II. SECONDE TABLE RONDE : COMMENT VALORISER LES OUTILS NUMÉRIQUES DANS LA GESTION DES CRISES SANITAIRES ?
Présidence de Roger Karoutchi, président de la délégation à la prospective du Sénat
Fabienne Keller, rapporteure
Clara de Bort, cheffe du pôle de réserve sanitaire à l'Eprus
Pascale Briand, inspectrice générale de l'agriculture
Bruno Dondero, professeur à l'université Paris 1, directeur du CAVEJ
Arnaud Fontanet, chef de l'unité d'épidémiologie des maladies émergentes à l'Institut Pasteur
Françoise Laborde, journaliste, ancienne conseillère du CSA
Jean-Paul Moatti, président-directeur général de l'IRD
Somalina Pa, rapporteure générale adjointe au Conseil national du numérique
Christian Quest, président d'OpenStreetMap France
Jean-Yves Robin, consultant e-santé et big data, ancien directeur de l'ASIP Santé
Sylvie Sargueil, médecin, journaliste
Benoît Thieulin, président du Conseil national du numérique
Cécile Vignolles, experte en télé-épidémiologie au Cnes
Patrick Waelbroeck, professeur d'économie à Télécom Paris Tech
Patrick Zylberman, professeur à l'École des hautes études en santé publique
Fabienne Keller , rapporteure
Je vous propose de passer maintenant à la seconde table ronde : « Comment valoriser les outils numériques dans la gestion des crises sanitaires ? » Commençons par la diffusion d'une courte vidéo de présentation sur le rôle des nouvelles technologies, en particulier d'internet et des réseaux sociaux, dans la lutte contre les maladies émergentes.
Un film est projeté.
Madame Laborde, vous êtes une grande journaliste, très connue, de la télévision. Vous avez été membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Pouvez-vous compléter le regard que vous avez commencé à nous faire partager dans cette vidéo, nous parler de l'importance des outils numériques, mais aussi des médias ?
Françoise Laborde, journaliste, ancienne conseillère du CSA
Je salue l'initiative d'aujourd'hui, avec le souhait que la réflexion se concrétise en action. Que nous puissions arriver à un call to action tel que le pratiquent les Américains ou, pour le dire plus simplement, à une boîte à outils qui fonctionne.
Pour moi, la question principale est : « Comment ne pas se laisser déborder par le numérique ? » En la matière, en effet, on trouve le pire, à l'image de ces sites qui cherchent à convertir les jeunes au djihad, comme le meilleur. Une autre question est : « À qui s'adresse-t-on ? » Pour la communauté scientifique, l'outil numérique est bien sûr fondamental car il permet un formidable partage des connaissances. À l'égard de l'opinion publique, est-ce le meilleur outil ? Je n'en suis pas sûre. Sur le net, la moindre idée avancée est réceptionnée par des milliers de personnes qui réagissent et polémiquent. Cela nous propulse très vite dans la théorie du complot et dans le mensonge. En outre, la politisation des opinions publiques peut très bien se retrouver à l'occasion d'une grande épidémie, qui serait concomitante avec une élection.
Je retiens de ce qui a été dit ce matin l'importance de réagir vite, mais avec souplesse, pour justement gagner la confiance de l'opinion, ce qui est fondamental. La confiance n'est pas le fruit du hasard, elle s'organise. Il faut travailler de concert, de façon interdisciplinaire et responsable.
L'intérêt du numérique n'est plus à démontrer, mais les médias plus anciens, comme la radio et la télévision, fonctionnent aussi très bien. Il faut communiquer en permanence. Une information peut être contredite l'instant d'après, comme nous l'avons vécu encore récemment, au moment du crash de l'avion de la compagnie Germanwings. Le fait de dissimuler est vain car tout finit par se savoir. En l'espèce, les porte-parole du Bureau d'enquêtes et d'analyses l'ont appris à leurs dépens après que le New York Times a sorti une information démentant leurs propos tenus lors d'une conférence de presse. Après tout, la langue de bois fait aussi partie de la communication. Tout le monde parle, y compris ceux qui en savent le moins. La plus grande transparence possible est donc de rigueur.
Il convient de garder en tête quelques fondamentaux et de faire passer des messages d'intérêt général adaptés au public visé. C'est ce que s'était efforcé de promouvoir le CSA lors de l'épidémie de chikungunya.
Les médias sont demandeurs d'information continue. Il faut « nourrir la bête » et désigner des experts pour aller sur les plateaux, sinon la parole est donnée à des personnes mal informées, ce qui peut provoquer beaucoup de dégâts. Cet aspect doit être contrôlé au moins autant que les réseaux sociaux. Les briefings quotidiens ne sont pas à négliger. Il n'est nul besoin d'opposer télévision sociale et télévision classique, qui relèvent d'un seul et même domaine : la communication.
J'ai écouté attentivement tout ce qui s'est dit ce matin en matière d'éducation. Peut-être pourrait-on réfléchir avec les écoles à la possibilité de faire des exercices de simulation, comme cela se pratique pour les accidents nucléaires dans les communes proches de certaines centrales ?
En termes de communication, l'atelier d'aujourd'hui offre une matière formidable pour créer les conditions d'une modélisation du système, afin d'identifier, en cas de problème, les actions urgentes : mise en place d'un numéro vert, ou diffusion d'un communiqué de presse, ou encore rencontre de quelques spécialistes en plateau, voire les trois en même temps. Il me semble utile de prévoir une procédure qui permette à chacun de connaître la marche à suivre. La diffusion de l'information est rapide, en France, ce qui est positif, mais elle ne doit pas non plus s'éparpiller.
Fabienne Keller , rapporteure
Merci beaucoup pour cette intervention très tonique et tournée vers la proposition.
Monsieur Thieulin, vous présidez le Conseil national du numérique. Convaincu que le numérique va bouleverser notre société, vous vous intéressez beaucoup au phénomène d' empowerment , aux questions de prises de pouvoir. Que vous inspire ce défi des maladies infectieuses et l'utilité que peut avoir le numérique en la matière ?
Benoît Thieulin, président du Conseil national du numérique
La vague numérique a déjà révolutionné la médecine, la santé et la gestion des crises. Je retiens quatre observations, que nous avons tirées d'expériences passées, notamment avec Ebola.
Tout d'abord, le numérique peut être un excellent moyen pour cartographier et prendre la mesure d'une épidémie. Il permet une veille sanitaire très détaillée, quasiment en temps réel. Ainsi, l'étude des requêtes que le grand public fait sur Google en matière de symptômes rend possible, grâce à de simples algorithmes, la détection de signaux faibles à l'échelle d'un pays, d'un territoire, et d'obtenir, en temps réel, une cartographie de la diffusion et de la dissémination d'une maladie de manière parfois plus précise que ne le font les outils traditionnels. Le téléphone mobile est aujourd'hui largement répandu en Afrique. Dans le cas d'Ebola, les opérateurs de télécommunications ont pu, de ce fait, participer au suivi des mouvements de population.
Avant même d'être un support de communication, le numérique constitue un outil formidable pour comprendre les mécanismes de propagation d'une maladie, d'un virus.
Ensuite, les expériences des quinze dernières années lors de crises sanitaires ont montré qu'il n'est pas forcément besoin de technologies « dernier cri » ou de connexion internet. Même lorsque les gens utilisent des outils basiques, des technologies très légères, comme le portable et les SMS, le suivi est possible et fiable. La coordination sur le terrain en a été grandement facilitée, par exemple aux Philippines ou en Haïti.
