Comptes rendus des auditions menées par Mmes Annick Billon et Françoise Laborde, co-rapporteures68 ( * )
Thème
Bilan sur l'ensemble des méthodes de
contraception actuelles
Audition de la professeure Nathalie Chabbert-Buffet, gynécologue-obstétricienne, spécialiste en médecine de la reproduction à l'hôpital Tenon
(18 février 2015)
Mme Françoise Laborde, co-rapporteure, a d'abord rappelé que la délégation avait été saisie du projet de loi relatif à la santé par la commission des affaires sociales et que l'intention de la délégation était de saisir l'opportunité du rapport d'information qui serait publié à l'occasion de l'examen de ce projet de loi pour établir un bilan des principaux aspects de la santé des femmes. Elle a ainsi noté que les précédentes auditions avaient concerné le cancer et les maladies cardiovasculaires ainsi que l'IVG et les risques liés à la contamination VIH et aux IST.
Une information complète sur les différentes techniques en matière de contraception et sur les perspectives ouvertes par la recherche dans ce domaine répondait, a poursuivi Mme Laborde, aux préoccupations de la délégation et s'inscrivait dans la suite logique de la table ronde sur l'IVG organisée en janvier 2015.
La professeure Chabbert-Buffet a tout d'abord exposé la nécessité de créer de bonnes conditions de prescription des contraceptifs pour les mineures, avec en particulier des garanties de confidentialité. Insistant sur l'importance de l'éducation thérapeutique du patient, elle a relevé que la consultation préalable à la prescription d'une contraception devait permettre une information claire, précise et personnalisée des méthodes susceptibles d'être proposées et des risques induits pour la patiente par certaines d'entre elles. L'objectif était, a-t-elle souligné, le libre choix par les femmes de la méthode leur convenant le mieux. Le professionnel devait également, au cours de cet entretien :
- expliquer précisément les modalités d'utilisation de la méthode retenue, sans oublier d'indiquer la conduite à tenir dans certaines situations (oubli...) ainsi que les modalités pratiques de recours à une contraception de rattrapage ;
- organiser les visites de suivi destinées à évaluer l'adéquation de la méthode et l'observance de celle-ci, à apporter d'éventuels compléments d'information et à aider le cas échéant la patiente à choisir une autre méthode.
La professeure Chabbert-Buffet a ensuite présenté les diverses méthodes de contraception actuellement accessibles : hormonales, intra-utérines, locales ou mécaniques, contraception d'urgence et contraception définitive.
S'agissant des méthodes hormonales disponibles en France, elle a distingué celles qui s'administrent par voie orale (pilule oestroprogestative, progestatifs purs et modulateurs sélectifs du récepteur de la progestérone (SPRMs)) de celles administrées par voie extra-digestive (anneau vaginal, patch pour les méthodes oestroprogestatives ; implant, dispositif intra-utérin et injections intramusculaires pour les méthodes progestatives).
Elle a évoqué le risque de thrombose lié aux oestrogènes administrés par voie orale et a fait valoir que la diminution régulière du dosage d'éthynil-estradiol (EE) était destinée à réduire ce risque, alors que parallèlement l'évolution des progestatifs visait à diminuer l'impact négatif des progestatifs sur le métabolisme (diabète, cholestérol).
Elle a commenté l'existence de contraceptifs oestroprogestatifs monophasiques, biphasiques et triphasiques, dont les plaquettes ont des contenus différents selon les périodes du cycle, ce qui selon elle complique la vie des femmes en cas d'oubli. En outre, aucun bénéfice des pilules pluriphasiques n'a été montré par rapport aux pilules monophasiques. Certaines pilules comportaient 2, 4 ou 7 comprimés de placebo (de couleur différente) permettant une prise continue (tous les jours du mois) ou discontinue (avec une interruption de quelques jours), ce qui permet de limiter le risque d'oubli.
La professeure Chabbert-Buffet a ensuite abordé les autres contraceptions à base d'oestrogènes : l'anneau et le patch induisant selon elle le même risque de phlébite que la pilule, l'un pouvant être conservé pendant trois semaines et l'autre pendant une semaine.
