II. DES RISQUES RÉDUCTIBLES DANS LEUR AMPLEUR OU LEUR ÉCHÉANCE

Faire face à la montée du niveau de la mer et à ses impacts considérés comme un défi important, si le choix est fait de réagir sans délai pour planifier investissements et actions, plus limitées seront ses conséquences géopolitiques. Le coût du traitement de ces conséquences dans l'urgence lors de la survenance de catastrophes humanitaires et économiques sera beaucoup plus élevé.

Il convient donc de réduire les causes du réchauffement climatique et de mettre en oeuvre les dispositifs de prévention et de protection nécessaires pour limiter ses conséquences.

A. L'IMPORTANCE DES POLITIQUES D'ATTÉNUATION

1. La réduction des émissions de gaz à effet de serre

D'ici la fin du siècle, la concentration des GES dans l'atmosphère devra être limitée à 450 ppm (partie par million), pour éviter que le réchauffement ne dépasse les 2°C. Pour cela, il faudrait réduire les émissions de 40 % à 70 % d'ici 2050, et quasiment à un niveau nul d'ici 2100.

Depuis la prise de conscience de Kyoto et après l'échec de Copenhague, le temps de l'action est venu de décider en temps utiles, et surtout de mettre rapidement en oeuvre de véritables politiques d'atténuation. A défaut, les études successives du GIEC pointent toutes dans la même direction celle d'une évolution incontrôlée avec la possibilité d'une évolution assez catastrophique pour nos sociétés.

a) Les politiques d'atténuation ont un sens

L'élimination progressive au titre du Protocole de Montréal des substances qui appauvrissent la couche d'ozone devrait permettre à celle-ci de se reformer d'ici quelques décennies.

Le protocole de Montréal

Signé par 24 pays et par la Communauté économique européenne le 16 septembre 1987, il est entré en vigueur le 1 er janvier 1989. En 2009, 196 pays sont signataires, il est ainsi le premier protocole environnemental à atteindre la ratification universelle. Il impose la suppression de l'utilisation des CFC, sauf pour des utilisations qualifiées de critiques ou essentielles, de halons, bromure de méthyle et autres substances appauvrissant la couche d'ozone. En 2009, les CFC sont définitivement supprimés, à l'exception de quantités très minimes et indispensables (utilisation en médecine). Les premières mesures indiquent que les décisions résultant de cet accord commencent à avoir les effets recherchés, ce qui montre que la mise en place de politique d'atténuation est possible.

L'Agence internationale de l'énergie (AIE) a constaté, pour la première fois depuis quarante ans, que les émissions mondiales de CO² provenant du secteur de l'énergie avaient marqué le pas en 2014 sans que cette inflexion soit liée à un bouleversement économique mondial de grande ampleur. Elle attribue cet arrêt de la progression des émissions à un changement des modes de consommation d'énergie en Chine et dans les pays de l'OCDE. Dans le cas de la Chine, 2014 a marqué un tournant pour la production électrique à partir de sources d'énergie renouvelables. Dans les pays de l'OCDE, les efforts visant à promouvoir l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables commencent à modifier le lien existant entre croissance économique et émissions de CO².

C'est pourquoi ces politiques doivent être encouragées et renforcées impérativement.

b) La mise en place de cette politique doit être appréciée comme un investissement

Sans doute les politiques d'atténuation ont-elles un coût immédiat en ce qu'elles affectent de logiciel économique des grands pays industriels et des pays émergents, mais ce coût n'est rien mesuré à l'aune des catastrophes futures qu'entraînera l'inaction. Plus vite la politique industrielle et commerciale sera changée, plus modestes seront les dégâts et les coûts pour l'ensemble de nos sociétés.

En 2006, l'économiste Nicholas Stern , vice-président de la Banque mondiale, a défendu dans un rapport 88 ( * ) commandé par le gouvernement britannique sur le changement climatique qu'un faible investissement à court terme, qu'il estimait alors à 1 % du PIB mondial, permettrait de supprimer les causes les plus importantes de la dérive climatique. Par contre, si l'on attend les premières catastrophes, le coût pourrait dépasser 20 % du PIB mondial.

Les experts du GIEC font également des propositions pour rentrer dans l'ère de l'atténuation, notamment via le recours à une production électrique décarbonée. Les énergies renouvelables, le développement massif des techniques de stockage du CO2 et des programmes de reforestation, l'énergie nucléaire, l'efficacité énergétique font partie des pistes évoquées. Toutefois, pour maintenir la concentration de gaz à effet de serre en dessous de 530 ppm en 2100, il faudrait investir annuellement au niveau mondial près de 700 milliards de dollars dans l'efficacité énergétique, et au moins 200 dans la production d'électricité 89 ( * ) , ce qui, représente un peu plus d'1,2 % d'un PIB mondial estimé en 2013 entre 72 700 et 74 900 milliards de dollars.

Plus les politiques d'atténuation seront massives et précoces et moins les effets du changement climatiques seront accentués.