Cela étant, la communication numérique provoque évidemment une explosion de la rumeur, qui est précisément quantifiable. Face à ce phénomène, le défi est immense. Mais internet a ce grand avantage qu'il matérialise la rumeur. Il est possible de savoir où la rumeur est diffusée et dans quelle proportion, si elle augmente ou au contraire si elle diminue, si son influence est massive, et où elle est localisée. Il reste vrai que l'on assiste à un changement de positionnement de la parole experte, et que cela constitue un défi. Le temps où le ministère de la santé pouvait donner des instructions sans trop les expliquer est révolu. Les populations veulent comprendre et choisir ; elles sont, de ce fait, moins dociles.
Finalement, le numérique est un moyen, lors de graves crises sanitaires, de maintenir la continuité de services essentiels tels que la sécurité, l'éducation, l'alimentation et l'accès à l'information. Il est une « infostructure » susceptible de résoudre les défaillances d'infrastructures physiques.
Fabienne Keller , rapporteure
Monsieur Moatti, vous êtes président-directeur général de l'Institut de recherche pour le développement. Quel regard portez-vous sur le numérique ?
Jean-Paul Moatti, président-directeur général de l'Institut de recherche pour le développement (IRD)
L'IRD est un établissement public à caractère scientifique et technologique qui se projette au Sud. Il couvre l'ensemble des champs disciplinaires et, du fait de sa taille moyenne, doit travailler en partenariat avec l'ensemble des partenaires de la recherche publique concernés, notamment le Cirad, qui comme lui est spécialisé dans les recherches au Sud, mais aussi les autres opérateurs publics de recherche - CNRS, Inserm, Institut Pasteur, etc. - et l'Université.
Le message que je souhaite transmettre est très simple et c'est l'idée que j'ai esquissée à la fin de la première table ronde : il est impératif de croiser l'agenda « maladies émergentes » avec les autres agendas qui intéressent notre diplomatie et plus généralement le développement sur la scène internationale. Comme je l'ai déjà évoqué, on ne peut pas faire l'impasse sur les liens avec la sécurité politique, militaire et les crises sociopolitiques. La semaine dernière, deux articles parus dans Plos , la grande revue scientifique, ont attiré l'attention sur les risques constatés de rééemergence de maladies infectieuses en lien avec les conflits syrien et irakien : flambée de leishmaniose, recrudescence de rage, possibilité que le MERS-CoV, né dans les Émirats, se diffuse dans les camps de réfugiés, etc. Le ministre des affaires étrangères doit être alerté sur le sujet. Je compte sur vous, madame la sénatrice !
De même, l'agenda « maladies émergentes » doit être lié à celui du Big data et d'internet. Arnaud Fontanet parlera mieux que moi de l'intérêt de ces outils pour la surveillance épidémiologique. En tout état de cause, il faut garder un oeil sur ce qui se passe dans les profondeurs des réseaux sociaux. Avec Laetitia Atlani, anthropologue, j'ai pu démontrer, à propos de H1N1, combien le fait d'aller au-delà de la surface des blogs officiels permettait de mettre au jour une géographie de la rumeur et la réémergence de la figure du bouc-émissaire. Voilà un élément essentiel à prendre en compte.
Ensuite, il faut évidemment relier la lutte contre les maladies émergentes aux nouveaux objectifs post-2015 du développement durable qui vont être adoptés en septembre prochain à New York : il est crucial de se caler sur ces objectifs. J'aurais pu vous présenter le schéma stratégique « idéal » de lutte contre l'épidémie d'Ebola défini pour le district de Macenta, qui fut l'un des tout premiers touchés en Guinée. La réalité est tout autre : la surveillance épidémiologique n'était effectuée que par un demi-temps plein disposant comme seul outil... d'un cahier d'écolier. Faute de résoudre le problème du financement et du renforcement structurel des systèmes de santé, la riposte aux épidémies continuera de ressembler au tonneau des Danaïdes.
Selon les projections que j'ai faites en tant qu'économètre sur les tendances actuelles, même en étant optimiste, en 2030, cent dollars seulement seront disponibles par personne en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud-Est pour les dépenses de santé, toutes sources de financement comprises. Cette somme est insuffisante. Il est nécessaire de trouver des solutions permettant de mettre en place des couvertures maladies universelles garantissant l'accès aux soins et médicaments essentiels.
Enfin, le changement climatique est au coeur des préoccupations et de l'agenda diplomatique de notre pays, avec la Cop21, qui se tiendra à Paris en décembre prochain. Il est là aussi crucial de faire le lien. Les exemples de maladies dites climato-sensibles - fièvre catarrhale ovine, virus du Nil occidental... - ne manquent pas. La pluviométrie, les pics de chaleur ou la prolifération de bio-agresseurs dans les cultures tropicales ont des liens directs avec la remontée vers le Nord de maladies jusque-là confinées dans les zones intertropicales ainsi qu'avec les phénomènes de malnutrition ou de migrations humaines. Je citerai ce proverbe peul « l'herbe ne pousse pas, le mil ne pousse pas, alors il faut t'enfuir », qui illustre bien le lien entre changement climatique, mouvement des populations et circulation potentielle d'agents pathogènes.
Pour terminer, puisque le président Karoutchi nous y a encouragés, Jean-François Delfraissy, de l'Institut de microbiologie et des maladies infectieuses, Michel Eddi, président du Cirad, et moi-même sommes volontaires pour vous aider, mesdames, messieurs les sénateurs, à rédiger deux amendements qui pourraient nous être fortement utiles dans les mois à venir.
Premièrement, il faut absolument, dans la programmation de la recherche, au niveau tant national qu'européen, flécher les appels à projet vers les pays du Sud, car, sans cela, à prétendre que la recherche au Sud est partout, elle finit par n'être nulle part.
Deuxièmement, nous avons besoin, du fait de la crise budgétaire générale, de financements pour avancer. L'aide au développement a des moyens. Un amendement pourrait prévoir que, dans tout grand projet d'infrastructure ou tout grand projet bénéficiant de l'aide publique française au développement, un pourcentage modeste, à hauteur de 5 %, voire 10 %, est dévolu à un programme d'évaluation, de recherche ou d'appui scientifique, comme le font déjà les agences de développement anglo-saxonnes.
Fabienne Keller , rapporteure
Merci beaucoup pour ces propositions très opérationnelles.
Je laisse la parole à Mme Somalina Pa, qui est rapporteure dans le domaine de la santé au Conseil national du numérique. Vous avez beaucoup travaillé sur la communication dirigée vers le public jeune, et sur la façon de le sensibiliser aux questions de santé. Quels sont les grands axes de progrès possibles dans ce domaine ?
Somalina Pa, rapporteure générale adjointe au Conseil national du numérique
Dans le domaine de la communication en santé, nous nous sommes demandé ce que recouvrait la notion de « public jeune ». Nous en avons tiré un double constat.
D'une part, la qualification par le critère de l'âge n'est pas pertinente quand il s'agit de santé, et en particulier de prévention et de communication en santé. Nous avons donc retenu l'acception sociologique, autrement dit la jeunesse en tant que phase d'expérimentation de « premières fois ».
