F. UNE FRAGILISATION DU DROIT DE LA MER

1. Incertitude juridique et risque de conflictualité

La Convention des Nations unies sur le droit de la mer permet aux États de revendiquer un territoire maritime dont la largeur maximale se calcule à partir de lignes de base qui correspondent à des structures émergées de leur territoire (article 3). Il n'y a aucune mention dans la Convention sur le sort des lignes de base déjà établies dans l'éventualité où les structures qui les justifiaient venaient à être immergées.

Le recul du trait de côte qui sert de point d'appui à la détermination des lignes de base, sous l'effet de l'érosion ou de la montée du niveau de la mer, pourrait dès lors avoir des conséquences sur l'étendue des zones définies par le droit de la mer 85 ( * ) .

Il est probable que la montée du niveau des mers et des océans va accroître le processus de revendication des États et rendre plus crucial la question de la délimitation des zones et des plateaux continentaux. Dans un processus régulé soit de façon bilatérale, soit selon le droit international (Commission des limites du plateau continental au-delà des 200 milles marins), ces questions devraient pouvoir être réglées pacifiquement. Le contexte d'incertitude quant à la stabilité des lignes de base risque d'introduire un facteur nouveau de revendication et de conflictualité.

En outre, les délimitations existantes pourraient être contestées, le recul du trait de côte pouvant affecter de façon différente des États riverains. Cette situation a des chances de survenir dans les zones à fort enjeux économiques qu'il s'agisse de zones de pêche ou de zones dont le sous-sol renferme des gisements d'hydrocarbures.

2. Un enjeu spécifique pour la France

La France est la deuxième puissance maritime mondiale derrière les États-Unis par l'importance de ses zones économiques exclusives qui représentent 11 millions de km², dont la moitié outre-mer, lesquelles constituent des points stratégiques importants de son assise internationale et un potentiel économique important. Elle risque de voir une partie des territoires, fondement de ses revendications, immergés ou rétrécis. C'est pourquoi il est important que la France puisse disposer de limites affirmées aux yeux de la communauté internationale pour ne pas voir contester ses droits. Elle a donc intérêt à poursuivre le plus rapidement possible le processus de délimitation en cours notamment de délimitation du plateau continental adjacent (au-delà des 200 milles marins), comme cela vient d'être le cas grâce aux décrets du 27 septembre 2015 par lesquels le domaine maritime français a gagné 500 000 km 2 par l'élargissement du plateau continental au large de la Martinique et de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Nouvelle-Calédonie et des îles Kerguelen.

En effet, les délimitations restent encore incomplètes, notamment outre-mer, comme le faisait observer la délégation du Sénat pour l'outre-mer dans un récent rapport 86 ( * ) .

La délimitation des espaces maritimes

Les lignes de base à partir desquelles l'ensemble des espaces maritimes sont définis n'ont pas encore toutes été officiellement fixées. Suites aux décisions prises lors des comités interministériels de la mer du 10 juin 2011 et du 2 décembre 2013, une démarche de définition des espaces maritimes français est pilotée par le Secrétaire général à la Mer en étroite relation avec le ministère des affaires étrangères et du développement international (MAEDI), le ministère des outre-mer et le service hydrographique et océanographique de la Marine. Ce travail commence par une remise à plat des espaces maritimes français dans le cadre de l'ordonnance « espaces maritimes » dont l'article d'habilitation est contenu dans le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages adopté par l'Assemblée nationale le 24 mars 2015 87 ( * ) . Ce texte doit permettre de poser le cadre général nécessaire à la définition et à l'utilisation des espaces maritimes français.

Par ailleurs le Secrétaire général coordonne un travail de définition de tous les espaces maritimes français qui devrait pouvoir s'achever en 2015. Il passera ensuite à la définition des limites extérieures des eaux et du plateau continental. Depuis 2011, les décrets portant délimitation des lignes de base ont été publiés pour la Polynésie française (2012), les îles Saint-Paul et Amsterdam, de Wallis-et-Futuna et de Mayotte (2013) La Réunion (2014), Clipperton, Crozet et Kerguelen (2015).

Il manque encore ceux relatifs à la métropole, à Saint-Pierre et Miquelon, la Guyane, Saint-Martin et Saint Barthélemy. Concernant les Îles Éparses (Europa, Bassas da India, Juan de Nova, les Glorieuses et Tromelin), le MAEDI réfléchit à l'opportunité de publier le décret fixant les lignes de base alors que d'un point de vue technique, le dossier est complet. Comme le faisait remarquer M. Michel Aymeric, secrétaire général de la mer, certaines délimitations de lignes ont même été notifiées à l'ONU alors que les décrets n'avaient pas été pris ni publiés au niveau national... Par ailleurs, le MAEDI poursuit son travail de définition des limites extérieures de la ZEE notamment avec le Tuvalu dans le Pacifique et avec le Surinam, frontalier de la Guyane.

La fragilité juridique de nos ZEE se double de fortes incertitudes sur l'extension du plateau continental , dont elle est aussi en partie la cause puisque sur 14 demandes soumises à l'étude, seules 4 ont donné lieu à ce jour à une recommandation de la CLPC, aucune n'ayant encore été traduite dans le droit par les autorités nationale s. Le MAEDI doit faire valoir en 2015 les droits sur ces 4 dossiers (Antilles, Guyane, Sud-ouest de la Nouvelle-Calédonie et Kerguelen). Le processus d'ensemble pourrait n'aboutir que dans 10 ou 15 ans.

Sans délimitation établie, l'étendue de notre domaine maritime n'est pas opposable aux États tiers . Les actions de protection et d'exploitation de ces espaces peuvent s'en trouver fragilisées. L'ensemble de ces incertitudes est propice au développement de véritables zones de non droit dans des espaces théoriquement sous juridiction française. Ceci ne peut qu'affaiblir la crédibilité de l'État en mer et sa capacité à exercer ses responsabilités, notamment de gestion et de protection des ressources. Mais l'affirmation de la souveraineté française ne dépend pas seulement de la sécurisation juridique du statut des ZEE ultramarines ; elle appelle aussi une présence effective et visible de l'État.


* 85 Le tableau page 156 rappelle les principales délimitations prévues par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.

* 86 « Les zones maritimes exclusives ultramarines : un moment de vérité » Rapport n° 430 (2013-2014) de MM. Jean-Etienne Antoinette, Joël Guerriau et Richard Tuheiava (Délégation sénatoriale à l'outre-mer), avril 2014- http://www.senat.fr/rap/r13-430/r13-430_mono.html#toc307

* 87 La commission du développement durable a, au cours de sa réunion du 8 juillet 2015, adopté un amendement de suppression de cet article 68 regrettant que le Gouvernement ne détaille pas davantage le contenu envisagé, que ce soit dans l'étude d'impact ou en réponse aux interrogations de son rapporteur, alors que le projet d'ordonnance est manifestement prêt, puisque l'étude d'impact annexée au projet de loi indique qu'il est le fruit d'un travail commencé en 2011, tout en mentionnant brièvement le contenu de certains de ses articles. http://www.senat.fr/rap/l14-607-1/l14-607-118.html#toc286 Le projet de loi devra être examiné par le Sénat.

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