B. AUDITION DE MME CATHERINE MAYENOBE, SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DE LA CAISSE DES DÉPÔTS ET CONSIGNATIONS, M. JEAN-MARC MORIN, DIRECTEUR JURIDIQUE ET FISCAL ET DES SERVICES ASSOCIÉS ET MME BRIGITTE LAURENT, DIRECTRICE DES RELATIONS INSTITUTIONNELLES DU GROUPE CAISSE DES DÉPÔTS
M. Philippe Bonnecarrère, président . - La mission commune d'information sur la commande publique se fixe pour objectif examiner les moyens d'amélioration de la commande publique : comment faire plus souple, moins cher, ouvrir les marchés aux PME, traiter des questions épineuses comme celle des travailleurs détachés ? Notre approche est économico-politique et non juridique.
La Caisse des dépôts et consignations peut nous aider dans ce travail, à la fois en tant qu'opérateur - comment gère-t-elle sa commande publique, directement ou par l'intermédiaire de ses filiales ? - et à travers ses postes d'observation que sont Bpifrance et d'autres organismes qu'elle contrôle.
M. Martial Bourquin, rapporteur . - Au-delà du questionnaire que nous vous avons adressé, votre éclairage nous serait utile sur plusieurs points. Dans un premier temps, nous vous invitons à rappeler les modalités d'intervention de la Caisse des dépôts en matière de commande publique, en indiquant les sommes en jeu et le cadre juridique : commandes directes, subventions, participation aux principaux programmes d'investissement...
La Caisse des dépôts est un pouvoir adjudicateur, comme l'État ou les collectivités territoriales, mais un pouvoir adjudicateur soumis non au code des marchés publics, mais à l'ordonnance du 6 juin 2005. Ce régime plus souple vous convient-il ? Quel est pour vous l'impact des réformes en cours ?
Enfin, quelle est l'action spécifique de la Caisse des dépôts en matière de renforcement de l'accès des PME à la commande publique ?
Mme Catherine Mayenobe, secrétaire générale de la Caisse des dépôts et consignations. - Je suis accompagnée de Jean-Marc Morin, directeur des affaires juridiques et fiscales, et de Brigitte Laurent, directrice des relations institutionnelles du groupe Caisse des dépôts. J'ai dans mon portefeuille la fonction Achats au sein du groupe. Je m'exprimerai en cette qualité, mais aussi en celle d'administratrice de la BPI.
La Caisse des dépôts suit attentivement la situation de la commande publique sous le prisme de son impact économique, sans pour autant ignorer les évolutions préoccupantes du cadre juridique. La Caisse des dépôts oeuvre au développement économique de notre pays et de ses territoires, ce qui nous a conduits au rendez-vous des priorités nationales successives depuis la seconde guerre mondiale : la reconstruction dans les années 1950, le financement des infrastructures dans les années 1970, l'aménagement urbain dans les années 1980, l'accompagnement de la mondialisation dans les années 1990.
Notre directeur général actuel, Pierre-René Lemas, l'a résolument recentrée sur l'accélération et l'accompagnement des transitions, en particulier dans les territoires les plus fragilisés : la transition économique et énergétique ouvre bien des possibilités de création de valeur en accompagnement de l'adaptation des infrastructures ; la transition numérique, cette nouvelle donne, percute l'ensemble des secteurs d'activité ; la transition démographique, enfin, nous ouvre de nombreuses opportunités comme la « silver économie ».
Parce que ces transitions sont cruciales pour les territoires, nous nous réorganisons pour renforcer notre présence locale. Nous prenons acte de ce que 70 % de l'investissement public est aujourd'hui consenti par les collectivités territoriales. De nombreuses entreprises ne se développeront que si nous accompagnons l'émergence et la structuration d'écosystèmes locaux dont ces collectivités ont généralement l'initiative.
Ces orientations se traduisent par un soutien actif à l'investissement, par la voie d'apports en fonds propres, de prêts et de garanties. La Caisse des dépôts est un acteur majeur de la commande publique, notamment en raison de son rôle prescripteur. Notre but est d'alimenter en moyens financiers les acteurs publics.