D'autre part, les schémas classiques de communication en santé, autrement dit la communication descendante institutionnelle, sont de moins en moins efficaces auprès des jeunes. L'action publique en matière de prévention et de promotion en santé doit donc s'adapter aux nouveaux usages des jeunes pour pouvoir les toucher.
Deux axes nous semblent pouvoir être mobilisés. Il s'agit, d'abord, de la formation des professionnels de santé, mais aussi de relais sur le terrain, d'acteurs qui n'appartiennent pas nécessairement à l'« écosystème santé », mais qui sont des leaders d'opinion auprès des jeunes, notamment le personnel scolaire ou certains acteurs de la culture.
Le deuxième axe consiste à utiliser le numérique comme vecteur de mobilisation et d'engagement proactif, pour que les jeunes ne se sentent pas simplement considérés comme des récepteurs d'une information de santé, mais qu'ils puissent en devenir vecteurs, grâce à des projets ou des passerelles vers l'action sociale.
Fabienne Keller , rapporteure
Lors de notre rencontre, vous nous aviez expliqué que les jeunes sont spontanément très peu réceptifs à ces messages, car ils ne se sentent pas concernés. Pouvez-vous développer ce point ?
Somalina Pa, rapporteure générale adjointe au Conseil national du numérique
Les jeunes ne s'intéressent pas à la santé en tant que telle. Ils s'en sentent généralement éloignés car ils n'ont pas l'impression d'être concernés par la maladie et la mort. Les stratégies de communication qui s'appuient sur la peur ne sont pas les plus efficaces. En revanche, la possibilité de s'engager sur des projets les implique davantage. Je citerai à cet égard un exemple en dehors du champ de la santé : le projet Inter-génération, au travers duquel des jeunes initient des personnes âgées à internet.
Fabienne Keller , rapporteure
Monsieur Waelbroeck, vous êtes professeur d'économie. Pouvez-vous nous faire partager votre vision sur les opportunités offertes par le Big data ?
Patrick Waelbroeck, professeur d'économie à Télécom Paris Tech
Le Big data et l'internet des objets vont révolutionner la manière dont les maladies seront désormais diagnostiquées. Grâce à des capteurs utilisés pour vérifier la tension ou la pression artérielle, ou des matériels plus complexes, à l'image de scanners portatifs connectés à des smartphones, l'information jusque-là centralisée par les médecins est donnée au patient lui-même, qui les communique ensuite au médecin. Je recommande à ce sujet le livre de l'américain Eric Topol The patient will see you now , en français Le patient va vous recevoir . Ce dernier pourra pratiquer le quantified self , autrement dit le fait de se connaître soi-même, et communiquer grâce à des serveurs à distance pour avertir un médecin en cas de diagnostic inquiétant.
À l'Institut Mines-Télécom, nos recherches portent sur trois points principaux, qui concernent non pas la médecine en particulier, mais tous les objets connectés de manière générale.
Tout d'abord, nous nous interrogeons sur les problèmes de sécurité. Qui est responsable si un capteur, un serveur ou un logiciel ne fonctionnent pas ? Que se passerait-il en cas de malveillance, si, par exemple, un pacemaker connecté était « hacké » ?
Ensuite, comment, à l'heure où il est si simple de localiser un téléphone portable par triangulation, gérer la protection des données et, de facto , celles de la vie privée ? Ce serait faire preuve d'une grande naïveté que de penser que les données récupérées dans le cadre du Big data ne sont pas des données personnelles. Soyons doublement vigilants.
Enfin, en termes d'Open data et d'Open access, dès lors que des capteurs produisent de nombreuses données, les questions affluent : qui peut les utiliser ? Sous quelles conditions ? Quelles sont les propriétés associées à ces données ? Comment les effacer ?
Fabienne Keller , rapporteure
La grande question de l'utilisation de ces données est posée : faut-il les rendre publiques ? Nous allons tous finir par laisser notre portable à la maison pour éviter tout risque de filature !
Monsieur Quest, vous présidez OpenStreetMap France. Vous êtes fin connaisseur de ces questions d'utilisation des Big data dans le domaine de la cartographie. Vous avez travaillé sur le terrain, en Guinée, pour le compte de MSF Suisse. Je vous laisse la parole.
Christian Quest, président d'OpenStreetMap France
Voilà un peu plus d'un an, à l'appel de MSF Suisse, la communauté OpenStreetMap s'est mobilisée sur le terrain, en Guinée. Les premières équipes de MSF qui devaient débarquer à Gueckedou ne disposaient d'aucune donnée cartographique.
Les outils numériques favorisent non seulement la communication, mais également la mobilisation citoyenne pour, en l'occurrence, produire de la donnée qui n'existe pas encore, et ce de façon bénévole. C'est ainsi nous avons pu cartographier Gueckedou, une ville relativement importante, et tous ses bâtiments en quelques jours.
D'une manière générale, le numérique est un outil qui transforme et l'espace et le temps. Il transforme l'espace car il abolit les distances. Il raccourcit le temps, le temps de réaction, le temps d'intervention et le temps de mobilisation. On peut, par exemple, grâce aux réseaux sociaux, mobiliser des contributeurs pour cartographier une zone. Les outils sont collaboratifs. Dans ce cadre, la personne est non plus seulement un récepteur mais aussi un acteur.
Sur le principe de l'apport contributif, on connaît tous Wikipédia. OpenStreetMap fonctionne de la même manière. Pour Ebola, nous sommes intervenus dès le mois de mars 2014, quand la maladie ne trouvait aucun écho, et nous avons renforcé notre dispositif en juin, lorsque le virus s'est étendu à la Sierra Leone.
Nous avons commencé à nous mobiliser pour les crises humanitaires lors du tremblement de terre en Haïti. De manière totalement spontanée, des contributeurs ont permis de cartographier Port-au-Prince en deux jours et Haïti en une dizaine de jours. On peut mobiliser des milliers de personnes, sans être sur le terrain. Les données collectées à Haïti servent encore aujourd'hui à la reconstruction et à l'établissement d'un cadastre. D'ailleurs, grâce à la cartographie des bâtiments, on a pu obtenir un dénombrement plus complet des habitants de l'île.
Fabienne Keller , rapporteure
Voilà une présentation pleine de promesses. Madame Vignolles, vous êtes experte en télé-épidémiologie au Centre national d'études spatiales. Comment les nombreuses données que vous recueillez peuvent-elles être utilisées pour le suivi ou la compréhension de la diffusion des maladies ?
Cécile Vignolles, experte en télé-épidémiologie au Centre national d'études spatiales (Cnes)
Depuis une quinzaine d'années, le Cnes s'intéresse au développement des outils dans le domaine de l'e-santé, qui comprend la téléconsultation à distance, la télé-expertise, la téléformation, la gestion de crise, ainsi que la télé-épidémiologie. Cette dernière consiste à analyser les relations entre le climat, l'environnement et la santé, pour établir des relations entre l'émergence, la propagation des maladies infectieuses et les facteurs environnementaux ou climatiques, en s'appuyant sur les données d'observation de la Terre par satellite.
Les données satellitaires ne fournissent pas d'informations directes sur les pathogènes mais renseignent sur l'environnement qui peut être propice à l'émergence de certains vecteurs de maladies. Notre objectif est de participer à l'élaboration de produits spatiaux adaptés aux besoins des acteurs de la santé.
