II. LA PERSPECTIVE OUVERTE D'UNE LEVÉE DES SANCTIONS INTERNATIONALES

Promesse, à défaut d'assurance, d'une normalisation non seulement diplomatique mais aussi économique des échanges internationaux de l'Iran, l'accord de Vienne a prévu un processus de levée progressive des sanctions internationales qui ont été prises à l'encontre de ce dernier, en raison de son programme nucléaire, depuis les années 2006-2007.

A. UN RÉGIME COMPLEXE DE SANCTIONS

Les sanctions qui ont été imposées à l'Iran, jusqu'à leur suspension partielle convenue dans l'accord intérimaire de Genève de novembre 2013 et dont l'accord de Vienne rend désormais possible, dans un proche avenir, la levée progressive, se présentent pour l'essentiel sous la forme de trois blocs distincts :

- d'une part, des résolutions prises, à partir de décembre 2006, par le conseil de sécurité des Nations Unies , dont les effets pratiques sont toutefois restés limités ;

- d'autre part, des décisions convergentes, mais économiquement plus contraignantes, adoptées à partir de juin 2007, et progressivement accrues, par l' Union européenne ;

- enfin, diverses normes édictées par les État-Unis , dont les premières remontent à 1979, renforcées en dernier lieu dans le même temps qu'étaient adoptées les résolutions précitées du conseil de sécurité des Nations Unies.

On notera pour simple mémoire ici que la Suisse, Israël, l'Inde, la Corée du Sud et le Japon ont également appliqué des mesures de sanctions à l'encontre du régime de Téhéran, à différents niveaux.

1. Les sanctions du conseil de sécurité des Nations Unies

Les sanctions adoptées par le conseil de sécurité des Nations Unies sont fondées sur six résolutions prises entre 2006 et 2010.

La résolution 1696 du 31 juillet 2006 a d'abord mis en garde l'Iran contre son programme balistique, militaire et nucléaire, sans assortir cette mise en garde d'aucune sanction, mais elle ouvrait la voie en la matière. Elle exigeait la suspension des activités iraniennes liées à l'enrichissement ou au retraitement de l'uranium, en laissant un mois au pays pour se conformer au contrôle de l'AIEA.

C'est la résolution 1737 du 23 décembre 2006 qui a décidé d'une première vague de sanctions à l'encontre de l'Iran, en demandant à celui-ci de mettre fin à ses « activités proliférantes sensibles ». Un embargo visant les technologies nucléaires à usage double était décidé contre le pays, et les avoirs à l'étranger de plusieurs personnes et entités associées à son programme nucléaire gelés sur cette base, dont une banque internationale iranienne (Sepah). La résolution 1747 du 24 mars 2007 a renforcé à la marge ces mesures coercitives.

La résolution 1803 du 3 mars 2008 a notamment appelé à la vigilance financière, en citant dans ce cadre, mais sans geler leurs avoirs, deux banques internationales iraniennes (Saderat et Melli), et la résolution 1835 du 27 septembre 2008 , sans comporter de nouvelle mesure coercitive, exhortait l'Iran à s'acquitter « pleinement et sans délai » de ses obligations lui imposant de suspendre son programme d'enrichissement de l'uranium et de coopérer avec l'AIEA.

La résolution 1929 du 9 juin 2010 , enfin, a accentué les sanctions prises contre l'Iran en rompant le lien jusqu'alors maintenu par le conseil de sécurité entre la prolifération nucléaire et les biens faisant l'objet d'un embargo ou les personnes dont les avoirs étaient gelés : d'autres biens et personnes que ceux concourant directement au programme nucléaire iranien étaient désormais visés. Cette résolution a ouvert la voie à l'Union européenne et aux États-Unis pour établir des sanctions visant de plus en plus des secteurs économiques du pays.

2. Les sanctions de l'Union européenne

Les sanctions européennes contre l'Iran, décidées à partir de juin 2007, se sont appuyées sur les résolutions précitées du conseil de sécurité des Nations Unies, tout en étendant leurs effets dans un sens de plus en plus contraignant au plan économique.