Entre 2015 et 2019, nous consacrerons vingt milliards d'euros de fonds propres à l'investissement, et cent milliards en prêts sur fonds d'épargne, ventilés dans cinq secteurs prioritaires : le logement, le développement des entreprises, les infrastructures, la mobilité durable et le tourisme. Pour la seule année 2014, 16,7 milliards d'euros de prêts ont été accordés pour le logement social et la ville - un record ! Le gouvernement a alloué une enveloppe de vingt milliards aux collectivités territoriales, dont cinq milliards dans le domaine de la croissance verte, où nous compensons les insuffisances du système bancaire traditionnel. Nous disposons de nouvelles modalités d'intervention, puisque nous sommes désormais autorisés à prêter à hauteur de 100 % pour les projets d'un montant inférieur à un millions d'euros, et de 75 % pour les projets de un à deux millions d'euros. Ce faisant, nous alimentons la partie de la commande publique la plus accessible aux PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI) des territoires. Enfin, 80 % des projets financés appartiennent aux domaines du bâtiment public, des infrastructures hospitalières, du transport et des infrastructures d'eau et d'assainissement.
La Caisse des dépôts apporte également un soutien actif aux entreprises, tout particulièrement à travers l'accompagnement des entreprises innovantes assuré par l'ex-Fonds de soutien à l'innovation. Grâce à cette aide indirecte, les entreprises du secteur peuvent mieux souscrire aux conditions des marchés portés par les collectivités territoriales.
Nous ne répondons pas directement aux marchés publics, mais nos filiales - la Scet (services, conseil, expertise et territoires) en accompagnement des collectivités territoriales, Transdev, la Compagnie des Alpes - le font.
En tant qu'acheteur public, la Caisse évolue dans un cadre juridique spécifique déterminé par la directive européenne 2004/18/CE, qui ne concerne toutefois pas ses filiales. L'établissement public Caisse des dépôts et consignations est visé à l'alinéa 3 de l'article 3 de l'ordonnance du 6 juin 2005, et non au code des marchés publics. L'ordonnance du 18 juin 2004 sur les contrats de partenariat ne vise pas la Caisse des dépôts. Ce régime spécial s'applique aussi à sa filiale SNI et au GIE Informatique CDC, le groupement d'intérêt économique (GIE) in-house de la Caisse.
En volume, nos achats dans le périmètre établissement public, SNI et Informatique CDC s'élèvent à 400 millions d'euros par an, principalement des prestations intellectuelles. La procédure est, dans les deux tiers des cas et pour un tiers du volume financier, celle des marchés subséquents à des accords-cadres, afin d'assurer une plus grande souplesse d'exécution. Les appels d'offres ouverts sont l'exception. Notre politique d'achat repose sur un ensemble de règles affichées dans une charte déontologique à laquelle nos acheteurs doivent se conformer.
M. Philippe Bonnecarrère, président . - Ces règles sont-elles détaillées dans un manuel ?
Mme Catherine Mayenobe. - Oui.
M. Philippe Bonnecarrère, président . - Est-ce une pratique propre à votre établissement, ou constatez-vous une convergence des pratiques d'achat entre les institutions publiques, voire les grandes entreprises ?
Mme Catherine Mayenobe. - Des cercles d'acheteurs, comme la Compagnie des dirigeants et acheteurs de France (CDAF) préconisent des bonnes pratiques. J'ai souhaité décliner notre charte de groupe dans le domaine des achats, qui nécessite une vigilance particulière. La communauté des acheteurs s'étend, au-delà de la sphère publique - dans nos relations avec les autres parties prenantes dont le Service des achats de l'État -, à la sphère privée à travers le réseau de notre groupe.