Notre principe est de travailler avec les acteurs de la santé dès le début des projets. Nous ne livrons pas un produit « clé en main », nous l'élaborons avec eux, ce qui constitue un vrai travail d'interdisciplinarité.
L'imagerie satellitaire en relation avec la santé existe depuis longtemps à l'échelle globale mais elle se spécialise aujourd'hui sur des échelles locales, utiles, par exemple, pour des centres de démoustication situés en Martinique ou dans le sud de la France. En se fondant sur des données entomologiques - in situ -, météorologiques - in situ ou, à défaut, satellitaires -, environnementales issues du traitement d'images satellitaires de résolutions appropriées et sur une modélisation adéquate, il est ainsi possible de dresser des cartes de risque entomologique - présence/absence de points d'eau, présence/absence de gîtes larvaires, densités larvaires et densités de moustiques adultes - à haute résolution spatiale et temporelle. Il est alors envisageable d'utiliser les produits de cette modélisation de manière concrète sur le terrain, comme une aide à l'application de mesures de lutte et de prévention : savoir où et quand intervenir.
Fabienne Keller , rapporteure
Merci beaucoup pour cette présentation très claire, qui donne envie de mieux comprendre les outils.
Monsieur Dondero, vous êtes professeur à l'Université Paris 1, directeur du Centre audiovisuel d'études juridiques. Vous offrez des formations à distance en droit. Est-il vraiment possible de se former à des milliers de kilomètres avec la même qualité d'enseignement ?
Bruno Dondero, professeur à l'Université Paris 1, directeur du Centre audiovisuel d'études juridiques (Cavej)
Tout l'enjeu est effectivement de savoir si une formation à distance peut être considérée comme une vraie formation. Si l'enseignement à distance existe depuis longtemps, il a évolué avec l'essor des nouvelles technologies, qui ont fait apparaître de nouvelles possibilités, notamment les plateformes pédagogiques, la capacité de se connecter en même temps avec un grand nombre de personnes.
À l'Université Paris 1, nous avons mis en place un Mooc de droit des entreprises, en deux sessions de six semaines. Vingt mille personnes ont reçu une formation gratuite et un petit quart d'entre elles, ce qui est beaucoup à l'échelle des Mooc, a obtenu une attestation de réussite, en partant du principe qu'elles ont répondu seules aux tests de connaissances, car, en l'état actuel, nous n'avons pas de dispositif pour le vérifier. L'attestation de réussite au Mooc n'est pas un diplôme universitaire mais peut figurer sur un CV et témoigner de l'acquisition de connaissances.
Il est intéressant de parler ici des Mooc et des Spoc - small private online course , autrement dit des classes à effectifs réduits -, car ces instruments, agrémentés de vidéos et de plateformes d'échanges de pair à pair, permettent de former différents publics à divers niveaux. Ils offrent tout un panel de très grandes potentialités pédagogiques non encore exploitées. Je citerai la prévention d'un certain nombre de risques, à l'instar des maladies infectieuses, ou encore l'aide à l'orientation des jeunes.
Je précise que de tels outils ne se résument pas à la simple mise en ligne d'informations telles quelles. Ces instruments pédagogiques font l'objet d'un travail de conception préalable de la part de professeurs et de formateurs. Ceux-ci ciblent précisément les publics, vérifient que l'information est bien reçue et procèdent à des évaluations. Je terminerai en soulignant que nous n'en sommes qu'au début du chemin.
Fabienne Keller , rapporteure
L'évolution des méthodes pédagogiques liées au numérique est un vaste sujet.
Professeur Fontanet, vous avez conçu un Mooc sur les maladies infectieuses. Présentez-nous, s'il vous plaît, ce que peut être l'apport d'un tel outil dans un contexte épidémique.
Arnaud Fontanet, chef de l'unité d'épidémiologie des maladies émergentes à l'Institut Pasteur
Le principe du Mooc est de proposer vingt à trente vidéos de dix minutes chacune, avec un ou plusieurs intervenants. Celles-ci sont étalées sur quatre à six semaines, mais peuvent être visionnées hors connexion si le Mooc est archivé. Vous pouvez visionner quand vous le souhaitez et sur n'importe quel support numérique - ordinateur, tablette, smartphone -, donc y compris dans les transports en commun.
Les professeurs interagissent grâce à des questionnaires à choix multiples et des forums d'échanges, qui rendent le Mooc vivant. Les étudiants posent des questions, se répondent mutuellement. Un modérateur peut intervenir. Dans le cadre du Mooc en épidémiologie que j'ai développé, je me connecte le vendredi soir et reprend les quatre ou cinq questions les plus discutées sur le forum. Je le fais en direct sur Youtube, avec la participation des étudiants à l'origine desdites questions. Une telle conférence dure environ une heure. La première a été suivie par neuf cents personnes, de cinquante pays différents.
Bruno Dondero l'a dit, le Mooc donne lieu à une attestation, et non à un diplôme, mais les choses sont en train d'évoluer. Le coût de production estimé est très variable, de 30 000 à 50 000 euros.
Le premier intérêt d'un Mooc est d'être accessible partout où internet est disponible. Il s'ouvre à un public très large. Le Mooc que j'ai conçu est assez spécialisé, tant dans les concepts de l'épidémiologie que dans les méthodes. Il a attiré, pour moitié, des étudiants en master et des doctorants, et, pour l'autre moitié, des personnes présentant des niveaux de formation très variables.
Le Mooc étant gratuit, beaucoup papillonnent et ne vont pas au bout : seuls 5 % à 10 % des inscrits terminent un Mooc et passent l'examen final. Il ne faut pas du tout s'en offusquer. Le principe même du Mooc, c'est avant tout de toucher un très large public, de manière flexible. Chacun est libre de gérer son suivi comme il l'entend.
Le produit est attractif, d'une grande qualité audiovisuelle, sur de courtes durées, ce qui permet une meilleure assimilation des connaissances. Nous sommes loin des conférences filmées. L'interactivité des forums et des réseaux sociaux permet en outre de créer une véritable communauté.
Par rapport au coeur de notre sujet, les maladies infectieuses, notamment Ebola, j'ai d'ores et déjà pu trouver cinq Mooc disponibles. Le premier « Ebola, vaincre ensemble » a été produit par l'Université de Genève en janvier 2015, sous la direction d'Antoine Flahaut. Quatre autres sortent ces jours-ci, que l'on doit à la London school of hygiene and tropical medicine , ainsi qu'aux universités de Lancaster, d'Emory et d'Amsterdam-Utrecht. Tout cela est logique : un Mooc ne s'improvise pas et nécessite un temps de conception conséquent.
Il y a deux temps et deux usages des Mooc.
En « temps de paix », quand aucune épidémie majeure n'est en cours, le Mooc est très adapté à la formation continue des professionnels en exercice, et dix, vingt minutes par jour suffisent. En outre, des Mooc pourraient être préparés pendant ces périodes de paix, en amont. Lors des épidémies récentes - Sras, MERS-CoV, Ebola -, on a pu constater que l'une des grandes difficultés était la transmission des agents responsables en milieu de soins, à l'origine d'infections chez les soignants et les patients, désorganisant complètement le fonctionnement des établissements de santé, d'où un coût indirect extrêmement élevé en termes de morbidité et de mortalité. Au sujet d'Ebola, on estime qu'il y aura eu plus de morts pour cause de paludisme non diagnostiqué, de femmes qui n'auront pas pu accoucher dans de bonnes conditions, que de morts liées à la maladie elle-même. Tout un travail de prévention et de contrôle de la transmission dans les lieux de soins reste à faire. Ainsi, un Mooc dont l'objet porterait sur le contrôle des infections en milieu de soins, à l'adresse de toutes les catégories de professionnels de santé, prenant des exemples précis, pourrait être très utile.
