en 2007 un « contrat d'axe » .

Une autre démarche de planification a suscité l'intérêt de votre rapporteur : celle de Brest Métropole Océane, qui a adopté un plan local d'urbanisme « facteur 4 » en 2014, outil de planification intégrée rapprochant plusieurs documents de planification : plan local d'urbanisme (PLU), programme local de l'habitat (PLH), plan de déplacements urbains (PDU) et plan climat-énergie territorial (PCET) 2 ( * ) et fixé des objectifs environnementaux ambitieux.

Enfin, votre rapporteur s'est intéressé aux solutions d'ingénierie développées par le conseil régional du Nord-Pas de Calais, dont le « manifeste pour des projets d'urbanisme durable », élaboré avec un réseau d'agences d'urbanisme partenaires en 2014, rappelle les grands principes.

Ces initiatives locales sont des exemples, parmi d'autres, de l'implication manifeste des collectivités en faveur d'une conception durable de l'urbanisme.

Votre rapporteur observe que les collectivités les plus en pointe dans ce domaine ont su revenir sur des choix urbanistiques hérités du passé qui, en engendrant des besoins de déplacement et, partant, une dépendance à l'usage individuel de la voiture, n'ont que trop contribué aux émissions de gaz à effet de serre. Ces collectivités pionnières ont ainsi préféré la densification des villes plutôt que leur étalement, et la diversification des fonctions des quartiers au lieu de leur spécialisation. Ces orientations favorables au climat, et dont les bénéfices seront appréciables dans un futur proche, nécessitent d'être largement répliquées dans nos territoires.

Dans cette perspective, votre rapporteur souligne que les collectivités gagneraient sans doute à opérer un triple rapprochement des politiques, des schémas et des acteurs intervenant dans le domaine de l'urbanisme. Il s'agit tout d'abord de mieux articuler les choix urbanistiques avec les orientations prises en matière de transport, d'énergie et d'habitat. Le « contrat d'axe » , par lequel quatre communes et le syndicat mixte en charge des transports de la région grenobloise ont lié contractuellement leurs projets d'urbanisme et de transport, illustre les progrès pouvant être accomplis sur ce point.

Un autre enjeu est de rapprocher les différents schémas existants dans un outil de planification intégrée, et de confier son élaboration, sa mise en oeuvre et son évaluation à un comité de pilotage. Le plan local d'urbanisme « facteur 4 » de Brest Métropole Océane, cité plus haut, témoigne des avancées réalisables en ce sens. C'est aussi et surtout grâce à une culture partagée que les différentes parties prenantes - collectivités, aménageurs, bureaux d'étude - pourront agir dans la même direction. Le « manifeste pour des projets durables » élaboré par le conseil régional du Nord-Pas de Calais et ses partenaires, à l'attention des élus et des techniciens, illustre les initiatives pouvant être prises dans cette direction.

Cependant, votre rapporteur tient à rappeler que les efforts engagés par les collectivités en faveur d'un modèle urbanistique durable ne sauraient aboutir sans être davantage accompagnés. Dans le domaine de l'urbanisme, qui nécessite des investissements de long terme, les collectivités doivent pouvoir s'appuyer sur un cadre règlementaire stable et des ressources financières satisfaisantes. Dans le même ordre d'idées, il est également souhaitable de mettre à leur disposition des solutions d'ingénierie adaptées, afin qu'elles puissent bénéficier de l'appui technique dont elles ont besoin pour intégrer pleinement les enjeux énergétiques et environnementaux dans leurs documents d'urbanisme et leurs opérations d'aménagement. Enfin, les collectivités doivent pouvoir solliciter des professionnels formés aux problématiques environnementales : le « verdissement » des métiers de l'urbanisme, de l'aménagement et de la construction, véritables gisements d'emplois d'avenir, est tout à fait essentiel. La création prochaine de l'Institut de la ville durable doit être l'occasion d'offrir aux collectivités les ressources techniques et financières qui leur manquent.

En somme, dans la perspective de la COP21, votre rapporteur souligne que la lutte contre le réchauffement climatique impose de développer un modèle urbanistique moins émissif et plus résilient : les collectivités en sont les architectes.


* 1 Source : Organisation des Nations Unies (ONU).

* 2 L'article 188 de la loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a changé la dénomination du plan climat-énergie territorial (PCET) en plan climat-air-énergie territorial (PCAET).

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