C. LA RECOMPOSITION DU PAYSAGE LAITIER EUROPÉEN
La recomposition du paysage laitier européen est en cours depuis plusieurs années. La libéralisation du marché va amplifier ces évolutions. Plusieurs études économiques ont analysé ces perspectives 51 ( * ) . Le présent rapport ne fait qu'apporter un témoignage à une analyse déjà très avancée.
1. Des dynamiques laitières différenciées
L'Union européenne est encore le premier producteur de lait et de produits laitiers du monde. Près de la moitié de la production (44 %) est assurée par l'Allemagne et la France. Mais il y a aussi des producteurs plus modestes avec une réelle dynamique laitière (Pays-Bas, Danemark, Autriche, Irlande...) qui résulte de deux effets conjugués.
Il y a d'abord l'attitude face à l'encadrement administratif des QL. Les QL n'ont jamais été ni figés, ni dissuasifs. Certains pays étaient en sous réalisation (la France et le Royaume-Uni sont les deux grands pays laitiers avec des sous-réalisations chroniques parmi les plus élevées de l'Union européenne 52 ( * ) ), tandis que d'autres dépassaient leurs quotas, même au prix de pénalités financières (comme ce fut souvent le cas de l'Autriche, l'Italie, les Pays-Bas, l'Allemagne). Depuis dix ans, les dépassements des uns n'ont jamais compensé la sous réalisation des autres et globalement, au niveau de l'Union européenne, les livraisons aux laitiers sont inférieures de 1 % au quota global.
Ensuite, les réactions face aux crises ont été très différentes selon les États. La dernière « crise laitière » est celle de 2008-2009, lorsque le prix avait chuté de près de 50 % en quelques mois. Face à cette chute brutale, il y eut, clairement, deux réactions opposées, des deux principaux pays laitiers d'Europe : la France et l'Allemagne.
La France n'est pas le seul pays à avoir réduit sa production 53 ( * ) , mais c'est un pays où cette baisse s'est inscrite dans une stratégie. Il s'agissait de limiter les volumes pour contrer un effondrement encore plus important des prix à la production. « En revanche, dans un contexte de stagnation, voire d'un recul de la consommation européenne, le Danemark, les Pays-Bas (+ 1,9 %) et, plus étonnement, l'Allemagne (+ 2,4 %), ont opté pour la stratégie inverse consistant à produire davantage, dans une stratégie de conquête de parts de marché ». Cette stratégie que l'on pourrait qualifier de « défensive » et l'autre « d'offensive » est un élément important à prendre en compte dans les années à venir ». 54 ( * )
Ainsi, le même signal prix a suscité deux réactions, deux stratégies opposées. On retiendra surtout le cas allemand où la hausse de production n'est pas seulement conçue comme un effet de compensation (compensation de la baisse des prix par une augmentation des quantités), mais aussi comme support d'une stratégie de conquête. C'est tout à fait crucial pour anticiper le futur paysage laitier. Certes, contrairement à l'épisode de 2008-2009, l'Allemagne n'a pas augmenté sa production au moment où les prix ont commencé à baisser, à partir de la fin 2014. « C'est une réaction plus réfléchie », commente l'entreprise Frischli. On peut douter de cette solidarité. En réalité, l'embargo russe a joué un rôle déterminant dans cette évolution et les fondamentaux restent.
2. Des ambitions nationales affichées
a) Le leadership de l'Allemagne
Cette dualité, sous-jacente, et cette dynamique qui, jusque-là, ne faisaient qu'affleurer au moment des crises, vont vraisemblablement s'exprimer avec la libéralisation du marché. Certains pays ont affiché clairement des ambitions laitières offensives.