En « temps de guerre », plusieurs difficultés se présentent. Le délai de production d'un Mooc est relativement long, de trois à six mois. Les problèmes de connexion internet peuvent constituer un obstacle. Le choix du public visé doit déterminer si le Mooc est le meilleur instrument à utiliser pour informer, ou si les revues de grande qualité déjà diffusées gratuitement sur internet par les journaux médicaux suffisent. Enfin, dans la mesure où les scientifiques ne sont pas des professionnels de la communication, la fonctionnalité des réseaux sociaux reste un point à surveiller, y compris sur les plateformes d'échanges des Mooc, pour ce qui est de contrer la rumeur.
Fabienne Keller , rapporteure
On sent vraiment le potentiel offert par les Mooc et les évolutions qui se profilent. Personnellement, ce qui me fascine dans cet outil, c'est non seulement la solidité académique et scientifique, mais aussi sa souplesse et son attractivité.
Madame de Bort, vous êtes cheffe du pôle de réserve sanitaire à l'Eprus, l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, qui prépare et envoie du personnel médical dans les pays en crise sanitaire. Pouvez-vous nous faire partager votre vécu et nous présenter l'utilisation des outils numériques dont vous faites usage dans ce cadre ?
Clara de Bort, cheffe du pôle de réserve sanitaire à l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus)
L'Eprus est un établissement public, sous la tutelle du ministère de la santé et, pour certaines de nos activités, du ministère des affaires étrangères. Nous sommes intervenus en Guinée dès le mois d'avril 2014 auprès du gouvernement guinéen, puis à partir de septembre pour la mise en place du centre de soins Ebola de Macenta, confié à la Croix-Rouge française.
Nous avons dans la réserve sanitaire toute la palette des professionnels du secteur de la santé, des infirmiers aux sages-femmes, des psychologues aux épidémiologistes, directeurs d'hôpitaux, ingénieurs, logisticiens, en exercice ou retraités. Notre mission consiste à déplacer cette ressource humaine en urgence. En « temps de paix », nous la recrutons, l'animons et la formons, pour qu'elle soit opérationnelle très rapidement en « temps de guerre ».
L'Eprus est jeune - huit ans - et a grandi avec le numérique. Les dossiers des réservistes sont totalement dématérialisés. Les appels à mobilisation sont, eux aussi, « tout numérique ». Il s'agit en fait de sondages express par internet, que nous lançons sur les boîtes mail personnelles des réservistes lors d'une urgence pour savoir qui est disponible. Ils sont doublés d'alertes SMS. Les premières réponses des réservistes parviennent en moyenne douze secondes après l'alerte. Je souscris donc tout à fait à ce qui a été dit : oui, le numérique réduit l'espace et le temps, et, pour nous, c'est essentiel.
Nous avons des réservistes partout en France, y compris outre-mer, ainsi qu'une trentaine qui résident à l'étranger. Deux mille réservistes sont prêts à partir. Cinq mille candidats réservistes sont disposés à finaliser leur dossier en cas de besoin. Voilà une dizaine de jours, nous avons lancé une alerte ciblée pour renforcer le centre de traitement des soignants géré à Conakry par le Service de santé des armées. Soixante-douze heures plus tard, nous avions reçu un peu plus de deux cents réponses positives.
Le numérique nous est indispensable car nous sommes une structure très légère. Nos relations avec les réservistes étant virtuelles, nous apprécions de pouvoir les rencontrer « en chair et en os » lors des formations que nous organisons à leur intention, en particulier des exercices sur le terrain. Nous communiquons de façon très large sur les réseaux sociaux, sur Twitter, Youtube, Facebook. Nous avons ouvert avant-hier un compte sur Periscope et préparons un prochain compte Instagram. C'est important pour les réservistes de voir leurs collègues partir en mission, de comprendre ce qu'ils vont y faire, de se préparer à prendre leur relève. Nous misons énormément sur l'image et la vidéo pour améliorer la préparation des équipes.
Nous exerçons également une activité de curation, qui consiste à repérer des articles dont nous savons qu'ils sont fiables afin de les relayer auprès de nos lecteurs de façon continue. À nos yeux, la confiance se construit en « temps de paix », nous voulons devenir un vecteur d'information fiable pour mieux relayer les messages clés en période de crise. Il n'est plus possible d'envisager une vision top down en santé publique. Nous entendons jouer pleinement le jeu des réseaux sociaux, en connaître les codes et construire progressivement notre e-réputation.
Nous ne sommes ni des épidémiologistes ni des spécialistes en santé publique. Nous sommes des experts de la « mise en lien », des ingénieurs capables d'envoyer n'importe qui, n'importe où, de répondre très rapidement à un besoin de renfort, et ce dans des conditions juridiques, administratives et financières sécurisées. Nous entendons ainsi faire partie des relais de confiance pour la circulation de l'information dans le domaine de la santé et la mise en lien des parties prenantes, notamment des professionnels, dont nous savons à quel point ils jouent, au moment des crises, un rôle de leaders d'opinion et de proximité absolument essentiel.
Fabienne Keller , rapporteure
Madame Pascale Briand, vous êtes inspectrice générale de l'agriculture, ancienne chercheuse de l'Inserm, ancienne directrice de l'Afssa, ancienne directrice générale de l'alimentation et de l'Agence nationale de la recherche. Quelles sont, selon vous, les perspectives de développement du numérique ?
Pascale Briand, inspectrice générale de l'agriculture
J'aimerais commencer par souligner que l'espoir vient de ces disciplines nouvelles dont le numérique fait partie, car elles peuvent nous aider à dépasser nos fonctionnements quelque peu archaïques, segmentés et cloisonnés. Je vous encourage d'ailleurs à lire l'ouvrage Interdisciplinarité : entre disciplines et indiscipline , publié par la revue Hermès .
Il nous faut réfléchir aux moteurs de l'action. Allons plus loin que la peur. En ce sens, la fierté d'agir convient parfaitement au mode connecté, qui permet de rassembler des énergies et des niveaux de connaissances fiabilisées. Des actions individuelles ou collectives, grâce au numérique, permettent d'aller du local au global, ce qui rencontre les caractéristiques des maladies émergentes en termes de préparation, de prévention, d'action, mais aussi de capacité d'analyse a posteriori .
Pour ce qui est de la recherche, je reviens sur la nécessité du financement, attaché à des projets qui intègrent des spécialistes de champs variés, en allant du plus fondamental au plus appliqué. Afin d'illustrer cette continuité entre l'amont et l'aval, je reprendrai à mon compte l'exemple du sari filtrant évoqué au début de l'atelier par le professeur Leport.
On l'a vu, c'est plus du fait d'institutions comme le Cnes que du monde universitaire que se structurent des projets promouvant l'interdisciplinarité. Voilà qui est tout de même préoccupant.