Le règlement n° 423/2007 du 23 juin 2007 a d'abord amplifié, pour ce qui concernait l'Union européenne, la résolution 1737 susmentionnée du 23 décembre 2006 : les embargos et gels d'avoirs prévus par cette résolution ont été mis en oeuvre au-delà des exigences de celle-ci, le principe selon lequel l'Union pouvait adopter des mesures complémentaires à celles des Nations Unies étant acté. De la sorte, outre la banque Sepah, la banque Melli a vu ses avoirs gelés par l'Union européenne en juin 2008, tandis que la banque Saderat (présente sur la place de Paris) était placée sous vigilance renforcée. À la fin de l'année 2008 , toutes les banques iraniennes se trouvaient placées sous vigilance financière renforcée et les compagnies de transports iraniennes sous vigilance douanière ; des listes de gels complémentaires étaient décidées par l'Union européenne. En outre, l'Union a alors invité ses États membres à limiter le crédit-export vers l'Iran.

Le 17 juin 2010 , le Conseil européen, réuni au sommet, a adopté une déclaration sur l'Iran dans laquelle il se déclarait de plus en plus préoccupé par le programme nucléaire iranien et invitait le conseil des ministres de l'Union européenne à prendre des mesures restrictives mettant en oeuvre la résolution 1929 susmentionnée du 9 juin précédent. Il indiquait que ces mesures restrictives devaient être appliquées à l'égard d'autres personnes et entités que celles désignées par les Nations Unies, mais en utilisant les mêmes critères. La mise en place de sanctions autonomes de l'Union européenne était ainsi engagée.

L'embargo alors décidé par l'Union visait les principales technologies pétrolières et gazières de l'Iran (interdiction des prêts, subventions et investissements afférents). L'assurance-crédit moyen et long terme était fermée en direction du pays et un régime d'autorisation préalable mis en oeuvre en ce qui concernait les flux financiers. Le potentiel bancaire iranien en Europe se trouvait figé (empêchement de l'ouverture de nouvelles banques, succursales ou filiales, et des relations bancaires). Les avoirs européens de la principale compagnie maritime iranienne (IRISL Group) étaient gelés, comme ceux d'une dizaine de banques, dont la Saderat. Enfin, il était interdit d'apporter une assistance à l'émission et la gestion de la dette publique iranienne.

En 2011 , l'Union européenne a mis en place un nouveau régime de sanctions à l'encontre des personnes ayant participé à la répression politique en Iran et la principale banque irano-allemande, EIH, voyait ses avoirs gelés à la demande de la France. Le 23 octobre de la même année, une nouvelle déclaration sur l'Iran du Conseil européen a demandé aux ministres des affaires étrangères des États membres de l'Union d'élargir encore le champ des sanctions visant le pays. Le Conseil des ministres des affaires étrangères du 1 er décembre 2011 a répété sa « préoccupation croissante » sur la nature du programme nucléaire iranien, en particulier au vu des conclusions présentées, au mois de novembre précédent, par l'AIEA, sur les activités liées au développement de la technologie nucléaire militaire (cf. supra ) ; il décidait d'examiner, en coordination avec ses partenaires internationaux, des mesures supplémentaires, dont « des mesures visant à affecter sérieusement le système financier de l'Iran ».

En janvier 2012 , un nouveau train de sanctions contre l'Iran s'est ainsi trouvé adopté : embargo pétrolier total ; interdiction des assurances et réassurances maritimes (afin d'affecter lourdement le transport international de pétrole iranien) ; embargo sur la pétrochimie ; embargo sur l'or et les métaux précieux, ainsi que sur une liste de métaux bruts et semi-finis ; embargo sur la livraison de pétroliers. Les avoirs de la banque Tejerat (dernière banque iranienne présente à Paris) étaient gelés, à la demande de l'Allemagne, comme ceux de la banque centrale d'Iran, nonobstant la possibilité de dérogations pour cette dernière. L'assurance-crédit court terme était fermée. Enfin, en décembre 2012 , les avoirs de la NIOC, opérateur pétrolier iranien, étaient à leur tour gelés ; l'embargo était étendu au gaz iranien et aux technologies navales ; la livraison de biens frappés par l'embargo mais commandés antérieurement aux décisions de sanctions, jusqu'alors possible, devenait prohibée ; l'enregistrement de navires iraniens étaient interdit dans l'Union européenne ; les listes des gels d'avoirs frappant des personnes et entités liées à l'Iran étaient une fois de plus étendues.