Pour autant, compte tenu de l'incertitude existant sur la capacité des sociétés humaines à s'engager dans cette voie et à tenir leurs engagements, il est nécessaire de rechercher des solutions pour traiter les problèmes qui vont se poser avec acuité dans les prochaines années par des politiques d'adaptation, en accroissant la résiliences des sociétés menacées et en préparant des stratégies de solidarité internationale.

L'ensemble de ces politiques, si elles sont menées à bien, auront pour effet de réduire les tensions consécutives aux situations de crise et d'abaisser le seuil de conflictualité inhérente à leur survenance . Mais plus on tarde à les mettre en place, plus elles seront coûteuses et moins elles seront efficaces, elles nécessiteront en outre la mobilisation de ressources qui viendront s'ajouter à celles nécessaires pour les reconstructions consécutives aux catastrophes naturelles prévisibles.

De ce point de vue, les résultats de la 21e Conférence de la convention des Nations unies sur le Changement climatique (UNFCCC) constitueront un indicateur de la volonté des États de s'orienter résolument vers une diminution des émissions de CO² par la fixation de normes contraignantes à un niveau compatible avec le maintien du réchauffement à 2°C, ce qui est un minimum . Nombre d'experts sont même convaincus que le seuil des incidences catastrophiques se situerait aux alentours d'un réchauffement de 1,5°C de la planète.

Il faudra naturellement que ces obligations soient respectées dans les faits et que ces engagements soient bien considérés comme une étape et non comme un aboutissement.

Les incertitudes existant sur la prise en compte de certains phénomènes géophysiques, en l'état actuel des connaissances scientifiques, rendent nécessaires un effort de recherche scientifique, mais aussi un suivi approprié des évolutions, afin de pouvoir reconsidérer le moment venu les niveaux d'engagement et de contrainte.

Dans un monde marqué par la croissance démographique et l'augmentation des disparités économiques et écologiques, il importe également sur le long terme de créer les conditions pour fonder des valeurs soutenues par tous les peuples et qui permettront de construire des solutions aux défis globaux de notre monde . Ceci est nécessaire pour échapper au dilemme sur des questions pour lesquelles il sera très difficile d'arriver à des solutions de consensus, notamment lorsqu'elles impliqueront des questions de sécurité. La déclinaison du principe de justice, issu de la Convention universelle des droits de l'homme de 1948, aujourd'hui largement partagé, pourrait constituer un point de départ pour construire une approche plus solide dans les négociations entre pays développés, émergents et en développement sur ces questions.

c) Le secteur de la défense est concerné par la mise en oeuvre de cette politique

Comme le rappelle la communication de la Commission européenne de juillet 2013, « les forces armées sont les plus grands consommateurs publics d'énergie dans l'UE », et leurs dépenses annuelles cumulées en électricité sont estimées à 1 milliard d'euros.

L'enjeu a été jusqu'à présent plutôt d'aborder la question de la dépendance de l'efficacité de l'outil militaire aux combustibles fossiles par le prisme budgétaire. Les coûts étaient en forte augmentation depuis une dizaine d'années (de 30 dollars début 2004, le baril est passé à plus de 100 dollars début 2014) et expose les budgets à un risque d'inflation non négligeable. La décroissance actuelle des prix affaiblit ce raisonnement sans pour autant remettre en cause l'objectif, à la fois parce que la baisse des prix ne sera peut-être pas durable, d'autre part parce que la question de l'efficacité énergétique recueille un fort soutien dans l'opinion publique.

L'optimisation de la consommation énergétique des armées est le principal axe de travail de la Commission européenne en la matière. Le couple environnement-réduction de la consommation énergétique pourrait être le futur des industries de défense qui seraient en mesure de se positionner en leader sur ces sujets, et non en retrait comme cela a pu être le cas. C'est le message que devrait continuer de porter la DGA.

Le développement de ces politiques devrait également influencer le secteur des industries de défense qui doit s'attacher à répondre aux besoins de ses clients. Toutefois comme l'indique l'étude de l'IRIS 90 ( * ) , « le paramètre « changement climatique » ne semble pas, pour l'heure, compter parmi les éléments structurant l'élaboration des programmes d'armements, et ce malgré leur durée - généralement sur une cinquantaine d'années, de la conception à la fin de vie. Bien que l'écoconception constitue la réponse à la hausse des contraintes et exigences liées à l'impératif de préservation de l'environnement et à la rareté des ressources naturelles mobilisées, on ne peut aujourd'hui parler de véritable « climato-conception ». Pour les industriels, le climat fait certes partie des préoccupations environnementales mais ne fait pas l'objet d'un intérêt spécifique lors de la conception des programmes. Cela ne signifie pas que les décisions prises par les industriels, poussés par le phénomène de régulation/réglementation et le coût de l'énergie, n'ont pas d'effets vertueux mais simplement qu'elles ne sont pour l'instant absolument pas motivées par une prise en compte croissante de l'objet « dérèglement climatique ».