La contraception progestative par voie orale comportait, a relevé la professeure Chabbert-Buffet, deux pilules micro progestatives : cette formule présentait selon elle l'inconvénient d'exiger des horaires de prise très rigoureux pour l'une de ces pilules (retard maximum de trois heures). Le principal effet secondaire est le risque de saignements intempestifs bien que de faible abondance. La professeure Chabbert-Buffet a noté le développement en cours d'applications sur les smartphones contribuant à éviter les oublis de pilule, ce qui montrait l'évolution du comportement des femmes vis-à-vis de la contraception.
Les contraceptions progestatives par voie parentérale présentaient l'avantage selon elle d'une protection de longue durée : trois ans pour les implants, cinq ans pour les dispositifs intra-utérins, trois mois en revanche seulement pour les injections intramusculaires.
Mme Françoise Laborde, co-rapporteure, ayant posé la question de la préférence observée en France pour la pilule et s'étant interrogée sur l'influence des mères à cet égard, la professeure Nathalie Chabbert-Buffet a confirmé la force de la culture familiale dans ce domaine, si l'on se référait à l'absence de transfert vers le stérilet, que l'on sait pourtant aujourd'hui adapté aux femmes nullipares, même si le poser sur des femmes jeunes constituait un acte médical plus complexe. Elle a jugé parfois insuffisante la formation des médecins, y compris des gynécologues, à l'évolution des solutions contraceptives, mentionnant par ailleurs que 600 à 800 généralistes étaient formés chaque année à la gynécologie. À la demande de Mme Françoise Laborde, elle a confirmé que la pose d'un contraceptif sur une malade atteinte de troubles psychiatriques requérait l'accord de la patiente.
Interrogée par Mme Annick Billon, co-rapporteure, sur les conséquences médicales de la prise de pilule, quelle que soit leur gravité, la professeure Chabbert-Buffet a tout d'abord précisé que, si la molécule était bien choisie, la qualité de vie pouvait se trouver améliorée grâce à la pilule et notamment les troubles liés aux règles. Une amélioration de la qualité de la peau pouvait également en résulter. La pilule pouvait donc induire des avantages en dehors de la contraception. La professeure Chabbert-Buffet a également évoqué les bénéfices non contraceptifs de certaines méthodes, relevant notamment la protection antirétrovirale et antiinfectieuse associée aux préservatifs, l'intérêt de la contraception hormonale en cas de ménorragie (saignements abondants) et l'existence de plaquettes comprenant des comprimés de fer destinés à prévenir l'anémie (en développement).
Elle a également fait observer que les risques de cancer (ovaires, colon et endomètre) pouvaient se trouver diminués grâce à certaines pilules et que l'on n'observait pas d'augmentation significative du risque de cancer du sein chez les utilisatrices de pilules actuelles (faiblement dosées en estrogènes). Des données récentes suggèrent toutefois un sur-risque de cancer du sein si la pilule est utilisée très jeune par des femmes à très haut risque (génétique) de cancer du sein.
À la demande de Mme Annick Billon, co-rapporteure, la professeure Chabbert-Buffet a précisé que ces constats résultaient notamment de méta-analyses des grandes études épidémiologiques réalisées par une équipe de chercheurs d'Oxford.
Parmi les pathologies liées à la pilule, elle a relevé des anomalies du fonctionnement hépatique et des méningiomes imputés à l'utilisation de progestatifs pendant plus de dix ans. Avec Mme Françoise Laborde, co-rapporteure, la professeure est revenue sur les conséquences des implants, qui pouvaient induire des saignements, au même titre que toutes les contraceptions progestatives. Elle a estimé que l'utilisation d'une contraception progestative microdosée (par voie orale ou en implant) pouvait être une solution pour tout le monde sauf pour les femmes ayant eu un cancer hormono-dépendant (par exemple cancer du sein).
Mme Christiane Kammermann ayant fait observer qu'il ne pouvait y avoir de contraception « parfaite » et dénuée de risques, si l'on en juge par le danger de thrombose causé par les oestrogènes, la professeure Chabbert-Buffet a noté la mise en oeuvre d'une étude ambitieuse sur la définition des femmes à risques depuis la crise de 2013 qui a révélé les risques de thrombose dus à certaines pilules. Elle a mentionné l'existence d'un questionnaire type devant être adressé à une femme souhaitant choisir une méthode de contraception, dans le but de détecter les patientes à risque. Elle a rappelé que les progestatifs à petite dose, méthode considérée comme dénuée de conséquences négatives sur la santé, peuvent présenter de trop grandes contraintes, ce qui les rendaient inadaptés à de nombreux modes de vie.