3. Les sanctions des États-Unis

Le droit des États-Unis destiné à sanctionner l'Iran est en partie ancien , dans la mesure où il a été mis en place à partir de la crise des otages de l'ambassade américaine de Téhéran survenue en novembre 1979, dans un but de répression des positions anti-américaines prises par le pays et au motif de son soutien à des activités d'ordre terroriste. À partir de 1995, les sanctions américaines ont aussi poursuivi un objectif d'empêchement de l'Iran d'accéder à des armes de destruction massive et de développer ses capacités balistiques ; elles ont été amplifiées à compter de 2006, du fait de la crise ouverte par les avancées du programme nucléaire iranien.

Ce droit est également foisonnant , du fait de la diversité des normes qui le constituent : executive orders présidentiels, législations fédérales, législations des États fédérés et interventions du Bureau de contrôle des avoirs étrangers ( Office of Foreign Assets Control , OFAC) du Trésor. L'Iran, pour ce qui concerne les États-Unis, relève ainsi d'une série de sanctions provenant de textes dont les natures sont différentes mais les effets cumulatifs.

Ces textes consistent d'ailleurs souvent en des régimes complexes , à l'instar du plus récent executive order en la matière, daté du 3 juin 2013. Ce dernier, introduisant une nouvelle série de sanctions économiques à l'encontre de l'Iran, a désigné, en plus d'entités iraniennes réputées liées au programme nucléaire du pays ou impliquées dans une violation des droits de l'homme, quelque trente-sept sociétés considérées comme utilisées par le régime iranien afin de contourner les sanctions internationales. Les sanctions instituées à cette occasion ont visé les activités financières liées au rial - la monnaie iranienne : d'une part, les opérations d'achat ou de vente de rials ou de dérivés financiers ; d'autre part, le maintien de fonds ou de comptes libellés en rials à l'extérieur de l'Iran. Ces sanctions ont également visé un large périmètre d'opérations en lien avec le secteur automobile iranien, frappant, en premier lieu, les sociétés engagées dans des exportations significatives de biens et services liés à ce secteur, ainsi que les maison-mères, filiales et entreprises codétenues par ces sociétés aux États-Unis, et, en second lieu, les institutions financières contribuant au financement de ces opérations. Un délai d'un mois a été laissé aux sociétés en cause pour quitter le marché iranien.

Ce droit est en outre caractérisé par son applicabilité extraterritoriale , particularité de la pratique des États-Unis historiquement apparue avec les mesures prononcées contre Cuba dans les années 1960. Cette spécificité des sanctions américaines contre l'Iran repose sur trois piliers :

- d'une part, l' utilisation du dollar dans les échanges commerciaux internationaux. Le dollar se trouvant naturellement sous la souveraineté des États-Unis, les opérateurs qui l'utilisent sont considérés comme plaçant ipso facto leurs transactions sous la juridiction américaine ;

- d'autre part, l' approche économique retenue par les autorités américaines. Celles-ci, en synthèse, estiment que les opérateurs étrangers ne sauraient tirer profit du marché américain - épargne, investissements, marchés publics, technologie, sécurité juridique, etc. - et, à la fois, ignorer le droit des États-Unis, en l'occurrence les sanctions visant un pays, l'Iran, qu'ils ont inscrit sur la liste des ceux qui appartiennent à « l'axe du mal » et sont soupçonnés de favoriser le terrorisme ;

- enfin, le caractère extensif - et, aux yeux des membres du groupe de travail auteur du présent rapport, sans doute excessif - de l'interprétation de ces règles, qui en amplifie sensiblement la portée. En effet, dès lors qu'une société est présente aux États-Unis, même de façon marginale, le groupe entier dont elle relève s'avère susceptible de sanctions pour non application de la législation américaine, et non seulement cette entreprise mais aussi la banque qui a assuré le financement de ses opérations pourront être sanctionnés.

C'est ainsi qu'en 2014 la banque BNP-Paribas , accusée d'avoir accompagné, en violation des mesures d'embargo américaines, des opérations en lien avec l'Iran notamment (mais aussi avec Cuba et le Soudan) qui étaient compensées en dollars, et d'avoir délibérément dissimulé ces transactions, a dû reconnaître publiquement sa culpabilité, licencier plusieurs de ses cadres dirigeants et acquitter, après négociation avec les régulateurs américains du secteur financier, une amende de quelque 8,8 milliards de dollars. Au début du mois de septembre 2015, la presse révélait que le Crédit agricole , dans une situation comparable, se trouvait menacée de devoir payer une amende, en cours de négociation, proche d'un milliard de dollars.

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