Du reste, s'agissant de la sécurité nationale, cet objectif ne peut que rester astreint à certaines limites. Le débat se résume à un arbitrage entre efficacité opérationnelle et sobriété environnementale et énergétique . « Or l'objectif d'efficacité est non négociable et supplante de loin les éventuelles économies de carburants ou d'énergie en opérations. L'effort doit être concentré sur l'efficacité énergétique des infrastructures, les marges de progression en la matière étant considérables » 91 ( * ) .

2. L'inquiétante tentation de la géo-ingénierie climatique

L'échec des politiques d'atténuation par réduction des émissions de GES pourrait à l'avenir déboucher sur une tentation forte d'utiliser des techniques de géo-ingénierie climatique susceptibles, par une manipulation délibérée de l'environnement, de contrecarrer le changement climatique d'origine anthropique 92 ( * ) . Peu connue du grand public en France, la géo-ingénierie suscite aux États-Unis et au Royaume-Uni un âpre débat au sein de la communauté scientifique. Ces techniques sont perçues par certains scientifiques comme une police d'assurance en cas d'échec de la communauté internationale à endiguer le changement climatique 93 ( * ) .

La géo-ingénierie du climat

Deux formes de géo-ingénierie du climat sont étudiées par les scientifiques : la gestion du rayonnement solaire et l'élimination du dioxyde de carbone.

La gestion du rayonnement solaire a pour but de réduire la quantité d'énergie solaire absorbée par la Terre. Elle vise à modifier l'albédo de la Terre, c'est-à-dire à augmenter son pouvoir réfléchissant. Ses techniques sont par exemple l'ensemencement des nuages, l'injection d'aérosols réfléchissants dans l'atmosphère et la mise en place de vastes miroirs dans l'espace.

L'élimination du dioxyde de carbone consiste à extraire du CO2 de l'atmosphère par des méthodes d'extraction directe ("épuration") ou des méthodes indirectes telles que le reboisement ou la fertilisation des océans, c'est-à-dire en augmentant l'absorption de CO2 par le plancton. Certains considèrent aussi le piégeage et le stockage du CO2, c'est-à-dire son extraction au cours des processus industriels, comme une technique de géo-ingénierie climatique, tandis que d'autres y voient une technologie à basse émission de carbone. D'importantes recherches sont en cours afin d'explorer ces options.

Les stratégies d'intervention sur le climat pourraient un jour faire partie d'un éventail de stratégies de réaction climatique mais, pour l'instant, ces technologies en sont à un tout premier stade de développement.

Toutefois, la méconnaissance de ses impacts sur les échanges océano-atmosphériques, sur le cycle du carbone et donc sur le climat global de l'écosystème terrestre et le développement d'expérimentations accordées unilatéralement, voire menées clandestinement, sont devenus une importante source d'inquiétude, pour le climat comme pour la sécurité.

Une Convention sur l'interdiction d'utiliser des techniques de modification de l'environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles, dite Convention ENMOD ( Environmental Modification s) signée le 18 mai 1977 et entrée en vigueur le 5 octobre 1978, interdit l'usage militaire des modifications climatiques mais elle n'empêche pas l'utilisation de ce type de procédés à des fins « civiles ». Il est dès lors difficile de contrôler des initiatives qui, malgré leur potentiel comme solutions complémentaires à l'atténuation, doivent être mieux régulées et plus transparentes pour éviter toute recherche secrète et expérimentations anarchiques 94 ( * ) .

L'emploi de ces techniques par des États ou des groupes privés risque en effet de fournir de nouvelles sources de tensions .


* 88 Stern Review : The Economics of Climate Change http://webarchive.nationalarchives.gov.uk/20100407172811/http://www.hm-treasury.gov.uk/stern_review_report.htm

* 89 « Contre le changement climatique, le GIEC recommande une politique massive d'économies d'énergie », Olivier Mary, Reporterre, 14 avril 2014.

* 90 Bestien Alex, Alain Coldefy et Hervé Kempf - « Les conséquences du dérèglement climatique pour le ministère de la Défens e » IRIS juin 2014 p. 45 à 52

* 91 Bastien Alex « La Défense face aux défis du dérèglement climatique » OGéod -IRIS mars 2015

* 92 Clive Hamilton, Requiem pour l'espèce humaine, Paris, Presses de Sciences Po, 2012. Les Apprentis-sorciers du climat, raisons et déraisons de la géo-ingénierie, 2013.

* 93 En février 2015, l'Académie des sciences des États-Unis a soutenu que, bien qu'il n'existe pas de solution de rechange à des mesures radicales d'adaptation et de réduction des gaz à effet de serre, il est "prudent d'examiner aussi d'autres options afin de contrer les impacts du changement climatique.

* 94 Bestien Alex, Alain Coldefy et Hervé Kempf - « Les conséquences du dérèglement climatique pour le ministère de la Défense » IRIS juin 2014 p 41 à 43 et aussi Bastien Alex « Géo-ingénierie marine. Des risques climatiques aux risques géopolitiques » Revue Internationale et stratégique- Automne 2014

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