La professeure Chabbert-Buffet a évoqué la méthode consistant, pour gagner du temps et permettre à la femme d'accéder à une méthode contraceptive sans délai, à débuter la contraception hormonale le jour de la consultation médicale, quelle que soit la période du cycle : il s'agissait de la méthode dite Quick Start qui impliquait pour le médecin de disposer dans son cabinet de nombreux échantillons de contraceptifs pour en proposer le plus vaste choix possible aux patientes. Par exemple commencer la contraception le septième jour du cycle impliquait d'effectuer un test de grossesse au cours de la consultation et supposait que la femme se protège pendant les sept jours suivants par un moyen de contraception additionnel. En contrepartie, l'« exposition au risque de grossesse » se trouvait réduit, dans cet exemple, de quatorze jours.
Abordant ensuite les dispositifs intra-utérins, DIU au cuivre et DIU au lévonorgestrel, dont il existait des modèles adaptés aux femmes n'ayant jamais eu d'enfants, la professeure Chabbert-Buffet a évoqué des risques faibles d'inflammation pelvienne et, plus rarement, de perforation. Certains médecins pratiquaient une échographie le jour de la pose pour s'assurer que le dispositif était bien en place. Selon elle, le DIU au levonorgestrel induisait peu de saignements, et n'induisait ni thrombose ni cancer.
Selon Mme Annick Billon, co-rapporteure, il était rare que les jeunes femmes aient accès à toutes ces informations à l'occasion d'une consultation médicale : le choix d'une contraception était plutôt fonction de la méthode « imposée » par le médecin, a fortiori en raison de l'extrême brièveté de certaines consultations. La professeure Chabbert-Buffet a objecté que les femmes, quel que soit d'ailleurs leur niveau de formation scientifique, s'informaient souvent avant le rendez-vous médical. À cet égard, l'exercice en milieu public permettait un grand confort aux médecins à même de consacrer jusqu'à 45 minutes, si nécessaire, à une patiente. Elle a insisté sur l'importance, pour une consultation destinée à une première contraception, de consacrer le temps nécessaire au dialogue avec la femme.
La professeure Chabbert-Buffet, notant avec Mme Françoise Laborde, co-rapporteure, que l'existence des moyens de contraception d'urgence n'avait pas véritablement infléchi le nombre annuel d'IVG, a estimé que la contraception d'urgence devait demeurer une contraception de secours. Les deux pilules disponibles (l'une, le lévonorgestrel, en vente libre et l'autre, l'ulipristal acétate, un SPRM vendue sur ordonnance) devaient être prises le plus tôt possible après le rapport à risque (dans les 72 heures pour l'une, dans les 120 heures pour l'autre). Elle a fait observer que la pose d'un stérilet au cuivre, à condition qu'elle intervienne dans un délai de 120 heures, pouvait avoir le même effet.
S'agissant de la contraception mécanique (préservatif féminin, capes et diaphragmes et spermicides), la professeure Chabbert-Buffet a relevé les difficultés causées par ces méthodes en termes de maniabilité, ce qui en faisaient à son avis des méthodes inadaptées aux femmes jeunes ; elle a souligné la sensibilité, peu connue de nombreuses utilisatrices, des spermicides au savon.
Elle a par ailleurs fait état d'une légère inversion de la courbe des IVG chez les femmes très jeunes, cette relative diminution, à confirmer, contrastant avec l'apparition d'une tendance préoccupante à la pratique de plusieurs IVG par certaines femmes.
En réponse à une question de Mme Annick Billon, co-rapporteure, la professeure Chabbert-Buffet a estimé que les risques potentiels liés à l'utilisation régulière de la contraception d'urgence n'étaient pas connus. Le recours à l'IVG médicamenteuse pouvait causer la rétention d'un morceau de placenta et supposait donc un suivi médical approprié. De même un recours à de trop fréquentes IVG par aspiration pourrait selon elle avoir pour conséquence des anomalies de l'endomètre.
Mme Vivette Lopez ayant demandé de quels moyens les hommes disposaient outre le préservatif, la professeure Chabbert-Buffet a indiqué la possibilité de recourir à une contraception définitive par voie chirurgicale, ce qui supposait la congélation préalable de sperme pour ceux qui voulaient des enfants. Elle a estimé que les recherches concernant la contraception hormonale de l'homme n'avaient pas produit de résultats applicables à ce stade, mentionnant toutefois que 75 % des femmes seraient favorables à faire assumer par leur compagnon la charge de la contraception du couple ; cette forte proportion attestait un changement de mentalité considérable, fondée sur une confiance des femmes en leur partenaire qui, dans ce domaine, n'avait pas toujours existé.
