EXAMEN EN COMMISSION
La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 4 juin 2015 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par MM. Yves Pozzo di Borgo et Simon Sutour, le débat suivant s'est engagé :
M. Jean-Yves Leconte . - Je rappelle que les sanctions ont été mises en place pour réagir à une situation de violation du droit international qui est inacceptable et qui demeure. Si le conflit dans l'Est de l'Ukraine doit trouver une solution, c'est également le cas de la Crimée, annexée illégalement par la Russie. Je note que depuis deux jours, les séparatistes du Donbass ont repris les armes. On est très loin de la mise en oeuvre correcte des accords de Minsk 2. Le président du Sénat, au cours de son déplacement en Russie, a insisté sur ce point : si Minsk 2 n'est pas appliqué, Washington risque de reprendre la main.
Je note que, pour la première fois depuis 1945, un pays membre du Conseil de sécurité de l'ONU a annexé un territoire. Ça ne s'était jamais vu depuis la création de l'ONU. La Russie est donc l'auteur d'un acte majeur de remise en cause de l'ordre international et ce n'est pas acceptable. Je crois que l'évolution de la situation en Syrie et au Moyen-Orient depuis 2013 a incité la Russie à surestimer la portée de sa politique étrangère, aussi à cause des erreurs européennes.
Les entreprises françaises sont également affectées par les sanctions, en particulier dans l'automobile, même s'il existe des différences selon les secteurs économiques. Ces sanctions ont renforcé le pouvoir de l'État sur l'ensemble de l'économie russe. Il est difficile pour la Russie, dans le contexte actuel, de prétendre équilibrer la balance entre l'Europe et l'Asie compte tenu de l'inégalité des relations économiques qu'elle entretient avec l'une et l'autre.
Je note que l'Union européenne éprouve de véritables difficultés dans ses relations avec les États dont elle n'est pas le bailleur et avec ceux qui ne sont pas candidats à une adhésion. Enfin, la complexité institutionnelle de l'Europe ne contribue pas à fluidifier la conduite de sa politique extérieure.
M. Jean-Paul Emorine . - Face à un sujet aussi complexe, je pense qu'il serait opportun pour notre commission d'auditionner des historiens et des experts de la Russie, comme le fait la commission des affaires étrangères. Je propose que nous auditionnions également, le cas échéant en commun avec cette dernière, l'ambassadeur de Russie en France.
Je regrette la position passée de l'Union européenne qui a cherché à satisfaire les demandes de l'Ukraine mais sans dialoguer avec la Russie.
Le secteur agroalimentaire souffre beaucoup des sanctions. La Russie doit être un partenaire de l'Union européenne et non un concurrent. En outre, il convient de veiller à ne pas orienter la Russie vers l'Asie. Enfin, j'ai l'impression que la Crimée est revenue à une situation antérieure plus conforme aux aspirations de sa population, russe pour l'essentiel.
M. François Marc . - Je m'interroge sur l'impact réel des sanctions européennes sur la situation économique en Russie. Celle-ci est effectivement en récession, mais quelle est la part de responsabilité des sanctions ? Peut-être cela arrange-t-il le Président Poutine de faire porter aux sanctions la responsabilité de la dégradation de la situation économique, pour d'évidentes raisons de politique intérieure. Les problèmes que rencontre aujourd'hui la Russie trouvent aussi leur origine dans les limites du modèle économique russe, inapproprié pour des raisons structurelles.
M. Michel Billout . - Je crois extrêmement utile de rappeler que les relations entre l'Union européenne et la Russie auraient dû faire l'objet d'une réflexion approfondie et objective. Il me semble nécessaire de sortir de la situation actuelle par le haut : il n'y a rien à gagner à revenir à la Guerre froide. Le sort des sanctions doit être déterminé par la bonne application des accords de Minsk 2. De manière générale, des interrogations existent sur l'efficacité des sanctions internationales, comme on l'a vu en Irak.
M. André Reichardt . - La situation actuelle, qui résulte d'une violation évidente du droit international par la Russie, n'est pas acceptable, d'autant plus qu'il ne s'agit pas d'une première. L'expansionnisme russe s'est manifesté en Géorgie, où le pouvoir central ne contrôle plus l'Ossétie du Sud ni l'Abkhazie, ou encore en Moldavie, avec la Transnistrie. Cela fait beaucoup !
M. Yves Pozzo di Borgo . - La corruption constitue un problème structurel dans les sphères dirigeantes ukrainiennes où elle est endémique. Je rappelle que des ministres émanant de la révolution de Maïdan ont été évincés rapidement au profit de responsables politiques notoirement corrompus. Toutefois, je crois que la grande majorité des Ukrainiens a pris conscience du problème. Selon nous, les relations entre l'Union européenne et la Russie doivent être approfondies dans une perspective stratégique. Sur les conséquences des sanctions, je rappelle que notre ambassadeur à Bruxelles avait indiqué que l'impact des sanctions pouvait être chiffré à 0,2 % du PIB européen, soit l'équivalent de ce que devrait apporter le Plan Juncker. La dégradation de l'économie russe résulte davantage de la baisse du rouble et du cours du pétrole que des sanctions européennes. Le Président Hollande et la Chancelière Merkel ont joué un rôle fondamental pour parvenir à la conclusion des accords de Minsk 2 auxquels les Russes et les Ukrainiens se sont ralliés. Enfin, je regrette que le parlement ukrainien n'ait toujours pas adopté la réforme constitutionnelle relative à la décentralisation, qui constitue pourtant un point essentiel des accords.
M. Simon Sutour . - L'annexion par la Russie de la Crimée constitue indiscutablement une violation du droit international. Pour autant, j'ai pu constater, au cours de déplacements dans cette péninsule, la proximité réelle des habitants de Crimée avec les Russes, notamment à l'occasion de la célébration de la victoire de 1945. Les habitants de la Crimée se sentent russes et je m'interroge sur les résultats d'un référendum de rattachement qui aurait été effectué selon les standards internationaux. Je précise que les sanctions prises contre la Russie sont des sanctions propres à l'Union européenne et non pas la déclinaison de sanctions internationales, comme il peut en exister à l'encontre de l'Iran. Je regrette l'absence des dirigeants européens à Moscou, alors que le Président chinois et le Premier ministre indien étaient présents, lorsque fut célébré le 70 ème anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe, d'autant plus que le Président Poutine s'était rendu en Normandie en juin 2014 lors du 70 ème anniversaire du Débarquement.
M. Jean Bizet, président . - L'Union européenne ne peut se développer qu'en nouant des relations constructives et apaisées avec la Russie. Il me semble aujourd'hui admis que la Commission Barroso avait commis plusieurs maladresses dans ses relations avec Moscou : faire croire que les accords d'association valaient adhésion, affirmer que les accords commerciaux étaient exclusifs de relations avec l'Union économique eurasiatique, ce qui a placé certains pays dans une situation délicate, par exemple l'Arménie, et évoquer l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN, perçue comme une menace par la Russie.
Pour autant, la Russie a commis un certain nombre de fautes, à commencer par l'annexion de la Crimée. En Ukraine, les Russes cherchent à favoriser la fédéralisation du pays tandis que les Ukrainiens lui préfèrent la régionalisation, ce qui est aussi la position du couple franco-allemand. J'appelle de mes voeux la reprise des sommets Union européenne-Russie, interrompus depuis janvier 2014, de même que l'adhésion de la Russie à l'Agence internationale de l'énergie dans le contexte de relations commerciales énergétiques denses entre l'Europe et la Russie.
À l'issue de ce débat, la commission a autorisé, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.