Le cas le plus emblématique est la situation de l'Allemagne, leader laitier européen et qui entend bien le rester. Notre mission nous a ainsi conduits en Basse-Saxe. Cette mission, pour laquelle la contribution de l'Ambassade d'Allemagne à Paris et de l'Institut Goethe a été essentielle, nous a conduits à visiter une « grande ferme », une laiterie et à rencontrer les différentes autorités impliquées : ministère de la santé et de l'agriculture de Basse-Saxe, syndicats agricoles, chambre d'agriculture 55 ( * ) . Il ne serait pas inutile que les éleveurs et les syndicats agricoles se rendent régulièrement en Allemagne pour y voir et comprendre ce qu'il est convenu d'appeler « nos partenaires ».
La Basse-Saxe ou l'exemple d'une ambition laitière allemande La Basse-Saxe , est devenu en quelques années un acteur laitier majeur. L'agriculture en Basse-Saxe représente 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires, dont près de la moitié vient de l'élevage et de l'industrie laitière. En dix ans, depuis l'ouverture du marché des QL en Allemagnes, la Basse-Saxe est devenue l'un des deux principaux land laitiers d'Allemagne (à égalité avec la Bavière). L'élevage : L'élevage laitier s'est totalement restructuré. La Basse-Saxe comptait 380 000 fermes en 1984, 80 000 en 2014. En 1992, on comptait 25 vaches par exploitation, 50 vaches en 2007, 74 vaches en 2013. Aujourd'hui, 50 % des fermes ont moins de 50 vaches et 10 % ont plus de 100 vaches. On compte aussi une dizaine de fermes de 1 000 vaches. La dynamique est en faveur des grandes installations. L'évolution est surtout spectaculaire depuis quatre ans : le nombre de fermes de plus de 100 vaches a augmenté d'un tiers, alors que les élevages de moins de 50 vaches, diminuaient de 20 %. Les éleveurs de Basse-Saxe se sont préparés à l'après QL. Ils ont construit des étables, ont déposé des permis de construire. Les formalités administratives ne sont pas très lourdes pour les créations de fermes. Au-delà de 600 vaches, c'est la réglementation fédérale qui s'applique et impose une enquête publique. En dessous, c'est la procédure du Land, l'enquête n'est pas généralisée, cela dépend des sites. « Le coût administratif est faible, comparé à la France ». La plupart des nouvelles fermes ont entre 200 et 400 vaches. Tous les producteurs et toutes les laiteries attendent la fin des QL avec impatience. L'augmentation de la production se fera par les grands élevages. Les facteurs limitant à l'expansion sont la contestation sociale (« Il y a eu l'époque de l'énergie, des antinucléaires, maintenant, l'agriculture est le nouveau cheval de bataille des Verts ») et le prix des terres. (Le matin même de la visite des sénateurs, l'exploitant avait procédé à une acquisition de terres à 58 000 € l'hectare). Les laiteries : aujourd'hui les laiteries disent « produisez tout ce que vous pouvez, on prend tout ». Mais les laiteries font avec ce que les éleveurs pourront livrer. « La production laitière ne marche pas en appuyant sur un bouton ». Seules les grandes fermes ont la possibilité de jouer sur les volumes. La laiterie Frischli par exemple, a une ambition de production (+ 20 % en cinq ans), pour atteindre 1 milliard de litres par an. Mais la laiterie veut utiliser le nouveau potentiel créé par la fin des QL, marquer son territoire et prendre des positions tout de suite, dès la première année avec une prévision d'augmentation de production de 12 % dès 2016. La laiterie a aussi une ambition d'exportation (50 % de la production est exportée), y compris en Europe, en France et en Hongrie (sur un fromage battu de moyenne gamme), mais aussi, bien sûr, en Asie, dans la poudre de lait. Pour la société, « il faut un socle d'exportations stables et des exportations d'opportunité ». Mais pour aborder le marché chinois, il faut une coopération avec d'autres industriels. « C'est impératif. Aucune entreprise ne peut aborder le marché chinois seul ». |
Il ne s'agit en aucune façon de faire de l'Allemagne un exemple, encore moins un modèle, car la réussite allemande repose aussi sur une combinaison entre agriculture et énergie (usines de biogaz) qui mérite réflexion. Une partie des exploitations céréalières est destinée à fournir du maïs pour la filière énergétique. De même, les grandes fermes sont associées à des installations de biogaz, alimentées pour partie en lisier des vaches de l'étable. En pratique, la moitié des revenus de l'exploitation provient de l'énergie (et non de la laiterie).