Mme Françoise Laborde, co-rapporteure, ayant souhaité revenir sur les raisons du recours à de multiples IVG par certaines femmes, la professeure Chabbert-Buffet a estimé qu'un moyen de contraception pérenne (par exemple stérilet ou implant) devrait être mis en place le jour de l'IVG, avec accord de la patiente.
Mme Annick Billon, co-rapporteure, a alors estimé que des campagnes d'information devraient s'adresser de manière plus efficace au public jeune, selon elle insuffisamment informé, aucun véritable progrès n'étant intervenu à cet égard depuis trente ans en dépit de réels efforts de communication qu'elle a jugés probablement mal ciblés.
Mme Christiane Kammermann s'est inquiétée des difficultés de choix d'une méthode de contraception adaptée aux besoins de chacun, a fortiori pour un public peu averti, compte tenu de la complexité des conséquences éventuelles de certaines d'entre elles.
À la demande de Mme Annick Billon, co-rapporteure, la professeure Chabbert-Buffet a confirmé un risque de prise de poids (estimé à 5 kg environ) chez les utilisatrices de contraception hormonale, dont l'appétit peut être augmenté, qu'il s'agisse des progestatifs ou des oestroprogestatifs, ce qui impliquait que les femmes se surveillent pour en limiter les conséquences.
En ce qui concerne la contraception définitive féminine, encadrée strictement par la loi (la patiente devait confirmer sa décision au terme d'un délai de réflexion de quatre mois), la professeure Chabbert-Buffet a exposé les méthodes existantes : ligature des trompes [voire le cas échéant ablation des trompes (salpingectomie)] ou implants tubaires.
Quant à la « contraception du futur », elle a esquissé les orientations de la recherche actuelle.
Les pistes consistaient tout d'abord, selon certaines études, à utiliser différemment les méthodes dont on dispose déjà :
- des oestroprogestatifs permettraient une prise continue pendant trois ou quatre mois, suivie d'une interruption d'une semaine ; une pilule oestropogestative en continu permettrait une prise de douze mois suivie d'un arrêt de sept jours une fois par an. Elle a noté à cet égard un changement de comportement des jeunes femmes, qui accepteraient plus facilement que les générations précédentes la prise continue impliquant l'absence de règles ;
- des stérilets pourraient être mis en place pour une durée plus longue (de sept, voire dix ans) ;
- des implants pourraient être posés le jour d'une IVG médicamenteuse, sous réserve de l'accord de la patiente.
D'autres orientations, inspirées de la pilule du lendemain, privilégiaient une contraception à la demande, adaptée à la situation de couples ayant des rapports espacés dans le temps.
Certaines recherches portaient sur de l'estrogène foetal, 18 fois moins puissant que l'EE, sur de nouveaux anneaux vaginaux (à la progestérone) tolérables par les femmes allaitantes, sur de nouveaux patches, de nouveaux stérilets basés sur la molécule de la pilule du lendemain et sur de nouveaux implants et contraceptifs injectables en auto-injection, certains étant compatibles avec l'allaitement.
Elle a ensuite commenté les perspectives ouvertes par l'utilisation des anti-inflammatoires, pour bloquer l'ovulation dans le cadre de la contraception d'urgence 69 ( * ) .
À la demande de Mme Françoise Laborde, co-rapporteure, la professeure Chabbert-Buffet a commenté le coût selon elle modéré des systèmes injectables et des perspectives ouvertes, pour réduire les coûts associés à la contraception, de l'auto-injection qui permettait d'espacer l'intervention des professionnels de santé. Mme Françoise Laborde, co-rapporteure, a par ailleurs insisté sur la nécessité d'une utilisation aisée, d'informations accessibles et d'un respect absolu de la confidentialité pour les mineures.
La professeure Chabbert-Buffet a, avec les rapporteures, souligné l'absolue nécessité d'associer les parents à l'information dispensée aux jeunes en matière de contraception et d'une éducation exigeante des jeunes dans ce domaine.