La Caisse des dépôts confie chaque procédure à des couples d'acheteurs, dont l'un est compétent sur le volet juridique et l'autre sur le volet économique. Elle intervient également comme fédérateur dans la commande publique, offrant à ses filiales des conditions plus attractives qu'en soumissionnant individuellement. Dans une commande de téléphonie mobile, le regroupement de vingt filiales nous a ainsi placés en position de dégager des marges de performance. Des marchés d'intérim, de formation et d'allocation longue durée de véhicules ont également été passés de cette manière. Même dans les volumes modiques, nous aspirons à l'exemplarité, en cohérence avec nos engagements stratégiques : un achat responsable, décliné dans notre engagement « responsabilité sociale des entreprises » (RSE) qui consiste notamment à privilégier l'achat de proximité ; des efforts en faveur de l'accès des PME et PMI à la commande publique.
M. Philippe Bonnecarrère, président . - Considérez-vous que la RSE doit jouer un rôle important dans la détermination des critères de sélection des offres ?
Mme Catherine Mayenobe. - Intégrer cette dimension RSE donne une dimension qualitative. On ne peut avoir des modes de fonctionnement déphasés par rapport aux valeurs que l'on porte. Un exemple : les émissions de CO 2 . La quantité de colle utilisée dans la fabrication de notre mobilier, les kilomètres parcourus par le fournisseur sont désormais pris en compte dans nos achats. Nous revoyons ainsi nos critères de choix pour privilégier des prestataires qui, dans un autre cadre, n'auraient pu émerger.
M. Martial Bourquin, rapporteur . - En somme, vous préconisez le mieux-disant. Vous avez évoqué des valeurs et une communauté des acheteurs. Discutez-vous avec eux ?
Mme Catherine Mayenobe. - Oui.
M. Martial Bourquin, rapporteur . - Pensez-vous que ne pas être astreint au code des marchés publics vous donne une marge de manoeuvre plus importante ?
Mme Catherine Mayenobe. - Tout à fait.
Quant aux PME, nous avons repris les dix engagements de la charte adoptée en 2010 par la Médiation du crédit et la Compagnie des Dirigeants et Acheteurs de France (CDAF), qui régit les relations entre grands donneurs d'ordre et PME. Les deux tiers de nos marchés notifiés sont passés avec des TPE ou des PME.
Nous avons mis en place en 2013 une plate-forme de consultation, qui, en simplifiant le système et en le rendant plus transparent, supprime l'une des principales barrières à l'entrée pour les petites entreprises. Une dématérialisation analogue servira pour les demandes d'attestation. Nous avons pris l'engagement de procéder au règlement des prestations dans les trente jours, faute de quoi nous versons des intérêts moratoires. Nous n'ignorons pas que la question de la trésorerie est particulièrement importante pour les petites entreprises.
Le projet d'ordonnance transposant la directive 2014/24, s'il nous ouvre des souplesses, nous assujettit à la catégorie générale des acheteurs publics, sans prendre en compte notre régime spécifique. Pour notre part, nous ne souhaitons pas que la Caisse des dépôts soit attraite sous une tutelle ministérielle.
Autre sujet de préoccupation, le projet d'ordonnance encadre strictement le recours aux marchés de partenariat, en interdisant notamment le lissage des investissements immobiliers. Cela devrait affecter fortement les projets immobiliers et de valorisation du patrimoine des collectivités territoriales et de nos filiales partenaires. Nous espérons par conséquent un assouplissement des conditions de recours à ce type de marchés.
La directive 2014/23 définit un régime assez proche du droit national. Les points qui nous intéressent dans sa transposition sont la définition des contrats de délégation de service public et la notion d'avantage économique global qui guide leur attribution.
M. Jean-Marc Morin, directeur des affaires juridiques et fiscales du groupe Caisse des dépôts et consignations. - Un grand nombre de procédures ont été regroupées sous le partenariat, de sorte qu'on ne pourra utiliser la vente en état futur d'achèvement (vefa) dans les mêmes conditions. Nous évoluerons dans un cadre beaucoup plus contraint, ce qui devrait affecter les partenariats que nous passerons avec les collectivités.
Mme Catherine Mayenobe. - Des acheteurs publics ont été contraints de modifier leurs modalités d'intervention, en particulier dans le domaine immobilier, à cause de la rigidité du dispositif.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Vous avez annoncé la volonté de renforcer la présence territoriale de la Caisse des dépôts. Le ferez-vous en corrélation avec l'État, qui a manifesté par la voix du Premier ministre des intentions similaires, en privilégiant l'échelon départemental ? Pourriez-vous préciser votre action dans le domaine de l'accompagnement des entreprises ?