Jusqu'où pousser la dualité agriculture/énergie ? La question se pose dans d'autres filières, notamment la filière éthanol, mais, à l'occasion de cette mission en Allemagne, les dérives de ces mélanges (élevage + biogaz) sont apparues au grand jour. En Basse-Saxe, sur 2,6 millions d'hectares, 400 000 hectares sont utilisés pour le biogaz (340 000 hectares de maïs et 60 000 hectares d'autres cultures), 400 000 hectares, soit l'équivalent de 4 000 exploitations à 100 hectares, sont dédiés au maïs de méthanisation !
Cette énergie allemande se décline dans tous les domaines agricoles. Par exemple, l'Allemagne a investi dans le machinisme agricole. En quelques années, la filière s'est substituée aux machines américaines, s'est hissée aux tout premiers rangs mondiaux, et est devenue le premier exportateur mondial. 70 % du chiffre d'affaires de la filière (5 milliards d'euros au total) est réalisée à l'exportation...
L'Allemagne n'est pas un modèle pour la France, mais, elle a une ambition, une stratégie qui la fait peser en Europe. C'est cette leçon qu'il faut garder en mémoire.
b) Aperçu des autres pays de l'Union européenne
L'Allemagne n'est pas seule à avoir de grandes ambitions laitières européennes et internationales. La filière laitière hollandaise est la plus compétitive en Europe (grâce à la taille des fermes, l'accès à l'herbe, la robotisation, l'organisation de la filière) et est déjà très tournée vers l'exportation. La filière garderait pourtant encore des marges de progression, avec une augmentation estimée entre + 20 % et + 30 % entre 2013 et 2020.
La situation de l'Irlande est plus intéressante, car pour ce pays, la fin des QL est une occasion de se positionner de façon différente dans le paysage laitier européen et même mondial. « L'Irlande veut devenir la Nouvelle-Zélande de l'Europe », c'est-à-dire un pays sans vrai marché intérieur, mais avec un gros potentiel de production uniquement tournée vers l'export. Les professionnels ont annoncé une augmentation de la production de 50 % d'ici 2020 « Cela paraît excessif et cela entraînerait alors des arbitrages difficiles entre le lait et l'élevage ovin, une autre spécialité irlandaise, mais une augmentation de 20 % paraît probable », estime France Agrimer 56 ( * ) . Une réserve balayée par les Irlandais qui maintiennent leur objectif de 50 %.
Même la Finlande, modeste pays laitier, croit en ses chances. « Les pays du Nord font beaucoup pour leur production laitière. En Finlande, par exemple, tous les outils sont activés : aides couplées du 1 er pilier, aides complémentaires du 2 e pilier. Mais tous les PDR ont au moins un élément qui concerne la production laitière. La structure du marché est très particulière puisque une grande coopérative assure 95 % de la collecte de lait en Finlande. C'est une coopérative très innovante, qui se diversifie en transformation en préparant une large gamme de laits : alimentation infantile, pâtisserie... L'argument de la production locale joue beaucoup. La Finlande est l'un des pays où l'on boit le plus de lait. En complément du marché local, la Finlande a beaucoup misé sur le marché russe, avec des exportations de beurre et de fromage. Ce sont de petits producteurs face aux grands, mais ils ont réussi », explique-t-on à la DG Agri.
À l'inverse, certains pays pourraient avoir de grandes difficultés à trouver leur place dans le nouveau paysage laitier européen (Portugal, Espagne, Roumanie par exemple).