Thème
Risque environnemental et santé
maternelle et infantile
Audition de M. André Cicolella, toxicologue, président du Réseau Environnement Santé (RES)
(3 mars 2015)
Mme Françoise Laborde, co-rapporteure, a d'abord rappelé que la délégation avait été saisie du projet de loi relatif à la santé par la commission des affaires sociales et que l'intention de la délégation était de saisir l'opportunité du rapport d'information qui serait publié à l'occasion de ce projet de loi pour établir un bilan des principaux aspects de la santé des femmes. Elle a ainsi rappelé que de précédentes auditions avaient porté sur l'IVG, les risques liés au VIH, les moyens de contraception, le cancer ainsi que les maladies cardiovasculaires, tandis que d'autres réunions, a-t-elle ajouté, concerneraient le tabagisme féminin et le suivi gynécologique des femmes sans domicile fixe.
Le chapitre IV du projet de loi relatif à la santé portant sur les risques sanitaires liés à l'environnement, Mme Françoise Laborde a ainsi souligné que ce texte permettait à la délégation de réfléchir aux dangers spécifiques de l'exposition des jeunes enfants et des femmes, en particulier des femmes enceintes, aux risques environnementaux. À ce sujet, elle a rappelé qu'une proposition de loi de juin 2010 visant à suspendre la commercialisation de biberons produits à base de bisphénol A (BPA) avait été adoptée à son initiative.
M. André Cicolella 70 ( * ) , chercheur en santé environnementale, a tout d'abord rappelé que le Réseau environnement santé (RES) avait formulé 15 propositions à l'occasion de la Conférence environnementale des 27 et 28 novembre 2014 à Paris, dans le cadre de la préparation de la conférence Paris-climat 2015.
M. André Cicolella a ensuite insisté sur la mutation actuelle que connaîtrait notre système de santé. S'il a contribué de façon très importante aux progrès sanitaires, il atteindrait aujourd'hui ses limites, compte tenu de l'augmentation de ses coûts et de la croissance des maladies chroniques. Ainsi, il a noté que la politique de santé et de l'environnement devait être repensée à la hauteur de ces enjeux, un constat également partagé selon lui par les 184 chefs d'États et de gouvernement signataires de la Déclaration politique de l'Assemblée générale sur la prévention et la maîtrise des maladies non transmissibles de septembre 2011.
S'appuyant sur une enquête publique de l'OMS, M. André Cicollella a ensuite alerté la délégation sur le phénomène des maladies chroniques qui ne se limiterait pas seulement aux pays développés, en raison du vieillissement de la population, mais concernerait également 80 % des pays du Sud. La lutte contre l' « épidémie mondiale des maladies chroniques » 71 ( * ) représenterait donc un défi majeur pour le XXI ème siècle, indissociable de la lutte menée en faveur du développement durable, a-t-il observé, rappelant que, au niveau mondial, la première cause de mortalité était liée aux maladies cardiovasculaires, puis au cancer, aux maladies respiratoires et au sida (le sida est cependant la première cause de mortalité des maladies infectieuses).
Lors de la conférence de New-York des Nations unies sur les maladies non transmissibles en 2011, avait été évoqué l'objectif de parvenir à une baisse de 25 % à l'échéance de 2025 de la mortalité liée aux maladies chroniques, a noté M. André Cicolella, en précisant que cet objectif avait été repris par la France. Il a alors estimé que si la France atteignait cet objectif, cela représenterait une baisse de l'ordre de 2 points de PIB en matière de dépenses de santé. L'enjeu serait donc double : sanitaire et économique.
M. André Cicolella a ensuite dressé un panorama de la situation française en 2009, en reprenant des données extraites du journal l'Espace Social Européen :
- 3,7 millions ALD 72 ( * ) en 1994 ;
- 8,6 millions ALD en 1999 ;
- 9,5 millions ALD en 2012 ;
- 23,6 millions de personnes atteintes ;
- 83 % des dépenses d'assurances maladie.
M. André Cicolella a alors évoqué le surcoût particulièrement élevé pour la France des dépenses liées aux maladies chroniques s'expliquant notamment par la croissance régulière des maladies cardiovasculaires, des cancers et des pathologies liées au diabète. Au sujet du cancer, il a indiqué qu'il s'agissait en France de la première cause de mortalité - notamment les cancers hormonaux-dépendants (cancer du sein et de la prostate) - et les cancers masculins (le cancer de la prostate a été multiplié par trois en quinze ans en Bretagne : si cette région devenait indépendante, ce serait alors le premier pays au monde pour ce type de cancer, a-t-il observé).