J'insiste sur la nécessité d'avoir, au niveau des politiques publiques, de la cohérence et du courage. Cohérence, au niveau de la réglementation européenne, notamment en matière de biocides. Courage, sur des sujets aussi divers que la recherche et l'utilisation des OGM, que l'on ne peut sans risque exclure a priori , y compris des pistes de lutte anti-vectorielle, ou encore la faune sauvage, l'ambition louable de protection ne devant pas s'opposer à la nécessité de maîtrise de maladies dont certaines de ses espèces sont porteuses à l'heure où s'accroissent les contacts avec l'homme, sans connaissance des risques. Le concept One Health mérite d'être encore mieux pris en compte. Je salue à ce titre l'engagement du président de l'OIE.
Pour terminer, je suis convaincue, comme cela a été précédemment évoqué, de la nécessité de sortir du « médico-centré ». La recherche elle-même se doit d'être plus intégrative.
Fabienne Keller , rapporteure
Monsieur Robin, à la demande de Mme Bachelot, alors ministre de la santé, vous avez travaillé pendant cinq ans sur la problématique du numérique et de la santé puis écrit le livre Santé, l'urgence numérique . Pouvez-vous nous faire partager vos convictions ?
Jean-Yves Robin, consultant e-santé et Big data, ancien directeur de l'Asip Santé
Je concentrerai mon propos sur le sujet des données, du recueil des signaux et de la détection des maladies émergentes. À cet égard, j'ai eu l'occasion de coordonner les travaux effectués dans le cadre du rapport sur la veille sanitaire, remis par le directeur général de la santé à la ministre de la santé en 2013.
La production des données, de par la conjonction de phénomènes qui ont déjà été rappelés, notamment les objets connectés, affiche une croissance exponentielle. À ce sujet, on pense aux données futures mais je souligne que nous disposons déjà de données dramatiquement sous-utilisées et sous-utilisables, du fait de l'existence d'un certain nombre de barrières. La capacité de traitement est donc un enjeu. Le législateur aurait son mot à dire.
Par ailleurs, en matière médicale et sanitaire, nous avons besoin de données plus fiables que les données non structurées de type réseaux sociaux, et dont l'interprétation puisse être rapprochée et traitée. Tout à l'heure, Benoît Thieulin faisait référence au site Google Flu Trends, destiné à suivre l'évolution de la grippe dans le monde entier au travers de certains mots clés de recherche. Si Google ne fournit pas ses algorithmes, une analyse comparative des méthodes de détection avec d'autres modalités de suivi du syndrome grippal a montré les limites de son modèle quant à la détermination de l'amplitude du phénomène. Google a été contraint de réinjecter des données provenant des centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC). À l'évidence, tout n'est pas réglé en la matière, d'autant que la question des données peut être source d'une nouvelle inégalité entre le Nord et le Sud car les niveaux d'informatisation et de numérisation des pays exposent à une fracture sanitaire.
Quatre points me semblent structurants et concrets.
Tout d'abord, il faut reconsidérer le statut des données. On parlait jusqu'ici de données individuelles ou de données anonymes. Avec le Big data, je pense qu'il serait nécessaire de créer un niveau intermédiaire de données « pseudonymisées », de manière à pouvoir continuer de travailler sur des données individuelles, et non pas personnelles, sans risque de démarche de ré-identification.
Au niveau du temps réel et des outils prospectifs, les moyens sont comptés. Nous avons trop tendance à ne regarder que dans le rétroviseur. Les activités prospectives doivent être développées, et je me réjouis d'autant plus de pouvoir participer à un tel atelier ce matin.
En matière de traitement des données, des travaux de sémantique doivent être menés en France : il nous faut revoir les nomenclatures et les terminologies pour garder de la cohérence. Le sujet est peut-être quelque peu aride, mais la question est véritablement stratégique sur le long terme.
Enfin, nous avons à développer notre culture de la coopération aussi bien entre le public et le privé qu'entre les différentes disciplines. Pour bousculer nos habitudes, il sera nécessaire de nous doter de cadres et d'outils législatifs supplémentaires, qui existent déjà dans de nombreux autres pays. Aux États-Unis, le Big data santé constitue l'un des premiers postes d'investissement des acteurs privés dans des start-up en 2014 : plus d'un milliard de dollars y a été ainsi consacré. La France a toujours tendance à faire de la résistance face au changement. Les pouvoirs publics devraient acquérir la culture du proof of concept , ou démonstrateur de faisabilité. Notre frilosité se révèle particulièrement préjudiciable sur des sujets où il faut aller vite.
Fabienne Keller , rapporteure
Madame Sargueil, vous formez des journalistes à la communication dans le domaine de la santé. Pouvez-vous nous faire partager les leçons de votre expérience ?
Sylvie Sargueil, médecin, journaliste, consultante en renforcement des capacités et évaluation de programme, formatrice pour les journalistes de pays en voie de développement
L'idée, évoquée tout à l'heure, de créer de nouveaux métiers de médiatisation en santé me laisse quelque peu dubitative. Collecter des données, les vulgariser, les analyser, les mettre en contexte et en perspective de façon transversale, puis les diffuser sont des missions déjà inhérentes à un métier, le journalisme. Cela étant, il est vrai qu'il est nécessaire de mieux former les journalistes à la communication en santé.
Si cette formation accuse un énorme déficit en France, elle est quasi inexistante dans les pays en développement. Les programmes de formation y sont trop courts et très verticaux. Malheureusement, il arrive que les journalistes soient eux-mêmes vecteurs de rumeur et de discrimination.
Quelques programmes d'information se sont néanmoins révélés des succès, ce qui nous encourage à aller plus loin.
Ainsi, en octobre et novembre 2014, grâce à un programme mis en oeuvre par Canal France International et financé par le gouvernement français, des journalistes de radios communautaires de six pays limitrophes de la Guinée ont été sensibilisés et formés pour traiter les informations concernant l'épidémie à virus Ebola, en particulier sur le volet prévention. Ces journalistes travaillent en langues locales. Ils ont fait intervenir des acteurs locaux formés à la lutte contre Ebola : personnels soignants et médecins mais aussi chefs coutumiers, chefs religieux, tradi-praticiens, etc. Ils ont permis de sensibiliser les populations, de manière très simple et d'aller au plus près de leurs préoccupations. De telles interventions, où la parole est donnée aux représentants des populations, sont très utiles pour renforcer la confiance.
Je citerai une autre initiative : la création par dix-huit étudiants de quatrième année de l'Isic, l'Institut supérieur de l'information et de la communication, qui est une école de journalisme de Conakry, d'un « journal école » baptisé Tremplin , dont je tiens quelques exemplaires à la disposition de ceux qui le souhaitent. Ce travail intensif de deux mois, financé par l'Union européenne et dirigé par l'École supérieure de journalisme de Lille, a prouvé que des gens sont motivés, veulent apprendre et souhaitent être des médiateurs entre le monde médical et les populations.
Des programmes de formation plus ambitieux doivent être envisagés. Les écoles de journalisme locales ont besoin d'appuis réguliers et durables, et pas seulement d'initiatives ponctuelles.
Fabienne Keller , rapporteure
Professeur Zylberman, vous avez travaillé à la conception de notre atelier d'aujourd'hui. Quels enseignements tirez-vous de tous nos échanges ?
Patrick Zylberman, professeur à l'École des hautes études en santé publique
J'aimerais revenir sur trois points forts.
La question de la rumeur est trop peu abordée. Même si elle ne peut occuper le centre des débats, il s'agit d'un sujet crucial d'un point de vue opérationnel, surtout en « temps de guerre », pour reprendre une expression largement utilisée ce matin.