On pourrait multiplier les exemples. Beaucoup d'États, d'éleveurs et de laiteries se sentant libérés par la fin des QL et se fixent des objectifs. Notons que tous convergent vers le même but, le même podium et qu'il n'y a peut-être pas de place pour tout le monde. Les grands pays affichent des ambitions, + 10 %, + 20 %, + 30 %. Mais à aucun moment l'Allemagne n'évoque une quelconque menace irlandaise, ou l'Irlande n'évoque une menace allemande. Que le meilleur gagne. Et chacun croit en ses chances.
Quel contraste avec la France !
c) Aperçu de la situation française
À la relecture des comptes rendus d'auditions, force est de reconnaître que les personnes auditionnées ont rarement évoqué cette perspective. Il semble même qu'à aucun moment le mot « objectif » n'a été prononcé, sauf, peut-être, lorsqu'a été mentionné le marché du lactosérum.
Les Français ne semblent pas être dans une stratégie de développement, encore moins dans une posture de conquête. « Le manque d'anticipation est criant et a été entretenu par tout le monde. Y compris par les pouvoirs publics, les ministres (MM. Le Maire et Le Foll) ont parfois été flous en laissant entendre que, peut-être, la Commission pourrait évoluer » estime M. Patrick Ferrère, du think tank « saf agr'iDées » 57 ( * ) .
Les entreprises semblent très prudentes sur ce sujet. L'audition de M. Olivier Picot le confirme : les ambitions des laiteries internationales sont à l'international. Lors d'un colloque passionnant organisé par le think tank « saf agr'iDées », en janvier 2015, un intervenant avait présenté un graphique sur les perspectives d'investissements industriels en Europe. Les perspectives sont très positives en Allemagne, aux Pays-Bas, en Irlande, par exemple, mais on constate une quasi-stagnation en France. Interrogé sur ce sujet, un industriel, passablement gêné par ce graphique, avait eu cette réponse : « le tableau est établi sur les données publiques et on ne communique pas tout ». Suscitant l'ironie d'un éleveur : « C'est vrai, en France, les Chinois investissent dans les tours de séchage »... À l'évidence, ce ne sont pas les tours de séchage qui vont booster la filière française. La filière laitière n'est pas menacée, c'est sa place en Europe qui l'est. Les tours chinoises peuvent-elles maintenir la France sur le podium des grands pays laitiers européens?
Laissons le mot de la fin à M. Henri Brichard, vice-président de la FNSEA et ancien président du FNPL et sans doute l'un des meilleurs connaisseurs du dossier : « La France a le potentiel laitier. Mais le potentiel ne suffit pas. Demain, on sera à 30 milliards de litres ou à 15 milliards ? » 58 ( * )
3. La redistribution régionale
a) En France, des dynamiques laitières territoriales contrastées.
La France est dans une situation particulière avec une présence laitière pratiquement partout mais des dynamiques territoriales contrastées.
Le paysage laitier a été longtemps remarquablement stable. Il y avait une situation hétérogène certes, mais presque figée. En 2014, France Agrimer reconnaît encore que « les producteurs laitiers se caractérisent en France par une présence sur la quasi-totalité du territoire 59 ( * ) . » Les quotas ont eu leur rôle dans cette situation, même si l'on peut avoir deux lectures du phénomène. Certes, ils ont favorisé cet ancrage territorial, mais ils ont aussi « bloqué pendant près de 30 ans, du moins en France, l'expression des avantages comparatifs 60 ( * ) ».
Ce que l'on peut qualifier de « dynamique laitière » n'est vraiment apparu qu'à partir des années 2007. À la fois sous l'effet de l'annonce du changement règlementaire - « la sortie progressive du système des quotas a permis à certaines régions françaises de reprendre leur élan 61 ( * ) » - et sous l'effet du signal prix. Les éleveurs laitiers ont alors subi « la pression concurrentielle des cultures de vente », en d'autres termes, la hausse du prix des céréales, doublée des aides directes aux revenus du premier pilier de la PAC et de conditions de vie moins difficiles, ont fait hésiter certains éleveurs. C'est à cette époque que sont apparues des trajectoires d'exploitation bien différenciées avec des hausses de collecte dans les zones d'élevage ou de polyculture élevage, à bonne densité laitière, et des baisses marquées dans les zones à faible densité.