Il a ensuite évoqué la question de l'augmentation de l'infertilité qui touchait un couple sur cinq, contre un couple sur sept il y a vingt ans. La concentration spermatique, selon une étude mondiale de l'Institut de veille sanitaire (IVS), aurait diminué de 30 % en 16 ans, ce qui est considérable malgré des variations régionales. Il a également relevé l'abaissement de l'âge de la puberté, le doublement des cas de malformations génitales chez les garçons ainsi que la croissance rapide du cancer du testicule. La conséquence de ces évolutions était un triplement du nombre de procréation médicalement assistée (PMA) en presque dix ans, selon lui.
M. André Cicolella a poursuivi son diagnostic en évoquant l'augmentation des troubles du comportement, l'autisme ayant notamment doublé en vingt ans aux États-Unis. Selon lui, malgré l'absence de données sur cette question, la France devrait connaître une évolution de même nature. Il a annoncé la tenue d'un colloque en juin 2015 sur ce sujet à l'Assemblée nationale.
Il a par ailleurs indiqué que l'asthme et les allergies seraient devenus la première cause de morbidité en Europe chez les 5-9 ans.
Enfin, il a commenté le phénomène des maladies environnementales émergentes, moins connu, mais révélateur des conséquences sanitaires du changement climatique.
D'après la synthèse des travaux d'un congrès qui s'est tenu à Paris en mai 2012 sur ces sujets, la prévalence des maladies chroniques aurait pour origine l'interaction entre un environnement à la fois chimique et nutritionnel, selon un mécanisme de type épigénétique, c'est-à-dire l'influence environnementale modifiant l'expression des codes génétiques.
À cet égard, M. André Cicolella a jugé particulièrement vulnérables les périodes de gestation, de puberté et de sénescence. Il a insisté sur le fait qu'un changement de paradigme devait intervenir en matière de santé publique, afin que la dimension environnementale y soit pleinement intégrée. Selon lui, une attention particulière devrait être portée aux comportements des individus durant les périodes sensibles, les politiques publiques ayant tendance à se concentrer sur les adultes en bonne santé, même si des actions ciblées ont été entreprises à l'encontre du tabac et de l'alcool. D'après le chercheur, le bénéfice sur la santé en serait plus durable.
Retraçant une évolution des découvertes scientifiques en matière de santé, il a d'abord présenté le mécanisme de la perturbation endocrinienne, concept forgé en juillet 1991 à l'occasion de la déclaration de Wingspread , d'après laquelle « de nombreux composés libérés dans l'environnement par les activités humaines sont capables de dérégler le système endocrinien des animaux, y compris l'homme », puis il a évoqué l'impact des hormones thyroïdiennes, mis en évidence à la fin des années 1990, sur la formation du cerveau, entraînant potentiellement des troubles de comportement. Enfin, à partir des années 2000, c'est le rôle des hormones sur le métabolisme qui a été démontré, a-t-il complété.
D'après le chercheur, cette réalité serait typiquement illustrée par l'exemple du bisphénol A : 95 % des études sur le sujet ont montré que l'exposition durant la grossesse induisait une grande variété d'effets (cancer du sein et de la prostate, pathologies liées au diabète de type 2, obésité, troubles de la reproduction, maladies cardiovasculaires etc.), M. André Cicolella a ensuite poursuivi en précisant que l'administration d'une dose de 1,2 microgramme de bisphénol A chez des rates gestantes entraînerait une baisse de la qualité du sperme chez leur fils et petits-fils, manifestation d'un effet transgénérationnel durable. Des études ont permis d'observer un effet comparable avec le distilbène, une hormone de synthèse, avec des doses pourtant dix fois moins fortes, a-t-il relevé.
En France, 200 000 femmes ont été exposées au bisphénol A d'après M. André Cicolella , ce qui a conduit à la prévalence du cancer du vagin, un cancer rare, mais a surtout entraîné le doublement de la prévalence du cancer du sein. En outre, il a noté que des malformations génitales chez les garçons s'observaient jusqu'à la deuxième génération, pointant ainsi l'effet transgénérationnel induit par l'exposition au BPA.
Le chercheur a enfin souligné la responsabilité particulière qui reposait sur la France, du fait qu'elle ait été le premier pays à prendre des mesures aussi importantes sur cette question.