M. Daniel Raoul . - Je n'ai pas bien compris sous quelles modalités la transition démographique était prise en compte dans vos objectifs.
Vous avez ensuite déploré la perte de souplesse que risquait de provoquer la transposition de la directive sur les marchés de partenariat, mais vous disposez d'un nouvel outil créé à l'initiative du Sénat, les Semop (sociétés d'économie mixte à opération unique), une forme intermédiaire entre les partenariats public-privé et les sociétés d'économie mixte classiques. Des partenariats intéressants entre les collectivités et la Caisse des dépôts peuvent être trouvés pour les opérations d'aménagement.
Enfin, vous indiquez que la transposition de la directive 2014/24 vous classe en quelque sorte parmi les opérateurs de droit commun. Le régime de la DGA évolue-t-il ?
M. Philippe Bonnecarrère, président . - Non, car le projet d'ordonnance exclut du périmètre les armements et l'industrie de défense.
M. Daniel Raoul . - Il m'arrive de le regretter en comparant le prix d'un boulon suivant qu'il est civil ou militaire !
M. Éric Doligé . - Les montages financiers de partenariat auxquels participe la Caisse des dépôts sont-ils nombreux, quel est leur montant total et que pèsent les PME dans ce montant ?
Mme Catherine Mayenobe. - L'accompagnement de la transition démographique concerne la prise en compte des besoins suscités par l'évolution de la structure démographique de notre pays, notamment à travers notre composante immobilière. Le concept de bi-home fera cohabiter deux générations ayant des habitudes et des styles de vie différents. La mobilité, la mixité dans l'organisation de l'espace présentent un fort potentiel de création de valeur. C'est encore le cas du tourisme : une partie de la population, souvent la plus âgée, développe de nouveaux usages dans ce domaine qui appellent des offres adaptées. Dans la mesure où nous gérons un retraité sur cinq, cela fait partie de nos priorités.
Notre directeur général a pris l'engagement de conserver, voire de renforcer l'ensemble de nos implantations territoriales. Nous souhaitons tout particulièrement maintenir une forte proximité auprès des collectivités afin d'améliorer la lisibilité des offres pour nos contreparties, voire d'apporter une aide aux montages financiers, dans un contexte de complexité croissante. Marc Abadie, récemment nommé directeur du réseau et des territoires, a été chargé par le directeur général de développer cette expertise auprès des collectivités.
Dans le domaine de l'accompagnement des entreprises, Bpifrance poursuit sa montée en puissance. Nous avons regroupé les outils d'accompagnement dans la chaîne de l'innovation et augmenté les volumes financiers distribués aux PME. Enfin, nous développons des outils transversaux, comme des consultations à prix modique pour aider les chefs d'entreprise à établir une stratégie à cinq ou six ans. Nous aidons également les start-up à entrer en relation avec les grands prescripteurs : dans le domaine immobilier, une initiative d'Icade a produit de très bons résultats.
Nous avons des difficultés, dans le cadre de la commande publique, à aider les start-up à produire la preuve de concept, une phase cruciale dans la levée de financements. Voilà une piste de réflexion possible pour votre mission.
Nous n'avons pas établi de bilan global de nos partenariats. Nous constatons, chez les collectivités, une certaine baisse d'enthousiasme pour les partenariats public-privé. Nous avons mis sur pied un montage avec l'université de Bordeaux - un partenariat public-public - qui n'a pu être déployé à grande échelle. Nous essayons actuellement d'identifier les modalités d'intervention les plus appropriées.
Quant aux Semop, la Caisse des dépôts s'en tient à un rôle d'accompagnateur des collectivités territoriales ; le choix des modalités d'intervention appartient à celles-ci. Nous avons des projets dans les domaines des réseaux de chaleur et du numérique : nous restons à l'écoute des collectivités.
M. Philippe Bonnecarrère, président . - Nous vous remercions.