La France a donc, elle aussi, des dynamiques territoriales qui prennent ancrage sur des spécificités régionales. Ces dernières sont bien connues. « La France laitière se caractérise historiquement par une zone que l'on dénomme « le croissant laitier » ou « l'arc laitier » allant des Pays de la Loire au Massif central en passant par la Bretagne, la Normandie, le Nord, les plaines de l'Est et où l'essentiel des exploitations laitières sont localisées 62 ( * ) . » La politique des appellations d'origine renforce cette spécificité territoriale. Le croissant laitier n'excluait d'ailleurs pas la présence d'élevages dans d'autres régions, notamment en montagne.
L'évolution des deux dernières années confirme cet écart croissant. À la faveur du prix élevé du lait en 2014, le cheptel français s'est accru dans de larges zones de la moitié nord et des zones de montagne. La concentration au profit du grand ouest est d'autant plus marquée qu'elle s'accompagne de la poursuite du recul dans une large moitié sud.
b) Une affirmation des contrastes avec la fin des quotas laitiers
La fin des QL est parfois vécue comme une rupture politique. « Les QL ont permis de maintenir la production dans la plupart des régions. La fin des QL fait craindre l'abandon d'une politique territoriale » commente la Confédération paysanne 63 ( * ) . En réalité, si les QL ont bien freiné le mouvement, ils ne l'ont pas empêché, puisque la concentration est apparue au moment des quotas. La fin des QL va maintenant l'amplifier.
La recomposition du paysage laitier européen aura aussi lieu à l'intérieur des États membres, car les grands États laitiers ont aussi leur dynamique interne.
C'est le cas en Pologne. « La fin des QL va entraîner des modifications dans le paysage laitier du pays . Les Polonais de l'ouest vont vendre le lait aux Allemands, avec un petit différentiel de prix, mais les Lituaniens vont vendre leur lait en Pologne. L'Ouest du pays va profiter de la libéralisation et l'Est va être en concurrence », estime le ministre conseiller polonais 64 ( * ) .
C'est aussi le cas en Allemagne. « Les deux Länder laitiers - la Bavière et la Basse-Saxe - ont des productions quasi équivalentes en 2014 (90 millions de tonnes de quotas en Bavière, 92 millions de tonnes en Basse-Saxe), mais la dynamique est en faveur de la Basse-Saxe. Cette évolution était déjà entrevue en 1960 ! Le transfert des QL par l'ouverture d'un marché des quotas à partir de 2005 a été l'élément déclencheur qui a fait basculer la production du sud au nord de l'Allemagne. Les structures de production restent encore différentes, avec beaucoup plus de grandes fermes au nord, mais les petites fermes de Bavière (autour de 50 vaches) vont devoir évoluer. En Basse-Saxe, un tiers des vaches sont encore attachées dans l'étable. En Bavière, c'est la moitié. La pression sociale pour le bien-être animal est une grande contrainte pour les petites fermes et accélère la recomposition du paysage laitier 65 ( * ) . »
Cette recomposition va vraisemblablement se poursuivre en France.
Pour les opérateurs sur le terrain, l'affaire est
entendue. Trois points de vue - syndicat,
think tank
,
industriel -, trois angles
- la collecte, l'ambiance
laitière, l'investissement -, mais une seule et même
conclusion : la déprise laitière de certaines régions
sera lente mais semble inéluctable.