M. André Cicolella a ensuite présenté 15 mesures destinées selon lui à transformer les comportements en matière de santé environnementale :
- compléter le dispositif de sécurité sanitaire par la création d'un Institut de veille environnementale sur la base de la transformation de l'INERIS (Institut national de l'environnement) en établissement public administratif ;
- développer la recherche (structuration de l'Institut français de recherche en environnement santé sur le modèle du National Institute of Environnemental Health Sciences , création d'un volet spécifique de santé environnementale dans la Stratégie nationale de recherche) ;
- mettre en oeuvre des plans de santé publique comprenant des volets dédiés à l'environnement par pathologies ;
- prévoir une protection particulière pour la période gestation/périnatalité (par exemple, création d'un « chèque bio » pour les femmes enceintes) ;
- développer la médecine environnementale (création de structures dédiées dans le système hospitalier à la prise en charge des malades et d'un département de santé environnementale au sein de la Haute autorité de santé) ;
- former les professionnels et les citoyens (introduction d'une formation à la santé environnementale dans la formation initiale des professionnels de santé, formation initiale de tout citoyen à « construire sa santé » et développement de nouveaux métiers pour évaluer et améliorer les environnements) ;
- financer (fixation d'un pourcentage des dépenses de santé dédié à la santé environnementale, financement sur la base du principe « pollueur-payeur ») ;
- s'attacher à la « remédiation » (création d'un fonds dédié pour la remédiation des sols et des sédiments sur le modèle du Superfund aux États-Unis, qui serait alimenté par des financements européens) ;
- innover (mise en oeuvre d'une plateforme technologies propres et sûres sous l'égide de l'INERIS, rénovation des centres techniques et financement par les investissements d'avenir) ;
- élaborer un « Plan santé territoire » (création d'agences régionales de la santé environnementale et de pôles de compétences pour analyser les inégalités sanitaires et environnementales en lien avec les Plans régionaux santé environnement) ;
- développer une démocratie sanitaire (protection des « lanceurs d'alerte » et reconnaissance de l'action de groupe en matière de santé environnementale) ;
- mettre en oeuvre un plan « Ville urbanisme santé » (élaboration de Plans ville santé) ;
- refonder le système de soin (création de l'indicateur PBT : substances persistantes, bioaccumulatives et toxiques dans la gestion des établissements de santé) ;
- consacrer un volet santé dans le cadre des politiques dédiées aux trois crises écologiques climat/biodiversité/ressources naturelles ;
- s'appuyer sur l'international (création d'une « Organisation mondiale de l'environnement »).
Mme Françoise Laborde, co-rapporteure, ayant posé la question de la formation des endocrinologues et des gynécologues sur les risques environnementaux, le chercheur a confirmé que, si les professionnels de santé exprimaient une forte demande en ce sens, les enseignements de base ne prenaient toujours pas en compte l'impact environnemental sur les maladies chroniques. Un guide de recommandation des bonnes pratiques pourrait être édité selon lui.
Le chercheur a toutefois conclu sur une note positive en estimant qu'un changement des mentalités pouvait intervenir, à l'instar de la lutte contre le tabagisme ayant permis une transformation du regard de la société dans ce domaine.
* 68 Ces auditions étaient ouvertes à l'ensemble des membres de la délégation aux droits des femmes.
* 69 Les modulateurs sélectifs du récepteur de la progestérone (SPRMs) sont des dérivés stéroïdiens exerçant une activité anti-progestative variable. Les SPRMs peuvent avoir une action contraceptive par différents mécanismes le blocage de l'ovulation et un effet endométrial propre. L'anovulation dans ce contexte n'entraîne pas de carence estrogénique. Les applications gynécologiques actuelles sont la contraception d'urgence et le traitement des fibromes hémorragiques. Les voies de recherche actuelles passent notamment par la meilleure compréhension du mécanisme d'action anti-ovulatoire et l'évaluation des effets endométriaux à long terme.
* 70 Chercheur en santé environnementale, André Cicolella est également président du Réseau Environnement Santé (RES).
* 71 Expression utilisée par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dans ses enquêtes de santé.
* 72 Le choix de l'indicateur des affections de longue durée (ALD) repose sur le fait que les ALD ouvrent droit à une couverture à 100 % des dépenses par l'assurance maladie.