Faute de prendre en compte cette délicate question de la rumeur, la notion de confiance pourrait très vite tourner à l'incantation. Il faudrait d'ailleurs être un peu plus solide sur le concept lui-même, l'étudier en philosophie politique et s'interroger sur son application concrète à la gestion des crises épidémiques et pandémiques.
Je me retrouve en parfait accord avec Arnaud Fontanet pour ce qui est des Mooc. J'en ai moi-même conçu dans le cadre du Centre Virchow-Villermé, codirigé par Antoine Flahaut. Je rejoins totalement Arnaud Fontanet quand il souligne que les scientifiques ne sont peut-être pas les mieux placés pour informer en cas de crise épidémique. C'est pour moi un point très important.
Il a été plusieurs fois fait allusion aux aspects positifs des réseaux sociaux et à tout ce que peut apporter cette nouvelle forme d'organisation sociale dans le cadre de la lutte contre les maladies infectieuses émergentes. On devrait s'essayer à mesurer les différentes couches que peuvent constituer la teneur des propos échangés sur ces réseaux, pour aller plus loin que le simple stade de la rumeur.
Certains de nos collègues, notamment aux États-Unis, ont tenté de le faire très récemment. Je citerai deux enquêtes, réalisées en 2010 et 2011 sur près de 5 500 tweets échangés entre mai et décembre 2009 et qui comportaient les mots-dièse « H1N1 » et « swine flu », la « grippe du porc ». Ces 5 500 tweets ont été soumis à une analyse de contenu automatique : près de 13 % d'entre eux colportaient des plaisanteries et des sarcasmes, 12 % manifestaient de l'inquiétude, 10 % posaient des questions, 4,5 % s'employaient à disséminer de la désinformation définie par les chercheurs à l'aide de mots clés comme « conspiration », « toxines » ou « autisme ». Il est apparu que le poids relatif de la désinformation avait grandement varié au cours de la période : d'un peu plus de 2 % en juin jusqu'à près de 10 % au mois d'août, peu avant le début de la campagne de vaccination de masse, avec une moyenne autour de 6 %.
La désinformation sur les réseaux sociaux est une réalité. Mais ce n'est pas le raz-de-marée que certains se plaisent à nous décrire. Plus intéressant encore, ces études ont mis en lumière que les sources officielles - CDC, OMS, etc. - ne comptaient que pour 1,5 % de la totalité des tweets. Autrement dit les autorités, aussi bien politiques que scientifiques, sont considérées avec méfiance. Là est le point. Les experts sont le maillon faible des dispositifs de santé publique, non que leur expertise soit faible, bien au contraire, mais parce que, par sa nature même, celle-ci se place au carrefour de la science, de la politique et de l'industrie pharmaceutique. Jusqu'à maintenant, personne n'a trouvé la parade.
Il faut préparer et former les experts à évoluer dans le milieu de la communication, à « affronter » des médias, qu'ils considèrent trop souvent comme un milieu hostile. Il convient aussi de protéger les experts contre les effets pervers de la gestion des conflits d'intérêts, car cela peut très facilement devenir un moyen de chantage, une arme contre la science. En outre, la communication en santé doit être moins politisée. L'expertise doit être mieux à même de déchiffrer les mouvements sociaux, et même le monde médiatique.
Fabienne Keller , rapporteure
Nous allons prendre encore quelques minutes pour que ceux qui le souhaitent puissent faire part de leurs impressions.
François Bricaire, chef du service Maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière
Sur cette question de la communication, il me semble que nous devrions mener une réflexion sur la nécessité, en France, d'avoir un organisme parfaitement indépendant des structures de l'État et de l'industrie pharmaceutique, scientifiquement reconnu, qui soit capable de répondre aux sollicitations en période de crise. Peut-être cela peut-il se mettre en place autour des académies.
Fabienne Keller , rapporteure
Les organismes indépendants sont déjà nombreux. Ce sont des pouvoirs sans contre-pouvoirs. On peut faire le choix que vous préconisez, professeur Bricaire, mais on est alors très dépendant des personnes nommées. Mettre tout le monde autour de la table, compter sur l'équilibre des forces en présence, n'est-ce pas une autre méthodologie pour additionner les savoirs ? La gouvernance est un vrai défi.
Serge Rader, pharmacien
Je me considère comme un lanceur d'alertes, un peu de gré et de force face aux scandales sanitaires qui se succèdent sans qu'on trouve de solutions, en attendant les prochains. Pour qu'une politique de santé soit crédible, notamment en matière de vaccination, deux conditions sont requises : une information fiable, qui ne vienne pas exclusivement de l'industrie pharmaceutique, et une confiance dans les institutions sanitaires. Il n'y a qu'à lire les révélations de Mediapart voilà une quinzaine de jours pour se rendre compte que rien ne fonctionne, que le système est truffé de conflits d'intérêts, notamment au niveau de la commission de transparence et de la commission d'autorisation de mise sur le marché.
La France reste l'un des derniers pays d'Europe occidentale à imposer la vaccination diphtérie-tetanos-polyo pour le nourrisson. Comment avoir confiance quand le vaccin DTP a été abusivement retiré du marché en 2008 au profit d'Hexavalent ? Avec en plus des ruptures de stock organisées, car qui oserait affirmer que nous avons un déficit de souches anticoquelucheuses ? Bien évidemment, Hexavalent coûte six fois plus cher que le DTP.
Comment avoir confiance quand le Haut conseil de la santé publique, au mois de février 2014, conseillait la vaccination contre le rotavirus et la gastro-entérite pour les 800 000 nourrissons nés chaque année ? Et ce alors même que le ratio entre les bénéfices et les risques est largement négatif, avec en outre des sous-notifications notables au niveau des services de pharmacovigilance qui ne fonctionnent pas.
Comment avoir confiance devant la fausse pandémie déclarée de H1N1 en 2009-2010 ?
Comment avoir confiance face à cette scandaleuse campagne sur l'hépatite B en 1994 ? Je ne citerai qu'un cas : le ministre de la santé italien a été corrompu à hauteur de 600 millions de lires pour sortir une loi d'obligation vaccinale.
Comment avoir confiance quand la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale vient de signer, en catimini, un amendement pour vacciner les collégiens à partir de quinze ans sans l'autorisation des parents. C'est sans doute pour faire passer le futur Gardasil-9, qui pose de graves problèmes.
Fabienne Keller , rapporteure
Je vous prie de conclure.
Serge Rader, pharmacien
Je me ferai le porte-parole des galères vécues par nombre d'associations de malades, notamment au regard des effets secondaires post-vaccinaux. Les pôles de santé judiciaires ne fonctionnent pas. En Italie, des structures analogues font évoluer la législation et lever, région après région, l'obligation vaccinale. Face à tous ces dysfonctionnements, comment donc, dans ces conditions, établir un climat de confiance ? J'ai le regret de préciser que je ne souscris absolument pas aux précédents propos de M. Zylberman.
Telles étaient les remarques que je souhaitais formuler au moment où le projet de loi de santé est débattu au Parlement.
Fabienne Keller , rapporteure
Vous avez pu exprimer vos convictions. Je ne suis pas sûre que nous puissions aujourd'hui traiter de vos inquiétudes, mais nous sommes dans le coeur de notre sujet. Il s'agit bien ici de « factualiser », de donner des éléments scientifiques avérés, pour peser, en ce qui concerne la question de la vaccination que vous évoquez, les avantages mais aussi les risques, car il est vrai que la vaccination n'est jamais un acte anodin.