Confédération paysanne - 16 décembre 2015 : « Il y a un gros risque de concentration dans les régions dynamiques bénéficiant de conditions climatiques favorables. Même dans ces régions favorisées, il y aura des mouvements. L'impact de la suppression des QL sera la disparition des zones de collecte . Aujourd'hui, on incite toutes les exploitations situées à plus de 15 km d'une route nationale à arrêter leur activité parce que le coût de la collecte est considéré comme trop élevé. Ce que la restructuration ne fera pas, la collecte le fera. »
Le think tank « saf agr'iDées » - 9 décembre 2014 - « La clef est l'ambiance laitière. On ne fait pas de lait tout seul. L'ambiance laitière est d'abord liée à des facteurs privés. Avant, toute la famille était derrière l'éleveur, aujourd'hui, si l'éleveur est souvent du milieu, les ménages sont composites et la famille n'a plus de rapport avec le monde de l'élevage. L'éleveur doit composer. L'ambiance laitière est aussi liée à des facteurs économiques, au tissu, à la densité. Quand la densité des fermes diminue, les coûts de collecte augmentent. La collecte diminue et l'engrenage est fatal . Il y a des zones fragiles, notamment le Massif Central. »
FNIL - 15 avril 2015 - « La bataille de la compétition mondiale se gagnera aussi avec un amont compétitif . Les industriels n'ont aucune intention de fermer les outils industriels et les élevages, par ricochet. Le tissu industriel est présent dans toute la France, et c'est bien ainsi. Il subsistera, aux aléas près, des PME. Même à Montauban, on ne fermera pas d'usine. Mais on n'investira pas. D'ores et déjà, les laiteries françaises sont marginales dans les stratégies mondiales des grands industriels et leurs investissements se font à l'étranger. Lactalis investit en Inde, Bel a une usine dans le Dakota... »
Ainsi, la recomposition du paysage laitier semble inéluctable, mais elle a changé de nature. Jusqu'à la fin des QL, l'éleveur avait une part de choix, et la dynamique laitière résultait de plusieurs facteurs. Pour simplifier, plus la densité laitière est faible et plus les alternatives à la production laitière sont accessibles et séduisantes et plus la production laitière recule. Depuis la fin des QL, la concentration relève davantage de la contrainte. Plus la densité laitière est faible, plus la collecte est fragile et plus la production laitière recule.
c) Une recomposition qui pose de sérieuses difficultés
- En premier lieu, la recomposition régionale, qui paraît pour certains inéluctable, a un effet sur la compétitivité nationale. Il est parfaitement possible que la production se concentre et que cette concentration se fasse par transfert. C'est techniquement possible : « 40. 000 exploitations pourraient gérer en 2020 le même nombre de vaches laitières qu'en 2013 (3,7 millions) autorisant une petite progression de la collecte laitière ». Mais cela suppose un effort financier dont il faut prendre la mesure. « Ce mouvement suppose néanmoins la poursuite d'une restructuration du secteur avec des investissements en bâtiments-équipements conséquents pour reloger 1 million de vaches laitières dans 40 000 exploitations ». Sur la base de l'expérience des années 2000, on peut estimer cette somme à 800 millions d'euros par an 66 ( * ) .
Ainsi, qu'il s'agisse de freiner cette recomposition irrépressible du paysage laitier ou qu'il s'agisse d'accompagner cette transition pour maintenir des volumes, il faut investir des sommes tout à fait considérables. Les éleveurs peuvent-ils investir 800 millions d'euros par an si les laiteries ne suivent pas ?
Voilà pourquoi les éleveurs français sont tant attachés à voir figurer des clauses volumes dans les contrats, à la surprise de nos partenaires. Quand les Allemands disent aux éleveurs : « produisez ce que vous pouvez, on prend tout », en France, les volumes ne sont nullement garantis. Tout dépend de la stratégie de l'entreprise avec laquelle ils auront contractualisé et donc, des perspectives de marché. Pendant les QL, c'est l'offre qui régulait le marché. Sans les QL, c'est la demande. Cela induit des changements fondamentaux pour l'ensemble de la filière.