Patrice Debré, professeur d'immunologie à l'Université Pierre et Marie Curie
Sur la question de l'éducation en temps de paix, j'aimerais juste mentionner rapidement un sujet qui n'a pas été évoqué : c'est l'histoire. Je regrette qu'Anne-Marie Moulin, historienne de la santé, n'ait pu être présente parmi nous.
Fabienne Keller , rapporteure
J'en profite pour l'excuser. Elle devait intervenir mais elle a été contrainte de rester au Caire pour remplacer au pied levé certains de ses collègues de l'Université.
Patrice Debré, professeur d'immunologie à l'Université Pierre et Marie Curie
Je suis de ceux qui pensent, avec elle sans doute, que l'histoire est un bon moyen de sensibiliser les populations. Si l'on regarde l'histoire des épidémies, elle se répète inéluctablement, que ce soit au niveau des processus sociétaux ou des décisions politiques.
Marie-Claude Perrin, présidente de l'association Lyme sans frontières
Je représente une association de malades de la borréliose de Lyme et ses co-infections, à savoir des maladies infectieuses émergentes, pour ne pas dire « émergées », en pleine expansion au vu de l'affluence des malades qui contactent notre association et l'association France Lyme, également représentée ce matin.
Lorsque la polémique médicale fait rage, surtout dans le cas des maladies vectorielles à tiques, ce sont les malades qui en font les frais au quotidien. Depuis 2012, nous avons interpellé très régulièrement les pouvoirs publics. De nombreux lanceurs d'alertes - médecins, pharmaciens, associations, biologistes, etc. - ont fait leur travail. M. Zylberman, ici présent, a publié un rapport en décembre dernier, qui ouvre des avancées. Mais beaucoup reste à faire.
Pourquoi le principe de précaution ne s'applique-t-il pas en France ? Au Canada, par exemple, la borréliose de Lyme est une maladie à déclaration obligatoire. Nous préconisons une extension du statut juridique des lanceurs d'alertes. Pour le moment, les associations de malades se chargent de tout alors qu'elles manquent de moyens. Ce sont elles qui assurent la prévention, en concevant et publiant à leurs frais des plaquettes d'information, pour sensibiliser tout le monde.
Il importe de mettre fin à la polémique médicale, qui retarde tout.
Fabienne Keller , rapporteure
Merci pour ce témoignage. Il est important que les personnes engagées représentant les malades puissent s'exprimer. Même si, là non plus, nous ne pouvons traiter ce sujet scientifique et épidémiologique aujourd'hui.
Frédéric Le Marcis, professeur d'anthropologie sociale à l'École normale supérieure de Lyon
Il a été beaucoup question de l'intérêt des outils numériques. Je voudrais souligner leurs dangers, notamment quand les informations évoluent très vite et que les savoirs ne sont pas stabilisés. Nous avons eu le cas en Guinée, sur la question du saignement des malades d'Ebola. Dans ce cas précis, des informations données trop vite se sont révélées un frein à la bonne prise en charge des malades. L'épidémie a redémarré en Sierra Leone parce qu'une personne « guérie » est rentrée chez elle et a infecté son épouse avec son sperme. Dernier exemple : j'étais en novembre dernier à Gueckedou pour mettre en place l'essai clinique avec l'équipe de l'Inserm ; alors que nous avancions à petits pas, soucieux de prudence au regard du contexte politique extrêmement tendu, l'ambassade de France annonçait déjà sur son site le lancement de l'essai clinique.
La rapidité du numérique nécessite d'être d'autant plus prudent avant de diffuser une information.
Fabienne Keller , rapporteure
Dans mon rapport initial publié voilà près de trois ans, j'avais souligné l'importance, pour qui veut être crédible, de dire ce que l'on sait, mais aussi de dire ce que l'on ne sait pas, en précisant ce que l'on est en train de mettre en oeuvre pour combler telle ou telle lacune.
Didier Bompangue, professeur associé à l'Université de Kinshasa
J'aimerais revenir sur l'idée de lier les agendas. Dans le cas du choléra en Afrique sur lequel je travaille, il y a trois principales zones de persistance et de récurrence. Autour du bassin du lac Tchad et du fleuve Niger, la zone est occupée par Boko Haram. La zone des Grands Lacs est sous le contrôle de la LRA et autres groupes armés de l'est de la RDC. Enfin, la corne de l'Afrique est dominée par les milices Al-Shabaab. Corrélation troublante.
Fabienne Keller , rapporteure
En effet.
Bernard Vallat, directeur général de l'Organisation internationale de la santé animale (OIE)
Je suis en première ligne depuis vingt ans dans la gestion des crises sanitaires animales. J'ai eu à gérer la vache folle, la fièvre aphteuse, nombre de crises à impact national et mondial. Aucune n'avait été prévue. Il reste donc beaucoup de progrès à faire en matière de prédiction.
En matière de gestion, je voudrais appuyer la déclaration du professeur Moatti : ne soyons pas « bisounours ». Je me reconnais très bien dans le terme de guerre, qui a été employé plusieurs fois. La gestion des crises sanitaires est une vraie guerre et nécessite d'avoir le pouvoir de faire appliquer les prescriptions édictées pour lutter contre les pathogènes.
Enfin, un point n'a pas été évoqué ce matin : le risque bio-terroriste. Il est prégnant et il faut l'intégrer dans tous les scénarios de gestion de crise.
Bruno Dondero, professeur à l'Université Paris 1, directeur du Centre audiovisuel d'études juridiques (Cavej)
J'aimerais ajouter un mot sur la notion juridique, en tout cas appréhendée par le droit, qui est celle du conflit d'intérêts, effectivement liée à celle d'experts. Il s'agit d'une notion importante, sensible, difficile. S'il est vrai qu'il faut faire attention aux conflits d'intérêts, il convient de ne pas en voir partout. Cela renvoie à la question de la rumeur. Une personne pourrait être discréditée parce qu'elle présente des liens lointains et indirects avec un secteur industriel. L'un des enjeux juridiques de la notion est justement de la définir précisément. Je ne souhaite absolument pas défendre des situations de conflits d'intérêts. J'invite simplement à aborder avec prudence la question.
Catherine Leport, professeure des universités, praticienne hospitalière
Je souhaite vous remercier une nouvelle fois, madame Keller, et remercier toutes les personnes présentes qui ont participé aux échanges. Les présentations étaient de très haut niveau. Le temps était trop court, mais je sais que vous saurez en établir une synthèse d'une manière pertinente et opérationnelle.
Je pense que nous sommes tous d'accord, qu'on l'appelle temps de paix ou de préparation, pour dire que des actions et des outils doivent être définis en dehors des crises. Nous sommes tous également conscients de la nécessité de continuer d'innover.
L'approche par regards croisés que vous avez réunis ici est pertinente. Une communauté diverse se crée autour de ce sujet et c'est probablement bon signe, à condition bien entendu qu'elle reste ouverte.
Je terminerai par un point qui n'a pas été abordé, mais qui était sous-jacent dans nombre d'échanges. Nous arrivons à un moment où il deviendra nécessaire d'aborder les enjeux éthiques inhérents à la gestion et à la communication autour de ces crises sanitaires liées aux maladies infectieuses émergentes.