- En deuxième lieu, cette recomposition pose un problème politique. Si la plupart des professionnels admettent cette évolution et si tous les indicateurs le confirment, le positionnement officiel laisse toujours planer l'ambiguïté. Que dit France Agrimer par exemple sur ce sujet ? « Le quart Sud-Ouest est-il en train de devenir un désert laitier ? (...) Comment stopper l'érosion de la production laitière dans la région ? 67 ( * ) » . Ce n'est pas comment accompagner les transitions régionales, ni même comment freiner la déprise laitière, mais comment stopper l'érosion de la production laitière ? Les propos sont encore plus nets dans ce qui a été présenté comme « une stratégie de filière ». « Le premier enjeu identifié par la filière est le maintien des exploitations et des laiteries viables sur l'ensemble des zones laitières. » 68 ( * )
Ce que l'économie semble imposer, la politique continue de le nier. Est-ce un manque d'anticipation, une fuite devant les responsabilités ou une confusion des rôles entre État et régions ? La gêne longtemps entretenue sur la fin des QL se poursuit sur la question de ses conséquences régionales. Ambiguïtés, non-dits, voire, parfois, une certaine hypocrisie, sont légion.
Ce sujet de la concentration régionale est déterminant pour les éleveurs et pour l'ensemble de la filière laitière française. Il n'a jamais été vraiment traité. Le contenu d'une « stratégie filière » passablement confuse ne semble absolument pas à la hauteur des défis du moment.
* 51 Voir notamment INRA - Sortie des quotas laitiers - état des lieux et perspectives en Europe - 2010.
* 52 Les sous-réalisations dans les nouveaux États membres peuvent être beaucoup plus importantes, mais les structures de production ne leur permettent pas encore d'être de véritables acteurs au niveau international. Le délaissement de la production laitière au Royaume-Uni est une énigme aux yeux de nombreux observateurs. Voilà un pays qui a le potentiel, le climat, l'herbe, un marché captif pour une grande production laitière et qui n'a jamais fait jouer ses avantages comparatifs.
* 53 C'est aussi le cas de l'Irlande - 5,7 %, entre les campagnes laitières 2008-2009 et 2009-2010, et des nouveaux États membres.
* 54 INRA, ibid .
* 55 Voir annexe.
* 56 Audition de MM. Olivier Blanchard, délégué filière laitière, et Yves Tregaro, chef d'unité productions animales, France Agrimer, 2 décembre 2014.
* 57 Audition de MM. Patrick Ferrère, délégué général et Philippe Faucon, du think tank « saf agr'iDées », 9 décembre 2014.
* 58 Audition de M. Henri Brichard, vice-président de la FNSEA, 25 février 2015.
* 59 France Agrimer - Ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt - « Stratégies de filière : pour une agriculture compétitive au service des hommes » - juin 2014.
* 60 C. Perrot, D. Caillaud, V. Chatellier, M. Ennifar, G. You - « La diversité des exploitations et des territoires laitiers français face à la fin des quotas » - décembre 2014.
* 61 ibid .
* 62 France Agrimer - « La dynamique des troupeaux laitiers » - février 2013.
* 63 Audition du 16 décembre 2014.
* 64 Compte rendu de l'entretien M. Andrej Babuchowski, ministre conseiller chef du service agricole de la représentation permanente polonaise - 29 avril 2015.
* 65 Compte rendu de l'entretien M. Hans Georg Hassenplug, directeur scientifique et de la coopération internationale, chambre d'agriculture du Land de Basse-Saxe - 13 février 2015.
* 66 C. Perrot, D. Caillaud, V. Chatellier, M. Ennifar, G. You - « La diversité des exploitations et des territoires laitiers français face à la fin des quotas » - décembre 2014.
* 67 France Agrimer - La dynamique des troupeaux laitiers français à l'approche de la fin des quotas - Février 2013.
* 68 France Agrimer. stratégies de filières, ibid